Rapport n° 410 (1995-1996) de M. Jacques OUDIN , fait au nom de la commission des finances, déposé le 5 juin 1996

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N° 410

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 5 juin 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi relatif à l 'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce,

Par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Mme Marie-Claude Beaudeau. MM. Philippe Marini, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, René Régnault, Alain Richard, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot. Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann, Michel Sergent, Henri Torre, René Trégouët.

Voir le numéro : Sénat : 348 (1995-1996).

Impôts et taxes

AVANT-PROPOS

LE RENOUVEAU DE L'AMBITION MARITIME DE LA FRANCE

Mesdames, Messieurs.

Le projet de loi relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce qui vous est soumis aujourd'hui est l'aboutissement d'une longue réflexion commune sur les moyens de redynamiser notre flotte de commerce et de renouer avec l'ambition maritime de la France. Une écoute attentive de la part du gouvernement envers toutes les parties concernées et une volonté politique affichée au plus haut niveau, de défendre nos intérêts maritimes ont permis de mener à terme un projet essentiel pour l'avenir de notre flotte de commerce.

En effet, pour retrouver le "destin de grande puissance maritime", auquel faisait allusion le Président de la République dans son discours de Rochefort, en juillet dernier, la France doit mettre en oeuvre une politique cohérente dans tous les domaines d'activité liés à la mer : l'aménagement et la protection du littoral, la marine nationale, la surveillance de nos côtes et la lutte contre la pollution marine, la recherche océanographique, le tourisme et la navigation, la pêche, les ports, la construction navale, mais, aussi et surtout, la marine marchande.

Notre pays a en effet besoin d'une marine marchande à la dimension de ses ambitions économiques et du dynamisme de son commerce extérieur mais aussi capable de répondre, si besoin était, à toute demande d'action extérieure, qu'il s'agisse d'action humanitaire ou de service de défense. Il s'agit également de préserver l'indépendance commerciale de la France, et de maintenir la compétence maritime des équipages français.

Le présent projet de loi est une pierre supplémentaire à l'édifice entrepris par Jacques Chirac dès 1986 pour favoriser l'adaptation de la flotte de commerce française à la concurrence internationale. Le plan Guellec d'octobre 1986 avait en effet fixé six objectifs pour créer les conditions d'une nouvelle compétitivité de la marine marchande française, libérer les rigidités qui encadrent sa nécessaire adaptation et faire évoluer le cadre social. Il n'avait toutefois rien prévu pour faire face au problème récurrent des armateurs français : le manque de fonds propres.

L'encouragement fiscal en faveur de l'acquisition de parts de copropriété de navires, ou "quirats", 1 ( * ) est donc le chaînon manquant dans l'ensemble des aides mises en place par le plan Guellec. En effet, si la modification du régime quirataire de juin 1987 a amélioré la sécurité des investisseurs, elle n'a que très peu contribué à accroître l'attrait des placements quirataires. Or, par manque de fonds propres, les armateurs français sont aujourd'hui confrontés à un problème structurel de financement de leurs navires. La mesure fiscale incitative qui vous est soumise doit permettre d'orienter l'épargne vers l'investissement maritime pour renforcer notre flotte.

Cette mesure est d'autant plus nécessaire que le déclin de la flotte de commerce française, dans un contexte de concurrence internationale exacerbée, devient préoccupant. Notre excellent collègue M. Josselin de Rohan relevait dès 1988, dans un rapport d'information sur l'avenir de la marine marchande, qui a fait date 2 ( * ) , que "l'avenir de la flotte de commerce française pourrait sous peu se poser en terme de survie. A tel point que, faute d'agir, on peut raisonnablement se demander si il y aura encore à un horizon de dix ans, une marine marchande d'un tonnage significatif sous pavillon français et si les marins français trouveront encore des emplois." A l'époque, la flotte de commerce française était composée de 240 navires. Elle n'en compte plus aujourd'hui que 209.

Votre rapporteur est personnellement très attaché à l'idée que le présent projet de loi vient enfin concrétiser. Dès 1994, il avait veillé à ce que le régime fiscal existant des quirats, en dépit de son caractère insuffisant, soit reconduit pour une nouvelle période de cinq ans jusqu'à 1999 3 ( * ) .

Puis, lors de la dernière discussion budgétaire, votre rapporteur avait défendu une proposition d'extension et d'amélioration du régime fiscal des quirats qui préfigurait le présent projet de loi 4 ( * ) . Le ministre de l'économie et des finances, M. Jean Arthuis, s'était alors engagé au nom du gouvernement à arrêter une position dans les plus brefs délais, eu égard à l'urgence de la question.

Pour ces raisons, vous comprendrez que votre rapporteur se félicite d'avoir aujourd'hui l'honneur de vous présenter ce projet de loi.

*

* *

Le présent rapport s'attachera à montrer que la mesure proposée par le présent projet de loi est indispensable, mais que son dispositif demeure perfectible.

CHAPITRE PREMIER - UNE MESURE INDISPENSABLE

I. LES AIDES EXISTANTES N'ONT PAS SUFFI A ENRAYER LE DECLIN DE LA FLOTTE DE COMMERCE FRANÇAISE

A. LE DECLIN DE LA FLOTTE DE COMMERCE FRANÇAISE S'INSCRIT DANS UN CONTEXTE DE CONCURRENCE INTERNATIONALE EXACERBEE

1. Un déclin dramatique

Depuis vingt ans, l'évolution de la flotte de commerce française est caractérisée par la diminution du nombre de bâtiments et du tonnage, alors même que le commerce maritime international connaît une croissance soutenue de 6 % par an en moyenne.

Passée du 7ème au 28ème rang mondial et de 500 à 209 navires, la flotte de commerce française ne représente plus que 0,95 % de la flotte mondiale avec un tonnage de 3,95 millions de jauge brute en 1996 contre 6,5 en 1970. En vingt ans, les effectifs de la marine marchande ont été divisés par sept.

a) Le phénomène de fuite devant le pavillon national

Le déclin de la flotte de commerce sous pavillon français reflète un phénomène de fuite devant le pavillon national. Ainsi, sur les 310 navires contrôlés patrimonialement par des armateurs français au 1er janvier 1996. 101 sont immatriculés dans des registres de libre immatriculation, soit un tiers du total (1,8 million de tonneaux bruts et 3,2 millions de tonnes de port en lourd).

Certes, ce phénomène doit être relativisé. En effet, le tonnage sous pavillon national ne constitue pas le seul potentiel de transport dont disposent les entreprises françaises. De même que dans des pays voisins, la constitution d'une flotte sous pavillon étranger, mais sous contrôle français, représente l'une des formes de l'internationalisation du secteur du transport maritime. La délocalisation de l'outil de production s'effectue dans ce secteur selon des modalités propres : transferts de pavillon, affrètement coque nue, affrètement à temps avec option d'achat.

Certains États comme le Libéria, Panama, Chypre, les Bahamas ou l'île de Malte ont ainsi décidé d'attirer vers leurs registres le trafic maritime international. En principe, ces registres "de libre immatriculation" acceptent les armateurs de toutes nationalités, entraînent un assujettissement à un impôt sur les sociétés peu élevé et ont peu d'exigences concernant la nationalité des équipages. Un nombre croissant de pays proposent ces pavillons dits "de complaisance" et ce type d'immatriculations continue à augmenter.

Pour les armateurs et les exploitants de l'Union européenne, dont les registres nationaux imposent traditionnellement comme condition d'entrée que l'équipage soit totalement ou pour une grande part composé de ressortissants de l'Union européenne - ce qui entraîne des charges sociales élevées -, le transfert d'un navire dans un registre de libre immatriculation peut être un facteur important de compétitivité sur le plan international : les économies réalisées sur les coûts sociaux et fiscaux peuvent dépasser un million de dollars par an.

Cependant, aujourd'hui, en dépit de son rang de 4ème puissance exportatrice, la France n'achemine plus que 15 % de son commerce extérieur maritime sur des navires battant pavillon français. Outre les conséquences négatives pour l'emploi, cette situation peut fragiliser les positions commerciales de la France, et menacer son indépendance stratégique.

A cet égard, l'introduction du pavillon des terres antarctiques et australes (TAAF) en 1987 n'a constitué qu'un expédient pour sauvegarder notre pavillon national. Au mois d'octobre dernier, dans leur rapport fait au nom de la Commission des affaires économiques et du Plan du Sénat sur le projet de loi relatif aux transports 5 ( * ) , nos excellents collègues MM. Jean-François Le Grand et Jacques Rocca-Serra écrivaient : "Les plus optimistes diront que la flotte française a été sauvée par le pavillon Kerguelen. Telle n'est pas exactement la position de votre Commission des affaires économiques pour laquelle tout doit être fait non pour assurer le passage de notre flotte sous pavillon TAAF mais pour maintenir le pavillon français".

Aujourd'hui, les navires immatriculés aux TAAF sont au nombre de 81 et représentent 71 % du tonnage sous pavillon français et 82 % du port en lourd.

b) La flotte française est cependant plus jeune que ses homologues

Comparée à la situation de la flotte mondiale établie au 1er juillet 1995 en port en lourd par classe d'âge, la flotte française apparaît plus jeune d'un an (14.7 contre 15,7). Elle est d'un âge égal à celui des flottes de l'OCDE et plus jeune que celle des autres pays de l'Union européenne (15,5 ans).

Avec 209 navires, la flotte française a enregistré entre le 1er janvier 1995 et le 1er janvier 1996 un gain de deux unités mais un léger recul de sa capacité d'emport à 6,264 millions de tonnes de port en lourd. Pour l'ensemble de la flotte, le mouvement de renouvellement intervenu n'a pas entièrement apporté tous les fruits attendus puisque son âge moyen s'établit à 15,2 ans accusant ainsi un vieillissement d'un an.

Les 209 navires battant pavillon français (métropolitain et TAAF) se répartissent comme suit :

Catégories

Nombre

Jauge brute

Ages moyens

Paquebots

4

25 327

3.05

Transbordeurs

26

310 051

10.69

Vedettes à passagers

7

2 034

13.51

Total Navires à passagers

37

337 412

10,13

Cargos de ligne

19

41 237

15,63

Porte conteneurs

24

659 420

13,17

Bananiers, polythermes

5

10 202

12,31

Transporteurs de vrac sec

11

379 984

9,81

Citernes à vin et à huile

3

8 881

10.20

Transporteurs souffre liquide et produits chimiques

3

11 883

15,37

Caboteurs < 500 J.B.

6

1 715

27,50

Navires secs stationnaires

42

35 039

26,03

Total Cargos

113

1 148 361

12,55

Total Flotte sèche

150

1 485 773

12,00

Pétroliers long cours

15

1 902 946

18,39

Caboteurs pétroliers

28

302 603

11,32

GPL - GNL

6

151 264

20,58

Pétroliers stationnaires

10

105 295

7,47

Total Pétroliers

59

2 462 108

17,19

Total Général

209

3 947 881

15,24

Source : Ministère de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme

A titre de comparaison, la flotte allemande se compose de 1.145 navires au 1er janvier 1996 répartis comme suit :

Nombre

Jauge brute

Age moyen

Navires à passagers

97

0,113

26

Cargos

739

5,416

16

Porte-conteneurs

146

3,267

4

Pétroliers

63

0,290

Total des navires de plus de 100 tonneaux

1 145

5,626

19

Source : Lloyds Register of Shipping

En France, au cours des dernières années, seuls se maintiennent les transbordeurs, les caboteurs pétroliers et les transporteurs de gaz. Toutes les autres catégories de navires diminuent, notamment les porte-conteneurs et les rouliers. Notre pays n'a plus que 24 porte-conteneurs, les navires à plus forte valeur ajoutée, contre 146 en Allemagne, et 40 caboteurs contre 440 en Allemagne.

c) Des armateurs dans une situation financière précaire

Le secteur des transports maritimes a été confronté depuis quinze ans à une crise anormalement longue, caractérisée par des taux de fret dépréciés. Les entreprises ont donc éprouvé de grandes difficultés à couvrir leurs frais d'exploitation. Quant aux coûts en capital, les conditions du marché ne permettaient pas, a fortiori, de les couvrir.

En 1995, le chiffre d'affaires global de l'armement français accusait un recul de l'ordre de 5 % par rapport à 1994 et se situait à 20 milliards de francs. Le tableau suivant illustre le recul du chiffre d'affaires depuis 3 ans :

(en milliards de francs)

1992

1993

1994

1995

C.A.

23,5

22,9

21

20

Source : C C.A.F.

La contraction du chiffre d'affaires, le niveau élevé des charges financières, les difficultés éprouvées à maîtriser les dépenses commerciales ont conduit, dans bien des cas, les entreprises à vendre des actifs pour faire face aux besoins de trésorerie.

Cependant, les résultats financiers récents des armateurs montrent un redressement encourageant de la situation. Les efforts de productivité se sont traduits par une amélioration du résultat d'exploitation, et l'assainissement de la structure financière a diminué le poids de la dette des entreprises leur permettant d'envisager un renouvellement accru de la flotte.

L'évolution de la structure de l'endettement des armateurs français souligne l'effort de désendettement récent :

Structure de l'endettement des armateurs

1993

1994

Crédits à moyen terme

2,5

1,7

Crédits à long terme

2,3

2,6

Emprunts étrangers

1,2

1,1

Autres emprunts

0,5

0,7

Total

6,5

6,1

Montants annuels versés aux bailleurs (crédit bail)

2,2

2

Source : CCAF

Malgré le provisionnement exceptionnel lié aux opérations de restructuration de la CGM et la dégradation des conditions d'exploitation des ferries, les perspectives de retour à l'équilibre en 1996 restent favorables.

Quoi qu'il en soit, et même si la consolidation des résultats au niveau du secteur peut masquer les résultats bénéficiaires de certaines compagnies, les résultats de l'armement français paraissent précaires.

2. Des causes multiples

a) Un environnement extrêmement concurrentiel

L'état actuel de la flotte française s'explique à la fois par les contraintes qu'impose un environnement économique extrêmement concurrentiel et par d'inquiétantes faiblesses intrinsèques.

De façon générale, la surcapacité permanente du tonnage maritime mondial depuis vingt ans, résultant de la diminution de la demande de transports et de l'accroissement de l'offre conduit à une concurrence effrénée entre les nations maritimes.

Le déclin de la flotte de commerce française traduit à cet égard le déclin de la flotte des pays de l'OCDE face à la concurrence des pavillons de complaisance. Ainsi, alors que 32 % du tonnage mondial restait sous pavillon des États membres de la Communauté européenne en 1970, ce chiffre est tombé à 14 % en 1994.

Jusqu'à la décolonisation, la flotte de commerce française opérait surtout dans le cadre de la protection que lui offraient les échanges coloniaux, à la différence des autres grandes flottes qui tiraient plus leur force de la création de routes maritimes concurrentielles que d'accords d'exclusivité. Cette attitude allait à contresens de la logique d'une profession caractérisée plus que toute autre par l'internationalisation, la délocalisation et la difficulté pour les États d'établir leur autorité.

Depuis vingt ans, la France a dû faire face à la concurrence directe de quatre pôles de concurrence :

(1) les pays membres de l'OCDE,

(2) les opérateurs de navires qui louent leurs navires dans les meilleures conditions du marché sans jamais les détenir en propre (cas des armateurs grecs ou chypriotes),

(3) les pays de l'Est de l'Europe, dont la participation au transport maritime s'est considérablement intensifiée à partir du début des années 1970,

(4) les nouveaux pays industrialisés (Taïwan, Singapour, Hong-Kong, Corée), qui possèdent d'excellents navires construits dans les chantiers les moins chers du monde et exploités à des coûts extrêmement compétitifs.

Le dernier groupe est le plus redoutable à l'heure actuelle pour les flottes des pays de l'OCDE. Leurs navires naviguent en effet avec des équipages devenus très compétents mais extrêmement frugaux, travaillant sans sécurité sociale, pour des salaires symboliques. Ces NPI, qui développent une politique maritime mondiale associant États et entreprises privées, ont vocation à peser d'un poids croissant sur le commerce maritime international. Déjà, la plupart des 250 porte-conteneurs sur les lignes type "tour du monde" sont entre les mains d'armateurs asiatiques. Le contrôle de trafic pratiqué par les NPI leur permet de soutenir le développement de leur flotte. Ce phénomène est accentué du fait que certains de ces pays disposent en outre, de possibilités de financement, de capacités de construction à bas coût et d'équipages bon marché.

La productivité et l'efficacité des navigants des flottes occidentales ne permettent pas toujours de compenser ce handicap, d'autant plus que le régime social des marins de ces pays en émergence accroît encore l'écart.

Plus spécifiquement, l'analyse de la régression de notre marine marchande fait apparaître qu'elle pâtit tout particulièrement de son insuffisante compétitivité, de la trop faible dimension des compagnies de navigation et de la nature des trafics qu'elles assurent, ainsi que du coût du pré-acheminement et du post-acheminement.

b) Une insuffisance de compétitivité

Face à la concurrence de "registres de libre immatriculation", les contraintes de qualité et de sécurité du pavillon français, ainsi que la pression fiscale et sociale sur les coûts d'exploitation, freinent aujourd'hui la compétitivité de la flotte de commerce française. On estime que le recours à un pavillon de libre immatriculation permet à l'armateur de réaliser une économie annuelle, par rapport au pavillon français, de 8 à 12 millions de francs pour un grand navire et de 3 à 5 millions pour un petit navire.

S'il est vrai que de nombreuses autres branches d'activité en France subissent la concurrence de pays qui utilisent une main d'oeuvre peu onéreuse, le handicap de compétitivité est sans doute plus lourd dans le secteur maritime, activité internationale par essence et extrêmement concurrentielle.

Le surcoût social du marin français n'est cependant réel que par comparaison avec les pavillons de complaisance, les pays en voie de développement ou les nouveaux pays industrialisés d'Asie. Or la différence de qualité de service, d'efficacité et de productivité entre les marins français et certains marins issus des pays du Tiers-monde n'est plus telle qu'elle puisse compenser la différence de coût.

Cette situation explique l'intérêt que présente pour les armateurs le pavillon des Kerguelen qui, s'il ne peut prétendre être aussi compétitif qu'un pavillon de complaisance, réduit cependant significativement le surcoût social.

Les salaires des navigants français sur un navire immatriculé aux T.A.A.F. représentent un coût d'armement inférieur de 30 % aux salaires sur le même navire battant pavillon français. Quant aux étrangers embauchés à bord d'un navire enregistré aux Kerguelen, à nombre de postes égal, leurs salaires sont inférieurs de 70 % à ceux que percevraient des marins français pour occuper les mêmes postes.

Par ailleurs, le surcoût social peut être amplifié par la réglementation française en matière d'effectifs à bord et par les normes techniques et de sécurité des navires. Le coût de construction d'un navire selon les normes requises par le pavillon français se trouve augmenté d'environ 510 000 dollars, pour un prix de navire de 12 millions de dollars, par rapport au coût de la construction selon les normes libériennes. Le surcoût au stade de l'investissement initial est donc de 4 %.

c) La trop faible dimension des compagnies de navigation

La taille des compagnies françaises reste encore moyenne malgré les regroupements. Nous sommes encore loin des grands groupes intégrés tels qu'il en existe au Danemark, au Japon ou en Corée, qui contrôlent l'ensemble de la chaîne du transport, depuis la construction du navire jusqu'au chargement et à l'acheminement de la cargaison.

Le chiffre d'affaires de nos compagnies est trop souvent concentré sur des trafics historiques, longtemps quasiment protégés, datant de l'empire colonial français.

Sur les 65 compagnies maritimes françaises, les 15 premières représentent 58 % du chiffre d'affaires total de la profession. Les principaux groupes du secteur sont :

Chiffre d'affaires (en milliards de francs)

Secteur

Delmas

4,1

ligne

CGM

3,8

ligne

CMA

3,5

ligne

BAI

1,7

passagers

SNCM

1,7

passagers

Louis Dreyfus

1,4

vrac sec

CNN

1,2

pétrole

SeaFrance

1.1

passagers

Source : CCAF

d) Des coûts élevés de pré-acheminement et de post-acheminement.

Enfin, la compétitivité de la marine marchande d'un pays ne se joue plus maintenant uniquement sur le transport maritime. Elle dépend aussi du coût du passage par les ports et du coût de pré-acheminement et du post-acheminement terrestres. Or les ports français sont handicapés par un coût d'acheminement très souvent nettement supérieur (jusqu'à 20 ou 25 %) à celui de leurs concurrents de l'Europe du Nord. Notre marine marchande souffre aussi de la mauvaise compétitivité de nos ports.

B. LA PANOPLIE DES AIDES EXISTANTES EST INCOMPLETE

1. La doctrine européenne en matière d'aides au secteur maritime

a) Le droit européen admet les aides à la filière maritime

L'Union européenne vient de procéder au cours des dernières années à un aggiornamento de sa politique maritime. Après s'être, dans un premier temps, préoccupée uniquement de libre concurrence entre flottes et chantiers navals nationaux, et de libre circulation des personnels navigants, la commission a pris en compte plus récemment les considérations de sécurité maritime. Le Conseil européen a adopté le 8 juin 1993 une résolution sur la politique commune de la sécurité maritime 6 ( * ) et la Commission européenne a depuis bien travaillé pour faire progresser cette question au sein de l'Organisation Maritime Internationale (OMI).

Enfin, le 13 mars 1996, la Commission des communautés européennes a rendu publiques deux communications fondamentales. La première, intitulée "Forger l'avenir de l'Europe maritime", fixe les orientations de l'Union pour l'ensemble des industries maritimes, dont le rôle est reconnu comme étant vital. La seconde communication, intitulée "Vers une nouvelle stratégie maritime", est plus spécialement consacrée aux transports maritimes.

La Commission européenne, tout en demeurant attentive, comme il se doit, à l'égalité des conditions de concurrence entre armateurs européens et à l'ouverture des marchés de frets nationaux, a reconnu que le secteur maritime méritait un traitement particulier, éloigné de tout "angélisme libéral".

Ainsi, la Commission reconnaît que "les mesures de soutien n'en restent pas moins nécessaires à l'heure actuelle au maintien et au développement du secteur maritime communautaire. En principe, les aides d'État, telles qu'elles sont définies à l'article 92, paragraphe 2 du traité sont bien sûr incompatibles avec le marché commun. Néanmoins, la Commission continue de penser que la dérogation visée à l'article 92, paragraphe 3, alinéa c peut se justifier par l'importance que revêtent le maintien et le développement du secteur des transports maritimes tant pour des raisons économiques et d'emploi que du fait de la nature particulière de la concurrence internationale à laquelle il doit faire face. "

Toutefois, elle rappelle "qu'en vertu du traité CE, les aides d'État ne peuvent être autorisées que dans des conditions particulières. La Commission veillera dès lors à ce que les mesures d'aide accordées au secteur maritime cadrent avec la politique industrielle générale et la politique menée en matière d'aide par la Communauté. La Commission doit toujours jauger les propositions d'aide à l'aune de l'intérêt commun. Les régimes d'aide ne doivent pas porter préjudice aux économies des autres États membres et ne doivent comporter aucun risque de distorsion inacceptable de la concurrence entre les États membres ou entre les modes de transport. L'aide doit être limitée au niveau nécessaire pour atteindre son but ; elle doit être fournie dans une manière transparente et en général d'une manière dégressive."

