III. QUELQUES DÉCISIONS NÉCESSAIRES À COURT TERME

Votre rapporteur général a souhaité, enfin, compléter le présent rapport d'information par quelques considérations de nature sectorielle en fonction de l'actualité, soit qu'elles résultent de travaux spécifiques comme c'est le cas de la fiscalité de l'immobilier, qu'il a été amené à étudier à l'occasion d'une étude sur les perspectives de ce marché 50 ( * ) , soit qu'elles correspondent à des projets de réformes annoncés par le gouvernement pour le projet de loi de finances pour 2006 ou pour la prochaine loi de finances rectificative de fin d'année.

A. QUELLE COHÉRENCE POUR LA FISCALITÉ DE L'ÉPARGNE ?

Après une « législature pour rien » en matière d'épargne et de modernisation des placements financiers, diverses dispositions ont été adoptées depuis quelques mois qui font de la fiscalité de l'épargne un chantier important de l'actuel gouvernement, sans que sa cohérence d'ensemble apparaisse avec toute la clarté nécessaire.

Certes, une priorité a été affirmée en ce qui concerne le développement de l'épargne retraite. Mais l'alourdissement des prélèvements sociaux, les mesures d'incitation à la consommation, favorisées par le déblocage de l'épargne salariale, la suppression de l'avoir fiscal, et son remplacement par un crédit d'impôt moins avantageux, ont pu, ici et là, accréditer l'idée que le volume d'épargne était aujourd'hui trop important en France et qu'il convenait de rééquilibrer, le cas échéant par des incitations fiscales, un arbitrage épargne/consommation trop peu favorable à la croissance.

Or, dans un rapport 51 ( * ) de votre commission des finances relatif à l'épargne, « D e l'importance de l'épargne et des dangers de la mal aimer », notre collègue Alain Lambert, alors rapporteur général, soulignait que « la fiscalité est impuissante à modifier le volume de l'épargne » 52 ( * ) . Le XXI ème rapport du Conseil des impôts 53 ( * ) consacré à la fiscalité dérogatoire « Pour un réexamen des dépenses fiscales » rappelle d'ailleurs « qu'il n'est pas démontré que les mesures dérogatoires aient un effet sur le niveau global de l'épargne ». Naturellement, sur le plan macro-économique, il convient de trouver néanmoins un équilibre global entre fiscalité des revenus du capital et fiscalité des revenus du travail de manière à ne pas perturber l'allocation des ressources.

Dans ses voeux aux forces vives, le 4 janvier 2005, le Président de la République a traité de la fiscalité de l'épargne, en des termes récemment repris par le ministre de l'économie et des finances et dont la traduction législative devrait figurer dans la prochaine loi de finances rectificative : « il faut mettre la fiscalité de l'épargne au service de l'investissement et donc de l'emploi. Je demande au Gouvernement d'étudier en particulier une modulation de la fiscalité, pour taxer davantage celui qui achète une action pour la revendre très vite, mais alléger l'impôt pour l'investisseur de long terme. Les plus-values immobilières sont exonérées après 15 ans. Il faut en faire autant pour l'investissement en actions, qui crée de l'activité. Et je souhaite que la prochaine loi de développement des entreprises adapte notre fiscalité pour encourager systématiquement l'investissement dans les petites et moyennes entreprises ».

Cette initiative n'a pas été de nature à clarifier complètement les objectifs assignés à la fiscalité de l'épargne.

Il convient tout d'abord de rappeler que la fiscalité de l'épargne est fondamentalement une fiscalité du revenu . Elle est donc affectée par les mesures proposées par le gouvernement en ce qui concerne la réforme de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et le plafonnement des niches fiscales.

Il est en outre justifié que les revenus de l'épargne, en particulier ceux de l'épargne financière (intérêts, dividendes et plus-values), puissent faire l'objet d'un traitement fiscal dérogatoire par rapport aux revenus du travail car l'épargne constitue le reliquat d'un revenu non consommé, après taxation de celui-ci . Il convient de rappeler enfin le rôle que l'épargne joue en matière d'investissement, et de souligner que la détention d'une part croissante de la capitalisation boursière de la place de Paris 54 ( * ) par des fonds de pensions américains tient à l'incitation forte que constitue outre-Atlantique l'absence de retraite par répartition sur la constitution de l'épargne privée. De ce point de vue, soutenir l'épargne, du moins celle investie en actions, constitue un acte de « patriotisme économique », qu'il s'agisse d'ailleurs de souscrire à des titres d'entreprises françaises ou d'entreprises étrangères...

Le paysage fiscal de l'épargne est aujourd'hui particulièrement touffu. Lorsque les régimes liés aux placements sont aussi variés qu'aujourd'hui en France, il convient d'examiner si les dispositifs ne sont pas contradictoires, et s'ils respectent un des principes énoncés par votre commission des finances en matière d'épargne : « la fiscalité de l'épargne doit assurer la neutralité entre actifs de même nature (par exemple tous les titres de taux doivent être traités de la même manière, quel que soit le support) ». Le rapport précité souligne en outre que si « la fiscalité est impuissante à modifier le volume de l'épargne, en revanche elle est très influente sur la structure de l'épargne, c'est à dire sur l'orientation des placements ».

