B. PARFAIRE LA COUVERTURE EN TÉLÉPHONIE MOBILE

Constituant le complément indispensable au déploiement d'un réseau fixe dense, la desserte du territoire en téléphonie mobile doit aujourd'hui être optimisée pour ne plus laisser de « trous de couverture », mais également densifiée pour permettre de passer des communications et transférer des données dans des conditions de confort satisfaisantes.

1. Trouver un instrument de mesure pertinent

Ainsi qu'il a été souligné dans la partie du rapport consacrée au constat de la situation actuelle, les critères retenus pour juger de la desserte en téléphonie mobile des communes situées en « zones blanches » et concernées par le programme d'extension de couverture ne sont pas satisfaisants , car ils conduisent à considérer comme couverte une commune dont seul le centre-bourg - qui parfois ne représente qu'un nombre minoritaire de ses logements - l'est effectivement.

Ces critères sont d'autant plus critiquables qu'ils diffèrent de ceux retenus par l'ARCEP pour le reste du territoire, c'est-à-dire les zones d'habitation non situées en « zones blanches ». L'autorité y vérifie en effet la conformité entre les cartes publiées par les opérateurs sur leur site internet et la réalité sur le terrain, par une campagne de mesures dans une liste de cantons représentative de l'ensemble du territoire, renouvelée chaque année. Or, cette campagne analyse n'importe quel point de couverture présumée, sans se soucier qu'il soit inclus dans le centre-bourg d'une commune ou à sa périphérie, du moment qu'il correspond à une zone d'habitation définie en tant que telle par l'Insee.

La démarche la plus transparente et lisible pour le grand public serait donc que l'instrument de mesure de la couverture prenne en considération l'ensemble de la commune, et non pas seulement sa partie centrale . Votre rapporteur a d'ailleurs présenté et fait adopter un amendement en ce sens dans la proposition de loi de notre collègue Daniel Marsin sur les télécommunications .

Devenu l'article 7 du texte adopté par le Sénat le 8 décembre 2010, en attente d'examen par l'Assemblée nationale, cette disposition est formulée de la façon suivante :

« La mesure de la zone de couverture visée à l'article L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques est faite au niveau de la commune.

Une commune est réputée couverte quand, sur l'ensemble de son territoire, sont offerts au public les services répondant aux obligations de permanence, de qualité et de disponibilité visées aux articles L. 41 et suivants du même code.

Un décret du ministre chargé des communications électroniques fixe les modalités d'application de cet article ».

Votre rapporteur a également fait adopter un dispositif similaire dans le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques, mais il n'a finalement pas été retenu lors de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte commun.

Comme votre rapporteur l'a souligné lors des débats en séance, ce dispositif n'instaure pas l'obligation de couvrir la totalité du territoire , ce qui serait bien entendu extrêmement coûteux et pas nécessairement utile. Mais il introduit plus de transparence dans les statistiques et permet d'éviter de considérer comme couvertes des communes qui, en réalité, ne le sont pas.

Reste aujourd'hui à faire adopter définitivement cette mesure, dans le texte où elle est actuellement insérée ou dans tout autre, ce qui impliquera de convaincre les opérateurs, et même le Gouvernement. Représentant ce dernier en séance, M. Patrick Ollier, ministre des relations avec le Parlement, avait en effet indiqué ne pas « (disconvenir) de l'importance de cette question » et « (comprendre) qu'une telle conception soit source de problèmes pour les habitants d'un hameau isolé », mais s'était opposé à une mesure qui « conduirait à revoir toutes les obligations de couverture inscrites dans les licences des opérateurs ».

Votre rapporteur insiste, une fois de plus, sur le fait que la mesure qu'il propose n'aboutit en rien à réévaluer le cahier des charges des opérateurs mobiles, mais simplement à obtenir une photographie exacte de la couverture 2G et 3G sur l'ensemble du territoire. Il reste bien entendu ouvert sur ce point à l'appel du Gouvernement, par la voix de son ministre chargé des relations avec le Parlement, à « travailler sur ces questions pour définir une approche de la couverture plus satisfaisante et, surtout, moins trompeuse pour les habitants des zones les moins denses ».

Il reconnaît que la disposition qu'il a fait adopter met le curseur « très haut », en exigeant que l'intégralité de son territoire soit couverte pour être considérée comme traitée par le programme d'extension de couverture en « zones blanches » : d'une façon générale, tout le territoire national n'a pas forcément vocation à être couvert, mais « seulement » celles de ses zones présentant un intérêt bien identifié , telles les zones d'habitation, de transport, d'activité économique ou de tourisme. En l'espèce, il conviendrait donc de « replacer le curseur » à un niveau permettant de bien prendre en compte cette nécessité, sans obliger pour autant à une couverture intégrale, aussi coûteuse qu'inutile.