C'est dans ce cadre communautaire bien dessiné que s'inscrivent les aides françaises en faveur de la flotte de commerce, et que viendra prendre place la nouvelle mesure d'incitation fiscale proposée par le gouvernement.

La Commission européenne l'a d'ailleurs reconnu, en approuvant par une lettre en date du 3 mai 1996 le projet qui lui avait été notifié par la France le 15 janvier.

b) La Commission européenne a donné son aval au projet du gouvernement

Après avoir précisé sa propre analyse de la mesure qui lui était soumise et rappelé les orientations communautaires en matière d'aides aux flottes européennes, la Commission considère qu "`aux termes de ces conditions, le régime mis en place par le gouvernement français contribuera à la modernisation de la flotte sous pavillon français et permettra de maintenir une capacité stratégique, ainsi que d'encourager l'emploi des marins communautaires. Etant donné que les navires seront exploités de façon commerciale pour faire du profit, et qu'il n'y a pas de conditions liées au type de navire que les quirataires doivent acheter, le dispositif ne devrait pas conduire à des investissements dans des types de navires où une surcapacité est enregistrée. La mesure est temporaire et limitée aux investissements faits avant le 31 décembre 2000 et transparente."

Les seules réserves émises par la Commission ont trait, d'une part, à une éventuelle contradiction avec les obligations communautaires dérivant de l'accord OCDE sur les aides à la construction navale après son entrée en vigueur et, d'autre part, aux conditions de nationalité fixées par la loi française pour les armateurs susceptibles de bénéficier du dispositif.

Sur ce second point, la Commission européenne considère que les conditions de nationalité exigée des armateurs en droit français pour accéder au pavillon national, par l'article 3 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967, tel que modifié par la loi n° 96-151 du 26 février 1996, pourraient faire obstacle à ce que certaines sociétés d'armement établies dans la communauté puissent s'établir sur le territoire français pour exploiter un navire financé par le système des quirats.

Par conséquent, aux termes de sa lettre d'approbation, "la Commission se réserve le droit de prendre toute action appropriée au cas où la législation nationale ne serait pas alignée aux obligations du traité CE". Le gouvernement devrait donc présenter très bientôt des dispositions législatives rectifiant l'article 3 de la loi précitée dans le sens souhaité par la Commission européenne.

2. Des aides variées mais insuffisantes

Les interventions publiques en faveur de l'armement maritime sont actuellement organisées dans le cadre du plan marine marchande, dit "Plan Bosson". qui couvre les années 1995/1997. Ce plan a été avalisé par les autorités bruxelloises.


• L'arsenal actuel des aides budgétaires, sociales et fiscales vise à compenser le surcoût du pavillon français

a) Le dispositif des primes d'équipement

C'est le dispositif le plus ancien puisqu'il a été instauré pour la première fois en 1968 pour les navires de ligne (Plan Morin). À l'occasion d'un investissement en navire. l'État accorde une subvention d'équipement d'un montant variable et proportionnel à la valeur du navire. Les navires éligibles sont les navires neufs et les navires d'occasion de moins de quinze ans d'âge.

L'aide est accordée à tous les navires ouverts à la concurrence internationale (ce qui exclut les services de continuité territoriale) avec une exception notable pour les transporteurs de pétrole brut utilisés dans le cadre de la loi sur l'énergie de 1992.

Le taux de base est de 10 % mais il est porté à 15 % pour les navires neufs et pour les achats d'occasion de moins de 80 millions de francs. Il est porté à 12.5 % pour les achats d'occasion compris entre 80 et 120 millions de francs. La prime est plafonnée à 50 millions de francs pour les navires neufs et à 25 millions de francs pour les navires d'occasion.

Le navire doit rester au moins huit ans sous pavillon français et les navires d'occasion au moins quatre ans. Les entreprises bénéficiaires doivent augmenter leurs fonds propres d'un montant correspondant à la prime.

b) Aide à la consolidation et à la modernisation (ACOMO)

L'ACOMO a pris la suite de l'aide structurelle appliquée en 1987 et 1988 et a été créée en tant que telle en 1990. Elle est distribuée par décision individuelle donnant lieu à la signature d'un contrat liant l'entreprise à l'État. L'éligibilité des entreprises au bénéfice de l'aide dépend de l'appréciation portée par le ministère chargé de la marine marchande sur cinq critères : le contrôle de l'entreprise en France, l'importance de la flotte, les efforts de compétitivité, les efforts d'innovation sociale et de productivité, l'insertion dans la concurrence internationale.

L'ACOMO était initialement réservée au secteur des lignes régulières, auquel elle reste prioritairement affectée, mais elle est étendue depuis 1995 à tous les secteurs ouverts à la concurrence internationale, sous réserve des efforts faits par les entreprises pour l'emploi, notamment en ce qui concerne les officiers.

Le montant de la dépense budgétaire correspondant aux primes d'équipement et à l'ACOMO s'est élevé à 166,5 millions de francs en 1995. La dotation initiale de 1996 est de 228 millions.

Ces primes sont cependant d'un montant insuffisant en pourcentage pour réellement provoquer une décision d'investissement. Elles sont en réalité conçues pour compenser partiellement le surcoût du pavillon français.

c) Allégement des charges patronales ENIM

Il y a lieu de distinguer selon que les navires sont inscrits au registre métropolitain ou au registre TAAF :

Depuis février 1994, le taux des contributions patronales à l'établissement national des Invalides de la Marine (ENIM) a été abaissé de 35,65 % à 17,60 % pour les officiers et marins servant sur les navires sous registre métropolitain opérant des navigations internationales.

Les cotisations patronales ENIM des personnels français embarqués sur les navires de registre TAAF (minimum de 35 %) ont été allégées à hauteur des deux tiers (taux de 11,6 %).

Par ailleurs, la possibilité a été offerte aux armateurs d'immatriculer au registre des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) les navires de ligne régulières de fret. Simultanément l'allégement à 11,6 % des charges sociales patronales à l'ENIM a été étendu pour tous les navigants français à bord des navires immatriculés dans le territoire, dans la limite de 70 % de l'équipage au lieu de 35 % précédemment.

Les allégements de charges ENIM peuvent être évaluées au total à environ 150 millions de francs.

d) Exonération de taxe professionnelle

Depuis 1988, les sommes payées au titre de la taxe professionnelle sur les assiettes maritimes (navires et personnel) font l'objet d'un remboursement. D'abord fixé à hauteur de 60 %, le remboursement est intégral pour les années 1995/1997. Le coût de cette mesure est de 70 millions de francs environ.

e) Autres mesures

Outre ces quatre dispositifs d'aides, il convient pour être exhaustif de rappeler que subsistent quelques dossiers de bonifications d'intérêts pour des commandes antérieures à la disparition de ce régime (1989) qui visait à ramener les taux des emprunts aux conditions du marché international. Cela correspond à une dépense de 15 millions de francs en 1995 et le régime sera en voie d'extinction en 1996 (8 MF).

Par ailleurs les départs anticipés à la retraite donnent lieu à des aides des pouvoirs publics depuis 1985. Celles-ci ont été reconduites pour trois ans sur la base de 200 départs volontaires chaque année (1995/1997). Pour 1995, le contingent des départs à porté sur 158 personnes et le montant des crédits annuels est de l'ordre de 50 millions de francs.

Le tableau récapitulatif suivant trace un bilan chiffré des principaux dispositifs d'aides à l'armement français :

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

Primes d'équipement

Dotation initiale

Dotation totale

130

191

200

163,4

185

170

150

150,2

130

132,8

130

56,5

228,2

ACOMO

Dotation initiale

Dotation totale

100

98

100

79,5

65

60

50

50

29,5

57,5

110

110

97,9

Taxe professionnelle

Dotation totale

45.1

59

45,4

65

78.5

85,6

Bonification d'intérêt

Dépense

212,5

156,5

100,6

75,2

31,5

11,6

12,9

Réductions de charges patronales

15,8

19,3

23,5

45,3

144,7

137,3

Total

562,4

477,7

399,5

385,5

445,0

401,0

Source : Ministère de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme

Cependant, les charges fixes d'exploitation des navires français demeurent sensiblement supérieures à celles de leurs principaux concurrents.

L'Institut d'économie des transports maritimes a établi qu'un navire est soumis à trois types de coûts :

- le coût en capital représenté par les amortissements et les frais financiers du navire ;

- les running costs ou charges fixes d'exploitation constituées des frais généraux, des assurances, de l'entretien et de la maintenance et des charges d'équipage ;

- les coûts du voyage qui incluent les combustibles, les frais de ports et assimilés et les dépenses commerciales (manutention, avaries et manquants, ristournes et rabais divers).

Les frais d'équipage représentent entre un tiers et deux tiers des charges fixes d'exploitation. Le surcoût d'exploitation des navires sous pavillon français par rapport aux navires étrangers dépend donc du registre considéré.

Pour les navires du registre TAAF qui doivent embarquer un minimum de 35 % de marins français, le surcoût est estimé à :

- 1 200 à 1 300 dollars par jour pour des navires armés à 15/16 personnes ;

- 1 600 dollars par jour pour des équipages de 22/23 personnes :

- 1 800 dollars par jour pour des pétroliers bruts.

Pour les navires immatriculés au registre métropolitain (100 % de marins français), le surcoût est estimé à :

- 2 100 à 2 200 dollars par jour pour les petits navires ;

- 3 000 dollars par jour pour des équipages de 22/23 personnes ;

- 3 500 dollars par jour pour des pétroliers bruts.

3. Le problème irrésolu du financement des armateurs français

Si les aides examinées plus haut ont pour objet de compenser le surcoût du pavillon national, elles ne résolvent pas le problème du financement des armateurs français. En effet, comme nous l'avons noté plus haut, l'armement français reste surendetté malgré son effort de désendettement récent, et ses fonds propres sont insuffisants.

Eu égard au coût très élevé des investissements requis par la modernisation d'une flotte vieillissante, cette situation est préoccupante. En effet, si l'investissement dans le secteur maritime nécessite la mobilisation de capitaux très importants, il n'assure qu'une rentabilité relativement faible par rapport aux investissements. Comme l'illustre le tableau ci-dessous, les navires sont des investissements particulièrement coûteux, dont le coût varie de surcroît dans le temps. Le coût moyen d'un porte-conteneur est d'environ 200 millions de francs.

Or les aides allouées par le plan marine marchande pour permettre aux entreprises armatoriales de consolider leurs structures financières sont certes appréciables, mais insuffisantes et sans doute moins importantes que celles accordées chez certains de nos partenaires européens. Notre excellent collègue Josselin de Rohan indiquait en 1988 dans son rapport d'information 7 ( * ) qu'" il ne suffit pas d'alléger la charge fiscale des armements français, il faut aussi leur permettre de drainer les capitaux dont ils ont besoin pour investir et pour conquérir des parts de marché."

Par ailleurs, la plupart des pays européens ont adopté, pour les plus-values résultant de la vente des navires, un régime dérogatoire du droit commun caractérisé par l'exonération ou par le report de la taxation. L'application de ces mesures favorables est subordonnée à la réutilisation du gain dans l'acquisition d'un nouveau navire dans un certain délai.

L'amélioration récente du bilan des entreprises maritimes françaises ne permettra d'envisager un renouvellement et un accroissement de la flotte de commerce française dans de bonnes conditions financières que si leur sont accordés les moyens financiers qui leur permettra d'accroître la rentabilité des investissements.

À cet égard, toute mesure permettant de préserver l'indépendance financière d'un secteur stratégique pour les intérêts nationaux, doit être prioritairement recherchée. Un avantage fiscal lié au régime de la copropriété de navires pour orienter l'épargne existante vers le secteur maritime est l'outil pertinent.

À l'heure actuelle, le régime quirataire (cf. développement en deuxième partie) n'assure pas la souplesse et la rentabilité nécessaire pour être réellement attractif. Certes, la loi n° 87-444 du 26 juin 1987, modifiant la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967, a assoupli le régime juridique en limitant la responsabilité des quirataires non gérants à proportion de leur apport initial, mais la réforme fut trop modeste pour que les quirats exercent un véritable attrait auprès des investisseurs français.

L'objet du présent projet de loi est précisément de rendre enfin véritablement attractif le régime des quirats.

II. UNE INCITATION FISCALE PUISSANTE INSPIREE DE DISPOSITIFS ANALOGUES

A. UNE EXONÉRATION SOUS CONDITIONS POUR ORIENTER L'EPARGNE VERS LA FLOTTE DE COMMERCE

1. Économie du dispositif proposé

Le dispositif fiscal proposé par le présent projet de loi a pour objectif d'inciter les personnes physiques et morales dont l'armement maritime n'est pas l'activité principale à placer leur épargne dans des parts de copropriété de navires civils de charge.

Le dispositif permet aux personnes physiques de déduire au titre de l'impôt sur le revenu, afférent à l'année de versement, les sommes investies jusqu'au 31 décembre 2000, dans la limite annuelle de 500 000 F pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés et de 1 million de francs pour un couple marié.

En matière d'impôt sur les sociétés, les sommes investies par des personnes morales seront totalement déduites du bénéfice imposable de l'exercice de versement.

La souscription doit être effectuée avant le 31 décembre 2000 : il s'agit donc d'un régime temporaire. Ce délai est destiné d'une part à encourager les investisseurs à profiter de l'opportunité qui leur est offerte et d'autre part à permettre au législateur de revenir sur tout ou partie des dispositions d'une mesure dont l'impact économique ne serait pas conforme à la volonté affichée, ou au contraire aurait atteint son but.

Le navire doit être livré au plus tard 30 mois après la souscription : il s'agit de limiter la possibilité d'étaler les versements pour maximiser l'avantage fiscal, la livraison du navire étant conditionnée au paiement complet du prix.

Les parts de copropriété sont conservées par le souscripteur jusqu'au 31 décembre de la quatrième année suivant celle de la livraison du navire, soit pendant cinq exercices fiscaux.

La copropriété doit confier l'exploitation du navire à une entreprise dont l'activité principale est l'utilisation ou l'affrètement direct de navires civils de charge.

L'armateur doit détenir 20% des parts de la copropriété du navire, pendant les cinq années durant lesquelles les autres quirataires sont tenus de conserver leurs parts : il s'agit de garantir une communauté d'intérêts réelle entre l'armateur et les investisseurs non professionnels.

Toutefois, l'armateur ne peut pas déduire de son bénéfice imposable les sommes qu'il verse pour acquérir ses parts de copropriété du navire.

Le navire ne peut pas être acquis auprès d'une entreprise ou d'un organisme lié à l'armateur afin de protéger les quirataires contre une collusion d'intérêts entre le vendeur et l'armateur qui l'achètera pour le compte de la copropriété.

Les projets de copropriété quirataire sont soumis à un agrément préalable du ministre chargé du budget, après avis du ministre chargé de la marine marchande.

L'agrément est accordé lorsque l'investissement, effectué à un coût financier normal, permet de renforcer la flotte de l'armateur et présente, au regard notamment des besoins du secteur concerné de la flotte de commerce, un intérêt économique justifiant l'avantage fiscal demandé.

Si l'une ou l'autre des conditions qui ouvrent droit à l'exonération n'est pas remplie ou cesse de l'être, toutes les sommes antérieurement déduites sont réintégrées dans le bénéfice ou le revenu de l'année au cours de laquelle le manquement est intervenu.

Toutefois, la condition de détention des parts de copropriété pendant cinq années à compter de la livraison du navire engage distinctement chacun des quirataires : elle n'est donc sanctionnée que pour le seul quirataire qui vend ses parts avant l'échéance prévue.

2. Un avantage fiscal partagé

a) L'intérêt pour l'investisseur

L'exonération des sommes versées pour la souscription des parts de copropriété de navire a pour effet de rendre immédiatement rentable pour le bénéficiaire, un investissement qui, économiquement, ne le serait qu'à moyen terme. Les exemples chiffrés ci-après illustrent ce mécanisme.

Hypothèses :

Durée de l'opération 5 ans

Montant des sommes exonérées à l'entrée 100

Loyer annuel versé par l'armateur 7 %

Valeur de la reprise garantie par l'armateur 60 %

Amortissement dégressif sur huit ans, fiscalement

plafonné à la valeur des loyers pour les particuliers 85 %

Cas d'un particulier assujetti à l'IR :

Exonération 100

Avantage fiscal = 100 x 0,568 57

Loyers cumulés = 7x5 35

Revenus imposables après amortissement = 35 - 35 0

Économie d'impôt = 35 x 0,568 20

Valeur comptable résiduelle = 100 - 35 65

Valeur de reprise 60

Moins-value fiscale = 60 - 65 - 5

En trésorerie, le particulier ne récupère sur 5 ans que 95 : 35 de loyers + 60 de reprise. Mais l'avantage fiscal à l'entrée et les économies d'impôts sur les loyers versés en cours d'exploitation portent son gain à 95 + 57 + 20 = 172. Ce chiffre correspond à un taux de rendement interne de 11,5 %.

Cas d'une entreprise assujettie à l'IS :

Exonération. 100

Avantage fiscal = 100 x 0,366 37

Loyers cumulés : 7 x 5 = 35

Revenus imposables après amortissement = 35 - 85 - 50

Economie d'impôt = 85 x 0,366 31

Valeur comptable résiduelle = 100 - 85 15

Valeur de reprise 60

Plus-value fiscale = 60 - 15 45

Imposition de la plus-value = 45 x 0,19 8

En trésorerie, l'entreprise récupère également 95 sur les 5 années de l'opération. Son avantage fiscal à l'entrée est moindre que celui du particulier, en raison d'un taux d'imposition plus faible, mais les économies d'impôts en cours d'exploitation sont plus importantes en raison de l'imputation totale de l'amortissement dégressif. Au total, le gain de l'entreprise est de 95 + 37 + 31 - 8 = 155. Ce chiffre correspond à un taux de rendement interne de 8,9 %.

b) L'intérêt pour l'armateur

Pour l'armateur, l'intérêt du système est triple :

- au début de l'opération, il obtient le complément de financement qui lui permet d'entreprendre un investissement maritime que ses contraintes de fonds propres lui interdisaient jusqu'alors ;

- au cours de l'opération, il n'a à verser que le loyer d'exploitation relativement bas qui est compatible avec la rentabilité réelle de l'activité de transport maritime :

- à la fin de l'opération, il rachète un navire déjà amorti pour continuer à l'exploiter ou le revendre. Éventuellement, il pourra de surcroît réaliser une plus-value si le prix du navire sur le marché, au moment du dénouement de l'opération, est supérieur au prix de reprise garanti au départ aux quirataires non professionnels. En fait, l'armateur pourra arbitrer entre le montant du loyer qu'il offre aux investisseurs et la valeur de reprise qu'il leur garantit.

Le pivot du système sera constitué par les établissements financiers qui rapprocheront les investisseurs et les armateurs pour constituer les copropriétés de navires, apporteront les financements nécessaires et cautionneront les engagements mutuels.

Cette intermédiation financière aura bien sûr un coût propre, qui sera couvert par l'avantage fiscal. Le bénéfice de l'exonération sera ainsi partagé entre les investisseurs non-professionnels, les armateurs et les établissements financiers.

L'intervention de ces derniers devrait également permettre une sélection en amont des projets les plus fiables pour les investisseurs, avant même l'agrément ministériel.

Votre rapporteur relève toutefois que cette garantie n'est pas à toute épreuve, l'expérience des années récentes ayant, hélas, amplement prouvé que les établissements à la réputation la mieux assise pouvaient s'engager dans certaines opérations parfois douteuses.

3. Coût prévisible et impact attendu

a) Un coût annuel de 400 millions de francs

Le gouvernement a veillé à fournir, à l'appui de son projet de loi, une étude d'impact. Votre commission salue ce souci d'informer de façon circonstanciée les parlementaires sur les implications des dispositions législatives qui leur sont présentées. Elle espère que cet usage pourra se généraliser rapidement, conformément au voeu exprimé par le Premier ministre.

Cette étude d'impact estime que la mesure d'allégement fiscal faisant l'objet du présent projet de loi attirera vers l'investissement maritime environ la moitié des sommes nécessaires au renouvellement annuel de la flotte de commerce française, soit 1 milliard de francs par an, correspondant à huit navires chaque année.

Le coût de l'allégement fiscal, sur cette base de 1 milliard de francs, est estimé à environ 400 millions de francs, selon le calcul suivant :

- abattement de 20 % correspondant à la part des quirats détenue par l'armateur : 800 millions de francs déductibles ;

- répartition majoritaire de l'exonération d'impôt en faveur des Personnes physiques, à hauteur de 70 % : 800 x 70 % x 56,8 % = 318 millions de francs ;

- la part restante de l'exonération d'impôt, soit 30 %, concerne les entreprises : 800 x 30 % x 36.6 % = 87,9 millions de francs.

Le coût annuel de la dépense fiscale peut donc être évalué à 400 millions de francs. Cette évaluation est assez sensible à l'hypothèse retenue pour la répartition entre personnes physiques assujetties à l'impôt sur le revenu et personnes morales assujetties à l'impôt sur les sociétés, en raison de l'écart entre le taux marginal de l'IR et le taux proportionnel de l'IS.

Le tableau ci-dessous retrace les variations du montant de la dépense fiscale en fonction des variations de la répartition des investissements fiscalement exonérés entre particuliers et entreprises.

Coût annuel de la dépense fiscale en fonction de la répartition des
investissements entre particuliers et sociétés

(en millions de francs)

Part des personnes physiques

1

2/3

1/2

1/3

0

Part des personnes morales

0

1/3

1/2

2/3

1

Coût annuel de la dépense fiscale

478

416

385

354

293

Source : commission des Finances

Le coût de la mesure varie ainsi entre 454 millions de francs, pour un investissement réalisé intégralement par des particuliers, et 293 millions de francs, pour un investissement réalisé intégralement par des sociétés. Il est en fait un peu plus élevé dans le premier cas, si l'on prend en compte la CSG à 2,4 % et la CRDS à 0,5 % qui s'ajoutent en pratique au taux marginal de l'IR : on obtient alors un total de 478 millions de francs.