Une simplification, en fonction d'objectifs clairement définis, s'impose, conformément à l'esprit de la LOLF. L'inscription des dépenses fiscales dans les « programmes » du budget général permet de disposer d'informations plus précises sur l'étendue de la fiscalité dérogatoire en matière d'épargne, sur les objectifs qui lui sont assignés, et sur ses « performances » . Les dépenses fiscales liées à l'épargne figurent au sein du programme 134 « Développement des entreprises » de la mission « Développement et régulation des entreprises », qui fait l'objet du rapport spécial de notre collègue Eric Doligé, du programme 135 « Développement et amélioration de l'offre de logement », du ressort du rapport spécial de notre collègue Roger Karatouchi, du programme 145 « Epargne » de la mission « Engagements financiers de l'Etat », examiné par le rapport spécial de notre collègue Paul Girod.

Trois questions paraissent devoir être posées, selon votre rapporteur général :

- Faut-il vraiment aujourd'hui une préférence fiscale pour l'épargne liquide et/ou sans risque, par ailleurs réglementée ?

- Comment favoriser la détention de l'épargne de long terme, investie en actions, tant dans les titres cotés que dans les titres non-cotés ?

- Quel doit être le traitement fiscal de l'épargne à risque ?

1. Des mesures dérogatoires permettant de défiscaliser partiellement ou complètement les trois quarts du stock d'épargne

a) Le poids de la dépense fiscale en matière d'épargne

Selon le XXI ème rapport précité du Conseil des impôts relatif à la fiscalité dérogatoire, les imperfections des marchés peuvent justifier des régimes de faveur pour certains revenus de l'épargne.

La dépense fiscale liée à l'épargne est supérieure, dans le projet de loi de finances pour 2006, à 11 milliards d'euros. Les trois principales dépenses fiscales liées à l'épargne sont, dans l'ordre, celle liée à l'assurance-vie, puis celle liée aux dividendes d'actions et enfin celle liée à l'épargne logement 55 ( * ) .

La dépense fiscale liée à l'épargne

(en millions d'euros)

Mesure

Résultat estimé

pour 2004

Évaluation pour 2005

Évaluation pour 2006

Exonération des intérêts et primes versés dans le cadre de l'épargne logement

1.900

1.720

1.700

Exonération des intérêts des livrets A

450

440

440

Exonération des intérêts des livrets bleus

50

50

50

Exonération des intérêts des CODEVI

170

180

180

Exonération des intérêts des livrets d'épargne populaire

120

100

90

Exonération des intérêts du livret jeune

40

40

40

Exonération des revenus provenant de l'épargne salariale

370

375

410

Réduction d'impôt au titre de la souscription de parts de FIP

5

5

10

Réduction d'impôt au titre de la souscription en numéraire de parts de PME

120

120

125

Exonération des dividendes et avoirs fiscaux capitalisés sur un plan d'épargne en actions

500

490

370

Exonération des produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation (assurance-vie)

3.250

3.680

3.510

Déduction des cotisations versées au titre de l'épargne retraite individuelle (PERP)

-

320

430

Exonération des produits des plans d'épargne populaire

640

630

610

Abattement sur certains revenus de capitaux mobiliers

360

360

270

Avoir fiscal attaché aux dividendes d'actions françaises

3.630

3.990

-

Abattement de 50 % sur certains revenus distribués de sociétés françaises ou étrangères

-

-

2.050

Prélèvement libératoire sur les produits de placements à revenu fixe

590

460

460

Exonération des gains de cessions de valeurs mobilières réalisés dans le cadre d'un plan d'épargne en actions

820

820

820

Total

13.015

13.780

11.565

Source : projet de loi de finances pour 2006

On observe l'incidence de la suppression de l'avoir fiscal, qui a presque divisé par deux la charge budgétaire liée aux distributions de dividendes. Ce seul changement suffit à expliquer la baisse globale de l'ordre de 2 milliards d'euros constatée entre les lois de finances 2005 et 2006.

* 50 « Le marché immobilier français en situation de retournement : analyse et conséquences ». Rapport d'information n° 6 (2005-2006).

* 51 Rapport d'information n° 82 (1997-1998).

* 52 Le premier principe de votre commission des finances en matière d'épargne est le suivant : « l'épargne est importante : sans épargne, pas d'investissement, sans investissement pas de croissance durable ».

* 53 « La fiscalité dérogatoire ». Pour un réexamen des dépenses fiscales. Les éditions des Journaux officiels 2003.

* 54 Au 31 décembre 2003, la capitalisation boursière des entreprises du CAC 40 était détenue à 43,9 % par les non-résidents.

* 55 La prise en charge budgétaire de la prime d'épargne logement figure, elle, au sein du programme 145 « épargne » de la mission « Engagements financiers de l'Etat ».

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