I. LE PROBLÈME JURIDIQUE DE FOND : UN COLISTIER PEUT-IL ÊTRE MEMBRE DE L'ASSOCIATION DE FINANCEMENT ÉLECTORALE OU MANDATAIRE FINANCIER DE LA LISTE ?

On sait que, dans les communes de 9.000 habitants et plus, les candidats aux élections municipales ne peuvent recueillir des dons pour le financement de leur campagne pendant l'année précédant le premier jour du mois de l'élection que par l'intermédiaire d'un mandataire nommément désigné, qui est soit une association de financement électorale, soit une personne physique dénommée le mandataire financier (article L. 52-4 du code électoral).

Or, au moment de la désignation du mandataire, c'est-à-dire un an avant l'élection, les personnes envisageant de se présenter à cette élection ne sont pas encore « candidates » au sens du code électoral, cette qualité ne s'acquérant que par le dépôt de la déclaration de candidature à partir du jour de publication de l'arrêté convoquant les électeurs.

La désignation d'un mandataire financier est donc effectuée par un « candidat potentiel », pour reprendre la terminologie utilisée par la circulaire générale du ministère de l'Intérieur du 19 mars 1990 (et régulièrement mise à jour depuis lors, dont la dernière fois le 1er février 1995) sur le financement et le plafonnement des dépenses électorales.

Avant l'intervention de la loi du 19 janvier 1995, rien n'interdisait à un candidat d'être membre de sa propre association de financement électorale.

Soucieux néanmoins d'établir une séparation nette entre, d'une part, les candidats et, d'autre part, les personnes chargées du financement de la campagne, le législateur a désormais établi une incompatibilité entre la qualité de candidat et celle de membre de l'association de financement électorale.


• Le nouvel article L. 52-5 du code électoral, tel qu'il résulte de l'article 2 de la loi du 19 janvier 1995, dispose ainsi que « le candidat ne peut être membre de sa propre association de financement électorale ».

Cette disposition, applicable à toutes les élections soumises aux règles de financement des campagnes électorales, est d'une portée claire dans le cas d'un scrutin uninominal (les élections cantonales, par exemple).

En revanche, elle a pu susciter des hésitations dans le cas d'un scrutin de liste comme les élections municipales dans les communes de 3 500 habitants et plus- notamment pour des personnes non spécialistes du droit électoral- car, formulé au singulier (« le candidat »), le texte ne fait pas explicitement ressortir si l'incompatibilité ainsi posée concerne tous les candidats de la liste ou seulement la « tête de liste », c'est-à-dire la personne qui a désigné le mandataire de la liste.

Quant à la désignation d'un colistier comme mandataire financier (personne physique), elle n'est ni interdite, ni autorisée par le code électoral, le silence des textes laissant ainsi place à des interprétations jurisprudentielles tout-à-fait imprévisibles au moment de la désignation du mandataire.

Il n'est donc pas excessif de soutenir que les candidats aux dernières élections municipales se sont trouvés dans une situation d'insécurité juridique dont ils n'étaient pas responsables, mais dont certains d'entre eux subissent aujourd'hui les conséquences.


• Ces questions se sont certes posées avant l'élection municipale et beaucoup de candidats, par prudence, ont eu raison de démissionner de leur association de financement électorale lorsqu'ils y avaient adhéré avant l'entrée en vigueur du nouvel article L. 52-5 du code électoral.

Dans une plaquette diffusée par l'Association des maires des grandes villes de France à la suite de l'audition de plusieurs représentants de la CCFP par le Bureau élargi de cette association, une recommandation très claire était d'ailleurs formulée :

« L'interdiction faite à un candidat d'être membre de sa propre association de financement électorale (article 2) ne concernera-t-elle, pour les élections municipales, que le candidat tête de liste ?

« Non, pour la Commission, il est clair que cette interdiction doit s'entendre lors d'un scrutin de liste, donc pour les élections municipales, comme s'appliquant à tous ceux qui sont candidats à l'élection : c'est-à-dire au candidat tête de liste et à tous ses colistiers ».

Encore convient-il de noter que cette mise en garde n'a pas été portée à la connaissance des communes non membres de cette association.

A contrario, certaines informations erronées ou une lecture superficielle de la circulaire du ministère de l'Intérieur a pu induire les candidats en erreur.

Par extrapolation, certains candidats ont pu croire que l'assimilation entre « candidat potentiel » et « tête de liste », valable pour la mise en oeuvre de l'article 1. 52-4 du code électoral (désignation du mandataire), valait aussi pour la mise en oeuvre de l'article L. 52-5 de ce code (incompatibilité entre la qualité de candidat et celle de mandataire).

La consultation des travaux préparatoires ne permettait pas de conclure avec certitude, au point d'ailleurs que certains tribunaux administratifs ont estimé que le législateur n'avait pas entendu édicter une prohibition aussi absolue.

Si l'on considère les avis partagés, voire contradictoires, des juridictions administratives, on mesure mieux la perplexité que pouvaient éprouver des candidats peu au fait des arcanes du droit électoral et peu familiers de la consultation des rapports parlementaires.


• Ce n'est finalement que le 7 février 1996 (plus de six mois après les municipales de 1995) que le Conseil d'État, saisi d'une demande d'avis par le Tribunal administratif de Lille, a donné une interprétation susceptible d'orienter la position des tribunaux administratifs et sa propre jurisprudence dans les affaires dont il aurait à connaître en appel.

Cet avis, publié au Journal officiel, propose la lecture la plus extensive possible de l'interdiction posée par l'article L 52-5 du code électoral. Il indique en effet que :

« Dès lors que ce candidat tête de liste est membre de sa propre association de financement électorale, il méconnaît la prohibition édictée par l'article L 52-5, mais qu'il en va de même toutes les fois qu'un autre candidat de la liste fait lui-même partie, soit de l'association de financement électorale soutenant la liste dans son ensemble, soit -lorsque la liste est soutenue par plusieurs associations de financement électorales- de sa propre association de financement (...). Dès lors (...) par candidat (...) il convient d'entendre toute personne figurant sur la liste ».

Dans la mesure où l'article L 52-5 constitue « une formalité substantielle », le Conseil d'État estime d'autre part que sa méconnaissance « entraîne le rejet du compte de campagne par la commission », le juge administratif étant « tenu de déclarer le candidat tête de liste inéligible pour un an » et, le cas échéant, d'annuler son élection ou de le déclarer démissionnaire d'office ; de surcroît, la méconnaissance de l'article L 52-5 entraîne l'inéligibilité, « non seulement du candidat tête de liste, mais de tout candidat faisant partie de sa propre association de financement électorale ».

Enfin, bien que le Conseil d'État ne l'ait pas explicitement indiqué (car il n'était pas interrogé sur ce point), il est hautement probable que la solution applicable aux colistiers membres de l'association de financement électorale vaut à l'identique pour les colistiers mandataires financiers personnes physiques.

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