Néanmoins, l'hypothèse retenue par le gouvernement d'une répartition à 70 % - 30 % paraît plausible, et même prudente. Il est vraisemblable que la part des entreprises, dont l'avantage fiscal n'est pas Plafonné et qui disposent d'une capacité d'investissement sans commune mesure avec celle des particuliers, sera supérieure à 30 %. Le coût effectif de la mesure, sur la base des hypothèses retenues pour le volume des investissements, devrait donc se situer plutôt dans le bas de la fourchette.

À la demande de la commission européenne, le gouvernement a également calculé le taux d'intensité de la subvention fiscale soumise à approbation. Ce taux se mesure par la notion "d'équivalent subvention net" calculé de la façon suivante :

Chiffrage de l'aide fiscale
Calcul de l'équivalent subvention net

I - Chiffrage de l'aide fiscale pour in navire de commerce soi s pavillon français


• Montant de l'investissement : 50 M.F


• Part de l'investissement financée par l'armateur : 20 %


• Part de l'investissement financée par des personnes physiques : 2/3


• Part de l'investissement financée par des personnes morales : 1/3


• Taux marginal d'imposition à l'impôt sur le revenu : 56,8 %


• Taux de l'impôt sur les sociétés majoré de la contribution exceptionnelle : 33,33 % + 3,33 %


• Taux moyen d'imposition si 2/3 de l'investissement est réalisé par des personnes physiques et 1/3 par des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés : (2/3 x 56,8 %) + (1/3 x 36,66 %) = 50,08 %


• Montant de l'aide : 50 M.F x 80 % x 50 % = 20 M.F

II - Calcul de l'équivalent subvention net

Taux ESN = (20 M.F/50 M.F) x 0,8873 = 35,49 %

Source : Notification faite par les autorités françaises a la commission européenne

Ce taux d'équivalent subvention nette est lui aussi sensible aux hypothèses retenues pour la répartition de l'investissement entre particuliers et sociétés, comme le montre le tableau ci-après :

Équivalent Subvention Net selon la répartition de l'investissement entre personnes physiques et personnes morales

Source : commission des Finances du Sénat

Pour conclure cette appréciation du chiffrage de la mesure, il convient de souligner que les estimations présentées se fondent sur les flux d'investissements nécessaires au renouvellement de la flotte de commerce, qui sont évalués à 2 milliards de francs chaque années.

Si la part de ces investissements qui bénéficiera de l'exonération se révèle supérieure à 50 %, le coût de la dépense fiscale s'en trouvera accru d'autant.

De même, le dispositif proposé n'aura pas uniquement pour effet de faciliter le renouvellement de la flotte de commerce, mais devrait en accroître également le volume. Le coût de la dépense fiscale sera d'autant plus élevé que celle-ci sera efficace.

b) Des incidences bénéfiques multiples

Les effets induits par la norme seront d'abord bénéfiques en termes d'emplois. L'étude d'impact présentée par le gouvernement les évalue comme suit :

"La mesure fiscale envisagée s'inscrit dans la politique du gouvernement français en faveur de l'emploi. Sont concernées ici non seulement les créations directes d'emplois liées à l'entrée en flotte de nouveaux navires (emplois de navigants et de personnel à terre) mais également tous les emplois indirects, en plus grand nombre, qui se situent en amont et en aval, que ce soit dans les armements, au niveau des infrastructures portuaires ou plus généralement dans le secteur des transports, ainsi également que dans le secteur de la construction navale.

"On peut considérer que huit navires sont concernés annuellement par la mesure. Doivent être également pris en compte les paramètres suivants :

"- la flotte française se répartit par moitié entre l'immatriculation en métropole et l'immatriculation du TAAF ;

"- les équipages français représentent la totalité de l'effectif des navires immatriculés en métropole et 35 % sur les navires immatriculés au TAAF 8 ( * ) ;

"- un poste embarqué représente 1,8 homme.

"En conséquence, on peut estimer que chaque investissement entraîne en moyenne la création de trente emplois de navigants, auxquels il convient de rajouter au moins autant d'emplois à terre. C'est donc un total de l'ordre de 500 emplois par an qui sont en jeu.

"Elle apportera dans tous ces secteurs où l'innovation et la création sont particulièrement importantes des retombées significatives (matériaux, électronique, mécanique) génératrices de main-d'oeuvre qualifiée et favorables aux exportations des entreprises maîtrisant ces technologies.

"En conséquence, elle participe au renforcement du tissu social des régions littorales en y pérennisant ce secteur d'emploi.

"Cette mesure peut également s'analyser comme destinée à favoriser le maintien du savoir-faire en matière maritime."

Par ailleurs, l'étude d'impact relève des effets positifs pour d'autres intérêts généraux tout autant importants :

- une influence favorable sur les capacités exportatrices de la France, qui seront mieux servies par une flotte sous pavillon français que par des armements étrangers ;

- une incidence bénéfique pour la sécurité des transports maritimes, donc pour la protection de l'environnement marin, à mesure que les unités les plus âgées de la flotte seront remplacées par des navires présentant les meilleurs standards en matière de sécurité.

B. UNE MESURE PLUS FAVORABLE QUE LE RÉGIME ACTUEL DES QUIRATS ET COMPARABLE AUX SYSTEMES ÉTRANGERS ANALOGUES

1. Le projet de loi améliore sensiblement le régime actuel des quirats

a) Certains points communs avec le dispositif d'incitation des investissements dans les DOM-TOM

La mesure proposée présente des affinités, tout en étant beaucoup plus encadrée, avec le régime en faveur des investissements dans les DOM-TOM institué par la loi de finances rectificatives du 11 juillet 1986, dite loi "Pons".

Cette loi. prorogée par la loi de finances pour 1992 jusqu'au 31 décembre 2001, a pour objet d'accorder une aide fiscale aux investissements réalisés dans des secteurs considérés comme prioritaires pour le développement économique et social des départements, territoires et collectivités territoriales d'outre-mer.

Les modalités de l'avantage fiscal diffèrent selon que l'investissement est effectué par une entreprise (individuelle ou sociétaire) ou une personne physique :

- les entreprises peuvent déduire de leurs résultats imposables le montant des investissements qu'elles réalisent de façon directe ou par voie d'apports en capital de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés exerçant une activité dans les secteurs éligibles ;

- les personnes physiques bénéficient d'une réduction d'impôt de 25 % du montant de l'investissement si elles souscrivent au capital de sociétés qui réalisent des investissements dans des secteurs éligibles. La réduction est portée à 50 % pour les particuliers qui investissent dans le secteur du logement. Elle s'impute par cinquièmes sur l'impôt dû au titre de l'année de réalisation de l'investissement et les quatre années suivantes.

La déduction ou la réduction d'impôt s'applique de plein droit aux programmes qui ne dépassent pas 30 millions de francs. Au delà, les programmes doivent être portés à la connaissance du Ministre du budget qui peut s'y opposer par décision motivée dans les trois mois suivant le dépôt de la demande. À défaut de réponse dans ce délai, l'avantage fiscal est acquis tacitement.

Un agrément préalable du ministre du budget, précédé d'un avis du Ministre des DOM-TOM, est cependant requis pour les investissements directs réalisés dans les secteurs de l'hôtellerie, du tourisme (navigation de plaisance, construction d'hôtels et de résidences touristiques), des transports et dans celui de la production et de la diffusion audiovisuelles et cinématographiques. De la même manière, absence de réponse dans les trois mois vaut agrément tacite. En sont dispensées les entreprises installées depuis deux ans au moins dans les DOM quand le programme d'investissement annuel n'excède pas 1 million de francs.

Enfin, les biens financés grâce à l'avantage fiscal doivent demeurer affectés à l'exploitation pendant un délai de cinq ans. En cas de cession avant l'expiration de ce délai, la déduction n'est pas systématiquement reprise si le bénéficiaire de la cession prend l'engagement de maintenir l'exploitation des biens dans le cadre d'une des activités éligibles, pendant la fraction du délai de cinq ans restant à courir.

Le secteur du tourisme a représenté en 1994 28 % des investissements agréés dans les DOM-TOM pour un montant total de 791,3 millions de francs.

Sur ces 28 %, la plaisance totalise 84 % du nombre de projets agréés et 70 % de leur montant avec 150 bateaux, contre 129 en 1993, pour une valeur de 552,4 millions de francs contre 332 millions de francs (+ 66 %).

Malgré son attrait, ce régime très incitatif ne constitue pas une réponse adaptée aux besoins des armateurs français qui sont localisés en métropole.

b) Le projet de loi améliore sensiblement l'avantage fiscal lié au régime quirataire actuel (art. 163 vicies du CGI)

Le régime quirataire actuel, reconduit jusqu'en 1999 grâce à un amendement présenté par votre rapporteur lors de la discussion budgétaire de 1994, permet aux personnes physiques domiciliées en France de déduire de leur revenu net global 25 % des sommes investies dans des parts de copropriété de navires civils de charge ou de pêche neufs, dans la limite annuelle de 25 000 F pour une personne seule ou de 50 000 F pour un couple marié.

Le propriétaire doit s'engager à conserver les parts de copropriété jusqu'au 31 décembre de la quatrième année qui suit celle au titre de laquelle la déduction est pratiquée et la copropriété doit s'engager à affréter coque nue le navire pendant une durée de cinq ans à compter de sa mise en service. Par ailleurs, le contribuable qui pratique la déduction ne peut bénéficier pour le même navire des dispositions de l'article 238 bis HA relatives aux investissements dans les départements et territoires d'outre-mer.

En raison de l'avantage fiscal limité qu'il apporte et de l'impossibilité de le cumuler avec le dispositif de la loi "Pons", ce régime n'a pas connu d'application significative pour mobiliser un niveau d'épargne suffisant en faveur de l'investissement dans le transport maritime. Son champ d'application a essentiellement concerné le secteur de la pêche.

Le présent projet de loi présente une double supériorité sur ce régime, En effet, non seulement l'avantage fiscal accordé aux investisseurs de parts de copropriété de navires est considérablement plus attractif pour les personnes Physiques, qui pourront déduire 100 % du montant de leur investissement contre 25 %, mais les entreprises également pourront en bénéficier. De surcroît, ces dernières pourront déduire de leur bénéfice imposable la totalité des sommes qu'elles investiront et cela sans aucun plafond, contrairement aux personnes physiques.

Il convient par ailleurs de préciser que l'avantage fiscal prévu par le Projet de loi s'ajoute sans se substituer au dispositif existant. Les souscripteurs de parts de navires de pêche - qui n'entrent pas dans le champ d'application du Présent projet de loi - pourront donc continuer à bénéficier de la déduction fiscale prévue à l'article 163 vicies.

Le tableau suivant récapitule et compare les dispositifs des trois régimes qui viennent d'être examinés.

Artide 238 bis - Tableau comparatif

Projet de loi

Système actuel des quirats

Investissements dans le* DOM-TOM

Secteur(s) éligible(s)

navires civils de charge livrés au plus tard 30 mois après la souscription

navires civils de charge ou de pêche neufs livrés jusqu'au 31 12/1999

hôtellerie, tourisme, transports, pêche, industrie, énergies nouvelles, agriculture, BTP, artisanat, production et diffusion audiovisuelle et cinématographique

Bénéficiaires

personnes physiques et entreprises (6)

personnes physiques

personnes physiques et entreprises

Avantage fiscal en % du prix du navire

déduction de 100 %

déduction de 25 %

déduction de 100% (3)

réduction d'impôt égale a 25 % ou à 50 % du montant de l'investissement (4)

Plafond

Non pour les entreprises

500 000 F (1)

1 000 000 F (2)

25 000 F (1)

50 000 F (2)

Non

Agrément de l'administration

Oui

Non

Oui (5)

Conservation des parts de navire jusqu'au 31/12 de la quatrième année.

Oui

Oui

Oui

Maintien en exploitation pendant 5 ans

Oui

Oui

Oui

Délai

31 décembre 2000

31 décembre 1999

31 décembre 1999

(1) célibataire Source : commission des Finances du Sénat

(2) couple

(3) entreprise

(4) personne physique. Les investissements dans le secteur du logement donnent droit à une réduction d'impôts de 50 %

(5) - investissements directs supérieurs à 1 million de F réalisés dans les secteurs de l'hôtellerie, du tourisme (navigation de plaisance et construction d'hôtels et de résidences touristiques), des transports et de la production et de la diffusion audiovisuelle et cinématographique.

- les investissements directs supérieurs à 30 millions de F réalisés dans les autres secteurs éligibles doivent être portés à la connaissance du ministre du budget de même que

- les investissements indirects (souscription au capital) supérieurs à 30 millions de F

(6) à l'exclusion des entreprises ayant pour activité d'armer, exploiter ou affréter des navires et des sociétés appartenant à un groupe dont l'un des membres exerce cette activité principalement

2. Le projet de loi s'inspire de dispositifs étrangers qui ont fait la preuve de leur efficacité

a) Le dispositif allemand

Le renouvellement de la flotte de commerce allemande s'est appuyé d'une part sur un système d'amortissements dérogatoires au droit commun très incitatif et d'autre part sur un régime fiscal applicable aux associés non indéfiniment responsables des sociétés de personnes. Les principes en sont les suivants :

- les navires de commerce inscrits sur un registre maritime allemand, les navires de pêche et certains avions peuvent, outre l'amortissement linéaire, faire l'objet, au cours de l'exercice d'acquisition ou de construction et des quatre exercices suivants, d'amortissements dérogatoires sous réserve que ces biens ne soient pas cédés dans les huit années après leur acquisition ou construction. Ces amortissements dérogatoires peuvent s'élever jusqu'à 40 % du coût du navire. Ils peuvent être passés massivement au titre du premier exercice, ce qui permet un amortissement très rapide des navires (en cinq ans environ) ;

- les déficits industriels et commerciaux subis par les associés non indéfiniment responsables des sociétés propriétaires de navires de commerce sont imputables, pour la part due aux amortissements dérogatoires, à hauteur de 125 % du capital investi. Le surplus est imputable sur les seuls bénéfices ultérieurs générés par l'activité.

- cette règle concerne les navires de commerce financés à moins de 70 % par emprunt, c'est-à-dire à plus de 30 % par apport personnel :

- des réserves correspondant à 50 % de la plus-value de cession peuvent être constituées hors impôt et sont déduites de la valeur d'un navire neuf livré dans les quatre ans.

Enfin, les KG (Kommanditgesselschaft) sont une caractéristique du shipping allemand grâce à laquelle l'armateur lui-même (ou des sociétés de placement de capitaux par voie de publicité) peut réunir une partie importante des capitaux nécessaires.

Le coût fiscal des deux mesures décrites plus haut s'élève à environ 135 millions de DM par an dont 100 millions de DM pour la seule mesure quirataire.

En 1995, les Allemands ont ainsi investi 7,4 milliards de francs dans 159 navires (dont 126 neufs) représentant une valeur de 20,4 milliards de francs. En 1994, plus de 5,5 milliards de francs de fonds propres avaient été investis pour financer 93 navires de mer neufs et 16 navires d'occasion. Sur ces 109 navires, 77 étaient des porte-conteneurs affrétés et 24 des caboteurs. 43 % des navires neufs ont été construits en Allemagne, soit 40 navires.

Bien que plus de la moitié des navires ont été construits à l'étranger, essentiellement en Pologne, en Corée du Sud et dans l'ancienne Tchécoslovaquie, le dispositif fiscal allemand a considérablement accru l'activité des chantiers allemands. À titre de comparaison, alors qu'en 1995, 72 navires ont été commandés aux chantiers allemands pour être immatriculés sous pavillon allemand, seuls 5 navires étaient inscrits sur les carnets de commande des chantiers français pour battre pavillon français.

Le projet de loi fiscale 1997, arrêté par le gouvernement allemand le 22 mai dernier, prévoit de remettre en cause le régime des amortissements dérogatoires en faveur des bateaux et des avions pour lesquels le contrat d'achat ou de construction a été délivré après le 30 avril 1996. Ces biens devront être livrés avant le 1er janvier 2000. Cette mesure s'inscrit dans le cadre du plan d'économies décidé par le gouvernement allemand en avril dernier.

Il convient cependant de rappeler que le dispositif allemand est vieux de plus de dix ans et qu'il a bien eu l'impact escompté sur la flotte de commerce allemande. D'autre part, les conséquences positives continueront de se faire sentir pendant plusieurs années encore.

b) Le dispositif danois

La flotte danoise est l'une des rares flottes européennes dont le nombre de navires ne cesse de croître. Elle comptait 614 navires en 1994. L'autre point notable est que 83 % des postes à bord sont tenus par des Danois. La création du registre international danois (DIS) auquel sont aujourd'hui inscrits 80 % des navires danois (95 % du tonnage), s'ajoutant à divers autres avantages, dont le système quirataire, entre pour une large part dans cette situation plutôt favorable en Europe.

Dans le système quirataire danois, les propriétaires de parts peuvent amortir leur immobilisations en navires avec des revenus de nature différente de celle des produits de l'exploitation maritime.

Cette faculté a toutefois, depuis 1989, été limitée à 50 %. Par ailleurs, l'avantage fiscal qui était considérable dans un pays où les taux marginaux d'imposition sont très élevés (jusqu'à 68 %) risque d'être bientôt sensiblement réduit, puisqu'il est question de ramener en cinq ans les taux marginaux de 68 à 58 %.

Enfin, des réserves en exonération d'impôts peuvent être constituées sous condition de réinvestissement dans les deux ans. La valeur amortissable du nouveau navire est réduite d'autant.

c) Le dispositif norvégien

Les conséquences très défavorables de la réforme fiscale de 1991 sont venues mettre un terme aux effets très stimulants pour le transport maritime norvégien de la création en 1987 du second registre norvégien dont on a dit qu'il avait été le début d'un nouvel âge d'or. Cette mesure avait en effet permis à la flotte norvégienne tombée à 330 navires en 1987, de repasser quatre ans plus tard à près de 1 000 navires.

A la suite de la réforme fiscale, le taux d'amortissement dégressif pour les navires et les plates-formes a été réduit de 25 à 20 %. Le taux d'amortissement anticipé a été ramené de 25 à 15 %. Enfin, alors que les plus-values en capital bénéficiaient précédemment d'un crédit d'impôt (non imposition) pendant huit ans, elles sont désormais inscrites dans un compte spécial et 20 % du montant de ce compte est réintégré chaque année dans les revenus fiscaux déclarés.

Le régime quirataire a également été réformé dans un sens restrictif. En effet, alors que l'amortissement pouvait avoir lieu jusqu'en 1992 sur l'ensemble des revenus, il doit désormais rester dans les limites du résultat de l'exercice. Ceci a notamment pour effet de réduire fortement l'attrait financier de l'opération et de pénaliser les cessions de parts, d'autant que le taux de l'impôt sur les sociétés est passé de 40 à 28 %.

Le tableau suivant récapitule l'ensemble des aides dont disposent les flottes de nos concurrents européens.

Régime d'aides à la marine marchande

Source : Comité central des armateurs de France

*

* *

A l'issue de l'examen de ces différents régimes, il convient de souligner l'impact très sensible des dispositifs fiscaux sur la flotte de commerce de nos principaux concurrents européens. La disparition progressive de ces régimes n'est pas le constat d'un échec, mais au contraire la conséquence de l'efficacité de mesures dont le coût croît avec le succès. L'expérience, réussie de ses voisins, doit conforter la France dans sa décision de dynamiser son régime quirataire.

CHAPITRE II - UN DISPOSITIF PERFECTIBLE

I. UN PROJET A LA FOIS PRUDENT ET RIGOUREUX

A. L'IMPLICATION D'UN ARMATEUR PROFESSIONNEL CIRCONSCRIT LES RISQUES PROPRES AU RÉGIME DE LA COPROPRIÉTÉ DE NAVIRE

1. Un régime juridique très spécifique

a) Une nature composite

L'investissement dans un navire de commerce, sans être aujourd'hui aussi hasardeux qu'à l'époque où les galères vénitiennes devaient se frayer un chemin jusqu'au Pont-Euxin à travers les lignes ottomanes, reste une véritable aventure industrielle. Cet investissement intervient dans un secteur éminemment concurrentiel, dont la rentabilité n'est jamais durablement assurée, et qui enregistre de fortes fluctuations de la valeur marchande des navires.

Le régime de la copropriété de navire, régi par la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer, permet de diviser ce risque sans pour autant le réduire.

Le système des quirats participe à la fois de la copropriété et de la société. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une société, puisque la copropriété de navire n'est pas dotée de la personnalité morale. Mais celle-ci est plus qu'une simple copropriété, puisque les quirataires ont pour intérêt commun l'exploitation commerciale d'un bien d'équipement détenu collectivement, le navire.

La gestion de la copropriété obéit à la loi de la majorité, en vertu de l'article 11 de la loi précitée qui dispose que "les décisions relatives à l'exploitation en copropriété sont prises à la majorité des intérêts (...) Chaque propriétaire dispose d'un droit de vote correspondant à sa part de propriété.

Toutefois, nonobstant toute clause contraire, les décisions de la majorité sont susceptibles de recours en justice de la part de la minorité, dans un délai de trois ans (article 12 de la loi précitée).

La copropriété peut désigner un gérant, extérieur ou partie à la propriété (articles 14 et 15 de la loi précitée). En pratique, cette simple faculté est la norme quasi générale.

Les pouvoirs du gérant sont très larges. Il peut notamment faire des appels de fonds au titre des charges de la copropriété, auxquels les quirataires sont tenus de répondre (article 19).

Deux limitations légales seulement restreignent les pouvoirs du gérant :

- il ne peut hypothéquer le navire qu'avec le consentement d'une majorité des trois quarts (article 25) ;

- il ne peut pas vendre le navire sans l'accord de la majorité simple (article 27).

La copropriété doit répondre des dettes contractées par le gérant dans l'exercice de ses pouvoirs, ou par un quirataire sur son mandat exprès. Elle doit également répondre des dettes contractées par ses mandataires avant la naissance de la copropriété, notamment du prix de la construction du navire.

b) Des règles de responsabilité complexes

L'article 20 de la loi de 1967, tel qu'il résulte de la loi n° 87-444 du 26 juin 1987, a organisé comme suit la responsabilité des quirataires :

- nonobstant toute convention contraire, les copropriétaires gérants sont tenus indéfiniment et solidairement des dettes de la copropriété ;

- les copropriétaires non gérants sont tenus indéfiniment des dettes de la copropriété à proportion de leurs intérêts dans le navire. Par convention contraire, ils peuvent ne répondre des dettes sociales qu'à concurrence de leurs intérêts.

