II. LA SOLUTION PROPOSÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : UNE DISPOSITION INTERPRÉTATIVE RÉGLANT LES CONTENTIEUX EN COURS ET, POUR L'AVENIR, UNE INCOMPATIBILITÉ PLUS CLAIREMENT FORMULÉE

Ainsi que l'indique M. Pierre Mazeaud dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi n° 2564 rectifié, « quelle que soit l'opinion que chacun peut avoir sur cet avis (du Conseil d'État), il n'est pas question de le critiquer ».

En l'espèce, votre commission des Lois estime même que cet avis se situe dans la pure orthodoxie du droit électoral car sauf dérogation légale expresse, l'appellation « le candidat » s'y entend en principe de toute personne ayant présenté sa candidature, donc de tous les colistiers dans le cas d'un scrutin de liste.

Mais comme le relèvent nos collègues MM. Michel Mercier, Serge Mathieu, Emmanuel Hamel et René Trégouët, « c'est bien la loi du 19 janvier 1995 -dont l'imperfection est manifeste- qui est en cause, et non l'interprétation qui en a été donnée par le Conseil d'État - interprétation dont le fondement, attaché à l'idée de solidarité entre les membres d'une même liste, est solide, sinon incontestable ».

Une intervention du législateur inspirée tant par un souci d'équité que de sécurité juridique, paraît d'autant plus souhaitable que l'invalidation et l'inéligibilité menacent des maires élus démocratiquement pour une irrégularité de pure forme qui n'a en rien influencé le choix des électeurs ni altéré d'aucune sorte la sincérité du scrutin.

Elle aurait en outre le mérite de lever la suspicion qui s'attache toujours au rejet d'un compte de campagne, quel qu'en soit le motif.


• À cette fin, le texte élaboré par l'Assemblée nationale comporte une disposition interprétative aux termes de laquelle :

« Pour l'élection des conseillers municipaux dont le dépôt des candidatures a été antérieur au 5 février 1996, l'interdiction faite par l'article L 52-5 du code électoral à un candidat d'être membre de sa propre association de financement ne s'applique qu'au candidat tête de la liste. Pour la même élection, un candidat tête de liste peut avoir désigné un des membres de la liste comme mandataire financier. »

Ainsi que le mentionne le deuxième alinéa, cette disposition interprétative s'appliquerait aux instances en cours devant les juridictions administratives (y compris en appel devant le Conseil d'État). Elle ne porterait en revanche pas atteinte aux décisions juridictionnelles devenues définitives, dans l'hypothèse où des affaires déjà jugées en premier ressort n'auraient pas donné lieu à appel.

D'un point de vue pratique, la disposition interprétative proposée, sans remettre en cause l'autorité de la chose jugée, permettrait de régulariser la situation des candidats qui, si l'on s'en tient à l'interprétation du Conseil d'État, se trouvent exposés à une inéligibilité automatique d'un an que les juges devront « constater », puisqu'en ce domaine la loi ne leur reconnaît aucun pouvoir d'appréciation.

Cette formule revient en quelque sorte à rétablir une présomption de bonne foi là où l'ambiguïté ou le silence des textes a pu dans certains cas faire peser sur les candidats une présomption inverse.

Elle a de surcroît le mérite de ne pas pénaliser indûment les listes sur le plan pécuniaire car les juges, au vu du texte interprétatif, pourront constater que les comptes de campagne des intéressés n'ont pas été rejetés « à bon droit », selon l'expression consacrée par la législation en vigueur. Dans ces conditions, il n'y aura pas lieu d'appliquer la sanction financière de non remboursement forfaitaire des frais de campagne (50 % du plafond légal des dépenses électorales), telle qu'elle a été instituée par l'article 6 de la loi du 19 janvier 1995 (article L 52-11 du code électoral).


• Pour l'avenir, en revanche, il convient d'établir une règle claire, évitant que se reproduisent les difficultés et les hésitations constatées en 1995.

À cette fin, l'article 2 de la proposition de loi propose une rédaction nouvelle pour la troisième phase du premier alinéa de l'article L 52-5 du code électoral, aux termes de laquelle « le candidat ne peut être membre de l'association de financement qui le soutient ; dans le cas d'uns scrutin de liste, aucun membre de la liste ne peut être membre de l'association de financement qui soutient le candidat tête de la liste sur laquelle il figure ».

Afin de combler le silence actuel des textes en ce qui concerne les mandataires financiers personnes physiques, cet article propose également d'insérer dans l'article L 52-6 du code électoral une disposition selon laquelle « Dans le cas d'un scrutin de liste, aucun membre de la liste ne peut être le mandataire financier du candidat tête de la liste sur laquelle il figure ».

Le dispositif proposé entérine donc l'avis exprimé le 7 février 1996 par le Conseil d'État, tout en proposant d'y faire exception pour les contentieux en cours : l'interprétation pour le passé et la solution inverse retenue pour l'avenir, quelque peu paradoxales, devront être considérées comme la mise au point d'un texte à la lumière de l'expérience.

Votre commission des Lois a approuvé cet article 2 car d'un point de vue purement juridique, il s'inscrit dans le droit fil d'une interprétation constante du droit électoral où « le candidat » désigne non seulement la tête de liste mais également tous les colistiers.

D'autre part, l'incompatibilité générale qui en résulterait répond tout à fait à l'objectif du législateur de 1995, d'établir une nette séparation entre les candidats à une élection et les personnes (physiques ou morales) chargées de recueillir les fonds de la campagne.


• L'article 3 de la proposition de loi étend enfin ce dispositif aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte, où la législation relative au financement politique est applicable selon les modalités particulières prévues par la loi n° 92-556 du 25 juin 1992.

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