CHAPITRE II
DISPOSITIONS RENFORÇANT LES GARANTIES
JUDICIAIRES EN MATIÈRE DE DÉTENTION PROVISOIRE

SECTION 1 A
Dispositions générales

Proposant la suppression des trois articles la composant, votre commission propose également la suppression de cette section.

Article 10 A
(Article 137 du code de procédure pénale)
Détention provisoire

L'article 137 du code de procédure pénale énonce la possibilité de mettre en détention provisoire certaines personnes, tout en affirmant le caractère exceptionnel de cette mesure. Il prévoit en effet que les personnes mises en examen restent libres, sauf, à raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, à être soumises au contrôle judiciaire ou, à titre exceptionnel, placées en détention provisoire.

L'article 10 A, inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, prévoit une réécriture de cet article 137, dont le seul apport consiste à préciser que la personne mise en examen est présumée innocente.

L'article IX de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit que " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ".

L'article premier du projet de loi prévoit l'inscription en tête du code de procédure pénale de quelques principes, dont celui de la présomption d'innocence.

Faut-il, dans ces conditions, répéter ce principe, au sein du code de procédure pénale, dans l'article consacré à la détention provisoire. Cette idée peut paraître séduisante, mais n'a pas emporté la conviction de votre commission. D'une part, ce rappel n'apporte rien au droit existant. D'autre part et surtout, accoler les termes " personne mise en examen " et " présumée innocente " a pour effet de faire apparaître en pleine lumière que la présomption d'innocence est un idéal vers lequel il faut tendre, mais qui est difficile à atteindre.

Le code de procédure pénale définit en effet la personne mise en examen comme une " une personne à l'encontre de laquelle il existe des indices laissant présumer qu'elle a participé, comme auteur ou complice " aux faits dont est saisi le juge d'instruction. La personne est donc présumée innocente, mais elle est aussi présumée avoir participé à des faits répréhensibles.

Par ailleurs, écrire que la personne mise en examen, présumée innocente, reste libre laisse à penser que la personne mise en examen qui ne reste pas libre n'est plus présumée innocente.

Votre commission vous propose la suppression de cet article.

Article 10 B
(Article L. 611-1 du code de l'organisation judiciaire)
Suppression de l'obligation de présence d'au moins un juge d'instruction
dans chaque tribunal de grande instance

L'article L. 611-1 du code de l'organisation judiciaire dispose, dans sa rédaction actuelle, qu'il y a dans chaque tribunal de grande instance, un ou plusieurs juges d'instruction. En ce qui concerne les conditions de nomination et les attributions du juge d'instruction, cet article renvoie aux articles pertinents du code de procédure pénale.

L'Assemblée nationale, sur proposition de son rapporteur, a décidé de supprimer cette disposition du code de l'organisation judiciaire. Ainsi, il deviendrait possible que certains tribunaux de grande instance ne disposent d'aucun juge d'instruction. L'objectif est une rationalisation de la carte de l'instruction.

D'ores et déjà, une telle solution prévaut en ce qui concerne les juges des enfants, puisqu'il n'en existe pas dans tous les tribunaux de grande instance. Au cours des débats à l'Assemblée nationale, peu de précisions ont été apportées sur les solutions qui pourraient être retenues en matière d'instruction. Le garde des sceaux, soutenant l'amendement du rapporteur, a en effet simplement indiqué que " (...) de toute façon, nous ne nous interdisons aucune solution. Cela signifie que l'on pourra choisir des audiences foraines ou des regroupements. Nous disposerons en effet d'un large éventail de possibilités ".

Cet article soulève des difficultés. Il paraît en effet ouvrir au Gouvernement une faculté de regrouper les juges d'instruction, mais est en fait inapplicable en l'état. En effet, si certains tribunaux devaient être privés de juges d'instruction, il conviendrait à tout le moins de prévoir quel procureur serait compétent pour ouvrir l'information.

Une telle modification du code de l'organisation judiciaire appelle un débat spécifique et est profondément liée à la réforme de la carte judiciaire. Il ne paraît donc pas opportun de régler cette question dans le présent projet de loi , sous peine de risquer d'adopter un texte inapplicable.

Votre commission vous propose la suppression de cet article.

Article 10 C
Révision de la carte judiciaire

Cet article, introduit dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, prévoit une révision de la carte judiciaire dans les deux années suivant la publication de la loi.

On rappellera que l'article 5 de la loi de programme relative à la justice du 6 janvier 1995 avait prévu qu'avant le 31 décembre de la même année, le Gouvernement présenterait au Parlement ses orientations relatives à la révision de la carte judiciaire. Le rapport transmis le 21 mars 1996 excluait une réforme globale et annonçait des aménagements.

La révision de la carte judiciaire est demandée par votre commission depuis plusieurs années. En 1996, la mission d'information créée au sein de la commission pour conduire une réflexion sur les moyens de la justice 5( * ) avait conclu que cette réforme était prioritaire si l'on voulait améliorer le fonctionnement quotidien de la justice. Les quatre premières propositions de la mission, rappelées ci-après, étaient consacrées à cette question.

Les propositions de la mission de la commission des Lois
chargée d'évoluer les moyens de la justice
(octobre 1996)

Proposition n° 1 : Elaborer une nouvelle carte judiciaire qui prenne acte des évolutions durables du flux en supprimant au moins la centaine de juridictions identifiées par le rapport Carrez comme " ne répondant plus à une réel besoin " et en créant des chambres et des juridictions nouvelles là ou les besoins sont évidents.

Il s'agit dans l'immédiat d'un exercice théorique mais qui paraît nécessaire pour mettre en évidence le caractère inadapté de la carte actuelle.

Proposition n° 2 : Intégrer dans la réflexion sur la carte judiciaire les regroupements permettant ultérieurement une spécialisation effective au sein des TGI.

Proposition n° 3 : Etablir un plan de transition sur dix ans ou même davantage, de la carte actuelle à la nouvelle.

Proposition n° 4 : Prévoir des chambres détachées et tenir des audiences foraines lorsque la présence physique du juge paraît indispensable.

Il faut toutefois constater que cette réforme est sans cesse évoquée, que nombre de rapports sur ce sujet ont été publiés, sans que rien ou presque n'ait été fait jusqu'à présent.