- il peut être stipulé que les copropriétaires non gérants sont tenus solidairement ;

- lorsque les gérants sont étrangers à la copropriété, il doit être stipulé que des propriétaires représentant plus de la moitié des intérêts sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes de la copropriété.

L'apport essentiel de la loi de 1987 consiste dans la possibilité pour les quirataires non professionnels de limiter leurs responsabilités à hauteur de leur investissement.

Chaque quirataire est libre de disposer de sa part du navire, sauf si la vente a pour effet d'entraîner la perte de la francisation - c'est-à-dire du pavillon - du navire : dans ce cas, l'autorisation des autres quirataires est nécessaire (article 22 de la loi de 1967).

c) Des règles d'hypothèques et de privilèges particulières

Enfin, il convient de rappeler qu'un navire en copropriété est soumis aux règles d'hypothèques et de privilèges particulières du droit maritime. La publicité des hypothèques sur le navire est très soigneusement assurée par l'administration des douanes. Ces formalités paraissent d'autant plus nécessaires que l'hypothèque d'un navire français peut être consentie à l'étranger ou, inversement, que les sûretés grevant un navire acquis à l'étranger doivent la suivre lors de sa francisation.

En revanche, les nombreux privilèges constitués en liaison avec l'exploitation commerciale du navire ont un caractère occulte. Cette absence de publicité est d'autant plus regrettable que les plus importantes de ces créances privilégiées, énumérées à l'article 39 de la loi précitée, l'emportent sur toutes les hypothèques, quel que soit le rang d'inscription de celles-ci. Toutefois, cet inconvénient est atténué par des règles de prescription très sévères : tous les privilèges maritimes s'éteignent à l'expiration d'un délai d'un an au plus (mais les créances auxquelles sont attachés les privilèges ne sont pas prescrites : elles observent leurs propres délais de prescription, qui varient de 2 à 30 ans selon leur nature).

2. L'armateur apporte la sécurité nécessaire

L'importance du risque économique et la particularité du régime des quirats ont conduit le gouvernement à prévoir l'association systématique d'un armateur professionnel à chacune des copropriétés de navires qui bénéficieront de l'avantage fiscal. L'armateur prendra en charge la gestion de la copropriété, et/ou l'affrètement direct du navire.

Cela signifie que l'armateur concerné devra assurer au moins la gestion nautique du navire, qui recouvre l'armement au sens premier du terme (recrutement et gestion des équipages) et la gestion technique (maintenance, provisions, assurances, cales sèches). Il pourra en plus, s'il le souhaite, assurer la gestion commerciale du navire, qui recouvre les sous-affrètements et les chargements.

Cette implication de l'armateur est le gage d'une exploitation professionnelle du navire. La participation obligatoire de l'armateur à la copropriété, à hauteur de 20 % au moins des parts, garantit une communauté d'intérêt réelle entre celui-ci et les autres quirataires.

B. L'AGREMENT MINISTERIEL PREVIENT LES INCONVENIENTS INHERENTS A TOUT MECANISME D'INCITATION FISCALE

1. Toute dépense fiscale est susceptible d'induire des effets pervers

Le gouvernement et le Parlement, qui déterminent la politique fiscale, peuvent légitimement instaurer des incitations à l'investissement et à l'épargne dans les secteurs qui leur paraissent importants pour la Nation.

Cependant, tout dispositif d'incitation fiscale à l'investissement puissant et efficace est porteur d'effets pervers potentiels, comme l'a relevé le rapport "Ducamin" 9 ( * ) .

(1) Un effet de concurrence "déloyale" envers les investissements existant qui, par définition, n'ont pas pu bénéficier de la mesure avant sa création. Cet effet pervers s'est exercé à plein dans le secteur de l'hôtellerie au cours des dernières années, avant la modification du régime des BIC non professionnels. Dans le cas présent, ce risque devrait être limité dans la mesure où, le plus souvent, ce sont les mêmes armateurs qui géreront à la fois des navires anciens et des navires acquis dans le cadre du nouveau régime d'exonération fiscale.

(2) Un effet de détournement des flux d'investissements des secteurs demeurés en dehors du champ de la mesure incitative. Ce risque est sérieux, et motive d'ailleurs les amendements proposés par votre commission pour étendre le champ du dispositif à l'ensemble des navires.

(3) Un effet de rentabilisation artificielle de projets intrinsèquement peu viables. Ce risque devrait être contenu par le professionnalisme des armateurs et des banques associées aux projets de copropriétés de navires.

(4) Un effet de perturbation des choix économiques des investisseurs. Cet effet est inhérent au mécanisme de l'incitation fiscale, qui a précisément pour but de susciter des décisions d'investissements qui n'auraient pas été prises spontanément. Il ne se pose pas tant pour les particuliers, qui rechercheront surtout l'avantage fiscal personnel, que pour les entreprises : l'exonération totale des sommes que celles-ci placent dans les navires rend ces investissements de "diversification" plus rentable que leurs propres investissements dans leur secteur d'activité. Toutefois, on peut supposer que la capacité d'arbitrage des responsables des sociétés et le contrôle des actionnaires feront en sorte que l'attrait fiscal des quirats ne conduira pas les entreprises à négliger le financement de leurs propres activités.

(5) Un effet d'aubaine, qui se traduirait par l'afflux d'investisseurs motivés uniquement par des considérations de pure optimisation fiscale, mais parfaitement indifférents aux activités maritimes. Cependant, les armateurs gérant les copropriété de navires préféreront sans doute s'associer avec leurs partenaires naturels, c'est-à-dire les entreprises qui ont un rôle ou un intérêt dans le transport maritime : chargeurs, assureurs maritimes ou même constructeurs de navires.

L'agencement de la mesure proposée par le gouvernement est tel que les effets pervers évoqués ci-dessus ne se concrétiseront pas. De plus, le dispositif est doté d'un "cran de sûreté" : l'agrément ministériel.

2. L'agrément préalable constitue un verrou suffisant

Certes, le renvoi à un agrément ministériel en matière fiscale est toujours délicat au regard des principes constitutionnels. Comme le rappelle M. Bernard Ducamin dans sa contribution au dernier rapport public du Conseil d'État 10 ( * ) , on peut se demander si, "lorsqu'il subordonne à un agrément par le ministre des finances l'octroi d'un avantage fiscal, le législateur ne viole pas l'obligation que lui fait la Constitution de déterminer les règles d'assiette, car le renvoi à un agrément revient en fait à subordonner le bénéfice de l'exonération - donc le champ de l'application de la loi au niveau du contribuable - à l'appréciation des services fiscaux, voire à l'arbitraire d'un ministre." Mais, en l'occurrence, les conditions de l'agrément seront fixées par la loi, ce qui liera la compétence de l'administration et assurera, en cas de litige, un contrôle juridictionnel efficace.

Le gouvernement n'a pas souhaité, pour cette nouvelle exonération fiscale, enserrer les services fiscaux dans un délai de réponse qui leur serait opposable. Dans le silence de la loi, c'est donc le principe général du droit administratif selon lequel le silence de l'administration vaut rejet au terme de quatre mois, qui s'appliquera. Le régime d'exonération fiscale pour les investissements dans les DOM prévoit un délai de trois mois au-delà duquel le silence de l'administration vaut acceptation tacite. Mais cette dérogation légale aux principes du droit administratif ne semble pas, en l'espèce, opportune au regard du montant et de l'importance stratégique des investissements concernés.

Toutefois, votre rapporteur appelle l'attention du gouvernement sur la nécessité d'adapter la procédure d'agrément, qui sera fixée par voie de circulaire, au cas particulier des navires d'occasion.

Ceux-ci sont acquis sur un marché international organisé (par des courtiers spécialisés), où les décisions doivent être prises en quelques semaines lorsqu'un navire intéressant se présente. Il conviendrait donc qu'un agrément de principe puisse être donné sur la base d'un projet dont tous les éléments seraient connus (armateur, conditions de financement, caractéristiques du navire) à l'exception de l'identité du navire. L'agrément ne serait juridiquement parfait qu'après l'achat effectif du navire d'occasion, sous réserve qu'il corresponde bien aux caractéristiques notifiées, ce qui pourra être rapidement vérifié. La souscription des parts de copropriété pourrait alors être ouverte, sur la base de l'agrément définitivement donné.

C. LA MESURE S'INSCRIT DANS LE CADRE DE LA RÉFORME FISCALE ANNONCÉE PAR LE GOUVERNEMENT

Le gouvernement s'est engagé à mettre en oeuvre une ambitieuse réforme fiscale dans les cinq prochaines années, en se fixant pour double objectif de corriger les distorsions existantes en matière d'impôts et de réduire globalement le taux des prélèvements obligatoires.

Le rapport du groupe de travail, présidé par M. Dominique de La Martinière, sur la réforme des prélèvements obligatoires remis dernièrement au Premier ministre propose des orientations de fond pour ce vaste chantier fiscal. L'une des plus importantes consiste dans la réduction progressive de toutes les dépenses fiscales qui érodent l'assiette de l'impôt sur le revenu. Dans cette perspective, les déductions ou réductions d'impôts qu'il est désormais convenu de qualifier de "niches fiscales" sont montrées du doigt :

"Les « niches fiscales » revêtent une toute autre importance du point de vue financier et aussi, sans doute, sur le plan symbolique. Ce sont elles qui sont à la source de la majeure partie des lignes auxquelles les déclarations annuelles doivent leur épaisseur et leur complexité. Leur coût n'est pas négligeable, s'élevant au total à plus de 20 millions de francs. Leur accumulation constante, surtout, manifeste une désinvolture inquiétante des pouvoirs publics et des élus à l'égard de la principale imposition progressive de notre système fiscal.

"Le groupe de travail exprime donc son accord total avec les propositions de suppression des déductions du revenu global faites par la commission d'étude des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les ménages et croit devoir insister sur les points suivants.

"Des engagements ont été pris envers les personnes qui participent au financement des navires de commerce et des investissements réalisés outremer. Ces engagements doivent être respectés. Dès l'instant où l'imposition des revenus serait normalisée, en revanche, il serait opportun que les dispositifs en cause ne soient pas prorogés et que cette orientation soit confirmée dès maintenant. Il ne serait pas inutile non plus de vérifier dans quelle mesure les déductions autorisées, qui intéressent principalement les titulaires de revenus élevés, bénéficient autant à notre marine et au développement de notre outremer qu'aux intermédiaires spécialisés dans l'exploitation de ces facilités."

Votre rapporteur est parfaitement d'accord avec la dernière des assertions. Il lui paraît tout à fait sain de prévoir une évaluation de la nouvelle exonération fiscale en faveur des investissements maritimes dans les années suivant son entrée en vigueur, sans attendre le terme de l'an 2000 pour sa validité.

En revanche, votre rapporteur considère que cette mesure, loin d'être une "niche fiscale" illégitime, est une incitation parfaitement justifiée par l'importance économique et stratégique de la flotte de commerce, ainsi que par la nécessité urgente d'amorcer son redressement.

Il s'agit, sans aucun doute, d'un cas où "la rupture de l'égalité devant les charges publiques" voulue par le législateur est valablement motivée par des "raisons d'intérêt général" , pour reprendre les termes consacrés par le Conseil Constitutionnel.

Au reste, l'effet incitatif du dispositif proposé est très directement lié au niveau très élevé du taux marginal de l'impôt sur le revenu et au niveau exceptionnellement haut du taux de l'impôt sur les sociétés. Le second devrait rapidement retrouver son étiage de 33,33 %, avec la suppression de la majoration exceptionnelle de 10 %. Le premier pourrait être abaissé en cinq ans à 40 %, si les recommandations du rapport du groupe de travail étaient suivies par le gouvernement.

Le taux de rendement interne du dispositif, avec un taux marginal d'IR de 40 %, pour un particulier assujetti à l'IR, ne serait plus alors que de 9,1 % (au lieu de 11,5 %), ce qui correspond à un taux d'équivalent subvention net de 28,4 % (au lieu de 40,3 %).

II. LES AMÉLIORATIONS PROPOSÉES PAR VOTRE COMMISSION

A. UNE DÉFINITION PLUS EFFICACE DU CHAMP D'APPLICATION

1. La mesure doit être réservée aux navires battant pavillon français

a) Le projet de loi ne précise pas la nationalité des navires concernés

Contrairement à la présentation qui en est faite par le gouvernement dans son exposé des motifs et son étude d'impact, le projet de loi ne réserve pas le bénéfice de la nouvelle incitation fiscale aux navires battant pavillon français.

En effet, la seule condition prévue est que le navire soit, dès sa livraison, exploité ou frété par la copropriété dans les conditions prévues au titre premier de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966, sur les contrats d'affrètement et de transport maritimes.

Or, le titre premier de cette loi ne pose, à proprement parler, aucune condition. Il définit simplement les trois grandes catégories de contrats d'affrètement proposées aux armateurs : l'affrètement au voyage, l'affrètement à temps et l'affrètement coque nues.

Par ailleurs, ces dispositions législatives sont simplement supplétives par rapport à toute disposition conventionnelle contraire, ainsi que cela ressort du deuxième alinéa de la loi précitée : "les conditions et les effets de l'affrètement sont définies par les parties au contrat et, à défaut, par les dispositions du présent titre et celles du décret pris pour son application." De même, l'article 3 de la loi précitée dispose que "en matière internationale, le contrat est régi par la loi du pavillon du navire, sauf convention contraire."

Ainsi, la référence à la loi du 18 juin 1966 ne peut aucunement être interprétée comme une "clause de pavillon français" indirecte. Aucune autre disposition du projet de loi ne semble non plus avoir cet effet.

Cette lacune du texte pourrait avoir pour conséquence de faire subventionner par le contribuable français des investissements dans des navires battant pavillon étranger, ce qui serait fort peu conforme au but recherché.

b) Une "clause de pavillon français" est compatible avec les règles européennes

Une telle omission est d'autant plus surprenante que la Commission européenne, dans sa communication intitulée "Vers une nouvelle stratégie maritime", exclut expressément tout dispositif d'incitation fiscale qui ne serait pas réservé au pavillon national, à la condition, bien sûr. que l'accès des armateurs européens à ce pavillon soit tout à fait libre.

En effet, la Commission européenne considère que "les États membres doivent canaliser l'aide vers les entités qui contribuent à alimenter une activité économique durable dans la Communauté. Les aides d'État ont par tradition été liées surtout au pavillon. Le simple fait de battre ce pavillon pourrait cependant ne pas suffire à obtenir le résultat escompté (par exemple s'il ne comporte aucune obligation en matière de propriété ou de composition des équipages)."

La commission européenne relève par ailleurs, avec pragmatisme, que "les armateurs sont attentifs en tout premier lieu à leur bilan et à leurs perspectives propres. Ils ne seront pas fidèles à un pavillon pour des raisons de sécurité nationale, de fierté ou de création d'emplois si leur position commerciale doit en souffrir. Une politique qui vise à maintenir les flottes sous les pavillons des États membres doit donc être économiquement viable. Elle doit créer les conditions propres à maintenir ou attirer des armateurs sous les pavillons des États-membres."

Ces prémisses l'amènent à conclure, sans aucune ambiguïté, que "les compagnies de navigation qui, bien qu'elles soient contrôlées par des intérêts européens, n'emploient pas de marins communautaires, n'investissent pas en Europe et ne paient pas d'impôt sur les revenus, de taxes sur les tonnages ou de droits d'immatriculation à un État membre, ne sont pas handicapées sur le plan des coûts par les régimes fiscaux et sociaux de la Communauté et ne doivent donc pas pouvoir bénéficier d'aides d'État."

Par ailleurs, la commission européenne admet que les considérations stratégiques qui motivent la mesure proposée par le gouvernement français échappent à son appréciation : "bien que des considérations liées à la défense soient sans aucun doute à l'origine des préoccupations de certains États membres à propos du déclin de la flotte sous pavillons communautaires et de la disponibilité de marins ressortissants de la CE, il semble que la question de la réserve navale sorte du champ d'application directe de la politique maritime et industrielle de la Communauté."

Votre commission, qui partage sans réserve l'analyse de la Commission européenne, considère qu'il n'est pas seulement opportun, mais indispensable de réserver expressément le bénéfice du régime fiscal proposé aux navires battant pavillon français.

C'est d'ailleurs bien ainsi que la Commission européenne l'a entendu dans sa lettre d'approbation du projet de loi. Dès les premières lignes elle relève que "le régime encourage l'investissement pour promouvoir l'immatriculation des navires sous pavillon français et l'emploi."

2. La mesure doit être étendue aux navires à passagers

Le projet de loi prévoit que pourront bénéficier de l'exonération les investissements dans les "navires civils de charge". Cette notion exclut les navires de pêche et de plaisance, mais aussi les navires à passagers. 11 semblerait en revanche, au vu du décret n° 84-810 du 30 août 1984, qu'elle comprenne les navires techniques (remorqueurs, dragues, barges, avitailleurs, bateaux pilotes...).

L'exclusion des navires à passagers semble essentiellement motivée par des considérations de limitation du coût de la mesure, s'agissant de navires particulièrement onéreux, et de protection des épargnants, s'agissant d'un secteur particulièrement concurrentiel, donc à la rentabilité aléatoire.

Toutefois, quatre raisons militent en faveur d'une inclusion des navires à passagers dans le champ de la mesure :

- les lignes de passagers ont connu une mauvaise année 1995. En effet, les compagnies opérant sur le secteur Transmanche ont subi la concurrence frontale du tunnel sous la Manche, et les compagnies de Méditerranée ont pâti de la désaffection des touristes pour la Corse et de l'arrêt des voyages à destination de l'Algérie entre fin décembre 1994 et le 10 décembre 1995 ;

- les chantiers navals français disposent d'un avantage comparatif dans le domaine des navires à passagers (cf. tableau ci-dessous) ;

- l'exploitation des navires à passagers, qui n'ont pas accès au pavillon TAAF, est particulièrement bénéfique en termes d'emplois maritimes :

- l'exclusion d'un segment de la flotte de commerce du bénéfice de la mesure aurait pour effet pervers d'en détourner les investisseurs.

Ces quatre considérations amènent votre commission à préférer à la notion de "navires civils de charge" celle de "navires armés au commerce", qui inclut les navires à passagers.-

Le gouvernement semble avoir lui-même beaucoup hésité sur ce point, puisque l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi fait -encore ? -référence à la notion de "navires armés au commerce", tandis que l'intitulé du projet de loi fait - déjà ? - référence à la notion de "navires de commerce".

Le tableau ci-dessous montre tout l'intérêt que les chantiers navals français, du simple fait de leur spécialisation et sans aucun biais protectionniste, pourraient tirer de cette extension du champ de la mesure :

Carnet de commandes civiles au 1er janvier 1995

Source : Chambre syndicale des constructeurs de navires

Il apparaît ainsi que près de la moitié (6 sur 14) des navires commandés auprès des chantiers navals nationaux sont des navires à passagers (58 % de la capacité en jauge brute compensée).

Une extension du champ d'application du projet de loi aux navires à passagers ne pourrait donc qu'être indirectement bénéfique à la construction navale française.

3. La mesure doit être adaptée aux navires de pêche

a) Les difficultés de financement de la flotte de pêche

L'évolution récente de la flotte de pêche française a été marquée par une crise de rentabilité qui trouve son origine essentiellement dans la mondialisation des marchés et les fluctuations de certaines monnaies européennes.

La réduction des capacités de pêche françaises résultant de la politique communautaire et les efforts entrepris pour la modernisation de la filière laissent aujourd'hui entrevoir la perspective d'une flotte française à nouveau rentable.

Toutefois, la pérennité de ce secteur, dont dépend fortement l'économie du littoral, repose sur un flux minimum de constructions neuves et une relève professionnelle, qui s'avèrent tous deux gravement compromis. En effet, le plafonnement des aides nationales et communautaires à l'investissement par l'Union européenne et les nouvelles normes de rentabilité dictées par le marché imposent aujourd'hui un autofinancement hors de portée pour la profession.

Face à la surexploitation des stocks de poissons pêchés dans les eaux communautaires, les plans d'orientation pluriannuels de l'Union européenne (POP) visent à réaliser un équilibre entre la capacité de la flotte et l'effort adéquat pour exploiter les ressources disponibles. À cet effet, l'instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP) encadre strictement les aides à l'investissement nationales et communautaires.

Or, lors de l'adoption du règlement d'application de l'IFOP, l'assiette de calcul des aides nationales et communautaires à la construction de navires de pêche a été plafonnée en fonction de la jauge du navire à construire de telle sorte qu'elle n'a plus aucun rapport avec le coût réel de la construction (cf. tableau ci-dessous).

Assiette de calcul des aides nationales et communautaires
à la construction de navires de pêche

Source : Journal officiel des Communautés européennes

Selon les professionnels, les subventions à la construction de navires ne représentent plus que 8 à 30 % du coût réel de l'investissement contre de 35 à 45 % précédemment (sous l'ancien régime du FEOP).

Impact du plafonnement des aides par Bruxelles
sur quelques catégories de navires (coûts indicatifs)

Source : Coopération et crédit maritime

De surcroît, dans les régions de l'Union européenne en retard de développement - ou régions de l'objectif 1 - (Espagne, Portugal, Irlande, sud de l'Italie, Grèce), les plafonds d'aides autorisés sont sensiblement plus élevés qu'en France. A titre de comparaison, le taux de subvention dont peuvent bénéficier les navires espagnols peut atteindre 60 % de la somme éligible aux aides à la construction, alors qu'il est limité à 40 % pour les navires français.

Compte tenu des normes de rentabilité observées ci-dessous, et qui sont dictées par le marché, aucune construction neuve n'est envisageable sans apports en fonds propres significatifs pour pallier la réduction des aides.

Rentabilités moyennes observées dans le Finistère en 1994 pour la pêche artisanale

Source : Coopération et Crédit maritimes

Les professionnels de la pêche font par ailleurs état d'un effet pervers induit par le plafonnement des aides françaises et par le surcoût d'exploitation des navires sous pavillon français. Les navires de la flottille de pêche française sont progressivement rachetés par les marins espagnols qui les maintiennent sous pavillon français afin de récupérer à leur profit les quotas de pêche français. De surcroît, le poids inférieur des charges sociales pesant sur les marins espagnols permet aux armateurs de ces navires de contenir leurs coûts d'exploitation et par conséquent d'accroître leurs taux de rentabilité. Il semble donc pertinent d'accorder aux patrons-pêcheurs français les moyens nécessaires pour pouvoir enchérir sur les offres espagnoles.

Au total, le manque de fonds propres auquel sont confrontés les armateurs de pêche industrielle et les patrons-pêcheurs justifie l'extension du champ d'application de l'encouragement fiscal à tous les navires armés à la pêche.

