N° 647

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juillet 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information (1) sur les conséquences de la tempête Xynthia ,

Par M. Alain ANZIANI,

Sénateur.

Tome II : Auditions

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Bruno Retailleau , président ; MM. Éric Doligé, Michel Doublet, Ronan Kerdraon, Jean-Claude Merceron, vice-présidents ; Mme Marie-France Beaufils, MM. François Fortassin, Daniel Laurent, secrétaires ; M. Alain Anziani, rapporteur ; M. Claude Belot, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Michel Boutant, Philippe Darniche, Yves Dauge, Charles Gautier, Mme Gisèle Gautier, M. Pierre Jarlier, Mme Fabienne Keller, MM. Gérard Le Cam, Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Paul Raoult, Daniel Soulage, Mmes Catherine Troendle, Dominique Voynet.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

554 (2009-2010)

Mercredi 7 avril 2010 M. Nicolas Camphuis, Directeur du Centre européen de prévention des risques d'inondation

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Présidence de M. Bruno Retailleau, président -

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Nicolas Camphuis, directeur du Centre européen de prévention des risques d'inondation (CEPRI).

M. Nicolas Camphuis, directeur du CEPRI, a tout d'abord présenté son association créée en décembre 2006 à la suite d'une mission de préfiguration que le Conseil général du Loiret a portée avec l'appui du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'aménagement du territoire dès juillet 2003. Destinée aux autorités locales et aux pouvoirs publics, elle se veut un pôle de compétences scientifiques et techniques sur la prévention du risque d'inondation. Elle regroupe aujourd'hui des collectivités territoriales ainsi que des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), notamment celui de la Loire. Son objet consiste surtout à analyser, à sensibiliser et à formuler des préconisations sur les risques d'inondation. Elle s'intéresse ainsi aux plans de prévention des risques, à la question spécifique des digues, mais aussi au suivi de la législation communautaire. Le cas de la transposition de la directive 2007/60/CE du 23 octobre 2007 relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondations en est un exemple. La tempête Xynthia a confirmé la faible préparation des collectivités territoriales face au risque certain que constituent les inondations.

Après avoir relevé les différences de prévisibilité selon que le risque d'inondation résulte de la crue d'un fleuve ou d'une submersion marine, M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir dans quelle mesure ces deux types d'événements sont comparables et si les réponses à leur opposer peuvent être identiques.

M. Nicolas Camphuis a déclaré ne pas faire de distinction entre les inondations causées par les cours d'eaux, les pluies ou les submersions marines, du point de vue de leurs conséquences. Il a cependant indiqué que les écarts sur le plan de leurs origines justifient que les systèmes d'alertes et de prévision soient différents.

M. Bruno Retailleau, président, a estimé que chacun de ces risques ne peut être modélisé de la même manière et qu'il s'agit donc d'une différence fondamentale. Il lui est apparu que les inondations faisant suite à des précipitations peuvent ainsi être plus facilement anticipées que les cas de submersion.

M. Nicolas Camphuis est convenu de cette spécificité qu'il a toutefois relativisée. En effet, il reste très difficile de prévoir avec précision les crues des fleuves à plus ou moins 50 centimètres près dans un délai de moins de 48 heures, en particulier aux confluents des grands fleuves. L'existence d'outils de suivi régulier ne permet pas d'éviter cette difficulté, qui conduit à des approximations importantes. Or le dépassement des digues peut se jouer à une dizaine de centimètres près alors que les systèmes de prévisions conservent des marges d'erreur de l'ordre de 30 à 50 centimètres. De plus, les alertes ne suffisent pas à prévenir les crises. Ainsi, la tempête Xynthia a suscité une alerte rouge 12 heures avant la catastrophe sans que cela n'ait conduit à des mesures suffisantes. Les difficultés et les drames engendrés par la tempête résultent surtout de l'absence de décision d'évacuation des populations, alors que le scénario de rupture des digues aurait pu être anticipé. Inversement, lors du passage du cyclone Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005 environ 50 000 personnes ont été évacuées avant les inondations parce que le scénario de surverse des digues a été envisagé.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'opportunité de déclencher des évacuations à chaque alerte rouge.