Lors de sa déclaration sur la réforme de la justice, prononcée au Sénat le 22 janvier 1998, Mme Elisabeth Guigou déclarait notamment : " Vous le savez (...) cette affaire sera entreprise en tenant compte de chaque réalité locale, des évolutions démographiques et économiques, des durées de transport, et en favorisant à la fois réponses de proximité et spécialisation des juridictions. Pour ce faire, une mission, dont j'ai obtenu la création dans le budget de 1998 et qui réunira des professionnels qualifiés aux compétences diverses, est en cours de constitution. Elle sera chargée d'étudier concrètement les projets sur le terrain ".

Dix-huit mois plus tard, il semble que cette mission ait, pour l'instant, consacré son attention aux seuls tribunaux de commerce et qu'elle soit en passe de formuler des propositions pour quelques ressorts. Par conséquent, une véritable réforme de la carte judiciaire ne paraît pas être envisagée à moyen terme.

L'article 10 C du projet de loi a le mérite d'attirer l'attention sur cette question essentielle. Le présent projet de loi est ambitieux -et coûteux. La principale inquiétude qu'il peut susciter est celle de l'insuffisance éventuelle des moyens affectés à sa mise en oeuvre. Or, la réforme de la carte judiciaire est l'un des éléments essentiels d'une rationalisation des moyens de la justice.

Toutefois, la méthode choisie par l'Assemblée nationale ne paraît guère pouvoir être retenue. L'article 10 C constitue manifestement une injonction au Gouvernement et est donc contraire à la Constitution. Par ailleurs, il s'agit d'une demande, qui risque simplement de rester lettre morte. Peut-être le Gouvernement prendra-t-il la peine de demander régulièrement un allongement du délai qui lui est donné pour accomplir cette réforme, mais il est difficile d'en être certain. Le législateur ne peut inscrire dans la loi des dispositions, dont il sait qu'elles ne seront pas appliquées, sous peine de perdre toute crédibilité.

Enfin, le contenu de cet article est tellement général qu'il permet toutes les interprétations. Ainsi, le Gouvernement a récemment annoncé que le tribunal de grande instance de Bressuire devenait une chambre détachée du tribunal de grande instance de Niort. Ne s'agit-il pas là d'une révision de la carte judiciaire ?

Le présent article aura eu le mérite d'attirer l'attention sur l'une des questions fondamentales à résoudre pour l'amélioration de la justice en France.

Néanmoins, pour toutes les raisons énoncées précédemment, et malgré son attachement à cet objectif, votre commission vous propose la suppression de cet article.

SECTION 1
Dispositions relatives au juge de la détention provisoire

Cette section a pour objet de créer un juge de la détention provisoire distinct du juge d'instruction.

D'une manière générale, votre commission estime inopportun de qualifier le magistrat chargé du contentieux de la détention provisoire de " juge de la détention provisoire ", compte tenu du caractère peu gratifiant d'une telle appellation. L'autorité judiciaire, dans son ensemble, est gardienne de la liberté individuelle, de sorte qu'il ne paraît pas possible de faire d'un magistrat le juge de la détention. De même, il ne paraît pas possible d'en faire un juge de la liberté, car tous les juges doivent exercer ce rôle. Votre commission propose, par un amendement , de ne pas nommer dans le code de procédure pénale ce magistrat. Cela ne rendra pas plus difficile son identification et évitera les inconvénients précédemment évoqués. Cela pourrait en outre permettre, le cas échéant, d'enrichir les attributions de ce magistrat.

Par coordination, votre commission vous propose de modifier cette appellation à chaque fois qu'elle apparaît dans le texte.

Article 10
(Articles 137-1 à 137-5 nouveaux du code de procédure pénale)
Création d'un juge de la détention provisoire

L'idée d'une séparation des autorités chargées de l'instruction et de la mise en détention provisoire n'est pas neuve. Le législateur l'a déjà décidée à trois reprises, sans qu'elle s'impose durablement.

• La loi du 10 décembre 1985 prévoyait que la détention provisoire était ordonnée par une chambre de l'instruction. Cette chambre devait être composée de trois magistrats, dont au moins deux magistrats instructeurs, le juge d'instruction chargé du dossier étant appelé à en faire partie. La loi prévoyait toutefois que la personne poursuivie pouvait accepter, en présence de son avocat, que la décision soit prise par le juge d'instruction statuant seul. Cette loi prévoyait sa propre entrée en vigueur le 1 er mars 1988, mais fut abrogée en 1987.

•  La loi n° 87-1062 du 30 décembre 1987 prévoyait que la détention provisoire était ordonnée par une chambre des demandes de mise en détention provisoire, saisie par le juge d'instruction et composée de trois magistrats du siège, mais dans laquelle ne pourraient siéger ni le juge d'instruction chargé du dossier, ni aucun magistrat ayant connu l'affaire en qualité de juge d'instruction. Cette loi prévoyait sa propre entrée en vigueur le 1 er mars 1989, mais fût abrogée avant cette date.

•  La loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 prévoyait deux systèmes distincts :

- jusqu'en janvier 1994, la détention provisoire devait être ordonnée par le président du tribunal ou un juge délégué par lui, saisi par le juge d'instruction ;

- à compter de janvier 1994, la détention provisoire devait être ordonnée par une chambre de la détention provisoire composée d'un juge du siège et de deux échevins non professionnels et saisie par le juge d'instruction chargé de l'information. Ces dispositions furent abrogées par la loi du 24 août 1993.

Par ailleurs, de nombreuses propositions ont été formulées en vue de retirer au juge d'instruction le pouvoir de mise en détention.

Le rapport de la commission Justice pénale et droits de l'homme , présidée par Mme le professeur Mireille Delmas-Marty proposait que la détention soit ordonnée par un magistrat du siège à la demande du ministère public. Dans ce système, le juge d'instruction, tel que nous le connaissons, était appelé à disparaître, au profit de ce magistrat ayant des prérogatives juridictionnelles étendues, mais aucun pouvoir d'investigation.