Il convient cependant de distinguer les navires de pêche industrielle des navires de pêche artisanale. Si les premiers peuvent bénéficier des dispositions du projet de loi dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que les navires armés au commerce, les seconds appellent un aménagement du dispositif afin de prendre en compte certaines spécificités de la pêche artisanale.

b) La pêche industrielle

Après avoir vu les aides qui lui étaient consacrées divisées par trois dans le règlement de l'IFOP, la grande pêche thonière risque de devenir inéligible à ces aides selon les lignes directrices proposées par la Commission de Bruxelles pour l'élaboration du POP IV. La Commission exige en effet que l'activité de pêche soit réduite de 40 % au cours des six prochaines années pour les stocks de poissons qui risquent de disparaître (saumon, cabillaud, églefin, merlu, lieu noir et hareng).

Or le problème du financement des flux de navires continue à se poser dans un pays où le coût de construction moyen des chantiers navals de pêche est de 15 à 20 % supérieur à celui de ses concurrents.

Votre rapporteur estime donc souhaitable d'étendre l'exonération fiscale en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires aux navires de pêche industrielle en prévoyant dans les modalités de l'agrément l'avis du ministre chargé de la pêche industrielle.

Les armements pourront ainsi trouver un complément de fonds propres venant pallier l'insuffisance des concours financiers publics. Cela contribuera à réduire le coût du financement et par conséquent à accroître la rentabilité de l'investissement maritime.

c) La pêche artisanale

Quatre arguments plaident pour une extension du régime des quirats aux navires de pêche artisanale :

- éviter le vieillissement prématuré de la flottille de pêche ;

- pallier le désengagement de Bruxelles qui conduit à une impasse de financement ;

- assurer la relève professionnelle en favorisant l'accession à la propriété ;

- préserver les équilibres portuaires.

Votre rapporteur relève toutefois que l'extension du champ d'application de l'encouragement fiscal en faveur des navires de pêche artisanale nécessite des aménagements, afin de prendre en compte les spécificités de cette activité.

Il s'agit d'aménager le dispositif de l'exonération fiscale pour le rendre compatible avec une flotte composée essentiellement de patrons-pêcheurs qui souhaitent conserver la majorité des parts de leurs navires. À cet effet, il suffit de limiter l'avantage fiscal à une part minoritaire de l'investissement. L'armateur du navire qui détiendrait au moins la moitié des parts ne pourrait en revanche bénéficier de l'exonération fiscale.

Une telle mesure permettrait de surcroît d'éviter l'inflation des coûts qui pourrait résulter de l'incitation fiscale sur un nombre réduit de constructions autorisées, et de préserver la finalité économique de chaque projet en favorisant notamment l'initiative individuelle.

B. UN ENCADREMENT PL US RIGOUREUX DE LA DÉPENSE FISCALE

1. Les critères d'agrément méritent d'être précisés

Le bon fonctionnement du dispositif proposé par le présent projet de loi repose sur la procédure d'agrément ministériel qui, seule, garantit que l'ensemble des conditions posées sont réunies lors de la constitution de la copropriété et tout au long des cinq années suivantes.

Il importe donc de bien préciser le sens et la portée des critères d'appréciation qui déterminent la décision d'agrément.

Votre commission estime notamment que le ministre du budget devra pouvoir apprécier le caractère normal du prix du navire, et pas seulement de ses conditions de financement.

2. L'armateur défaillant doit être responsabilisé

En principe, si l'une ou l'autre des conditions qui ouvrent droit à exonération n'est pas remplie ou cesse de l'être, toutes les sommes antérieurement déduites sont réintégrées dans le bénéfice ou le revenu de l'année au cours de laquelle le manquement est intervenu.

Cependant, si la condition de détention des parts de copropriété pendant cinq années à compter de la livraison du navire engage distinctement chacun des quirataires, et n'est donc sanctionnée que pour le quirataire qui vend ses parts avant l'échéance, le défaut du seul armateur a pour conséquence la perte de l'exonération fiscale pour l'ensemble des quirataires. Tous les copropriétaires sont sanctionnés, alors qu'ils ne peuvent être tenus pour responsables du manquement de l'armateur. L'armateur fautif n'est en revanche pas pénalisé puisque, par définition, il n'a pas déduit de sommes susceptibles d'être réintégrées dans son bénéfice imposable.

Cette inégalité entre copropriétaires non professionnels et armateurs mérite, d'après votre commission, d'être corrigée afin de protéger les investisseurs contre une éventuelle défaillance de l'armateur. L'armateur devra obligatoirement s'engager envers eux à conserver ses parts pendant la durée minimale de cinq ans qui conditionne le bénéfice de l'exonération pour les autres quirataires. Un éventuel défaut de sa part pourra ainsi faire l'objet d'un contentieux devant les juridictions commerciales.

3. Un même navire ne doit pas pouvoir cumuler les avantages fiscaux

Le présent projet de loi prévoit qu'un même projet de copropriété ne pourra cumuler l'aide fiscale attribuée au titre des quirats et les avantages fiscaux résultant de la loi sur les investissements dans les DOM-TOM.

De même, il serait abusif que l'exonération fiscale puisse être accordée à chaque transfert de la propriété du navire.

Trois cas de figure doivent être distingués à cet égard :

- le cas d'un navire neuf acheté pour être exploité dans les départements d'Outre-mer mais optant pour le régime quirataire mis en place Par le présent projet de loi : celui-ci exclut expressément qu'un tel navire Puisse bénéficier simultanément de la déduction qu'il prévoit et de celle résultant des dispositifs de la loi sur les investissements dans les DOM-TOM ;

- le cas d'un navire d'occasion faisant l'objet d'un nouveau projet de copropriété quirataire et qui aurait déjà dans le passé obtenu l'agrément Permettant de bénéficier de l'exonération fiscale au titre de la loi sur les investissements dans les DOM-TOM : un tel navire doit légitimement pouvoir être exclu du champ d'application de l'exonération fiscale au titre de la règle du non cumul, ce qui n'est pas absolument certain dans la rédaction actuelle du projet de loi :

- le cas d'un navire d'occasion faisant l'objet d'un nouveau projet de copropriété quirataire et qui aurait déjà dans le passé obtenu l'agrément permettant de bénéficier de l'exonération fiscale prévue par le présent projet de loi : il est également justifié que le nouveau projet de copropriété quirataire ne puisse pas obtenir l'agrément permettant aux copropriétaires de bénéficier de la déduction fiscale.

Votre commission vous propose donc de lier l'interdiction du cumul des aides fiscales aux navires et non aux projets de copropriété : un même navire ne doit pouvoir bénéficier de l'exonération fiscale lors de son entrée dans la flotte de commerce française qu'une fois au cours de sa du ree de vie. A défaut, les contribuables seraient appelés à payer deux fois pour le même navire.

4. L'avantage fiscal doit être rendu strictement exclusif des aides budgétaires à l'investissement

Sont exclues du bénéfice de la mesure les entreprises ou les filiales d'entreprises ayant pour activité d'armer, exploiter ou affréter des navires. En effet, le but de la mesure n'est pas d'aider les armateurs à financer eux-mêmes leurs navires, mais d'orienter l'épargne des personnes physiques et morales, dont l'armement n'est pas l'activité principale, vers un secteur qui manque structurellement de fonds propres.

L'exclusion des armateurs participant à la copropriété du bénéficie de l'avantage fiscal est également motivée par le fait qu'ils bénéficient par ailleurs d'aides budgétaires à l'investissement, ainsi que d'allégements fiscaux et sociaux de leurs coûts d'exploitation.

Mais ce raisonnement n'est pas pleinement satisfaisant, dans la mesure où les autres copropriétaires bénéficient, eux, des aides budgétaires à l'investissement en sus de l'avantage fiscal, alors même que la réduction des coûts d'exploitation résultant des allégements fiscaux et sociaux bénéficient à l'ensemble de la copropriété.

En effet, l'aide au financement des investissements des entreprises françaises d'armement au commerce peut, aux termes de l'arrêté du 29 décembre 1989 et de l'arrêté du 5 janvier 1996 modifiant ce dernier, "être accordée aux membres d'une copropriété quirataire". De même, l'aide à la consolidation et à la modernisation des entreprises françaises de transport maritime est, aux termes de l'instruction du 7 mars 1990, "accordée à une personne française physique ou morale quel que soit son régime juridique, si elle porte le projet d'entreprise présenté aux pouvoirs publics et possède ou exploite un patrimoine naval". Tous les membres de la copropriété d'un navire sont donc très explicitement visés.

Votre rapporteur estime donc que le respect de l'équité fiscale impose le refus de l'octroi des aides budgétaires à tous les copropriétaires d'un navire qui optent pour l'exonération fiscale. Toutefois, cette adaptation du régime des aides à l'investissement est de la compétence du gouvernement, le dispositif étant de nature réglementaire.

C. UNE DIFFUSION PL US LARGE DE L'AVANTAGE

1. Le problème : les quirats sont difficilement accessibles aux épargnants moyens

Par nature, l'acquisition de quirats est réservée à des investisseurs dotés d'une certaine surface financière. La question ne se pose évidemment Pas dans les mêmes termes pour les entreprises et pour les personnes Physiques.

D'après les informations recueillies par votre rapporteur, il semble que les copropriétés de navires ne puissent pas regrouper plus de 1.000 quirataires et que leur taille optimale soit plutôt aux environs de 200 à 300 quirataires. Au-delà, les coûts de gestion de la copropriété pour l'armateur et/ou pour l'établissement financier montant l'opération deviennent excessifs.

Or, les navires sont des biens d'équipement particulièrement onéreux, comme le montre le tableau ci-dessous :

(en millions de francs : 1 usd = 5 frf)

Estimations avril-mai 1996 * Peu ou pas de transactions récentes

Source : Crédit agricole - Direction des financements maritimes

En droit, rien n'interdit d'investir dans une copropriété de navire pour des montants assez modiques. En pratique, dans la plupart des projets de copropriétés de navires, le montant de l'investissement minimal devrait être compris entre 500 000 F et 1 million de francs. Certes, ces montants conséquents peuvent être Financés par l'emprunt, avec un apport personnel très réduit. Mais la capacité d'endettement des particuliers reste fonction de leurs revenus.

Plus fondamentalement, le taux de rentabilité interne évoqué plus haut n'est assuré que si la totalité des sommes investies est soumise au taux supérieur de l'IR. Tous les contribuables qui atteignent le taux marginal de 56,8 % ne sont pas également intéressés : ceux dont une fraction limitée seulement du revenu entre dans la dernière tranche du barème n'auront pas la même incitation fiscale que ceux dont les revenus dépassent largement le seuil de cette tranche.

Pour les premiers, seule une partie de leur investissement bénéficiera de l'exonération au taux de 56,8 %, les taux inférieurs du barème s'appliquant à la partie restante : la rentabilité de l'opération se trouvera réduite en proportion.

En pratique, en deçà d'un niveau de revenu annuel de 400 000 F, la souscription de quirats aurait un taux de rentabilité inférieur à celui du livret A, tandis que l'avantage fiscal serait optimal pour un revenu annuel supérieur à 1 million de francs.

2. La solution : les organismes de gestion collective de l'épargne

Votre commission estime tout à fait opportun d'encourager une certaine "démocratisation" de l'avantage fiscal lié aux quirats, qui est en droit ouvert à tous les contribuables assujettis à l'IR mais qui, de fait, ne peut concerner que les plus aisés d'entre eux.

Elle vous propose donc de rendre possible l'acquisition de parts de copropriétés de navires par l'intermédiaire d'organismes de gestion collective de l'épargne . Les fonds communs de placement à risques semblent être les instruments adéquats, dans la mesure où les quirats ne présentent ni la sécurité en capital, ni la liquidité requises pour les valeurs mobilières gérées par les SICAV ou les FCP de droit commun.

3. Le contrôle sélectif de la Commission des opérations de bourse

Une diffusion plus large des quirats implique un contrôle vigilant de la Commission des opérations de bourse.

Celle-ci est de plein droit chargée de la surveillance des FCPR. Mais elle peut également avoir à connaître des souscriptions de parts de quirats, qui relèvent de la catégorie des placements en biens divers au regard des articles 36 à 40 de la loi n° 83-1 du 3 janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l'épargne.

L'accord préalable de la COB est requis dès lors qu'il y a démarchage, les placements directs des établissements de crédits auprès de leur clientèle habituelle n'étant pas considérés comme un appel public à l'épargne.

L'intervention de la COB garantit une protection solide aux investisseurs : son agrément est conditionné à la diffusion d'un document d'information très détaillé ; un commissaire aux comptes est désigné par décision de justice, prise après son avis, pour veiller à la régularité de la gestion du bien.

La difficulté est que le démarchage est une notion assez floue, définie par la jurisprudence, et qui pose un problème de preuve. Toutefois, si un investisseur lésé porte l'affaire devant les tribunaux et parvient à démontrer qu'il a fait l'objet d'un démarchage non autorisé par la COB, il obtient de plein droit la résolution de son contrat.

Les deux derniers rapports d'activité de la COB précisent que la commission a autorisé l'appel public à l'épargne pour deux copropriétés de navires en 1995, et quatre en 1994.

D. UNE MESURE COMPLÉMENTAIRE EN FAVEUR DE LA LOCATION DE NAVIRES DE PLAISANCE

1. Les conséquences négatives de la modification récente du régime fiscal des bénéfices industriels et commerciaux

L'article 72 de la loi de finances pour 1996 a interdit aux non professionnels d'imputer directement sur leur revenu global les déficits générés par leurs activités industrielles et commerciales accessoires. Ces déficits ne peuvent plus désormais être imputés que sur des revenus de même nature. Cette mesure de principe vise à décourager certains comportements d'évasion fiscale.

Mais elle a eu un effet pervers sur le secteur de la plaisance, dont l'équilibre économique repose sur la convergence d'intérêts entre les particuliers désireux de rentabiliser leurs navires de plaisance et les loueurs professionnels soucieux de limiter leurs investissements propres.

En effet, en raison de la brièveté de la saison touristique en France métropolitaine, les loueurs professionnels ne peuvent exploiter leur parc de navires que sur 7 à 13 semaines : il est donc économiquement exclu qu'ils financent eux-mêmes la totalité de leur outil de travail. De fait, les 3/4 des navires constituant la flotte des loueurs professionnels sont des navires de particuliers.

Selon la profession, les ventes de navires de plaisance ont été brutalement stoppées en France métropolitaine depuis l'annonce en septembre 1995, de la modification du régime fiscal des BIC et les constructeurs français ne reçoivent plus de commandes.

Rappelons que depuis 1991, le secteur de la construction nautique française a perdu un tiers de son chiffre d'affaires et 2 200 emplois, en raison de la récession économique. A titre indicatif, le chiffre d'affaires de la production se situe désormais à 2,1 milliards de francs (contre 3,2 en 1990). La seule construction de voiliers représente 1,1 milliards de francs.

La profession estime que, pour un gain d'impôt sur le revenu évalué à 90 millions de francs, les pertes de recettes fiscales diverses consécutives à la baisse d'activité du secteur depuis le début de l'année atteindraient 185 millions de francs.

Certes, en dépit de cette baisse de son activité, l'industrie de la construction de navires de plaisance française demeure la première au monde. Mais cette position ne saurait être considérée comme naturellement acquise.

Par ailleurs, lors de l'examen de la loi de finances pour 1996, votre commission des finances avait observé que l'incitation fiscale que constituait le recours simultané au régime des BIC non professionnels et au régime d'amortissements dégressifs ou aux aides relatives à l'investissement dans les DOM-TOM, expliquait en partie le regain d'activité enregistré dans la construction des bateaux de plaisance.

Il semble par conséquent plausible de considérer qu'une partie de la chute des commandes de navires observée par les professionnels de la plaisance depuis le début de l'année correspond à l'arrêt des placements d'optimisation fiscale consécutif à la perte de la possibilité d'imputer des déficits industriels et commerciaux sur les revenus globaux.

Cependant, votre commission des finances relevait également que la suppression de la possibilité d'imputer les déficits réels supportés par les investisseurs passifs supprimerait aussi une sécurité et détournerait par conséquent certains investissements privés de secteurs où leur apport est cependant indispensable.

2. Le rétablissement des dispositions antérieures en faveur des loueurs professionnels

L'activité de la location professionnelle de navires de plaisance en métropole représente une flotte de 1 500 navires, et un chiffre d'affaires de 400 millions de francs. 50 % des ventes de navires sont destinées à des loueurs professionnels.

Il s'agit d'un secteur touristique particulièrement porteur, en rapide développement, et générateur de devises puisque 40 % de la clientèle est étrangère.

Votre commission estime par conséquent souhaitable, pour préserver l'activité de location de navires de plaisance, de revenir, sous certaines conditions, à la situation antérieure en autorisant pour cette activité particulière l'imputation des déficits sectoriels sur le revenu global.

Cette dérogation devra respecter les deux conditions suivantes :

- le contribuable devra conserver son navire pendant 5 années à compter de l'acquisition, ce qui sera un indice du sérieux de son investissement ;

- le navire devrait être frété à un loueur professionnel de façon continue pendant ces 5 années : cela signifie que si le propriétaire souhaite utiliser son propre navire, il ne pourra pas en disposer gratuitement, mais devra le prendre à bail auprès du loueur professionnel aux conditions du marché.

EXAMEN DES ARTICLES

ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE PREMIER - Catégories de navires civils

Le présent projet de loi concerne les navires de commerce. Cette notion mérite quelques éclaircissements.

En droit maritime, la summa divisio distingue les navires privés et les navires d'État. Les navires d'État jouissent de prérogatives de puissance Publique : à ce titre, ils échappent à l'application de la plupart des règles du droit maritime. Mais ceci est surtout vrai pour les navires militaires. Pour les navires d'État civils, l'affectation préside à la qualification : armé à des fins de service public, le navire échappe au droit privé : armé à des fins commerciales, il y est soumis.

De même, l'affectation d'un navire destiné à des buts d'intérêt privé a une incidence variable sur son statut. Qu'il soit armé au commerce, à la plaisance ou à la pêche, il est assujetti aux dispositions visant la navigation en mer, et le statut social de son équipage est réglé de manière identique. Seuls sont soumis aux règles commerciales du droit maritime les navires exploités à des fins lucratives 11 ( * ) .

Votre rapporteur juge utile, pour la bonne compréhension du dispositif du projet de loi, de le faire précéder d'un article rappelant quelles sont les différentes catégories de navires civils, ainsi rédigé :

"À l'exception de ceux affectés à un service public, les navires civils sont armés au commerce, à la pêche ou à la plaisance."

ARTICLE PREMIER - Dispositions proposées pour le code général des impôts

Commentaire : Le présent article insère trois articles nouveaux dans le code général des impôts. Le premier, commun à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés, pose le principe de l'exonération des sommes investies dans les copropriétés de navires et en précise les conditions. Les deux suivants, relatifs respectivement à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés, fixent certaines limites à cet avantage fiscal.

Article 238 bis HN du code général des Impôts - Exonération des sommes versées au titre de la souscription de parts de copropriété de navires civils de charge

A. LE CHAMP DE L'EXONÉRATION

Le premier alinéa du texte proposé pour l'article 238 bis HN pose le principe de la déduction du revenu, pour les personnes physiques, ou du bénéfice, pour les sociétés, des sommes investies dans des parts de copropriété de navires civils de charge.

Le régime fiscal de la copropriété de navire est fixé par les articles 8 quater, 39 E et 163 vicies du code général des impôts :

« Art. 8 quater - Chaque membre des copropriétés de navires régies par le chapitre IV de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer est personnellement soumis à l'impôt sur le revenu à raison de la part correspondant à ses droits dans les résultats déclarés par la copropriété. »

« Art. 39 - Chaque membre des copropriétés de navires mentionnées à l'article 8 quater amortit le prix de revient de sa part de propriété suivant les modalités prévues à l'égard des navires ; pour la détermination des plus-values, les amortissements pratiqués viennent en déduction du prix de revient.

"Pour l'amortissement des parts de propriété de navires, le prix de revient est réduit du montant de la déduction effectuée en application des dispositions de l'article 163 vicies. Pour la détermination des plus-values, cette déduction est considérée comme un amortissement régulièrement pratiqué.

"Les dispositions du premier alinéa s'appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 1978. Les amortissements fiscalement déduits par la copropriété au titre des exercices antérieurs sont répartis entre les copropriétaires en proportion de leurs droits afin de déterminer, pour chaque part de propriété, la valeur résiduelle restant à amortir.»

En principe, une totale liberté d'amortissement est garantie, à chaque quirataire. Il peut opter pour l'amortissement dégressif, un navire neuf relevant de la catégorie des "matériels utilisés pour des opérations de transport" mentionnée à l'article 22 de l'annexe II du code général des impôts, (pour un navire d'occasion, l'amortissement est obligatoirement linéaire).

Toutefois, le l°bis de l'article 156 du code général des impôts, qui résulte de l'article 72 de la loi de finances pour 1996, limite les possibilités d'amortissement des quirataires non professionnels au montant des revenus qu'ils tirent de l'exploitation du navire. Cette restriction ne s'applique qu'aux personnes physiques titulaires de BIC, mais pas aux sociétés qui peuvent déduire l'intégralité de l'amortissement du navire de leurs bénéfices.

Le bénéfice de l'exonération est ouvert aussi bien pour un navire neuf que pour un navire d'occasion. Ce point distingue la mesure proposée de l'actuel régime fiscal des quirats résultant de l'article 163 vicies du code général des impôts, qui est réservé aux navires neufs, mais le rapproche du dispositif budgétaire d'aides à l'investissement, qui est également ouvert aux navires d'occasion.

Le texte du présent projet de loi limite le bénéfice de l'exonération aux "navires civils de charges."

Pour les raisons exposées plus avant, votre commission vous propose d'étendre le champ d'application de la mesure aux "navires armés au commerce", pour y inclure les "navires à passagers."

Elle vous propose également d'étendre le champ d'application aux "navires armés à la pêche longs de plus de trente mètres hors tout." Ce critère de taille définit les navires de pêche industrielle, dont la valeur à l'achat et le mode d'exploitation sont tout à fait comparables à ceux de navires de commerce.

B. LES CONDITIONS DE L'EXONÉRATION

Les alinéas suivants du texte proposé pour l'article 238 bis HN fixent sept conditions qui doivent être remplies pour bénéficier de l'avantage fiscal :

a) Première condition : la souscription doit être effectuée avant le 31 décembre 2000.

Le régime proposé est donc provisoire. Cette solution présente un double avantage :

- d'une part, elle devrait contribuer à hâter les investisseurs et favoriser une montée en puissance rapide du dispositif ;

- d'autre part, elle garantit qu'un examen attentif des effets de la mesure sera fait d'ici cinq ans pour déterminer s'il y a lieu de la reconduire.

b) Deuxième condition : le navire est livré au plus tard trente mois après la souscription et sa durée d'utilisation, attestée par une société de classification agréée, est d'au moins huit ans.