Enfin, en-dehors des seules « zones blanches » et s'agissant toujours des instruments de mesure employés, votre rapporteur souhaiterait que soient réfléchis et adaptés les critères de contrôle de la couverture 4G . Si rien n'est fait, ils reprendront en effet ceux définis par l'ARCEP dans l'une de ses décisions pour juger de la couverture actuelle en 2G et 3G. Or, rien ne servirait de passer à une technologie plus performante si la réception et l'émission continuaient à n'être mesurées dans les seules zones d'habitation, à l'extérieur des bâtiments et en situation fixe. Il conviendrait donc que l'ARCEP prenne une nouvelle décision qui fasse évoluer ces critères au regard des nouveaux besoins évoqués précédemment, et qu'elle continue parallèlement à mesurer la qualité de service sur ce futur réseau, qui permet de compléter la notion quantitative de couverture par une appréciation d'ordre plus qualitatif.

2. Inciter ou contraindre davantage à la mutualisation

Comme pour le haut et le très haut débit fixe, le coût du déploiement des réseaux mobiles est extrêmement élevé . Le rapport précité sur la couverture mobile évoque ainsi un coût de 50 000 à 200 000 euros par pylône émetteur, et de l'ordre d'un milliard d'euros pour une couverture intégrale du territoire par un seul opérateur. Le risque est donc grand que les parties les moins denses du territoire, qui sont aussi les moins rentables pour des opérateurs dont l'équation économique dans une zone donnée dépend du nombre d'usagers potentiels, soient également les moins bien desservies.

Fort heureusement, l'analogie entre les deux types de réseaux pour ce qui est de leur coût vaut également pour les moyens de les réduire. À cet égard, la mutualisation entre opérateurs constitue sans doute l'une des solutions à privilégier . Pourquoi, en effet, laisser chaque opérateur construire son propre réseau au risque d'en doublonner des parties - infrastructures passives que constituent le pylône émetteur et son réseau d'alimentation en électricité et fibre optique, voire certains des équipements d'émission situés dessus - qui peuvent être déployées de façon unique et commune à tous ?

Ce principe de mutualisation, qui permet de réduire les coûts et d'augmenter la qualité de service dans les zones les plus reculées du territoire, est préférable à la technique de l'itinérance en ce qu'il assure une continuité de service. Cette dernière permet aux clients mobiles d'accéder à leurs services de téléphonie depuis d'autres réseaux que ceux auxquels ils sont abonnés, mais s'accompagne de limitations d'usage : la nécessité d'une reconnexion lors du passage du réseau d'un opérateur à un autre peut entraîner des coupures momentanées du signal, notamment en situation de mobilité.

C'est d'ailleurs à la mutualisation qu'il a été fait recours pour l'extension de la couverture 3G , sous une forme appelée « ran sharing », programme de partage d'infrastructures entre opérateurs sous la tutelle de l'ARCEP. C'est également à cette technique qu'il sera probablement fait appel dans le cadre du déploiement 4G : cette technologie nécessitera, en vue d'un rendement optimal en termes de performances, d'utiliser une large bande de fréquences que chaque opérateur ne pourra acquérir à lui seul, l'obligeant vraisemblablement à mettre en commun les lots qu'il possédera avec ses concurrents. Des discussions auraient d'ailleurs eu lieu entre TDF et les opérateurs de téléphonie mobile en vue d'un partenariat pour une telle mutualisation sur le réseau 4G.

Si la solution de mutualisation est tout à la fois synonyme de rationalité économique pour les opérateurs et de qualité de service optimisée dans les zones rurales pour les usagers, il n'y est pas pour autant systématiquement recouru . La raison en est la volonté de certains opérateurs de se démarquer de leurs concurrents en matière de couverture, en étant les seuls à desservir telle ou telle zone, fût-ce au prix d'un déploiement « solitaire » et donc plus coûteux.

Certes, la différenciation dans les services rendus aux usagers relève du libre-jeu du marché et permet même de l'animer. Cependant, elle peut ne pas correspondre à un optimum en termes de couverture territoriale. Une étude réalisée par le département de la Manche révèle par exemple que la mutualisation y aurait permis d'obtenir une couverture de plus de 99 % de la population, et ce à un moindre coût.