Le rapport remis au garde des sceaux en janvier 1997 par Mme le professeur Michèle-Laure RASSAT proposait que le juge d'instruction chargé du dossier continue à pouvoir mettre en détention provisoire une personne lorsqu'une telle mise en détention était nécessaire à l'efficacité de l'instruction, mais que cette possibilité soit confiée soit au président du tribunal soit à une formation collégiale lorsque la mise en détention avait pour objet de garantir la sécurité publique (prévenir les atteintes au mis en examen, la commission d'infraction ou les réactions d'incompréhension de la population...).

La commission de réflexion sur la justice présidée par M. Pierre Truche a estimé que le pouvoir de mettre en détention devait être séparé de celui d'enquête et souhaité à l'unanimité l'intervention d'une collégialité dont le juge d'instruction serait exclu.

Cette question a donc donné lieu à de nombreux débats et presque toutes les solutions ont déjà été envisagées en cette matière.

Le Gouvernement a finalement prévu la création d'un juge de la détention provisoire. L'étude d'impact du projet de loi précise que l'institution de ce juge répond à deux préoccupations :

- il s'agit tout d'abord de garantir la totale impartialité, et donc la totale objectivité du magistrat appelé à prendre la décision de mise en détention ;

- il s'agit ensuite de confier le contentieux de la détention à un magistrat d'expérience, en réservant la fonction de juge de la détention provisoire à des magistrats ayant rang de président, de premier vice-président ou de vice-président.

•  Le texte proposé pour l' article 137-1 nouveau du code de procédure pénale pose le principe de la création d'un juge de la détention provisoire, chargé d'ordonner ou de prolonger la détention provisoire. Les demandes de liberté lui seraient également soumises.

Ce juge serait un magistrat du siège ayant rang de président, de premier vice-président ou de vice-président et serait désigné par le président du tribunal de grande instance. Il serait assisté d'un greffier lorsqu'il statuerait à l'issue d'un débat contradictoire.

Votre commission vous soumet un amendement tendant à prévoir que ce juge devra statuer dans tous les cas après un débat contradictoire. En effet, lorsque le juge d'instruction formule une demande de mise en détention, il est normal que le magistrat chargé de la détention organise un débat contradictoire même s'il n'envisage pas a priori de mettre la personne en détention.

Le texte proposé prévoit que ce juge ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu. Ce principe est le plus lourd de conséquences en ce qui concerne le coût de la réforme. En effet, une telle incompatibilité -absolument justifiée- risque parfois de rendre très difficile la composition de la juridiction de jugement.

Enfin, le texte prévoit que le juge de la détention est saisi par une ordonnance motivée du juge d'instruction, qui lui transmet le dossier de la procédure accompagné des réquisitions du procureur de la République. Cette question a donné lieu à un vif débat à l'Assemblée nationale, nombre de députés estimant préférable que le juge de la détention soit saisi par le procureur de la République.

Dans l'étude d'impact du projet, le Gouvernement indique qu'" il est vrai qu'habituellement, une juridiction est saisie par le ministère public. Mais cette règle connaît d'importantes exceptions. S'agissant de la matière pénale, peuvent être cités l'exemple du juge de l'application des peines qui saisit le tribunal correctionnel aux fins de révocation du sursis avec mise à l'épreuve et, surtout, l'exemple du juge d'instruction qui saisit le tribunal correctionnel lorsqu'il estime qu'il existe contre la personne mise en examen des charges suffisantes d'avoir commis un délit ".

La saisine d'un magistrat du siège par un autre magistrat du siège ne paraît pas poser de difficultés, dès lors que, d'ores et déjà, le juge d'instruction, lorsque son information s'achève, saisit le tribunal correctionnel.

•  Le texte proposé pour l' article 137-2 du code de procédure pénale prévoit que le contrôle judiciaire est ordonné par le juge d'instruction, qui statue après avoir recueilli les réquisitions du procureur de la République. Le projet de loi permet donc au juge d'instruction de conserver le pouvoir d'ordonner le contrôle judiciaire. Il s'agit d'un élément important, qui peut conduire ce magistrat, lorsqu'il hésite entre un contrôle judiciaire et une mise en détention, à retenir la première solution, plus simple à mettre en oeuvre et qui porte moins atteinte à la présomption d'innocence.

Le texte proposé pour cet article prévoit également que, lorsqu'il est saisi, le juge de la détention peut également ordonner un contrôle judiciaire. Cette solution paraît logique, le juge de la détention devant disposer d'un éventail de possibilités aussi large que possible pour prendre sa décision.

•  Le texte proposé pour l' article 137-3 du code de procédure pénale prévoit que le juge de la détention provisoire n'est pas tenu de statuer par ordonnance lorsqu'il ne décide ni le placement en détention provisoire ou la prolongation de celle-ci, ni la prescription d'une mesure de contrôle judiciaire. Le garde des sceaux a indiqué à plusieurs reprises que cette disposition était une illustration du principe selon lequel la liberté est la règle et la détention l'exception. Toutefois, il est possible de se demander s'il ne serait pas utile au juge d'instruction de connaître les raisons qui ont conduit le juge de la détention provisoire à estimer que sa demande de mise en détention était si peu justifiée que même un contrôle judiciaire ne s'imposait pas.

Votre commission vous propose, par un amendement que le juge chargé de la détention provisoire statue par une ordonnance motivée , même lorsqu'il ne fait pas droit à la demande du juge d'instruction.

•  Le texte proposé pour l' article 137-4 du code de procédure pénale prévoit que le juge d'instruction n'est pas tenu de statuer par ordonnance lorsqu'il ne suit pas les réquisitions du procureur tendant au prononcé d'une mesure de contrôle judiciaire ou lorsqu'il ne transmet pas le dossier au juge de la détention en présence de réquisitions tendant au placement en détention ou demandant la promulgation de celle-ci.

•  Le texte proposé pour l' article 137-5 du code de procédure pénale permet au procureur de la République de saisir la chambre d'accusation dans les dix jours de l'avis de notification qui lui est adressé, lorsqu'il n'a pas été fait droit à ses réquisitions tendant au placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire de la personne, ou à la prolongation de la détention provisoire.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 10 ainsi modifié.