Le délai de trente mois correspond à la durée de construction des plus gros navires de commerce. La fixation d'une durée minimale entre la souscription et la livraison du navire vise à garantir le sérieux des opérations concernant des navires neufs : le bénéfice de l'exonération ne pourra pas être accordé sur une simple option d'achat qui ne serait jamais confirmée.

La durée d'utilisation minimale de huit ans concerne les navires d'occasion. Il ne serait pas conforme à l'objet de la mesure d'accorder le bénéfice de l'exonération fiscale à des navires en fin de carrière : cette condition garantit la réalité économique du projet d'investissement.

Les sociétés de classification chargées d'attester de cette durée de vie minimale sont des organismes propres au monde maritime. Leur fonction est de garantir à l'armateur et aux tiers (assureurs, chargeurs, administrations) la conformité des navires aux normes de sécurité, lors de leur mise à l'eau puis tout au long de leur existence.

Les sociétés de classification agréées mentionnées à cet alinéa s'entendent des sociétés agréées par l'administration française conformément aux critères de qualité professionnelle définis par une directive européenne en date du 22 novembre 1994 12 ( * ) . Cette directive, très importante pour l'amélioration de la sécurité du transport maritime, tend à bannir du marché communautaire les sociétés de classification "de complaisance", dont la prolifération avait notamment été déplorée par le rapport fait par notre excellent collègue M. Jean-François Le Grand au nom de la mission commune d'information du Sénat sur ce sujet.

c) Troisième condition : "Les parts de copropriété du navire sont conservées par le souscripteur, qui prend un engagement en ce sens, jusqu'au 31 décembre de la quatrième année suivant celle de la livraison du navire à la copropriété."

Cette clause, courante en droit fiscal, conditionne l'exonération des sommes investies à leur blocage pendant cinq ans. Il s'agit d'équilibrer l'avantage consenti à l'entrée par une contrainte dans le temps.

Les sommes investies dans des quirats devront donc être bloquées pendant cinq exercices fiscaux. En pratique, l'investisseur aura intérêt à souscrire les parts de copropriété de navire au mois de décembre de l'année de la livraison de ce dernier.

d) Quatrième condition : "le navire est dès sa livraison exploité ou frété par la copropriété dans les conditions prévues au titre premier de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966."

Cette condition n'en est pas vraiment une. En effet, ces dispositions rappellent simplement que la copropriété a le choix entre exploiter elle-même son navire, en se chargeant de l'armer, ou de le fréter coque nue à un armateur, à charge pour lui de l'exploiter.

Votre commission vous propose pour cet alinéa deux amendements rédactionnels.

d bis) Condition supplémentaire

Elle vous propose surtout, pour les raisons exposées plus avant, de le compléter par une condition supplémentaire qui lui paraît tout à fait nécessaire : "le navire bat pavillon français pendant la période prévue au c."

Cette "clause de pavillon" s'appliquera donc pendant toute la durée fiscalement obligatoire du projet de copropriété de navire. Elle doit être entendue de façon stricte : les procédures dites de "gel de pavillon", qui permettent de placer un navire sous pavillon étranger le temps d'un voyage tout en lui conservant le bénéfice du pavillon français, ou inversement de placer transitoirement un navire étranger sous pavillon français, ne seront pas admises pour les navires bénéficiant de l'aide fiscale instaurée par le présent projet de loi.

En revanche, cette rédaction ne s'oppose pas à ce que la mesure bénéficie à un navire d'occasion déjà placé sous pavillon français lors de son acquisition par la copropriété. Ce point distinguera le nouveau dispositif d'incitation fiscale des aides budgétaires existantes, qui sont réservées aux navires "devant battre pavillon français", c'est-à-dire soit aux navires neufs, soit aux navires d'occasion battant pavillon étranger lors de leur acquisition (le dispositif fiscal de l'article 163 vicies étant réservé aux navires neufs).

e) Cinquième condition : l'entreprise qui gère la copropriété et/ou affrète en premier le navire est une société passible de l'impôt sur le revenu dont l'activité principale est l'armement des navires.

Cette condition est essentielle, puisque l'implication d'un armateur professionnel dans les copropriétés de navires éligibles au bénéfice de la mesure constitue la garantie principale de la viabilité économique de l'investissement fiscalement aidé.

L'entreprise d'armement maritime concernée devra être assujettie à l'IS en France. Mais cette condition n'est nullement protectionniste, puisque toute succursale française d'un armateur étranger la satisfait.

Votre commission vous propose deux amendements rédactionnels pour cet alinéa.

f) Sixième condition : l'armateur professionnel détient pendant la période prévue au c) un cinquième au moins des parts de la copropriété.

Cette condition tend à garantir que l'armateur aura une réelle communauté d'intérêts avec les quirataires non professionnels auxquels il sera associé.

Elle a également pour conséquence, lorsque l'armateur est également le gérant de la copropriété, de le rendre indéfiniment et solidairement responsable des dettes de la copropriété, en vertu du premier alinéa de l'article 20 de la loi n° 65-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer. Dans cette hypothèse, les copropriétaires non-gérants sont libres de limiter, par voie conventionnelle et sous réserve de publicité à l'égard des tiers, leur propre responsabilité à hauteur des sommes investies, en application du deuxième alinéa du même article. Dans l'hypothèse contraire, où le gérant de la copropriété n'en est pas membre, ils sont tenus de stipuler que plus de la moitié d'entre eux sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes de la copropriété, en vertu du quatrième alinéa du même article.

Si l'armateur cède ses quirats avant le terme de la période de blocage de cinq ans, ou même s'il n'en cède qu'une fraction ramenant sa participation en-dessous de 20 %, la condition f) n'est plus remplie. Dès lors, l'opération tombe et les sommes antérieurement déduites sont réintégrées dans les revenus ou les bénéfices des investisseurs. Or, dans cette hypothèse, l'armateur défaillant serait le seul des quirataires à ne pas être pénalisé, puisque par définition il n'aura pas bénéficié de l'exonération fiscale, qui est réservée aux quirataires non professionnels.

Votre commission vous propose donc de compléter cette condition, en précisant que l'armateur devra s'engager envers les autres copropriétaires à conserver ses propres parts du navire jusqu'à l'issue de la période fiscale d'immobilisation des fonds.

Ainsi, les investisseurs non professionnels seront légalement assurés de disposer d'une clause conventionnelle qui donnera un fondement de droit, le cas échéant, à leurs recours devant les juridictions commerciales pour obtenir de l'armateur réparation du préjudice financier qu'ils auront subi de son fait. Cette précision est nécessaire car, en son absence, l'armateur pourrait leur opposer l'article 22 de la loi n° 65-5 du 3 janvier 1967, qui dispose que chaque copropriétaire peut disposer librement de sa part du navire, sauf dans le cas où la vente entraîne la perte de la francisation du navire.

g) Septième condition : le navire n'est pas acquis auprès d'un organisme ou d'une entreprise liée directement ou indirectement à l'armateur

Cette condition est protectrice des quirataires non professionnels : elle tend à prévenir une éventuelle collusion d'intérêt entre le vendeur du navire et l'armateur qui l'achètera pour le compte de la copropriété.

Le lien direct ou indirect est celui défini par le 1 bis de l'article 39 terdecies du code général des impôts, qui distingue :

- les filiales majoritairement contrôlées par une autre entreprise :

- les sociétés "soeurs", placées l'une et l'autre sous le contrôle d'une même tierce entreprise.

"L'organisme" mentionné dans cet alinéa peut être un groupe d'intérêt économique, structure juridique très fréquemment utilisée par les armateurs pour s'associer entre eux.

C. L'AGRÉMENT MINISTÉRIEL

Le neuvième alinéa du texte proposé pour l'article 238 bis HN du code général des impôts soumet les projets de copropriétés de navires éligibles à un agrément préalable du ministre chargé du budget, après avis du ministre chargé de la marine marchande.

Cet agrément constitue le verrou du dispositif d'exonération fiscale présenté par le gouvernement. Il garantit que les conditions présentées ci-dessus seront effectivement remplies au moment du lancement de la souscription, un contrôle a posteriori demeurant nécessaire pour celles d'entre elles qui doivent être appréciées dans le temps.

Les critères sur lesquels le ministre du budget devra fonder sa décision ou son refus d'agrément sont précisés dans le texte proposé : ils auront donc valeur législative et lieront la compétence du ministre, qui ne pourra pas les méconnaître.

Ces critères d'appréciation portent sur les quatre éléments suivants :

(1) La qualité de l'investissement faisant l'objet de la demande d'agrément, qui devra être effectué à un "coût financier normal".

Ce critère signifie que les projets de copropriété dont le montage financier apparaîtrait excessivement coûteux ne pourront pas bénéficier de l'avantage fiscal. Cette disposition paraît prudente. Mais son application risque d'être délicate, la notion de normalité en matière de coûts financiers semblant très diversement interprétée.

En pratique, le ministre devra veiller à ce que les taux d'intérêt pratiqués soient ceux d'usage en matière maritime. Il pourra également apprécier si l'accumulation de garanties, de cautions, d'assurances et de contre-assurances, destinée à garantir la sécurité des investisseurs et de l'armateur, n'aboutit pas à distraire une part trop importante de l'avantage fiscal au profit des intermédiaires financiers.

Votre commission vous propose d'inclure également parmi les critères d'appréciation du ministre du budget, le prix du navire acquis qui devra être celui - très fluctuant - du marché.

(2) L'intérêt de l'investissement pour la flotte de l'armateur concerné, qui doit s'en trouver "renforcée effectivement".

Le verbe "renforcer" doit être interprété tant quantitativement, que qualitativement : un projet de remplacement d'un navire ancien par un navire neuf, ou même par un navire d'occasion plus récent ou plus performant, sera éligible au dispositif.

Votre commission vous propose simplement de supprimer l'adverbe "effectivement", dont la portée juridique paraît douteuse.

(3) L'intérêt de l'investissement au regard des besoins du secteur concerné de la flotte de commerce.

Le ministre du budget devra veiller à ce que l'intérêt de l'armateur coïncide bien avec celui de la flotte de commerce, et ne vienne pas aggraver la situation d'un secteur saturé.

Cette précision, qui pourrait être trop protectrice des armateurs déjà installés, n'apparaît de toute façon pas utile.

Votre commission préfère retenir comme critère l'intérêt de la flotte de commerce dans son ensemble, qui recouvre par définition celui de chacun des secteurs qui la constituent.

(4) La proportionnalité entre l'avantage fiscal demandé et l'intérêt économique du projet.

Ce critère d'appréciation général, qui englobe tous les autres, permettra au ministre du budget de n'autoriser que les projets obéissant à ce principe d'équité fiscale, régulièrement invoqué par le Conseil Constitutionnel dans sa jurisprudence sur les lois fiscales.

Toutefois, s'agissant d'un critère éminemment subjectif, le ministre ne pourra guère refuser que les projets les plus évidemment contraires à ce principe de proportionnalité, sauf à s'exposer à la censure du juge administratif pour "erreur manifeste d'appréciation."

D. LES PENALITÉS

Le dernier alinéa du texte proposé pour l'article 238 bis HN du code général des impôts prévoit les pénalités fiscales applicables lorsque l'une ou l'autre des conditions fixées précédemment n'est pas remplie ou cesse de l'être. Deux cas de figure doivent être distingués :

- lorsqu'il s'agit de l'une des conditions relatives à la souscription, au navire ou à l'armateur, l'ensemble de l'opération tombe et la totalité des sommes déduites est rapportée au revenu ou au bénéfice de l'année du manquement, pour tous les quirataires :

- lorsqu'il s'agit de l'engagement pris par chaque souscripteur de conserver ses parts de navire jusqu'au 31 décembre de la quatrième année suivant celle de la livraison de celui-ci, seul le quirataire défaillant se trouve personnellement pénalisé. Cette pénalité est d'ailleurs moins sévère que dans le premier cas de figure, puisque les sommes déduites sont rapportées au revenu ou au bénéfice de chacune des années de versement, et non pas de la seule année du manquement.

Votre commission vous propose une nouvelle rédaction de cet alinéa afin de bien distinguer les deux cas de figure, et de préciser, dans le second cas, que seuls les souscripteurs autres que l'armateur peuvent être pénalisés, puisque ce dernier n'a pas pu déduire de sommes susceptibles d'être rapportées à son bénéfice.

Article 238 bis HO du code général des impôts - Aménagement du dispositif d'exonération fiscale pour les navires de pêche artisanale

L'extension du bénéfice de la mesure fiscale aux navires de pêche, préconisée par votre rapporteur, nécessite certains aménagements afin de prendre en compte les spécificités de la pêche artisanale.

En effet, les délais de construction des navires de pêche artisanale sont plus courts que les délais de construction des navires de pêche industrielle : le délai maximum entre la souscription et la livraison du navire peut sans inconvénient être ramené à 24 mois au lieu de trente.

De même, pour prendre en compte la structure de la propriété des navires de pêche au sein d'une flotte composée essentiellement de patrons-pêcheurs, il convient de limiter la participation des investisseurs non professionnels à une part minoritaire de la copropriété. Cette limitation permettra aux patrons-pêcheurs, qui ne bénéficieront pas en tant qu'armateurs de l'avantage fiscal, de conserver le contrôle effectif de leurs navires.

Par ailleurs, les modalités de l'agrément doivent être adaptées :

- d'une part, l'avis du ministre chargé de la pêche doit être sollicité ;

- d'autre part, dans la mesure où il ne s'agit pas ici de renforcer quantitativement la flotte de pêche française mais de permettre son renouvellement dans le cadre des règles communautaires, le critère du "renforcement de la flotte de l'armateur" doit être remplacé par celui de la "compatibilité avec les règles encadrant l'activité de la flotte de pêche".

En revanche, les critères liant l'obtention de l'agrément au respect des prix du marché et des coûts financiers normaux, de même que celui de l'intérêt économique de l'investissement, peuvent subsister.

Votre commission vous propose d'insérer dans le code général des impôts un article 238 bis HO qui dédouble le texte proposé pour l'article 238 bis HN en l'adaptant aux spécificités de la flotte de pêche artisanale.

La dépense fiscale induite par une telle adaptation du dispositif peut être chiffrée comme suit :

Hypothèse de trente navires construits par an. ce qui correspond à un montant de 100 millions de francs ;

Sur ces 100 millions de francs, 80 s'effectueront dans le cadre du régime des quirats. Compte tenu de l'abattement de 50 % lié à l'obligation de détention de la majorité des parts par l'exploitant du navire, c'est sur un montant annuel de 40 millions de francs d'acquisitions que portera le dispositif.

Sur la base d'une répartition majoritaire (70 %) d'investisseurs personnes physiques, soumises au taux maximum de l'impôt sur le revenu (56,8 %), c'est une dépense annuelle pour cette catégorie de :

40 x 70 % x 56.8 % = 15 millions de francs.

La part restante est financée par les entreprises, soit 12 millions de francs soumis à un taux d'impôt sur les sociétés de 36,7 % :

12 x 36.7 % = 4,4 millions de francs.

La dépense fiscale totale s'élèverait donc à 19,5 millions de francs.

Article 163 unvicies du code général des impôts - Plafonnement de la déduction fiscale accordée aux personnes physiques

Cet article tend à limiter l'avantage fiscal accordé par l'article 238 bis HN du code général des impôts aux souscripteurs de parts de copropriété de navires civils de charge, en instaurant un plafond pour les investisseurs personnes physiques.

L'article précise ainsi que le montant maximal des sommes déductibles annuellement est de 500 000 F pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés, et de 1 million de francs pour les contribuables mariés soumis à imposition commune. Le plafond de 500 000 F correspond à l'investissement moyen d'un quirataire dans une part de copropriété de navire.

Il convient de souligner que ce plafond est annuel. En pratique, la possibilité d'étaler les versements permet de le démultiplier pour un même projet. Ainsi, dans l'hypothèse de versements étalés sur quatre ans après la souscription et la livraison du navire, le montant total des sommes déductibles peut atteindre 2 millions de francs pour une personne seule et 4 millions de francs pour un couple marié.

Votre commission vous propose un amendement rédactionnel pour cet alinéa.

L'article 163 vicies ajoute que les personnes physiques peuvent également bénéficier de la déduction fiscale en cas de souscription de quirats par l'intermédiaire de sociétés à responsabilité limitée (S.A.R.L.) mentionnées à l'article 239 bis AA, dites "SARL de famille" 13 ( * ) , et de sociétés à responsabilité limitée à associé unique (E.U.R.L.) qui n'ont pas opté pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés.

En souscrivant des quirats par l'intermédiaire de telles sociétés, un particulier limite son risque à hauteur de son investissement. En effet, la loi du 26 juin 1987 modifiant la loi du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer, a accru la sécurité des quirataires en instaurant un régime de responsabilité illimitée mais non solidaire. Mais le risque n'a pas, pour autant, disparu, la responsabilité du quirataire pouvant être sollicitée pour un montant supérieur à son investissement initial, si aucune convention contraire n'a pu être établie.

Le fait de souscrire des quirats par l'intermédiaire d'une SARL familiale ou d'une EURL supprime totalement ce risque, en limitant la responsabilité des associés au montant de leur apport initial, conformément au régime juridique de ces sociétés.

D'autre part, l'article 163 unvicies dispose que la déduction prévue par le présent projet de loi est exclusive, pour le même projet de copropriété, de celle prévue par la loi sur les investissements dans les DOM-TOM, et de celle prévue par l'article 163 vicies.

L'article 163 vicies prévoit pour les personnes physiques une déduction de 25 % de leur revenu global des sommes investies dans les quirats de navires civils de charge ou de pêche neufs. Il va de soi qu'une copropriété éligible aux deux régimes ne peut cumuler les deux exonérations.

De même, il est exclu qu'un même projet quirataire puisse bénéficier de l'exonération au titre du présent projet de loi et de celle résultant de la loi sur les investissements dans les départements, territoires et collectivités d'Outre-mer.

Pour ces raisons, votre commission propose d'attacher l'interdiction du cumul des aides fiscales au navire, et non pas au projet de copropriété.

Ainsi, un même navire ne pourra bénéficier d'une aide fiscale, à un titre ou à un autre, qu'une seule fois au cours de sa durée de vie.

Par ailleurs, votre commission vous propose d'autoriser la souscription de quirats par l'intermédiaire de fonds communs de placement à risques pour les raisons exposées plus avant.

Article 217 nonies du code général des impôts - Exclusion des entreprises d'armement maritime du bénéfice de la déduction fiscale

Cet article dispose que, pour les investisseurs personnes morales, les sommes versées pour la souscription de parts de copropriété de navires viennent en déduction du bénéfice imposable au titre de l'exercice ou des exercices de versement. Comme pour les personnes physiques, le bénéfice de l'exonération fiscale n'est donc pas limité à l'année de souscription des parts, mais s'applique à chaque exercice de versement.

Votre commission vous propose un amendement rédactionnel sur cet alinéa.

Par ailleurs, cet article vise à exclure du bénéfice de la déduction fiscale, les entreprises ayant pour activité principale d'armer, exploiter ou affréter des navires. L'exclusion s'étend également aux sociétés appartenant à un groupe dont l'un des membres a pour activité principale l'armement, l'exploitation ou l'affrètement des navires. Cette exclusion est conforme à l'objectif de la mesure fiscale qui vise à orienter l'épargne disponible vers un secteur qui manque structurellement de fonds propres, et non à aider les armateurs à financer eux-mêmes leurs navires.

L'article prévoit enfin, comme pour les personnes physiques, que la déduction prévue par le présent projet est exclusive de celle résultant, pour le même projet, des dispositions de la loi sur les investissements dans les départements d'Outre-mer.

Pour les mêmes raisons que précédemment, votre commission propose d'attacher l'interdiction du cumul des aides fiscales aux navires et non pas aux projets de copropriété.

ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS L'ARTICLE PREMIER - Mesures en faveur de la location professionnelle de navires de plaisance

Commentaire : Le présent article tend à autoriser de nouveau l'imputation sur le revenu global des déficits industriels et commerciaux non professionnels issus de la location de navires de plaisance par l'intermédiaire de loueurs professionnels. La suppression de cette possibilité, depuis l'entrée en vigueur le 1er janvier dernier de l'article 72 de la loi de finances initiale pour 1996, a en effet eu un impact très négatif sur le secteur de la construction de navires de plaisance.

L'article 72 de la loi de finances initiale pour 1996 a restreint les possibilités d'imputation sur le revenu global d'un déficit issu d'une activité relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, lorsque cette activité ne constitue pas pour le contribuable une véritable profession.

Les propriétaires de navires de plaisance qui donnaient ces derniers en location par l'intermédiaire de loueurs professionnels, ont en particulier pâti de cette restriction, ce qui a rejailli sur le secteur de la location de navires (dont 75 % de la flotte est constituée de bateaux de particuliers) et, par effet de cascade, sur la construction nautique française.

I. LE NOUVEAU DISPOSITIF D'IMPUTATION DES DÉFICITS INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX ET SES CONSÉQUENCES

La catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) recouvre les résultats retirés par les personnes physiques ou les sociétés de personnes non soumises à l'impôt sur les sociétés, du fait de l'exercice d'une activité commerciale, industrielle ou artisanale.

En principe, l'impôt sur le revenu dû au titre d'une année est assis sur le revenu global net du foyer fiscal, c'est-à-dire sur la somme algébrique des différents revenus catégoriels dont disposent les contribuables. L'application stricte de cette règle se traduit normalement par la possibilité d'imputer sans limitation, les déficits constatés au titre d'une catégorie sur les revenus obtenus dans les autres domaines.

Compte tenu de la responsabilité personnelle et indéfinie des exploitants ou associés pour les risques pris au titre de l'activité exercée, ce principe était applicable pour toutes les activités relevant des BIC, jusqu'en 1996.

L'attrait de ce régime a incité un certain nombre d'opérateurs a réaliser des montages financiers assortis de risques réduits dans un but exclusif d'optimisation fiscale. Le bénéfice de tels montages était d'ailleurs généralement accru par le cumul de plusieurs règles fiscales. La combinaison du dispositif instauré par la loi sur les investissements réalisés dans les départements d'Outre-mer, et du régime BIC a autorisé des montages contestables qui ont été à l'origine, par exemple, du fort développement du secteur de l'hôtellerie économique ou d'une partie du regain d'activité enregistré dans la construction des bateaux de plaisance.