M. Nicolas Camphuis a attiré l'attention de la mission d'information sur les travaux de M. Patrick Lagadec dont le rapport sur l'examen des enquêtes sur le cyclone Katrina cherche à en tirer des conséquences pour les systèmes d'alerte face aux risques d'inondations. Il a ensuite déploré l'insuffisante culture d'évacuation en France métropolitaine et souligné son existence outre-mer, en raison notamment du passage de cyclones. En outre, il a précisé que la législation oblige les propriétaires de digues à connaître et à entretenir leurs biens. Ils doivent en particulier être en mesure d'indiquer aux maires et aux préfets l'état de leurs digues et l'existence, le cas échéant, d'un risque de rupture.

M. Bruno Retailleau, président, a relevé le caractère théorique d'une telle obligation puisqu'il semble impossible pour tout propriétaire de digues de savoir comment se comporterait sa digue en cas de survenance d'un événement climatique. Il a donc jugé nécessaire de mieux accompagner les propriétaires, à travers les plans de sauvegarde notamment.

M. Nicolas Camphuis a rejeté le caractère théorique d'une telle démarche. La réglementation procède au contraire d'un important travail de concertation de deux ans entre le Gouvernement, les élus locaux et le CEPRI. Il a rappelé l'exemple du risque incendie, qui a également fait l'objet de réserves similaires pendant un temps assez long : les établissements recevant du public (ERP) n'étaient pas initialement perçus comme étant capables de se mettre au niveau des exigences légales. Et il conviendrait de connaître une évolution similaire dans l'attitude à l'égard du risque inondation, surtout que le risque de mort par incendie serait cent fois moins important que le risque de mort par inondation.

M. Bruno Retailleau, président, est convenu du fait que le régime particulièrement exigeant en matière de prévention des incendies, est aujourd'hui connu et généralement accepté.

M. Alain Anziani, rapporteur, a considéré que la comparaison entre Xynthia et Katrina était excessive. De même, il s'est étonné de l'assimilation entre les dégâts causés par submersion et ceux résultant d'une simple inondation fluviale puisque la violence mécanique est sensiblement supérieure dans les cas de submersion: des causes différentes ne sauraient donc conduire au même traitement. Enfin, il s'est interrogé sur les dispositifs existants en matière d'évacuation et d'information des populations et s'ils peuvent être améliorés, de manière à clarifier la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales dans des contextes d'urgence.

M. Nicolas Camphuis a redit qu'il existait une similarité entre les inondations fluviales et maritimes. Si le choc mécanique des vagues constitue un facteur aggravant, il ne représente pas pour autant une différence significative, surtout qu'un cours d'eau peut être tout aussi violent que la mer, à l'instar des coulées de boue ou des laves torrentielles. Il a enfin précisé que le niveau de la submersion n'emportait que peu de conséquences : le fait qu'elle soit de 50 centimètres ou de 2,50 mètres n'entraînerait pas de variations majeures sur l'ampleur des dommages.

M. Bruno Retailleau, président, a souligné que l'absence de différences selon le niveau de la submersion est avérée pour ce qui concerne les dommages aux biens, en revanche, comme en témoigne le nombre de décès dans le cas de la tempête Xynthia, l'impact sur les personnes n'est pas comparable.