Article 10 bis
(Article 138 du code de procédure pénale)
Cautionnement

L'article 138 du code de procédure pénale énumère les obligations que le juge d'instruction peut actuellement imposer à une personne lorsqu'il ordonne un contrôle judiciaire. Celui-ci peut notamment imposer à la personne mise en examen de " fournir un cautionnement dont le montant et les délais de versement, en une ou plusieurs fois, sont fixés par le juge d'instruction, compte tenu notamment des ressources de la personne mise en examen ".

L'Assemblée nationale a adopté un amendement apportant plusieurs modifications à cette disposition. En premier lieu, parmi les critères utilisés pour fixer le montant du cautionnement seraient explicitement mentionnés, outre les ressources de la personne, ses charges et son patrimoine. Notons que le texte actuel prévoit que le juge tient compte " notamment " des ressources, de sorte qu'il lui est déjà possible de prendre en compte aussi les charges et le patrimoine.

L'article 10 bis tend en outre à modifier l'article 138 du code de procédure pénale pour permettre à la personne mise en examen de s'acquitter du cautionnement dans les conditions fixées par l'article L. 277 du livre des procédures fiscales.

Cet article permet à un contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge de demander à être autorisé à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions. Le sursis de paiement ne peut lui être refusé que s'il n'a pas constitué après du comptable les garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor. Parmi les garanties possibles figurent les hypothèques, les garanties bancaires, les warrants, les nantissements...

Les auteurs de cet amendement, adopté par l'Assemblée nationale, ont fait valoir qu'une telle réforme permettrait par exemple d'éviter à une personne de devoir vendre son logement lorsqu'un juge d'instruction ordonne la fourniture d'un cautionnement très élevé. Le garde des sceaux a fait valoir que cette proposition pouvait poser des difficultés techniques : " Quelle serait, par exemple, la place de l'hypothèque judiciaire parmi les créances, sinon la première ? Comment vérifier rapidement et de manière efficace l'existence du bien, voire sa valeur, sans recourir à des services publics tels que l'administration fiscale, ce qui risque de prendre un certain temps, alors que la décision de placement en détention provisoire est le plus souvent prise dans l'urgence ? ".

Enfin, l'article 10 bis tend également à modifier l'article 142-2 du code de procédure pénale, qui permet à la personne ayant dû verser un cautionnement d'en récupérer la première partie (c'est-à-dire, selon l'article 142 du code celle destinée à garantir la représentation de la personne à tous les actes de la procédure et pour l'exécution du jugement) lorsqu'elle a satisfait aux obligations du contrôle judiciaire et s'est soumis à l'exécution du jugement. L'Assemblée nationale a décidé que la personne pourrait récupérer l'intégralité du cautionnement si elle se soumettait à ces obligations.

Un tel principe paraît difficile à retenir. En effet, une partie du cautionnement garantit notamment le paiement de la réparation des dommages causés par l'infraction et des restitutions, ainsi que de la dette alimentaire lorsque la personne mise en examen est poursuivie pour défaut de paiement de cette dette. Il ne paraît guère souhaitable de modifier ce principe.

Compte tenu des incertitudes importantes entourant la rédaction de cet article, votre commission vous propose à ce stade sa suppression .

Article 11
(Article 145-3 du code de procédure pénale)
Prolongation de la détention provisoire

La loi du 30 décembre 1996 a rendu plus contraignante la prolongation de la détention provisoire, lorsque celle-ci excède un an en matière criminelle ou huit mois en matière délictuelle. L'article 145-3 du code de procédure pénale prévoit en effet que les décisions ordonnant la prolongation ou rejetant les demandes de mise en liberté doivent comporter les indications particulières qui justifient en l'espèce la poursuite de l'infraction et le délai prévisible d'achèvement de la procédure . Ce texte prévoit toutefois que le juge d'instruction n'est pas tenu d'indiquer la nature des investigations auxquelles il a l'intention de procéder lorsque cette indication risquerait d'entraver l'accomplissement de ces investigations.

Le présent article a pour objet de modifier la rédaction de cette dernière partie de l'article 145-3 du code de procédure pénale, afin de tenir compte du fait que le projet de loi confie les décisions de prolongation de la détention ou de refus de mise en liberté au juge de la détention provisoire.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 11 sans modification.

Article 12
(Article 146 du code de procédure pénale)
Conséquence d'une requalification
en matière de détention provisoire

Cet article, comme le précédent, tend à modifier un article du code de procédure pénale pour tenir compte de la création du juge de la détention provisoire.

L'article 146 du code de procédure pénale prévoit que, dans les cas où il apparaît, au cours d'une information, que la qualification criminelle ne peut être retenue, le juge d'instruction peut ordonner le maintien de la personne en détention provisoire ou ordonner sa mise en liberté assortie ou non d'un contrôle judiciaire.

Compte tenu des changements prévus par le projet de loi, le juge d'instruction pourrait désormais prescrire la mise en liberté assortie ou non d'un contrôle judiciaire ou saisir le juge de la détention provisoire aux fins du maintien en détention.

Votre commission vous soumet un amendement de coordination et vous propose d'adopter cet article ainsi modifié .

Article 13
(Article 147 du code de procédure pénale)
Mise en liberté d'office ou sur demande du procureur

L'article 147 du code de procédure pénale concerne les conditions dans lesquelles une personne mise en détention provisoire peut être mise en liberté. Il prévoit notamment que la mise en liberté peut être ordonnée d'office à tout moment par le juge d'instruction après avis du procureur de la République.

Il prévoit en outre que le procureur de la République peut requérir à tout moment la mise en liberté et que le juge d'instruction statue dans les cinq jours. Par coordination avec les dispositions de l'article 10 relatif à la création du juge de la détention, l'article 13 tend à modifier l'article 147 code de procédure pénale, afin de prévoir que, lorsque le procureur requiert la mise en liberté, le juge d'instruction peut faire droit à cette demande ou transmettre, dans les cinq jours, le dossier, assorti de son avis motivé, au juge de la détention, ce dernier devant statuer dans le délai de trois jours ouvrables.

Votre commission vous soumet un amendement de coordination et vous propose d'adopter l'article 13 ainsi modifié .