Dès lors, et en vue d'optimiser la desserte de nos territoires en téléphonie mobile, la mutualisation doit être recherchée en priorité . C'est d'ailleurs l'une des préconisations du rapport précité que de « pousser autant que possible les opérateurs à « mutualiser » leurs équipements ». Et ce devrait être l'un des objectifs des SDTAN que de chercher, dans leur volet « mobile », à privilégier autant que faire se peut une telle solution.

3. Négocier avec les opérateurs sur la base des SDTAN

Comme l'a souligné très justement le rapport précité de notre collègue Bruno Sido, en matière de desserte des territoires en téléphonie mobile, et notamment de couverture des zones résiduelles encore « blanches » comme de complément de couverture pour des zones, certes non habitées, mais considérées comme devant être couvertes, « il n'y a pas lieu (...) d'édicter une règle ou un modèle à suivre, tout étant affaire de circonstances locales et de priorité donnée à la question ». Ainsi, telle collectivité estimera que l'urgence est de desservir l'ensemble de ses zones d'activité économique, tandis que telle autre, plus sensible aux flux touristiques, s'attachera prioritairement à couvrir les chemins de randonnée pédestre situés sur son périmètre.

Or, si le choix des objectifs locaux à atteindre pour ce qui est de la couverture mobile complémentaire relève, en-dehors des zones habitées incluses dans les cahiers des charges des opérateurs, des seules collectivités, le problème de leur financement implique un dialogue étroit avec les opérateurs. Dans la plupart des cas, aucun des deux types d'acteurs ne pourra - ou ne souhaitera - prendre en charge les coûts associés à un tel déploiement. C'est donc à un partage de ces coûts qu'il faut parvenir entre collectivités et opérateurs, au regard des paramètres rencontrés - circonstances locales, nature de la demande, capacités financières, calendrier de déploiement prévu... - et grâce à des échanges rapprochés.

En effet, souligne le rapport, « s'il est impossible (...) de " forcer " la main aux opérateurs pour les contraindre à couvrir, en 2G et 3G, des zones qu'ils n'étaient pas censés desservir au regard des exigences de leurs licences ou des programmes d'extension, il reste envisageable de les y inciter par la concertation et la négociation des conditions de leur implantation. Il s'agit désormais, en effet, de faire du " sur mesure " en rapprochant les différents acteurs concernés au niveau local en vue de mettre en oeuvre au cas par cas des solutions volontaires et adaptées ». Votre rapporteur rappelle ici qu'il serait, d'une manière générale, favorable à ce que les opérateurs soient l'objet de moins d'impositions et de taxations en tout genre , dont certaines sont sans rapport avec leurs activités, mais se voient fixer des contraintes plus fortes en matière de couverture numérique du territoire.

Or, c'est bien l'objet des SDTAN que de servir de support au dialogue entre les collectivités porteuses de projets et les opérateurs de détail, qui fournissent généralement les services aux utilisateurs finaux. Sachant que ces schémas concernent, selon les termes de la loi, « prioritairement les réseaux à très haut débit fixe », mais aussi « mobile », et que le présent rapport propose d'en élargir explicitement le champ au haut débit, ils devraient donc comporter un volet « mobile » doté de sous-volets « haut débit » et « très haut débit » . C'est d'ailleurs l'un des constats du rapport qu'il « serait particulièrement judicieux pour les collectivités d'intégrer une composante " téléphonie mobile " dans ces documents ».

Votre rapporteur estime intéressante, à cet égard, l'idée de « part variable de couverture mobile territoriale » avancée par l'ARCEP lors des auditions : en-dehors des bourgs-centres, qui doivent être systématiquement et obligatoirement couverts, il doit exister un espace de négociation entre opérateurs et collectivités pour déterminer dans les SDTAN, au regard des attentes locales, quelles seront les zones à desservir prioritairement : hameaux, zones d'activité, zones touristiques, voies de communication...

Le rapprochement et la négociation entre collectivités et opérateurs doit permettre, dans ces documents, de formaliser des « points d'équilibre » entre les demandes des unes et les engagements des autres, en englobant dans la discussion haut et très haut débit . Par exemple, un département estimant indispensable de couvrir tels axes de transport ou telle zone d'intérêt économique ou touristique proposera aux opérateurs intéressés soit de prendre à leur charge une partie du coût du déploiement complémentaire de sites émetteurs, soit d'obtenir en compensation la desserte en fibre optique d'une zone les intéressant.

C'est bien à un « bargaining » de ce type, prenant en considération l'ensemble des réseaux numériques et établissant des engagements symétriques, que les SDTAN doivent être utilisés. L'octroi par les collectivités de la couverture en très haut débit fixe d'une zone rentable pourrait ainsi constituer une « monnaie d'échange » pour obtenir la couverture en haut débit mobile d'une zone donnée. Mais les négociations pourraient également mettre en balance, par exemple, haut débit fixe et très haut débit mobile.