L'intérêt de telles opérations résidait uniquement dans leur caractère structurellement déficitaire, les règles fiscales utilisées permettant de constater des charges qui n'avaient plus aucun rapport avec la réalité économique de chaque opération. De tels schémas permettaient par conséquent de contourner le taux marginal de l'impôt sur le revenu tout en réalisant un placement en principe dépourvu de risque.

La loi de finances pour 1996 a mis fin à ces pratiques sans intérêt économique évident pour la collectivité, en aménageant les modalités d'imputation des déficits relevant des bénéfices industriels et commerciaux.

Depuis l'entrée en vigueur de l'article 72 de cette loi, il convient désormais de distinguer entre deux catégories de BIC :

- les BIC professionnels, pour lesquels la possibilité d'imputation du déficit sur le revenu global est maintenue ;

- les BIC non professionnels, pour lesquels les déficits ne peuvent désormais s'imputer que sur des bénéfices de même nature, dégagés au titre de l'année considérée ou des cinq années suivantes. C'est ce qu'il est convenu d'appeler la "tunélisation" des déficits BIC non professionnels.

L'activité est qualifiée de professionnelle lorsqu'elle comporte "la participation personnelle, continue et directe de l'un des membres du foyer fiscal à l'accomplissement des actes nécessaires à l'activité".

Les propriétaires de navires de plaisance qui donnent leur navire en location par l'intermédiaire de loueurs professionnels entrent donc dans le champ de la seconde catégorie.

Or la restriction ainsi induite par l'article 72 manque de nuances. Si elle préserve les entrepreneurs "actifs", qui relèvent toujours des BIC professionnels, elle traite toutefois de façon indifférenciée les personnes participant à des opérations contestables et celles qui assument des risques d'entreprise sans intervenir directement dans la gestion de l'activité.

Dans son rapport sur la loi de finances pour 1996, votre rapporteur général, M. Alain Lambert, s'était ainsi élevé contre la pénalisation arbitraire d'opérateurs qui acceptent l'intégralité du risque d'entreprise sans intervenir directement dans la gestion, et s'était inquiété des conséquences économiques d'un tel dispositif pour des secteurs dont la rentabilité n'apparaît qu'à moyen terme. Il avait conclu son rapport 14 ( * ) par l'appréciation suivante :

"Votre commission des finances demeure persuadée que le dispositif actuel devra être, par la suite, régulièrement modifié pour tenir compte de la réalité économique et qu'il risque de mettre un terme à des investissements utiles à la collectivité, car créateurs d'emplois et répondant à des besoins autres que récréatifs ou fiscaux."

Les dispositions de l'article 72 ont eu un effet pervers sur le secteur de la plaisance, dont l'équilibre économique repose sur la convergence d'intérêts entre les particuliers désireux de rentabiliser leurs navires de plaisance et les loueurs professionnels soucieux de limiter leurs investissements propres.

II. UN RETOUR CONDITIONNÉ A LA SITUATION ANTÉRIEURE

Afin de préserver les activités de construction et de location de navires de plaisance, votre commission vous propose donc de revenir à la situation antérieure en autorisant pour cette activité particulière l'imputation des déficits sectoriels sur le revenu global.

Une telle mesure permettrait de rétablir une certaine égalité de concurrence entre les loueurs de navires métropolitains et ceux qui sont localisés dans les départements d'Outre-mer. En effet, pour tenir compte des contraintes économiques particulières de ces derniers, le dispositif de l'article 72 prévoit un régime spécifique qui autorise le cumul entre l'aide à l'investissement dans les DOM-TOM et la déductibilité sans condition des déficits BIC après agrément ministériel. L'égalité ne sera cependant pas totale puisque le bénéfice de la loi Pons est localement circonscrit aux départements et territoires d'Outre-mer.

Cette dérogation devra cependant respecter les deux conditions suivantes :

- le contribuable devra conserver son navire pendant 5 années à compter de l'acquisition, ce qui sera un indice du sérieux de son investissement ;

- le navire devra être frété à un loueur professionnel de façon continue pendant ces 5 années : cela signifie que si le propriétaire souhaite utiliser son propre navire, il ne pourra pas en disposer gratuitement, mais devra le prendre à bail auprès du loueur professionnel aux conditions du marché.

III. CHIFFRAGE DE LA DÉPENSE FISCALE CORRESPONDANTE

Chiffrage de la perte de ressources fiscales induite par la mesure

HYPOTHÈSES :


• Nombre de navires concernés : 1000


• Montant de l'investissement : 720.000 francs par navire


• Part de l'investissement financée par le propriétaire : 30 %


• Taux d'intérêt : 9 %


• Taux marginal d'imposition à l'impôt sur le revenu : 56,8 %


• Taux de l'amortissement dégressif sur 8 ans : 31,25 %


• Taux de l'amortissement dégressif sur 10 ans : 25 %

Hypothèse : durée d'amortissement de 8 ans

Après "tunnélisation"

Hypothèse : durée d'amortissement de 10 ans

Avant "tunnélisation"

Après "tunnélisation"

Dépense fiscale pour 1 000 navires 79.954.875 Source : commission des Finances

Sur la base de 1.000 navires de plaisance concernés chaque année, le coût de la mesure serait de 79 millions de francs dans l'hypothèse d'un amortissement sur dix ans, et de 129 millions de francs dans l'hypothèse d'un amortissement sur huit ans.

Décision de la commission : votre commission vous demande d'adopter cet amendement insérant un article additionnel.

ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS L'ARTICLE PREMIER - Acquisition de parts de copropriété de navire par l'intermédiaire de fonds communs de placement à risques

Commentaire : Cet article additionnel est complémentaire de l'amendement proposé par votre commission au deuxième alinéa de l'article 163 unvicies du code général des impôts. D'une part, il autorise les fonds communs de placement à risques à prendre en portefeuille des parts de copropriétés de navires. D'autre part, il organise le blocage pendant cinq ans des sommes versées par les particuliers désireux d'investir dans des quirats par l'intermédiaire de fonds communs de placement à risques.

A. MODIFICATION DE L'ACTIF DES FONDS COMMUN DE PLACEMENT À RISQUES

L'actif des fonds communs de placement au risque est déterminé par l'article 22 de la loi n° 88-1201 du 23 décembre 1988 relative aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières et portant création des fonds communs de créance.

Cet article a été récemment complété par l'article 6 du dernier projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, qui a autorisé les FCPR à détenir dans leur actif, outre des valeurs mobilières non admises à la négociation sur un marché réglementé français ou étranger, des parts de sociétés à responsabilité limitée.

Votre commission vous propose, afin de "démocratiser" les quirats", de permettre aux fonds communs de placement à risque de détenir dans leur actif des parts de copropriétés de navire.

B. OBLIGATION DE CONSERVATION DES PARTS DU FONDS PENDANT CINQ ANS

L'avantage fiscal attaché aux quirats a pour contrepartie une obligation de détention pendant cinq exercices fiscaux consécutifs à compter de la livraison du navire. L'intermédiation du FCPR ne doit pas permettre à l'investisseur de contourner cette contrainte en disposant librement de ses parts du fonds.

Elle vous propose donc d'insérer dans le code général des impôts un article 163 quinquiès BA nouveau qui réserve le bénéfice de l'exonération fiscale attachée aux quirats aux investissements personnes physiques qui couvrent également pendant au moins cinq ans les parts de FCPR.

Cette condition de détention est sanctionnée par la réintégration des sommes déduites lorsque les parts de FCPR sont cédées par le particulier avant le terme de cinq ans, ou lorsque la copropriété de navires ne satisfait plus aux conditions prévues par le présent projet de loi.

Les exceptions à ce dispositif de pénalité fiscale sont les dérogations d'usage : invalidité, décès, départ à la retraite ou licenciement.

Décision de la commission : votre commission vous demande d'adopter cet article additionnel par elle proposé.

INTITULÉ DU PROJET DE LOI

Afin de tirer les conséquences des amendements précédents tendant a élargir le champ du présent projet de loi, votre commission vous propose de modifier son intitulé comme suit :

"Projet de loi relatif à l'encouragement fiscal en faveur des investissements dans les navires".

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 5 juin 1996, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, puis de M. Jean Cluzel, vice-président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jacques Oudin sur le projet de loi n° 348 (1995-1996) relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce.

M. Jacques Oudin, rapporteur, a tout d'abord souligné que ce projet était l'aboutissement d'une longue réflexion, à laquelle il avait contribué dans le cadre du groupe de la mer au Sénat, et de l'Amicale interparlementaire de la mer, sur les moyens de redynamiser la flotte de commerce française et de renouer avec l'ambition maritime de la France.

M. Jacques Oudin a rappelé l'attachement du Président de la République au destin maritime de la France, qui suppose une politique inspirée au plus haut niveau de l'État et affirmée dans tous les domaines d'activité liés à la mer : l'aménagement et la protection du littoral, la marine nationale, la surveillance des côtes et la lutte contre la pollution marine, la recherche océanographique, le tourisme et la navigation, la pêche, les ports, la construction navale, mais aussi et surtout la marine marchande. Citant toujours le Président de la République, M. Jacques Oudin a observé que la capacité exportatrice de la France et sa compétitivité dépendaient de la qualité de sa marine marchande, surtout à une époque où le transport était devenu une variable croissante du prix de revient des produits.

Le rapporteur a alors rappelé le déclin prononcé de la flotte de commerce française depuis vingt ans, dans un contexte de croissance soutenue du commerce maritime international (6 % par an en moyenne). Passée du huitième au vingt-cinquième rang mondial et de 500 à 209 navires, la flotte de commerce française ne représente plus que 0,95 % de la flotte mondiale avec un tonnage de 3,95 millions de jauge brute en 1996 contre 6,5 en 1970. En vingt ans, les effectifs de la marine marchande ont été divisés par sept. Aujourd'hui, en dépit de son rang de quatrième puissance exportatrice, la France n'achemine que 15 % de son commerce extérieur maritime sur des navires battant pavillon français. Outre les incidences négatives pour l'emploi, cette situation peut fragiliser les positions commerciales de la France, et menacer son indépendance stratégique.

Il a observé que deux raisons expliquaient ce constat inquiétant : d'une part, la décolonisation qui a mis fin aux rentes de situation des armateurs français et, d'autre part, l'exacerbation de la concurrence sur les mers, qui n'est que l'un des aspects les plus visibles de la mondialisation de l'économie. Il a estimé que, dans ce contexte, les normes de qualité et de sécurité du pavillon français en induisant des coûts d'exploitation élevés, pesaient sur la compétitivité de la flotte de commerce française.

M. Jacques Oudin a souligné que l'armement maritime était une industrie à très forte intensité en capital et qu'il convenait, pour favoriser les investissements dans ce secteur, d'orienter l'épargne existante grâce à une aide fiscale incitative. Il a notamment insisté sur le fait qu'en dépit du contexte budgétaire actuel, une telle mesure était plus que justifiée par l'intérêt économique et stratégique de la flotte de commerce.

Après avoir évoqué les quatre catégories existantes d'aides budgétaires, fiscales et sociales en faveur de la marine, M. Jacques Oudin a souligné qu'elles tendaient à abaisser les charges d'exploitation des navires et n'apportaient, par conséquent, pas de solution efficace au problème de financement des armateurs. En effet, les subventions à l'investissement, qui représentent 10 à 15 % de la valeur du navire, ne sont pas d'un montant suffisant pour décider une opération d'investissement.

M. Jacques Oudin a observé que pour faire face au manque de fonds propres des armateurs français, l'outil le plus pertinent était l'encouragement fiscal en faveur de la souscription des quirats afin d'orienter l'épargne vers le transport maritime. Évoquant l'impact négligeable du régime actuel des quirats sur l'investissement maritime, il a rappelé que lui-même avait été à l'origine de plusieurs amendements visant à le rendre plus attractif. Il a souligné, par ailleurs, que la défiscalisation prévue par la loi "Pons" ne constituait pas une réponse adaptée aux besoins des armateurs français localisés en métropole.

Puis, le rapporteur a indiqué que le dispositif fiscal envisagé s'inspirait de systèmes étrangers analogues ayant fait la preuve de leur efficacité. Prenant l'exemple du dispositif allemand qui permet aux investisseurs d'imputer sur leurs revenus les pertes constatées au titre de leur investissement et prévoit un amortissement dérogatoire réduisant considérablement la durée d'amortissement des navires, M. Jacques Oudin a indiqué que ce mécanisme avait attiré 7,4 milliards de francs qui avaient permis de financer l'achat de 159 navires, soit une valeur de 20,4 milliards de francs. Il a souligné, en outre, que l'impact sur les chantiers allemands avait été très positif, ces derniers ayant bénéficié de la moitié des commandes de navires neufs.

M. Jacques Oudin a alors présenté le dispositif proposé par le projet de loi, qui a pour objectif d'encourager les personnes physiques et morales dont l'armement maritime n'est pas l'activité principale à placer leur épargne dans des parts de copropriété de navires civils de charge, en leur permettant de déduire de leurs revenus et bénéfices le montant total de leur investissement. Il a précisé que cette mesure bénéficierait tant aux navires neufs qu'aux navires d'occasion. Cette exonération, subordonnée à un agrément du ministre du budget, après avis du ministre chargé de la marine marchande, est limitée à 500.000 francs par an pour les personnes seules et à un million de francs par an pour les couples mariés. La souscription des parts devra avoir lieu avant le 31 décembre 2000 et les parts de copropriété devront être conservées par les souscripteurs pendant au moins cinq exercices fiscaux. Enfin, l'armateur responsable du projet devra détenir au moins 20 % des parts et ne pourra bénéficier de la défiscalisation.

Il a ajouté que si l'une ou l'autre des conditions qui ouvrent droit à l'exonération n'était pas remplie ou cessait de l'être, toutes les sommes antérieurement déduites seraient réintégrées dans le bénéfice ou le revenu de l'année au cours de laquelle le manquement intervenait. Toutefois, il a précisé que la condition de détention des parts de copropriété pendant cinq années à compter de la livraison du navire engageait distinctement chacun des quirataires et n'était donc sanctionnée que pour le seul quirataire vendant ses parts avant l'échéance prévue.

Citant les chiffres du Gouvernement, M. Jacques Oudin, rapporteur a estimé que le taux de rentabilité interne d'un tel investissement serait de l'ordre de 12 % pour les personnes physiques et de 8 % pour les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés. Sur la base des flux d'investissements actuels, la mesure devrait attirer vers l'investissement maritime environ la moitié des sommes nécessaires au renouvellement annuel de la flotte, soit un milliard de francs par an, ce qui correspond à une dépense fiscale d'environ 400 millions de francs pour 500 emplois maritimes créés chaque année.

M. Jacques Oudin, rapporteur a enfin insisté sur l'impact positif d'une telle mesure pour le tissu social des régions littorales qui verraient confortés des secteurs d'emplois hautement qualifiés (matériaux, électronique, mécanique), et pour notre savoir-faire en matière maritime.

Le rapporteur a ensuite présenté les grandes lignes de ses propositions d'amendements qui tendent :

- à élargir le champ d'application de la mesure à tous les navires armés au commerce et à la pêche ;

- à aménager la fiscalité existante en faveur des navires de plaisance donnés en location à des loueurs professionnels ;

- à introduire une clause expresse de pavillon français ;

- à préciser la procédure d'agrément ministériel ;

- et enfin, à rendre plus accessible le bénéfice de l'avantage fiscal pour tous les épargnants.

À l'issue de cet exposé, M. Philippe Adnot, a partagé le constat dressé par le rapporteur et a donné son approbation de principe à l'égard d'une mesure visant à redynamiser la flotte française. Toutefois, relevant que les amendements étendant le champ de la mesure étaient gagés, il s'est opposé à tout prélèvement obligatoire nouveau et a demandé une évaluation du coût des modifications proposées.

M. Yann Gaillard a observé que, en dépit de son intérêt au regard des problèmes de la marine marchande, le projet de loi allait à contre-courant des orientations fiscales actuelles qui visent à remettre en cause les "niches" fiscales. Il a par ailleurs exprimé ses craintes face aux risques de double-emploi induits par la mesure relative aux navires de plaisance exploités commercialement qui bénéficient déjà de l'avantage "Pons".

M. Jacques Oudin, rapporteur, a alors précisé que, loin d'être une niche fiscale, la mesure en faveur des quirats avait un objectif précis de développement d'un secteur économique, ce qui n'était pas le cas par exemple de l'abattement forfaitaire de 20 % en faveur des salariés.

Répondant à M. Emmanuel Hamel qui l'interrogeait sur le nombre d'emplois susceptibles d'être créés d'ici l'an 2000, M. Jacques Oudin a évalué l'impact total à plusieurs milliers d'emplois.

Après avoir signalé combien il était paradoxal de discuter d'une exonération fiscale de cette ampleur à la veille de l'audition de M. Dominique de la Martinière, dont le récent rapport préconise la disparition des "niches fiscales", M. Alain Lambert, rapporteur général, a précisé que les gages fiscaux visant à compenser le coût de certains des amendements proposés auraient un caractère formel si le Gouvernement acceptait de les lever finalement.

La commission a ensuite abordé l'examen des articles.

Elle a tout d'abord adopté un premier amendement, insérant un article additionnel avant l'article premier , ayant pour objet de rappeler les différentes catégories d'armement possibles pour un navire civil.

À l' article premier , elle a adopté pour l'article 238 bis HN du code général des impôts, un amendement tendant à étendre le champ d'application de l'exonération aux navires armés au commerce, catégorie qui inclut, outre les navires civils de charge, les navires à passagers.

M. Jacques Oudin a fait valoir que les chantiers navals français étaient particulièrement performants dans le secteur des navires à passagers et qu'il serait par conséquent dommageable de maintenir ces derniers hors du champ de la loi.

M. Jacques Oudin a ensuite souligné que les difficultés de financement de la flotte de pêche industrielle étaient comparables à celles de la flotte de commerce, dans un contexte de surcroît très encadré par les politiques communautaires.

La commission a alors adopté un amendement tendant à étendre le champ d'application de l'exonération aux navires de plus de trente mètres de long armés à la pêche.

Puis, la commission a adopté un amendement ayant pour objet de réserver le bénéfice de l'exonération fiscale aux navires battant pavillon français.

La commission a ensuite adopté un amendement ayant pour objet de garantir la sécurité des investisseurs non professionnels en posant le principe d'un engagement contractuel de l'armateur de conserver ses parts pendant la durée de cinq ans conditionnant le bénéfice de l'avantage fiscal.

La commission a, par ailleurs, adopté un amendement tendant à préciser que l'agrément ministériel ne serait donné que si le navire était acquis au prix du marché. M. Jacques Oudin a rappelé à cet égard que les ferries desservant la Corse, qui sont subventionnés au titre de la continuité territoriale, étaient particulièrement onéreux à l'achat.

La commission a adopté par ailleurs sept amendements rédactionnels pour l'article 238 bis HN du code général des impôts ainsi que le principe d'un décret d'application.

Puis elle a adopté un amendement tendant à adapter le dispositif d'exonération fiscale pour les navires de pêche artisanale. M. Jacques Oudin a précisé que les patrons-pêcheurs conserveraient la majorité de la propriété de leur navire.

À l'article 163 unvicies du code général des impôts, la commission a adopté deux amendements rédactionnels.

À l'article 217 nonies du code général des impôts, la commission a également adopté deux amendements rédactionnels.

Puis, la commission a adopté un amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article premier , dont l'objet est d'autoriser à nouveau l'imputation des déficits industriels et commerciaux non professionnels sur le revenu global pour les propriétaires de navires de plaisance donnés en location à des loueurs de navires professionnels.

M. Jacques Oudin a indiqué que le secteur de la location professionnelle de navires de plaisance constituait un débouché essentiel pour l'industrie constructrice de ces navires, pour laquelle la France détient la première place mondiale. En réponse à M. Philippe Adnot, qui a considéré que cette prééminence naturelle constituait précisément un argument pour ne pas favoriser davantage le secteur, le rapporteur a précisé que le secteur de la construction avait subi une perte de chiffre d'affaires en France métropolitaine de 30 % depuis l'entrée en vigueur de l'article 77 de la loi de finances initiale pour 1996, qui a supprimé cette possibilité d'imputation.

M. Alain Lambert, rapporteur général, relevant que cet amendement revenait partiellement sur des dispositions essentielles de la dernière loi de finances, s'est inquiété de la cohérence des positions successives de la commission.

La commission a ensuite adopté un second amendement insérant un article additionnel après l'article premier et dont l'objet est d'élargir le public d'investisseurs susceptibles de bénéficier de l'avantage fiscal, en autorisant l'acquisition de parts de copropriété de navires par l'intermédiaire de fonds communs de placement à risques.

La commission a. en outre, adopté un troisième amendement insérant un article additionnel après l'article premier et tendant à modifier l'intitulé du projet de loi, qui deviendrait "Projet de loi relatif au financement et à la propriété des navires".

La commission a enfin adopté un amendement supprimant l'article 2 du projet de loi, devenu sans objet du fait de son précédent amendement de codification.

La commission a alors approuvé l'ensemble du projet de loi ainsi amendé.

ANNEXES

I. ÉTUDE D'IMPACT DU GOUVERNEMENT

II. LETTRE D'APPROBATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

III. LE RÉGIME DES QUIRATS EN Allemagne

MINISTERE DE L'EQUIPEMENT,

DU LOGEMENT, DES TRANSPORTS, ET DU

TOURISME

ÉTUDE D'IMPACT

du projet de loi relatif à l'encouragement fiscal
en faveur de la souscription de parts de copropriété
de navires de commerce

AVANTAGES ATTENDUS

La flotte de commerce française connaît depuis 20 ans un déclin prononcé, alors même que le commerce maritime international connaît une croissance soutenue de 6 % par an en moyenne. Depuis le premier choc pétrolier, la France est passée du 8ème au 23ème rang mondial et sa marine marchande de 500 à 210 navires.

Les conditions de la concurrence sont faussées : les pays à protection et à redistribution sociales élevées sont confrontés à des pays dont les pavillons offrent des coûts d'exploitation faibles et où s'applique une fiscalité symbolique, tels que le Liberia (première flotte mondiale), le Panama, les Bahamas... Les pays européens se doivent de réagir. Certains qui appartiennent à l'Union Européenne, comme l'Allemagne, le Danemark et la Finlande ou à l'Espace économique européen comme la Norvège, l'ont déjà fait. La Commission vient elle-même de présenter aux États-membres une communication intitulée "vers une nouvelle stratégie maritime" qui procède de cette même démarche.

La mise en place dans notre pays d'une fiscalité attractive pour l'épargne investie dans les navires de commerce va dans la même voie. Elle contribuera à favoriser le renouvellement et l'augmentation de la flotte de commerce sous pavillon français et à participer ainsi au développement du transport maritime européen. Elle marque la volonté du gouvernement de refaire de sa flotte de commerce un instrument de développement de son commerce extérieur et de consolidation de sa souveraineté.