Article 14
(Article 148 du code de procédure pénale)
Demande de mise en liberté par la personne ou son avocat

Comme les précédents, cet article tend à prendre en considération dans le code de procédure pénale la création du juge de la détention provisoire. Actuellement, la personne mise en détention ou son avocat peut demander, à tout moment, au juge d'instruction une mise en liberté. Celui-ci sollicite les réquisitions du parquet et statue dans les cinq jours par une ordonnance motivée. A l'avenir, la demande de mise en liberté continuerait à être adressée au juge d'instruction, qui solliciterait les réquisitions du procureur. Toutefois, le juge d'instruction ne pourrait désormais que donner une suite favorable à la demande ou la transmettre, avec son avis motivé au juge de la détention provisoire, qui statuerait dans les trois jours.

Votre commission vous soumet un amendement de coordination et vous propose d'adopter cet article ainsi modifié .

SECTION 2
Dispositions limitant les conditions
ou la durée de la détention provisoire


Article 15
(Articles 143-1 nouveau et 144 du code de procédure pénale)
Conditions de la détention provisoire

L'article 144 du code de procédure pénale énumère les conditions permettant la mise en détention provisoire d'une personne mise en examen.

La mise en détention n'est possible que lorsque la personne encourt une peine d'une certaine gravité :

- soit une peine criminelle ;

- soit une peine correctionnelle égale ou supérieure à un an d'emprisonnement en cas de délit flagrant ou à deux ans d'emprisonnement dans les autres cas.

La mise en détention provisoire doit en outre être justifiée par un ou plusieurs des motifs suivants, inscrits à l'article144 du code de procédure pénale :

- les nécessités de l'instruction (la détention provisoire est l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels, d'empêcher une pression sur les témoins ou les victimes, d'empêcher une concertation frauduleuse entre personnes mises en examens et complices) ;

- la nécessité de protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ;

- la nécessité de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant qu'a causé l'infraction à l'ordre public.

L'article 15 du projet prévoit tout d'abord d'inscrire dans deux articles différents les conditions de mise en détention liées aux seuils de peines et les motifs de mise en détention.

• Le texte proposé pour l' article 143-1 du code de procédure pénale prévoit une nouvelle présentation des conditions de la mise en détention provisoire liées au quantum de la peine encourue.

La détention provisoire serait désormais possible lorsque les peines suivantes sont encourues :

- une peine criminelle ;

- une peine correctionnelle d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement, compte tenu, le cas échéant, de l'aggravation de la peine encourue si elle est en état de récidive ;

- une peine correctionnelle de deux ans d'emprisonnement pour un délit prévu aux livres II (infractions contre les personnes) ou IV (infractions contre la nation, l'Etat et la paix publique) du code pénal ;

- une peine correctionnelle de deux ans d'emprisonnement pour un délit prévu au livre III du code pénal (infractions contre les biens) lorsque la personne a déjà été condamnée , soit à une peine criminelle, soit à une peine d'emprisonnement avec sursis d'une durée supérieure à un an.

Le texte proposé, adopté par l'Assemblée nationale sans modification, ne peut qu'inspirer une certaine perplexité. En avril 1998, examinant une proposition de loi de M. Alain Tourret, l'Assemblée nationale a adopté, contre l'avis du garde des sceaux, un texte extrêmement différent de celui qu'elle a accepté en examinant le présent projet de loi, puisqu'il ne permettait la mise en détention provisoire que dans les cas où une peine de cinq ans était encourue en cas d'infraction contre les biens et une peine de trois ans en cas d'infraction contre les personnes 6( * ) .

Le texte aujourd'hui soumis au Sénat modifie de manière modérée le droit actuel, mais le rend aussi plus complexe par des distinctions multiples.

L'un des alinéas du texte proposé prévoit que la détention est possible lorsque la peine encourue est de trois ans, compte tenu de l'aggravation prévue lorsqu'elle est en état de récidive. Cela signifie qu'un récidiviste ayant commis un délit passible de deux ans d'emprisonnement pourra être mis en détention provisoire, compte tenu du doublement possible de la peine en cas de récidive. Cette rédaction peut étonner car, dès lors que l'on se réfère à la peine encourue, cela paraît tenir compte de l'état de récidive.

Cette question a notamment été abordée avec précision par notre collègue, M. Guy-Pierre Cabanel, lorsqu'il avait été chargé par M. Edouard Balladur, alors Premier ministre, d'une mission parlementaire sur la prévention de la récidive 7( * ) . Notre collègue avait proposé, pour limiter la détention provisoire, d'apprécier le quantum de la peine encourue indépendamment de l'état de récidive du prévenu .

En tout état de cause, le texte de l'article 15 paraît trop complexe, au regard de sa portée, en ce qui concerne la détention provisoire. Son principal apport est d'exclure la détention provisoire lorsque la peine encourue est inférieure à deux ans d'emprisonnement, même en cas de flagrant délit.

Pour le reste, le texte prévoit que la détention est possible lorsqu'une peine de trois ans est encourue, mais ramène ce seuil à deux ans lorsque sont en cause des infractions contre les personnes, l'Etat, la nation et la paix publique, lorsque la personne est en état de récidive, enfin lorsque la personne a commis une infraction contre les biens et qu'elle a déjà été condamnée à une peine d'au moins un an d'emprisonnement.

Afin que le régime des seuils demeure intelligible et que le présent projet de loi marque une véritable évolution, votre commission vous propose, par un amendement , de modifier cet article pour prévoir que la détention est possible lorsque la personne encourt une peine criminelle quelle qu'elle soit ou une peine correctionnelle supérieure à deux ans d'emprisonnement.

Il convient de rappeler qu'en matière de comparution immédiate, la détention provisoire est possible lorsqu'est encourue une peine de deux ans d'emprisonnement ou une peine d'un an d'emprisonnement en cas de flagrant délit. Ces seuils, que le projet de loi ne modifie pas, sont actuellement les mêmes que ceux prévus pour la mise en détention provisoire dans le cadre d'une information. Une certaine différence entre les seuils, selon que la personne fait l'objet d'une comparution immédiate ou d'une information peut être admise, dans la mesure où la mise en détention provisoire en matière de comparution immédiate est décidée par le juge du fond et pour une durée très limitée.

