CHAPITRE II - UN DISPOSITIF PERFECTIBLE

I. UN PROJET A LA FOIS PRUDENT ET RIGOUREUX

A. L'IMPLICATION D'UN ARMATEUR PROFESSIONNEL CIRCONSCRIT LES RISQUES PROPRES AU RÉGIME DE LA COPROPRIÉTÉ DE NAVIRE

1. Un régime juridique très spécifique

a) Une nature composite

L'investissement dans un navire de commerce, sans être aujourd'hui aussi hasardeux qu'à l'époque où les galères vénitiennes devaient se frayer un chemin jusqu'au Pont-Euxin à travers les lignes ottomanes, reste une véritable aventure industrielle. Cet investissement intervient dans un secteur éminemment concurrentiel, dont la rentabilité n'est jamais durablement assurée, et qui enregistre de fortes fluctuations de la valeur marchande des navires.

Le régime de la copropriété de navire, régi par la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer, permet de diviser ce risque sans pour autant le réduire.

Le système des quirats participe à la fois de la copropriété et de la société. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une société, puisque la copropriété de navire n'est pas dotée de la personnalité morale. Mais celle-ci est plus qu'une simple copropriété, puisque les quirataires ont pour intérêt commun l'exploitation commerciale d'un bien d'équipement détenu collectivement, le navire.

La gestion de la copropriété obéit à la loi de la majorité, en vertu de l'article 11 de la loi précitée qui dispose que "les décisions relatives à l'exploitation en copropriété sont prises à la majorité des intérêts (...) Chaque propriétaire dispose d'un droit de vote correspondant à sa part de propriété.

Toutefois, nonobstant toute clause contraire, les décisions de la majorité sont susceptibles de recours en justice de la part de la minorité, dans un délai de trois ans (article 12 de la loi précitée).

La copropriété peut désigner un gérant, extérieur ou partie à la propriété (articles 14 et 15 de la loi précitée). En pratique, cette simple faculté est la norme quasi générale.

Les pouvoirs du gérant sont très larges. Il peut notamment faire des appels de fonds au titre des charges de la copropriété, auxquels les quirataires sont tenus de répondre (article 19).

Deux limitations légales seulement restreignent les pouvoirs du gérant :

- il ne peut hypothéquer le navire qu'avec le consentement d'une majorité des trois quarts (article 25) ;

- il ne peut pas vendre le navire sans l'accord de la majorité simple (article 27).

La copropriété doit répondre des dettes contractées par le gérant dans l'exercice de ses pouvoirs, ou par un quirataire sur son mandat exprès. Elle doit également répondre des dettes contractées par ses mandataires avant la naissance de la copropriété, notamment du prix de la construction du navire.

b) Des règles de responsabilité complexes

L'article 20 de la loi de 1967, tel qu'il résulte de la loi n° 87-444 du 26 juin 1987, a organisé comme suit la responsabilité des quirataires :

- nonobstant toute convention contraire, les copropriétaires gérants sont tenus indéfiniment et solidairement des dettes de la copropriété ;

- les copropriétaires non gérants sont tenus indéfiniment des dettes de la copropriété à proportion de leurs intérêts dans le navire. Par convention contraire, ils peuvent ne répondre des dettes sociales qu'à concurrence de leurs intérêts.

- il peut être stipulé que les copropriétaires non gérants sont tenus solidairement ;

- lorsque les gérants sont étrangers à la copropriété, il doit être stipulé que des propriétaires représentant plus de la moitié des intérêts sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes de la copropriété.

L'apport essentiel de la loi de 1987 consiste dans la possibilité pour les quirataires non professionnels de limiter leurs responsabilités à hauteur de leur investissement.

Chaque quirataire est libre de disposer de sa part du navire, sauf si la vente a pour effet d'entraîner la perte de la francisation - c'est-à-dire du pavillon - du navire : dans ce cas, l'autorisation des autres quirataires est nécessaire (article 22 de la loi de 1967).

c) Des règles d'hypothèques et de privilèges particulières

Enfin, il convient de rappeler qu'un navire en copropriété est soumis aux règles d'hypothèques et de privilèges particulières du droit maritime. La publicité des hypothèques sur le navire est très soigneusement assurée par l'administration des douanes. Ces formalités paraissent d'autant plus nécessaires que l'hypothèque d'un navire français peut être consentie à l'étranger ou, inversement, que les sûretés grevant un navire acquis à l'étranger doivent la suivre lors de sa francisation.

En revanche, les nombreux privilèges constitués en liaison avec l'exploitation commerciale du navire ont un caractère occulte. Cette absence de publicité est d'autant plus regrettable que les plus importantes de ces créances privilégiées, énumérées à l'article 39 de la loi précitée, l'emportent sur toutes les hypothèques, quel que soit le rang d'inscription de celles-ci. Toutefois, cet inconvénient est atténué par des règles de prescription très sévères : tous les privilèges maritimes s'éteignent à l'expiration d'un délai d'un an au plus (mais les créances auxquelles sont attachés les privilèges ne sont pas prescrites : elles observent leurs propres délais de prescription, qui varient de 2 à 30 ans selon leur nature).

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