L'article 163 viciés du code général des impôts, en raison de l'avantage fiscal limité qu'il apporte, n'a pas connu d'application significative pour mobiliser un niveau d'épargne suffisant en faveur de l'investissement dans le transport maritime. Son champ d'application a essentiellement concerné le secteur de la pêche.

Seule une amélioration sensible de cet avantage fiscal permet de favoriser l'allocation de l'épargne en faveur du secteur maritime.

Cet objectif ne peut être atteint en conséquence que par la modification des articles pertinents du Code général des impôts relevant de la partie législative.

Il est donc proposé de créer un régime fiscal incitatif en faveur des personnes physiques et morales (dont l'armement n'est pas l'activité principale) qui prennent des participations financières dans des navires armés au commerce.

C'est ainsi que le dispositif envisagé permettrait aux personnes physiques de déduire, au titre de l'impôt sur le revenu, afférent à l'année de versement, les sommes investies jusqu'au 31 décembre 2000 dans la limite annuelle de 500.000 francs pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés et de 1.000.000 francs pour un couple marié.

En matière d'impôt sur les sociétés, les sommes investies seraient déduites du bénéfice imposable de l'exercice de versement.

Le dispositif fiscal permettra ainsi à un particulier d'obtenir un taux de rentabilité interne de l'ordre de 12 %, tandis que pour les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés l'effet de levier fiscal permettra d'atteindre un taux de rendement interne de l'ordre de 8 %.

De cette mesure d'allégement fiscal, on escompte qu'elle attirera vers l'investissement maritime environ la moitié des sommes nécessaires au renouvellement annuel de la flotte, soit 1 milliard de francs par an.

IMPACT SUR L'EMPLOI

La mesure fiscale envisagée s'inscrit dans la politique du Gouvernement français en faveur de l'emploi. Sont concernées ici non seulement les créations directes d'emplois liées à l'entrée en flotte de nouveaux navires (emplois de navigants et de personnel à terre) mais également tous les emplois indirects, en plus grand nombre, qui se situent en amont et en aval, que ce soit dans les armements, au niveau des infrastructures portuaires ou plus généralement dan le secteur des transports, ainsi également que dans le secteur de la construction navale.

On peut considérer que 8 navires sont concernés annuellement par la mesure. Doivent être également pris en compte les paramètres suivants :

- la flotte française se répartit par moitié entre l'immatriculation en métropole et l'immatriculation du TAAF ;

- les équipages français représentent la totalité de l'effectif des navires immatriculés en métropole et 35 % sur les navires immatriculés au TAAF ;

- un poste embarqué représente 1,8 homme.

En conséquence, on peut estimer que chaque investissement entraîne en moyenne la création de 30 emplois de navigants, auxquels il convient de rajouter au moins autant d'emplois à terre. C'est donc un total de l'ordre de 500 emplois par an qui sont en jeu.

Elle apportera dans tous ces secteurs ou l'innovation et la création sont particulièrement importantes des retombées significatives (matériaux, électronique, mécanique) génératrices de main d'oeuvre qualifiée et favorables aux exportations des entreprises maîtrisant ces technologies.

En conséquence, elle participe au renforcement du tissu social des régions littorales en y pérennisant ce secteur d'emploi.

Cette mesure peut également s'analyser comme destinée à favoriser le maintien du savoir-faire en matière maritime.

IMPACT SUR D'AUTRES INTÉRÊTS GÉNÉRAUX

La construction de nouveaux navires aura un effet positif sur l'offre de transport sous pavillon français, offrant donc aux agents économiques une alternative nationale réelle au profit du commerce extérieur français.

En effet, la France occupe le quatrième rang des pays exportateurs et importateurs et assure l'acheminement de son commerce extérieur à 50 % par le transport maritime. Cependant, l'armement français transporte directement sous pavillon national au moins 15 % des tonnages de son commerce extérieur maritime, pour le seul trafic transitant par les ports français.

En plus des incidences négatives pour l'emploi, cette situation où certains trafics de produits français sont effectués par des armements étrangers, peut fragiliser les positions commerciales elles-mêmes.

D'autre part, s'agissant de la protection de l'environnement, la mesure aura un effet direct en favorisant le remplacement d'unités âgées par des navires présentant les meilleurs standards en matière de sécurité.

INCIDENCES FINANCIÈRES

S'agissant d'un allégement fiscal, la mesure s'analyse comme une diminution des recettes de l'État au titre de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés. Les évaluations faites sur la base d'une moyenne annuelle de l'ordre de 2 milliards de francs d'investissements maritimes mentionnée ci-dessus conduisent à retenir le chiffre maximum de 400 millions de francs par an.

En outre, en offrant aux contribuables français un avantage fiscal réel et ciblé, la mesure contribuera à les dissuader de rechercher à l'étranger des produits fiscaux attractifs sans aucun effet sur l'économie nationale.

IMPACT EN TERMES DE FORMALITÉS ADMINISTRATIVES

Les entreprises et les particuliers qui souhaitent bénéficier du dispositif doivent déposer une demande d'agrément dans des conditions analogues à celles imposées au titre de l'article 238 bis HA (investissements en Outre-mer).

CONSÉQUENCES EN TERME DE COMPLEXITÉ DE L'ORDONNANCEMENT JURIDIQUE

La mesure s'analyse comme une amélioration de dispositions déjà existantes dans le code général des impôts et ne crée donc pas de normes juridiques nouvelles.

Elle ne supprime toutefois pas la norme existante qui continue de s'appliquer aux navires de pêche.

Le dispositif d'agrément qu'elle prévoit constitue pour l'investisseur la meilleure garantie de conformité à la législation fiscale du projet d'investissement qu'il souhaite réaliser. Il permet bien évidemment à l'administration, sous le contrôle du juge, d'écarter les projets dont la viabilité économique est insuffisante.

L'application aux départements d'outre-mer est de droit, la mesure proposée suivant le régime du code général des impôts.

INCIDENCES INDIRECTES ET INVOLONTAIRES

Néant.

COMMISSION EUROPENNE Bruxelles, le 03.05.1996

SG(96) D/ 4527

Objet : Aide d'État n° N 85/96 - France

Mesure fiscale relative au secteur maritime

Monsieur le Ministre,

Par lettre du 15 janvier 1996, le gouvernement français, par l'intermédiaire de sa Représentation permanente, a notifié à la Commission, conformément à l'article 93, paragraphe 3 du traité CE, une proposition visant à encourager l'investissement dans les navires. La Commission a demandé des renseignements supplémentaires au cours des réunions qui ont eu lieu les 16 février et 5 mars 1996, ainsi que par lettre du 6 mars 1996. Les autorités françaises ont répondu par notes datées des 28 février, 14 et 28 mars 1996 (reçue le 1er avril).

Le régime encourage l'investissement pour promouvoir l'immatriculation des navires sous pavillon français et l'emploi. Ceci est obtenu à l'aide d'une mesure fiscale encourageant les particuliers, comme les personnes morales à faire des placements dans les navires. Chaque contribution individuelle donne droit à une part (le quirat) dans la copropriété du navire acquis, celui-ci pouvant être neuf ou de seconde main. Les autorités françaises ont estimé qu'un total de 8 navires par an devrait passer sous pavillon français dans le cadre de ces dispositions.

Le gouvernement français a souligné que l'augmentation du nombre de navires dans la flotte française n'est pas seulement générateur d'emplois à bord, mais également, de façon plus substantielle, à terre, au sein des compagnies de navigation, des services portuaires, et, de façon générale, dans le secteur des transports.

Son Excellence

Monsieur Hervé de CHARRETTE

Ministre des Affaires étrangères

Quai d'Orsay, 37

F-75007 PARIS

Rue de la Loi 200 - B-1049 Bruxelles - Belgique - Bureau :

Téléphone ligne directe (+32-2) 29 ......standard 299.11.11 Télécopieur : 29...

Télex : COMEU B 21877 - Adresse télégraphique : COMEUR Bruxelles

A bord des navires immatriculés en France, l'équipage doit être composé entièrement de ressortissants communautaires ou de nationaux de l'EEE, sauf le capitaine qui doit être français eu égard aux fonctions publiques qu'il occupe. En ce qui concerne les navires immatriculés aux Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), le nombre de marins français ne doit pas être inférieur à 35 %.

Les autorités françaises ont estimé que chaque navire attiré de cette façon sous pavillon français assurera à bord l'emploi de 30 marins. Cette perspective de 8 navires par an signifierait environ 240 emplois supplémentaires de marins et l'emploi total, y compris les travaux à terre, pour 500 autres personnes.

Les autorités françaises soulignent l'effet que cette politique aura sur la reprise et l'augmentation de la flotte marchande sous pavillon français, et également sur le développement du transport maritime européen. La loi ne porte pas application de cette mesure aux navires de pêche, bateaux de plaisance et navires militaires.

Les navires, qui doivent présenter une durée d'exploitation potentielle d'au moins 8 ans peuvent être exploités intégralement directement par la copropriété quirataire. ou affrétés à temps ou coque nue par la copropriété quirataire à une entreprise d'armement, qui doit alors détenir 20 % de la propriété du navire. Dans tous les cas d'affrètement coque nue ou à temps par la copropriété, l'affréteur est donc tenu d'avoir une part de copropriété du navire, sans pour autant bénéficier d'un avantage fiscal, puisque l'armement est son activité principale : ceci illustre bien le fait que l'avantage fiscal mis en place est en priorité un outil d'orientation de l'épargne vers le secteur maritime, pour ceux dont ce secteur n'est pas l'activité principale. Le navire doit être détenu par la copropriété durant au moins 5 ans.

La mesure est limitée aux investissements dans les navires par des personnes physiques dont au moins la moitié doivent être des citoyens de l'Union européenne, ou, par des personnes morales qui sont enregistrées dans un des États membres et ayant un établissement permanent sur le territoire français depuis lequel le navire est contrôlé et exploité. Les autorités françaises doivent pouvoir vérifier que les personnes morales sont contrôlées au moins pour moitié par des intérêts établis en Europe.

Les personnes physiques sont autorisées à déduire de leur revenu imposable, déduction qui sera opérée au tire de l'année du versement, jusqu'à 500.000 de francs français pur une personne seule et à 1.000.000 de francs français pour un couple. Pour les personnes morales, aucun maximum n'est fixé (les investissements peuvent être déduits des bénéfices imposables) mais cela ne doit pas être utilisé pour créer des pertes commerciales. La période prévue pour l'application de la mesure porte sur les acquisitions effectuées entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 2000.

Les autorités françaises ont estimé que le maximum qui pourrait être investi dans ce cadre là serait de l'ordre de 1 milliard de francs français (155 millions d'écus) par an. En se basant sur les taux de marges bénéficiaires les plus élevées en France, et sur les attentes des autorités en fonction des sommes qui seront investies par les personnes physiques et morales, le coût maximum de cette mesure est estimé à moins de 400 millions de francs français (62 millions d'écus) par an.

L'article 92 paragraphe 1 du traité CE énonce que :

"les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions, devront, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, être incompatibles avec le marché commun."

La mesure proposée accorde un bénéfice aux personnes physiques et morales qui font des placements dans les navires, puisqu'elles peuvent réduire le total des impôts qu'elles paient, en aidant au développement de la flotte commerciale sous pavillon français. Comme ces investisseurs deviennent propriétaires de navires et/ou, opérateurs, ils peuvent être en position d'offrir le navire ou ses services à plus bas prix que les concurrents qui ne bénéficient pas de tels avantages. En d'autres termes, leur taux d'affrètement peuvent être plus bas, bénéficiant ainsi à l'exploitant du navire, ou bien ces investisseurs peuvent être directement en mesure d'offrir des prix plus bas comme exploitant du navire, ceci pouvant engendrer des distorsions de concurrence avec d'autres opérateurs.

L'article 92 paragraphe 3 point c) du traité CE prévoit une dérogation au principe d'incompatibilité des aides d'État pour :

"les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun..."

L'intérêt commun de la politique communautaire des transports maritimes est décrite dans les lignes directrices de 1989 pour l'examen des aides d'État aux compagnies maritimes communautaires 15 ( * ) . Cela comprend le maintien des navires sous pavillon communautaire, la modernisation de la flotte, la préservation de l'emploi dans la plus grande proportion possible des marins communautaires.

Les lignes directives mentionnent particulièrement l'aide à l'investissement par les compagnies maritimes de la Communauté seulement dans le mesure où les dispositions de la directive sur les aides à la construction navale doivent être respectées, en cas d'application. Dans le futur, la Commission s'assurera que l'octroi de l'aide n'est pas en conflit avec les obligations communautaires dérivant de l'accord OCDE sur l'abolition des aides à la construction navale, quand ce dernier sera en vigueur. A cet égard la Commission prend acte de l'engagement des autorités françaises à transmettre des rapports annuels sur les effets de l'application de cette mesure.

Les lignes directrices énoncent que les mesures sont compatibles avec le traite CE quand elles contribuent à la modernisation de la flotte, au maintien d'une capacité stratégique et à l'emploi d'une proportion aussi élevée que possible de marins de la Communauté, dans la mesure où ces dernières ne sont pas disproportionnées par rapport aux objectifs poursuivis, sont transparentes et de préférence dégressives et ne doivent pas contribuer à accroître ou maintenir la capacité des secteurs où elle est manifestement excédentaire.

Aux termes de ces conditions, le régime mis en place par le gouvernement français contribuera à la modernisation de la flotte sous pavillon français et permettra de maintenir une capacité stratégique, ainsi que d'encourager l'emploi des marins communautaires. Etant donné que les navires seront exploités de façon commerciale pour faire du profit, et qu'il n'y a pas de conditions liées au type de navire que les quirataires doivent acheter, le dispositif ne devrait pas conduire à des investissements dans des types de navires où une surcapacité est enregistrée. La mesure est temporaire limitée aux investissements fait avant le 31 décembre 2000 et transparente.

De plus, la Commission note que les conditions de nationalité contenues dans la loi française portant statut des navires et autres bâtiments de mer (article 3, paragraphe 2 troisième alinéa de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967, comme modifié par l'article 1 de la loi n° 96-151 du 26 février 1996) relatives à certaines personnes, associées à l'administration, gestion ou détenant une certaine partie du capital social, pourraient faire obstacle à ce qu'une société établie dans un État membre puisse s'établir sur le territoire français et exploiter un navire financé par le système du quirat. Cependant, les autorités française se sont engagées à ne pas appliquer les dispositions litigieuses de telle sorte que tout navire propriété d'une entreprise dont le siège social est situé dans un autre État membre de la Communauté européenne ou de l'EEE répondant aux conditions visées à l'article 3 paragraphe 1 ou 2 premier alinéa de la loi précitée puisse être francisé de manière à pouvoir bénéficier de régime d'aides et de procéder à une publicité adéquate de cet engagement, avant de mettre en oeuvre le système quirataire. La commission se réserve le droit de prendre toute action appropriée au cas où la législation nationale ne serait pas alignée aux obligations du traité CE.

Pour les raisons susmentionnées, cette mesure constitue une aide d'État aux termes du traité CE. Cependant sur la base de l'article 92 paragraphe 3 point c) du traité et des lignes directrices de 1989, la mesure est approuvée par la Commission.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, les assurances de ma haute considération.

Pour la Commission

Karel VAN MIERT

AGENCE FINANCIÈRE

AMBASSADE DE FRANCE

À BONN

An der Maratakapelle 3

53179 Bonn

Tél. (0228) 955 6000

CW/JM

Le 30 mai 1996

401

Monsieur le sénateur,

Par lettre du 20 mai 1996, vous avez souhaité que je réponde à quelques questions que vous me posiez sur la législation fiscale allemande applicable en matière d'investissements en navires de commerce. Le questionnaire que vous me communiquez est destiné à étayer votre rapport sur le projet de loi relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce.

Je vous prie de bien vouloir trouver ci-après ces réponses.

Question 1 : Principes du dispositif d'incitation fiscale

Le principe du dispositif d'incitation fiscale repose d'une part sur un système d'amortissements dérogatoires au droit commun (§ 51 alinéa 1 N° 2 w EStG). Les navires de commerce inscrits sur un registre maritime allemand, les navires de pêche et certains avions peuvent outre ramollissement linéaire, faire l'objet, au cours de l'exercice d'acquisition ou de construction et des quatre exercices suivants, d'amortissements dérogatoires sous réserve que ces biens ne soient pas cédés dans les huit années après leur acquisition ou construction Ces amortissements dérogatoires peuvent s'élever jusqu'à 40 % du coût d'acquisition ou de construction du bateau (30% pour les avions destinés au trafic international). La répartition des dotations à l'intérieur des cinq premières années est libre.

Le 15è rapport sur les subventions daté du 10.09.1995 et présenté au Bundesrat par le gouvernement allemand, chiffre les pertes en recettes fiscales à

- 40 Mio DM pour chacune des années 1993 et 1994

- 35 Mio DM pour chacune des années 1995 et 1996

dont environ les 2/3 concernent les navires

Ce rapport précise que ce dispositif qui existe depuis 1965 s'est avéré comme une aide financière efficace surtout par le fait qu'il permet de faire face aux disparités très fortes d'une année sur l'autre des résultats dégagés

Le second dispositif d'incitation fiscale concerne le régime fiscal applicable aux associés non indéfiniment responsables des sociétés de personnes . Selon la règle générale prévue à l'article 15 ESIG, les déficits subis par les associés non indéfiniment responsables des sociétés de personnes, ne sont imputables sur le même revenu catégoriel puis sur les autres revenus, qu'à hauteur du capital investi ; le surplus de ce déficit ne pouvant être imputé au cours des années suivantes que sur les bénéfices ultérieurs nés du même investissement.

Cette mesure restrictive a été mise en place en 1980 afin d'endiguer le développement de "sociétés d'amortissements" ou "sociétés distributrices de pertes" en tant que système d'évasion fiscale.

S'agissant toutefois des sociétés propriétaires de navires de commerc e financés à hauteur d'au moins 30 % par des capitaux propres, la part des déficits nés des amortissements dérogatoires précités est imputable, elle, à hauteur de 150 % du capital investi.

Ce régime particulier concerne en particulier les associés-commanditaires des sociétés en commandite et son coût fiscal est estimé à environ 100 Mio DM par an.

Question 2, Modifications récentes

La Part des déficits nés des amortissements dérogatoires imputable sur les autres revenus a été ramenée de 150% à 125% du capital investi à compter du 01.01.1995

Q uestion 3 : Protêts en la matière

Le projet de loi fiscale 1997 (Jahressteuergesetz 1997) arrêté par le Gouvernement le 22 mai dernier prévoit de remettre en cause le régime des amortissements dérogatoires en faveur des bateaux et des avions pour lesquels le contrat d'achat ou de construction a été délivré après le 30 avril 1996. Ces biens devront être livrés avant le 01.01.2000. Les recettes supplémentaires attendues sont chiffrées dans ce projet à :

+ 75 Mio DM pour 1997

+ 62 Mio DM pour 1998

+ 71 Mio DM pour 1999

+ 75 Mio DM pour 2000.

Dans ses motivations le Gouvernement allemand fait valoir que ce système des amortissements dérogatoires prévus initialement jusqu'à fin 1999 est remis en cause dans le cadre du plan économies.

Telles sont les réponses qu'appellent de ma part les questions de votre lettre du 20 mai 1996

Je tiens cependant à ajouter que l'impact de ces mesures pour favoriser la construction navale et le développement de la flotte de commerce n'est pas chiffrable. S'il est incontestable que le volume des placements dans des participations maritimes à travers de "sociétés de placement de capitaux par voie de publicité" ( Kapitaleinwerbungsgesellschaften ) est élevé (1,63 Mrd DM en 1994 selon le document joint en annexe), la construction navale et le développement de la flotte de commerce sont également largement favorisés par les importantes aides directes de caractère non fiscal.

En espérant que ces éléments vous seront utiles, je reste, ainsi que M. Claude WOLFF, attaché fiscal auprès de cette ambassade, à votre entière disposition pour toute information complémentaire ou pour répondre à d'autres questions que vous seriez amené à vous poser, et vous prie de croire, Monsieur le sénateur, à l'assurance de mes sentiments de haute considération.

Pierre ACHARD

Monsieur Jacques OUDIN

Sénateur de la Vendée

Commission des Finances du Sénat

SÉNAT

Palais du Luxembourg

15, rue de Vaugirard

75006 PARIS

* 1 Le mot quirat aurait désigné en orfèvrerie et en joaillerie des mesures comptées en 24ème. En effet, initialement, le nombre de parts de copropriété de navire était de 24. Aujourd'hui, il est souvent beaucoup plus important.

* 2 M. Josselin de Rohan - Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur l'avenir de la marine marchande - n° 304 (1987-1988) p. 14

* 3 JO - débats Sénat - séance du 10 décembre 1994, p. 7218 et suivantes.

* 4 JO - débats Sénat - séance du 9 décembre 1995 - p. 4167 et suivantes.

* 5 Rapport n° 16 (1995-1996).

* 6 JO n°C 271 du 7.10.1993 p. 1

* 7 M. Josselin de Rohan - Rapport d'information n° 304 du 30 juin 1988 fait au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan sur l'avenir de la marine marchande - p. 157

* 8 Du fait des règles de libre-circulation des travailleurs au sein de la Communauté, la notion d'équipages français doit être entendue comme celle d'équipages composés de ressortissants de l'Union européenne, à l'exception du capitaine et du second qui sont obligatoirement français.

* 9 MM. Bernard Ducamin. Robert Baconnier et Raoul Briet - Rapport au ministre du Budget -"Etudes des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les ménages" - p. 103 et suivantes

* 10 Conseil d'État - Rapport public 1995 - p. 493-494

* 11 Sur l'ensemble de ces développements, voir le manuel de Droit Maritime de Mme Martine Remond-Guilloud - Éditions Pédone

* 12 Directive 94/57/CE du Conseil du 22 novembre 1994 établissant des règles et normes communes concernant les organismes habilités à effectuer l'inspection et la visite des navires et les activités pertinentes des administrations maritimes.

* 13 Les SARL de l'article 239 bis AA du code général des impôts sont des sociétés formées uniquement entre personnes parentes en ligne directe ou entre frères et soeurs, ainsi que les conjoints, qui peuvent à ce titre opter pour le régime fiscal des sociétés de personnes

* 14 M. Alain Lambert - Rapport général n° 7 7 sur le projet de loi de Finances initiale pour 1996

* 15 Annexe 1 au document SEC (89) 921 final du 3 août 1989 : mesures financières et fiscales relatives à l'exploitation des navires immatriculés dans la Communauté

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