•  Le texte proposé pour l' article 144 du code de procédure pénale est une nouvelle rédaction des motifs pouvant justifier la mise en détention provisoire d'une personne mise en examen. La rédaction proposée ne modifie en rien ces critères, mais facilite leur compréhension. La seule modification de fond consiste à prévoir que le motif du trouble à l'ordre public ne peut justifier, à lui seul, la prolongation de la détention provisoire sauf en matière criminelle. Le texte initial prévoyait que ce critère ne pouvait justifier à lui seul la prolongation lorsque la peine encourue était inférieure à cinq ans d'emprisonnement. L'Assemblée nationale a estimé nécessaire d'encadrer encore davantage le recours à ce critère.

Considérant que, dans certaines affaires correctionnelles, le trouble à l'ordre public peut perdurer au-delà de la durée initiale de détention provisoire, votre commission vous propose , par un amendement , de rétablir le texte du projet initial pour prévoir que le critère du trouble à l'ordre public ne peut justifier la prolongation de la détention lorsque la peine encourue est inférieure à cinq ans d'emprisonnement.

De nombreuses réflexions ont été conduites sur ce critère de l'ordre public, qui ont conduit à encadrer de plus en plus son utilisation, sans toutefois le supprimer. Notre collègue, M. Guy-Pierre Cabanel, dans son rapport de mission sur la prévention de la récidive, avait envisagé de limiter la référence à l'ordre public comme critère de placement en détention aux infractions d'une certaine gravité ou de prévoir l'intervention d'un second magistrat pour confirmer un placement en détention fondé sur le risque d'un trouble à l'ordre public ; cette dernière suggestion est d'une certaine manière satisfaite puisque toutes les mises en détention provisoire seront prononcées par un autre magistrat.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié .

Article 16
(Article 145-1 du code de procédure pénale)
Durée de la détention provisoire en matière correctionnelle

1 - Le droit actuel

En matière correctionnelle, les règles relatives à la durée de la détention provisoire sont les suivantes :

- la détention provisoire ne peut excéder une durée de six mois , lorsque la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement et que la personne n'a pas déjà été condamnée pour crime ou pour délit à une peine supérieure à un an d'emprisonnement avec sursis ;

- la détention provisoire ne peut excéder une durée d' un an lorsque la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement et que la personne a déjà été condamnée pour crime ou pour délit à une peine supérieure à un an d'emprisonnement avec sursis ;

- la détention provisoire ne peut excéder une durée de deux ans lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d'emprisonnement mais inférieure à dix ans ;

- enfin, la détention provisoire doit avoir une durée raisonnable lorsque la peine encourue est égale à dix ans d'emprisonnement.

Il existe donc quatre régimes différents en matière correctionnelle. Dans tous les cas, la décision de mise en détention provisoire donne lieu à un débat contradictoire. La première prolongation peut être ordonnée sans débat contradictoire, mais les suivantes, lorsqu'elles sont possibles, doivent être précédées d'un tel débat. En outre, lorsque la durée de la détention excède huit mois, les décisions ordonnant sa prolongation ou rejetant les demandes de mise en liberté doivent comporter les indications qui justifient la poursuite de l'infraction ainsi que le délai prévisible d'achèvement de la procédure.

2 - Le projet de loi

Le projet de loi initial prévoyait de maintenir le régime actuel, mais de limiter les cas où la durée de détention ne comporte aucune limite aux infractions suivantes lorsque la peine encourue est égale à dix ans d'emprisonnement : trafic de stupéfiants, terrorisme, association de malfaiteurs, proxénétisme, extorsion de fonds ou infraction commise en bande organisée. Ces infractions sont les mêmes que celles qui justifient actuellement que l'intervention de l'avocat au cours d'une garde à vue soit repoussée à la trente-sixième ou à la soixante-douzième heure de la mesure.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale procède à une réécriture complète de l'article 145-1 du code de procédure pénale. Les règles en matière de durée de la détention seraient désormais les suivantes :

- la détention ne pourrait excéder une durée de quatre mois lorsque la peine encourue serait inférieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement et que la personne n'a pas déjà été condamnée à une peine criminelle ou à une peine d'emprisonnement sans sursis supérieure à un an ;

- la détention provisoire ne pourrait excéder une durée d' un an ;

- cette durée serait portée à deux ans lorsqu'une commission rogatoire internationale serait délivrée par le juge d'instruction ;

- enfin, la détention provisoire devrait avoir une durée raisonnable lorsque la peine encourue serait égale à dix ans d'emprisonnement et que la personne serait poursuivie pour trafic de stupéfiants, terrorisme, association de malfaiteurs, proxénétisme, extorsion de fonds ou infraction commise en bande organisée.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale, assez proche sur la question des durées de détention de la proposition de loi adoptée il y a un an à l'initiative de M. Alain Tourret 8( * ) , prévoit l'intervention d'un débat contradictoire avant chacune des prolongations de la détention.

Votre commission considère que les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale sont équilibrées en ce qui concerne les durées de détention.

Le choix de faire dépendre la durée de la détention de la délivrance d'une commission rogatoire internationale par le juge d'instruction a le mérite d'attirer l'attention sur le fait que de plus en plus d'infractions ont un caractère international, ce qui impliquera à l'avenir, sans doute au niveau de l'Union européenne, une réflexion approfondie sur les moyens de renforcer la lutte contre la criminalité internationale. Toutefois, l'introduction d'un tel critère en ce qui concerne la détention provisoire, pourrait ouvrir la porte à des situations contestables, la délivrance d'une commission rogatoire internationale n'étant soumise à aucun contrôle.

Votre commission vous propose, par un amendement, de supprimer cette référence à la délivrance d'une commission rogatoire comme critère d'augmentation de la durée de la détention provisoire. Par un article additionnel, votre commission vous proposera que les durées maximales de détention puissent, dans des cas tout à fait exceptionnels, être prolongées par la chambre d'accusation.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié .

Article 17
(Article 145-2 du code de procédure pénale)
Durée de la détention provisoire en matière criminelle

L'article 145-2 du code de procédure pénale prévoit une durée de détention provisoire maximale d'un an en matière criminelle. Toutefois, cette décision peut être renouvelée pour une période de six mois, sans que le nombre de renouvellements soit limité. La seule limite à la durée de la détention est donc la durée raisonnable désormais inscrite dans l'article 144-1 du code de procédure pénale.