4. Maintenir d'ambitieux objectifs sur la 4G

Comme cela a été indiqué dans la première partie, l'aménagement du territoire a constitué l'objectif prioritaire à prendre en compte dans l'élaboration par le Gouvernement du cahier des charges des licences 4G, qui seront octroyées dans les mois à venir, aux côtés des objectifs de rentabilité financière pour l'État et de garantie de la concurrence sur le marché des télécommunications.

Le législateur a clairement affirmé son attachement à la mise en avant de ce principe, dans la « loi Pintat », et l'a réaffirmé à travers l'avis de la commission du dividende numérique. Cette priorité donnée à l'aménagement numérique du territoire dans son volet mobile semble avoir été intégrée par les diverses instances ayant un pouvoir consultatif ou décisionnaire dans la procédure d'attribution des licences, et cela est heureux. Reste, comme cela a déjà été évoqué, à vérifier que les opérateurs qui obtiendront les licences respecteront effectivement les prescriptions des cahiers des charges et suivront le rythme imparti par le calendrier de déploiement . L'expérience malheureuse, en la matière, des deux précédentes générations de téléphonie mobile montre en effet que ces obligations, tant qu'elles n'auront pas été transcrites dans la réalité, demeurent largement théoriques. C'est donc à l'ARCEP, à qui reviendra la mesure technique de la progression de la couverture 4G, mais aussi au Gouvernement et au Parlement, qui peuvent interpeller les opérateurs et leur demander de « rendre des comptes », d'assurer un suivi régulier et précis de ce déploiement.

Le passage à la 4G en matière d'aménagement du territoire est en effet fondamental . Le déploiement rapide d'un réseau 4G efficace dans les zones les plus isolées ou les moins bien desservies du territoire peut en effet constituer une solution palliative à l'absence, pour des périodes sans doute conséquentes, du très haut débit fixe, voire d'un véritable haut débit, dans ces parties reculées de notre pays. En assurant la transmission en large bande de voix et données, la 4G permettra en effet aux habitants des campagnes et zones semi-rurales d'accéder, sans attendre un horizon par trop lointain, à des services très haut débit se rapprochant de ceux offerts aujourd'hui par le réseau fixe.

Cette substituabilité potentielle des technologies fixes et mobiles de très haut débit , que devraient de plus en plus favoriser les technologies convergentes actuelles (tablettes tactiles, clefs de connexion internet, smartphones ...), sera facilitée par une organisation intelligente du réseau 4G , qui reprenne autant que possible la structure des réseaux 2G et 3G et, pour le surplus, optimise l'implantation des nouveaux émetteurs en vue de couvrir une surface maximum du territoire. Ce travail d'étude et d'ingénierie doit être fait pendant qu'il en est encore temps, c'est-à-dire avant le début du déploiement du réseau, car les coûts d'ajustement seraient incomparablement plus élevés une fois celui-ci réalisé.

La 4G doit permettre, au final, de réaliser ce que la 2G et la 3G n'ont pas permis de réaliser entièrement : une véritable couverture mobile du territoire. On rappellera ce qui a déjà été souligné lors des développements consacrés à la mesure de la couverture mobile : il est indispensable, non seulement que les engagements nationaux et locaux soient tenus par les opérateurs, mais aussi que les critères de mesure soient adaptés aux nouvelles exigences des utilisateurs (couverture des différentes zones d'intérêt, y compris à l'intérieur des bâtiments et en situation de mobilité). Enfin, et comme pour les technologies fixes, il faudra songer à éteindre progressivement les réseaux devenant obsolètes, comme la 2G lorsque la couverture en 3G l'aura rattrapée 47 ( * ) .

Le calendrier de déploiement de la 4G renvoie son achèvement à un horizon très lointain . Le cahier des charges pour les candidats prévoit en effet l'obligation de couvrir 98 % de la population française d'ici 12 ans et 99,6 % d'ici 15 ans pour la bande des 800 MHz, et de couvrir 75 % d'ici 12 ans pour la bande des 2,6 GHz. Il convient donc que ce délai soit un maximum qu'il sera possible de réduire , selon les volontés et circonstances locales, dans le cadre de la contractualisation entre collectivités et opérateurs .


* 47 Ce qui ne sera pas sans poser certains problèmes, dans la mesure où la 2G est encore utilisée pour des applications professionnelles telles que la localisation des locomotives de la SNCF.

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