M. Nicolas Camphuis est convenu de cette distinction et précisé que sa remarque ne visait que les dommages aux biens. Il a ensuite indiqué les difficultés rencontrées par les populations à se représenter les risques d'une inondation. La maison représente en effet le lieu où l'individu se sent par essence en sécurité. Un effort particulier et un accompagnement psychologique sont donc nécessaires pour réussir à sensibiliser les populations concernées. Il a invité à l'adoption de plans communaux de sauvegarde et à une meilleure explication des procédures en décrivant avec pédagogie les risques existants. Les deux expériences de graves inondations connues par la Grande-Bretagne en 2000 et 2007 ont ainsi conduit à des politiques de prévention particulièrement performantes. Les campagnes de communication sur les inondations réalisées chaque année s'élèvent ainsi à plus d'un million de livres sterling.

M. Nicolas Camphuis est ensuite revenu sur la répartition des compétences entre le préfet et le maire en rappelant les clarifications apportées par la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile : le maire est en charge de la sauvegarde tandis que le préfet est responsable des secours. Il a également reconnu la responsabilité d'autres acteurs, au-delà du secours aux personnes : ainsi, les infrastructures, de transport, d'énergie ou, encore, de télécommunications, doivent également bénéficier de plans de crise et de solutions de continuité. Enfin, il a relevé le caractère intercommunal de la lutte contre les inondations : le fait que le cadre de la commune soit souvent dépassé montre que les systèmes de plans communaux sont insuffisants. Dès lors, il convient d'envisager des coordinations intercommunales des plans de sauvegarde. Elles pourraient permettre d'éviter les difficultés en matière d'abris pour les sinistrés (utilisation des mêmes gymnases), de disponibilité de groupes électrogènes ou de motos-pompes.

M. Bruno Retailleau a relativisé la pertinence de cette préconisation : ainsi il n'existe que 14 plans de sauvegarde pour l'ensemble du département de Vendée.

M. Jean-Claude Merceron a réfuté l'assimilation entre les dégâts par inondation fluviale et par inondation marine dans la mesure où l'eau salée ne conduit pas aux mêmes dégâts que l'eau douce.

M. Nicolas Camphuis a reconnu le caractère agressif du sel contenu dans l'eau de mer mais a indiqué qu'une inondation supérieure à 12 heures engendre des dégâts comparables quel que soit le type d'eau.

M. Philippe Darniche a souhaité avoir des précisions sur les plans d'évacuation et sur les dispositifs d'alerte des populations mis en oeuvre à l'étranger.

M. Nicolas Camphuis a indiqué que, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, les habitants peuvent s'abonner à un système d'alerte par téléphone.

M. Bruno Retailleau, président, a relevé l'utilisation à la Nouvelle-Orléans, avant le passage de Katrina, de haut-parleurs installés sur des véhicules et alertant les habitants des zones concernées.

Mme Gisèle Gautier a déploré que les digues ne constituent pas une protection efficace contre le risque d'inondation alors que les collectivités locales ont investi des moyens considérables sur ce type d'ouvrage. Elle a souhaité savoir si d'autres instruments sont plus adaptés.

M. Alain Anziani s'est interrogé sur les apports escomptés du plan exceptionnel de reconstruction et de renforcement des digues annoncé par M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.

M. Nicolas Camphuis a précisé que toute digue est susceptible de connaître un événement climatique de nature à la faire dépasser par l'eau. Il n'existe donc aucun outil en mesure de garantir une sécurité totale. Toutefois, les digues utilisées aux Pays-Bas, depuis la catastrophe de février 1953, ont été renforcées et rehaussées au point d'apporter une sécurité plus significative.

M. Bruno Retailleau, président, a indiqué que la mission se rendrait aux Pays-Bas et a relevé que le plan « digues » annoncé par le Gouvernement ne prévoit pas de rehaussement.

M. Nicolas Camphuis a souligné que les renforcements permettent d'accroître la capacité de résistance des digues, ce qui conduit à une plus grande sécurité, même sans rehaussement du niveau de la digue. Il a observé que la Commission européenne et les Nations-Unies dans leurs guides de bonne pratique sur les inondations préconisent de ne pas construire dans les zones inondables. Le Gouvernement néerlandais déclare ainsi ne construire dans ces zones que parce qu'il y est contraint, ce qui n'est pas le cas en France. A moyen et long termes, la hausse du niveau de la mer et l'affaissement des sols devraient conduire à réfléchir avec une prudence encore plus grande à la question de la construction en zone inondable.