Dans le projet de loi initial, le Gouvernement a proposé d'instaurer des délais butoirs à la détention provisoire en matière criminelle. Le texte proposé prévoyait que la durée de la détention ne pourrait excéder :

- deux ans en cas de peine encourue inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles ;

- trois ans en cas de peine encourue inférieure à trente ans de réclusion ou de détention criminelles.

Le projet ne prévoyait donc aucune limite pour une peine encourue supérieure à trente ans d'emprisonnement (perpétuité). Enfin, le Gouvernement proposait que les limites à la durée de la détention ne s'appliquent pas dans le cas où une personne se voit reprocher plusieurs crimes.

L'Assemblée nationale a modifié ce dispositif pour prévoir les durées de détention maximales suivantes :

- deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles ;

- trois ans lorsque la peine encourue est supérieure ou égale à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles ;

- trois ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles et que le juge d'instruction a délivré une commission rogatoire internationale ;

- quatre ans lorsque la peine encourue est supérieure ou égale à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles et que le juge d'instruction a délivré une commission rogatoire internationale.

L'Assemblée nationale n'a prévu aucun butoir à la durée de la détention lorsque plusieurs crimes mentionnés aux livres II (crimes entre les personnes) ou IV (crimes contre l'Etat, la Nation et la paix publique) sont reprochés à la personne ou lorsqu'elle est prévenue pour trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée.

Votre commission accepte les propositions formulées par l'Assemblée nationale, mais vous propose par un amendement, de supprimer la référence aux crimes multiples et à la délivrance d'une commission rogatoire internationale comme critères d'augmentation de la durée de la détention provisoire.

Elle vous proposera, dans un article additionnel après le présent article, qu'à titre exceptionnel, si les nécessités de l'information le justifient, la chambre d'accusation puisse prolonger les durées maximales de détention.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 17 ainsi modifié .

Article additionnel après l'article 17
(Article 207-2 nouveau du code de procédure pénale)
Prolongation exceptionnelle de la durée de détention
par la chambre d'accusation

Votre commission a souhaité que la durée maximale de détention provisoire soit limitée, sauf pour quelques infractions, à un an en matière correctionnelle et à trois ans en matière criminelle.

Cependant, dans certains cas exceptionnels, il paraît souhaitable que la détention puisse être prolongée. Votre commission vous propose donc, par un amendement , de créer un article 207-2 dans le code de procédure pénale, afin de prévoir une procédure particulière pour la prolongation de la détention provisoire au-delà des durées maximales prévues, en matière correctionnelle comme en matière criminelle.

Seule la chambre d'accusation, saisie par le juge de la détention provisoire, pourrait ordonner ces prolongations. L'amendement tend à ne permettre la prolongation que lorsque les investigations du juge d'instruction indispensables à la manifestation de la vérité doivent être impérativement poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité.

La prolongation pourrait être ordonnée pour une durée de quatre mois, cette décision pouvant être renouvelée deux fois. Ainsi, ces prolongations exceptionnelles ne seraient plus possibles après un délai d'un an.

Article 18
(Article 141-3 nouveau du code de procédure pénale)
Limite à la durée de la détention provisoire lorsqu'elle est ordonnée
à la suite d'une révocation du contrôle judiciaire

Cet article tend à insérer, dans le code de procédure pénale, un article 141-3 relatif à la détention provisoire ordonnée à la suite d'une révocation du contrôle judiciaire. Le Sénat, à l'initiative de M. Michel Dreyfus-Schmidt, avait attiré l'attention du Gouvernement sur la situation totalement anormale qui prévaut actuellement en cette matière, en adoptant une proposition de loi reproduite en annexe du présent rapport 9( * ) .

Actuellement, l'article 141-2 du code de procédure pénale prévoit que " si la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire, le juge d'instruction peut, quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement encourue, décerner à son encontre mandat d'arrêt ou de dépôt en vue de sa détention provisoire ".

La Cour de cassation a interprété cette disposition de manière très contestable. Dans un arrêt de la chambre criminelle du 20 décembre 1983, elle a en effet estimé que l'inobservation volontaire des obligations du contrôle judiciaire permettait de décerner mandat de dépôt " quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement encourue et celle de la détention provisoire antérieurement subie ".

Cette jurisprudence a été par la suite confirmée. Ainsi, dans un arrêt du 15 avril 1991, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre un arrêt d'une chambre d'accusation ayant affirmé " qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte de la détention accomplie antérieurement à la révocation du contrôle judiciaire pour l'application de l'article 145-1 du code de procédure pénale ".

Cette jurisprudence permet de contourner les règles relatives à la durée maximale de la détention lorsque plusieurs incarcérations successives sont ordonnées à l'encontre d'une même personne par révocation du contrôle judiciaire. Le Sénat avait donc adopté un texte prévoyant que lorsqu'une personne fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder la durée maximale prévue en fonction de la peine encourue.

Le Gouvernement a retenu cette proposition dans le projet de loi tout en l'aménageant quelque peu. Le texte proposé pour l'article 141-3 du code de procédure pénale prévoit en effet que lorsque la détention provisoire est ordonnée à la suite d'une révocation du contrôle judiciaire à l'encontre d'une personne antérieurement placée en détention provisoire pour les mêmes faits, la durée cumulée des détentions ne peut excéder de plus de quatre mois la durée maximale prévue compte tenu de la peine encourue par la personne. Ce délai de quatre mois doit permettre au juge de disposer d'une sanction lorsqu'une personne méconnaît volontairement les obligations du contrôle judiciaire et qu'elle a déjà subi la durée de détention maximale, compte tenu de la peine encourue.

Le texte proposé prévoit que lorsque la peine encourue est inférieure à deux ans d'emprisonnement, la durée totale des détentions ne peut excéder quatre mois. Le texte initial prévoyait une durée de six mois, mais la durée de quatre mois est cohérente avec les décisions prises par l'Assemblée nationale à propos de l'article 145-1 du code de procédure pénale. En effet, lorsque la peine encourue est inférieure à deux ans d'emprisonnement, le texte adopté par l'Assemblée nationale ne prévoit aucune détention provisoire. Il est donc normal que la personne mise en détention à la suite d'une révocation du contrôle judiciaire ne le soit que pour une durée maximale de quatre mois.

