COMPTE RENDU DE LA REUNION DU 31 JANVIER 1996 CONSACREE A L'EXAMEN DU RAPPORT DE M. PATRICE GÉLARD SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE INSTITUANT LES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

M. Patrice Gélard, rapporteur, a tout d'abord qualifié ce projet de loi constitutionnelle d'intéressant, nouveau et complexe.

Il a indiqué qu'il correspondait à une volonté du Parlement exprimée depuis plus d'une dizaine d'années, rappelant les propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale et au Sénat sur le même sujet, notamment par M. Michel d'Ornano et M. Jacques Oudin.

Le rapporteur a constaté que la sécurité sociale n'était pas ignorée de la Constitution actuelle, puisque le préambule de la Constitution de 1946 en faisait mention et que l'article 34 de la Constitution de 1958 précisait que la loi déterminait les principes fondamentaux du droit de la sécurité sociale.

Il a toutefois relevé qu'en l'état actuel le Parlement ne pouvait pas statuer sur les grands équilibres financiers de la sécurité sociale, en dépit des attentes de l'opinion publique.

M. Patrice Gélard, rapporteur, s'est ensuite interrogé sur la pertinence du recours à une révision constitutionnelle, se demandant si une simple loi organique n'aurait pas été suffisante et si l'on n'aurait pas pu se contenter de lois de programme relatives à la sécurité sociale.

Il a cependant rappelé que la proposition de loi organique de M. Michel d'Ornano avait été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, le rapporteur a fait observer qu'il existait peu d'éléments comparables dans les Constitutions étrangères.

Il a souligné que le projet de loi constitutionnelle ouvrait au Parlement un champ d'intervention nouveau, en créant une nouvelle catégorie de loi, les lois de financement de la sécurité sociale, et en instituant une procédure d'adoption spécifique.

Tout en admettant que toutes les conséquences de cette révision constitutionnelle ne pouvaient être mesurées lors de l'examen du projet de révision, il a considéré que celui-ci obéissait à une réelle logique, accentuée par l'Assemblée nationale grâce à la transformation de la « loi d'équilibre de la sécurité sociale » en « lois de financement de la sécurité sociale » et au renforcement de l'analogie entre la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a ensuite présenté les différents articles du projet de loi.

Il a précisé que l'article premier modifiait l'article 34 de la Constitution, pour créer une nouvelle catégorie de lois, dont il a qualifié la normativité d'« aléatoire ». Il a en effet estimé que la définition du champ d'application et de la portée de ces lois était difficile et que les conséquences de ces définitions apparaissaient aléatoires.

Le rapporteur a approuvé la modification apportée par l'Assemblée nationale afin de permettre le vote de plusieurs lois de financement de la sécurité sociale, de même que, pour les lois de finances, on distingue la loi de finances de l'année et la loi de finances rectificative. Il a souligné en effet que les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses pourraient être révisés en cours d'année. Enfin il a noté que la formule « dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » était calquée sur celle existant pour les lois de finances.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a ensuite précisé que l'article 2 prévoyait que les lois de financement de la sécurité sociale seraient, comme les lois de finances, soumises en premier lieu à l'Assemblée nationale. Tout en reconnaissant qu'on pouvait regretter que le Sénat ne soit saisi qu'après l'Assemblée nationale, le rapporteur a souligné que c'était en vertu d'une tradition républicaine forte que l'Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, connaissait en premier lieu des textes de caractère financier.

Puis, le rapporteur a indiqué que l'article 3 tendait à instaurer une procédure d'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale calquée sur celle de la loi de finances, qui s'inscrivait dans la logique de l'analogie entre ces deux lois.

Au sujet du calendrier retenu pour l'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale, il a constaté que sa discussion allait interférer avec celle de la loi de finances. Il a cependant estimé que la surcharge de travail qui en résulterait pourrait être maîtrisée si l'Assemblée nationale discutait la loi de financement de la sécurité sociale à l'issue du vote sur la première partie de la loi de finances, ce qui permettrait au Sénat de l'adopter avant la loi de finances, à condition toutefois que le Parlement n'examine pas d'autres lois au cours de cette période. Il a en outre fait observer que, la loi constitutionnelle n'imposant pas de calendrier précis, il serait toujours possible d'envisager une adoption de la loi de financement de la sécurité sociale différée dans le temps par rapport à celle de la loi de finances.

S'agissant enfin de la loi organique appelée à préciser la portée de la révision constitutionnelle, le rapporteur a indiqué que l'avant-projet qui lui avait été communiqué devrait être revu en fonction des modifications apportées par l'Assemblée nationale, tout en rappelant que le garde des sceaux s'était engagé à considérer que la loi organique devait être adoptée par l'Assemblée nationale et le Sénat en des termes identiques.

En conclusion, M. Patrice Gélard, rapporteur, a proposé à la commission d'adopter sans modification le projet de loi constitutionnelle voté par l'Assemblée nationale.