M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur les modalités du phénomène d'affaissement des sols.

M. Nicolas Camphuis a précisé que les polders, anciens marais souvent tourbeux, se tassent naturellement sous l'effet de l'assèchement. Il s'agirait ainsi d'environ 30 centimètres perdus aux Pays-Bas, comme le montre le rapport de la commission Delta 2 présidée par M. Cees Veerman. Il convient d'observer que, en Grande-Bretagne, la régulation de la construction en zone inondable passe directement par les assurances privées : en l'absence de régime public d'indemnisation des catastrophes naturelles, le coût des polices se veut dissuasif afin de décourager de telles constructions. Cette culture du rapport coûts/avantages pourrait avantageusement être développée en France.

Evoquant le cas d'une évacuation de 10 000 habitants en moins de 4 heures, M. Charles Gautier a estimé que les outils d'information mobilisables doivent être de nature diverse : radios locales, passages de véhicules avec haut-parleurs, alertes téléphoniques etc.

M. Éric Doligé a estimé que les difficultés et les préconisations sont connues des pouvoirs publics mais restent à traduire en actes. Ainsi, le risque d'inondation demeure particulièrement sous-estimé. Il a regretté que les collectivités territoriales financent les commissions de sécurité et que l'Etat soit, comme souvent, seul à exercer sa tutelle.

M. Yves Dauge a souligné la plus grande facilité à anticiper les crues lentes et leurs effets. Il est convenu de l'existence d'outils pour faire face aux inondations à l'instar de la loi sur l'eau qui a obligé à faire figurer sur les actes de vente et de location l'existence de risques éventuels d'inondation, bien que cette disposition reste toutefois difficile à appliquer. Il a souhaité le développement d'exercices dans le cadre de la prévention des risques, alors que la participation des habitants et des élus locaux reste notoirement insuffisante. Il a à son tour déploré que l'Etat reste l'acteur quasi unique des plans de prévention.

M. Alain Anziani, rapporteur, a relevé l'existence d'outils juridiques satisfaisants, à l'image des plans de prévention, de la loi sur l'eau, ou encore de la directive sur l'évaluation et la gestion des risques d'inondation. Il a souhaité savoir si cette dernière apporterait une contribution réelle à la prévention des risques.

M. Nicolas Camphuis a estimé que cette directive constitue une chance pour la France dans la mesure où elle encouragera les dispositifs de prévention. L'inondation, fluviale, maritime ou pluviale, y est pleinement reconnue comme un risque. Elle prend en compte les effets des risques sur la compétitivité économique. Enfin, elle conduira à une évaluation préliminaire des risques dans les zones inondables. Le rapport sur les politiques de prévention des inondations remis par M. Yves Dauge au Premier ministre en 1999 exigeait d'ailleurs déjà une telle évaluation.

En conclusion et en réponse à M. Bruno Retailleau, président, M. Nicolas Camphuis a exprimé trois propositions :

- la France doit s'inspirer de l'expérience de la gestion des inondations aux Pays-Bas. Depuis le grave accident de 1953, ce pays s'est en effet doté d'une stratégie nationale ambitieuse de prévention du risque inondation ;

- les PPR ne représentent pas un outil suffisant. Les schémas de cohérence territoriale (SCOT) pourraient mieux répondre aux attentes des élus locaux, en dépit de la question de la pression foncière ;

- les digues doivent faire l'objet d'un pilotage plus exigeant alors que deux difficultés sont mises en évidence : d'une part, la multiplication des propriétaires privés plaide pour la création d'un établissement public national assurant la gestion des digues ; d'autre part, la dilution des responsabilités complique les modes de financements et retarde les travaux.

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