L'article prévoit par ailleurs, pour déterminer s'il doit appliquer certaines formalités prévues en matière de prolongation de la détention (débat contradictoire ou exigence de motivation particulière), le juge doit tenir compte de la durée de la détention provisoire antérieurement effectuée. Une telle précision ne paraît pas indispensable et votre commission vous propose, par un amendement de supprimer cette disposition.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié .

Article additionnel après l'article 18
(Article 11-1 nouveau de l'ordonnance du 2 février 1945)
Limitation de la durée de la détention provisoire des mineurs
lorsqu'elle est ordonnée à la suite
d'une révocation du contrôle judiciaire

Votre commission propose de modifier l'ordonnance du 2 février 1945, afin de prévoir, pour les mineurs comme pour les majeurs, la prise en compte de la détention antérieurement effectuée, lorsqu'une mise en détention est ordonnée à la suite d'une révocation du contrôle judiciaire.

Les durées de la détention provisoire étant plus courtes pour les mineurs que pour les majeurs, votre commission propose que la durée de la détention ordonnée à la suite d'une révocation du contrôle judiciaire ne puisse excéder de plus d'un mois la durée maximale de détention provisoire.

SECTION 3
Dispositions relatives à l'indemnisation des détenus provisoires

Article 19
(Articles 149 à 149-2 du code de procédure pénale)
Indemnisation des détentions provisoires

Dans sa rédaction actuelle, l'article 149 du code de procédure pénale prévoit qu'une indemnité peut être accordée à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire pour une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive lorsque cette détention lui a causé un préjudice. Avant la loi du 30 décembre 1996, il était exigé que le préjudice soit manifestement anormal et d'une particulière gravité.

L'article 149-1 prévoit notamment que l'indemnité est allouée par une commission, composée du premier président de la Cour de cassation ou de son représentant, et de deux magistrats du siège à la même cour ayant le grade de président de chambre, de conseiller ou de conseiller référendaire, désignés annuellement par le bureau de la Cour.

L'article 149-2 définit la procédure applicable devant la commission. Celle-ci doit être saisie dans le délai de six mois de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive. Elle statue par une décision non motivée qui n'est susceptible d'aucun recours.

Le projet de loi tend à modifier, sur plusieurs points essentiels, ce dispositif.

En ce qui concerne le principe de l'indemnisation, le Gouvernement a proposé que l'indemnisation demeure facultative, mais qu'elle permette de réparer le préjudice, qu'il soit matériel ou moral. Le Gouvernement a en outre proposé qu'une personne bénéficiant d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement soit informée de son droit de demander une indemnisation.

L'Assemblée nationale a toutefois retenu un système différent puisqu'elle a rendu obligatoire l'indemnisation, dès lors que la personne en fait la demande. Elle a donc été conduite à prévoir certaines exceptions pour tenir compte de situations particulières. Elle a prévu qu'aucune indemnisation n'est due lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement résulte de la reconnaissance de l'irresponsabilité d'une personne au sens de l'article 122-1 du code pénal, de la prescription ou de l'amnistie, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissée accuser à tort.

Ces exceptions suscitent des interrogations. En ce qui concerne la prescription, celle-ci peut n'être pas constatée au cours de l'instruction malgré les demandes en ce sens de la personne, et l'on voit mal pour quelle raison une personne ayant subi une détention provisoire pour une infraction prescrite n'aurait droit à aucune réparation. La détention provisoire deviendrait alors le moyen d'infliger une peine pour une infraction prescrite.

En ce qui concerne la personne qui s'est librement et volontairement accusée ou laissé accuser, s'il est aisé de percevoir l'objectif de cette disposition, on peut craindre que l'appréciation sur ce sujet soit particulièrement difficile.

Dans ces conditions, votre commission propose, par un amendement , de préciser ces exceptions, afin qu'elles n'aboutissent pas à des résultats contestables. Il paraît souhaitable que l'amnistie n'empêche l'indemnisation que lorsqu'elle intervient après la mise en détention provisoire. En ce qui concerne les personnes qui se laissent librement accuser, votre commission propose de ne prévoir aucune indemnisation que lorsque ces personnes se laissent accuser pour faire échapper l'auteur des faits aux poursuites.

L'Assemblée nationale a par ailleurs prévu qu'à la demande de l'intéressé, le préjudice devrait être évalué par expertise contradictoire.

En ce qui concerne la procédure d'indemnisation, le projet de loi tend à compléter l'article 149-2 du code de procédure pénale pour prévoir que la décision de la commission devra désormais être motivée et que les débats auront lieu en audience publique, sauf opposition du requérant. L'Assemblée nationale a souhaité qu'il soit précisé que le requérant pouvait, à sa demande, être entendu personnellement ou par l'intermédiaire de son conseil.

Enfin, l'Assemblée nationale a complété cet article en prévoyant l'inscription dans l'article 149-2 du code de procédure pénale d'un alinéa précisant que la décision de la commission d'indemnisation allouant une indemnité était communiquée aux magistrats ayant concouru à la mise ou au maintien en détention provisoire.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié .

Article 19 bis
Commission de suivi de la détention provisoire

Cet article, inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, prévoit la création d'une commission de suivi de la détention provisoire placée auprès du ministre de la justice.

Cette commission serait composée de deux représentants du Parlement, d'un magistrat de la Cour de cassation siégeant à la commission d'indemnisation de la détention provisoire, d'un membre du Conseil d'Etat, d'un professeur de droit pénal, d'un avocat et d'un représentant d'un organisme de recherche judiciaire.

Cette commission serait chargée " de réunir les données juridiques, statistiques et pénitentiaires concernant la détention provisoire, en France et à l'étranger ". Elle pourrait se faire communiquer tout document utile à sa mission et pourrait procéder à des visites ou à des auditions. Elle établirait un rapport annuel rassemblant les données statistiques locales, nationales et internationale concernant l'évolution de la détention provisoire ainsi que " la présentation des différentes politiques mises en oeuvre ". Elle établirait également une synthèse des décisions de la commission d'indemnisation de la détention provisoire.

Votre commission estime qu'un organe de ce type n'est pas indispensable et que la création d'une telle commission est en outre possible sans recourir à la loi.

Elle vous propose la suppression de cet article.

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