A l'issue de cet exposé, M. Jacques Larché, président, a recommandé, à titre personnel, l'adoption conforme du projet de loi, compte tenu des engagements pris par le Gouvernement, s'agissant d'une part, de la procédure d'adoption de la loi organique et, d'autre part, de l'organisation du travail parlementaire entre octobre et décembre, qui devrait être une période d'« abstention législative ». Il a considéré que cette réforme répondait à une nécessité. Il a également tenu à marquer le bien fondé des modifications apportées par l'Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a tout d'abord précisé que la loi de financement de la sécurité sociale concernerait les régimes de base obligatoires soumis à l'examen de la commission des comptes de la sécurité sociale, ce qui correspondait à des montants s'élevant pour le seul régime général à 1.213 milliards de francs de dépenses et 1.153 milliards de francs de recettes, soit un ordre de grandeur comparable à celui du budget de l'État.

Il a déclaré que le Parlement pourrait ainsi examiner la validité des prévisions de recettes et de dépenses de ces régimes de base, tout en rappelant que le budget social de la Nation, regroupant l'ensemble des régime obligatoires et complémentaires, atteignait un montant total de 2.400 milliards de francs.

Au sujet du calendrier retenu pour l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale, il a estimé que l'Assemblée nationale et le Sénat pourraient trouver le temps nécessaire à cet examen, compte tenu du calendrier habituel de la discussion des lois de finances.

Enfin, M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a souligné que l'objectif de cette révision constitutionnelle était de permettre au Parlement d'apprécier la compatibilité entre les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses de la sécurité sociale, en fonction des informations apportées par le Gouvernement et les partenaires sociaux.

Il a considéré qu'il s'agissait là d'une innovation considérable qui permettrait progressivement de mieux cerner la réalité du financement de la sécurité sociale.

En conclusion, il a jugé le texte adopté par l'Assemblée nationale suffisant pour commencer à appliquer cette nouvelle procédure.

M. Robert Pagès a pour sa part estimé que le fil conducteur de la révision constitutionnelle n'avait pas été exprimé clairement. Il a en effet considéré, qu'en fait, il ne s'agissait pas de donner au Parlement un pouvoir nouveau mais de prendre en compte les critères de convergence imposés par le Traité de Maastricht et la perspective du passage à la monnaie unique.

Il a relevé le risque d'aboutir à une étatisation de la sécurité sociale et la contradiction avec le droit à la santé, affirmé par le préambule de la Constitution de 1946.

Il a par ailleurs regretté les reports successifs des élections à la sécurité sociale et la disparition progressive du pouvoir exercé par les partenaires sociaux dans ce domaine.

Il a enfin indiqué que le groupe communiste, républicain et citoyen voterait contre ce projet de révision constitutionnelle.

M. Robert Badinter, avant de faire part à la commission de ses observations juridiques sur le projet de loi constitutionnelle, a déclaré que le Gouvernement souhaitait obtenir du Sénat un vote conforme afin de respecter le calendrier de réformes annoncé devant l'opinion publique.

Il s'est ensuite interrogé sur la nature de la loi de financement de la sécurité sociale, dont il a considéré la normativité « indéterminée ».

Il a admis la nécessité d'une révision constitutionnelle, tout en soulignant qu'il convenait de limiter son contenu aux dispositions présentant un caractère indispensable.

Il a par ailleurs jugé inappropriée la formule « sous les réserves prévues par la loi organique » utilisée à l'article premier. Il a en effet souligné que cette formule, calquée sur celle déjà retenue pour les lois de finances, aboutissait à une confusion des normes puisqu'elle permettait à une loi organique d'apporter des réserves à des dispositions constitutionnelles. Il a considéré qu'il appartiendrait, en conséquence, au Conseil constitutionnel de définir le contenu des réserves qui pourraient être introduites par la loi organique. Il a donc suggéré que la Constitution se borne à renvoyer à la loi organique le soin de délimiter le seul domaine d'application des lois de financement.

A propos de la procédure d'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale, M. Robert Badinter a constaté que cette procédure avait été calquée sur celle de là loi de finances, en dépit de la différence de nature entre ces deux catégories de lois, la finalité de la loi de financement de la sécurité sociale se limitant à établir des prévisions. Il a considéré que la détermination de la procédure pourrait être renvoyée à la loi organique, ce qui permettrait de la modifier le cas échéant à l'expérience. Il a en effet regretté « l'aplatissement » de la norme constitutionnelle résultant du texte voté par l'Assemblée nationale.

En réponse à ces différents intervenants, M. Patrice Gélard, rapporteur, s'est déclaré en parfait accord avec les propos tenus par le président Jean-Pierre Fourcade, a pris acte des déclarations formulées par M. Robert Pagès et a souligné l'intérêt des problèmes juridiques soulevés par M. Robert Badinter.

Il a estimé que les lois de financement de la sécurité sociale seraient appelées à évoluer et prendraient peu à peu une importance capitale. Il a en effet déclaré que même s'il ne s'agissait pas de lois de finances, elles y ressemblaient singulièrement.

Il a par ailleurs indiqué qu'il appartiendrait à la loi organique de préciser que le domaine de la loi de financement de la sécurité sociale se limiterait aux régimes obligatoires de base étant entendu que cette limitation pourrait par la suite évoluer, et que le Conseil constitutionnel préciserait l'interprétation à donner au terme « réserves », déjà retenu par la Constitution, s'agissant du renvoi à la loi organique sur les lois de finances.

M. Robert Badinter a toutefois souhaité que l'on définisse précisément ce que recouvrait le terme « réserves ».

M. Patrice Gélard, rapporteur, a de nouveau spécifié qu'il s'agirait de la définition du domaine de la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Jean-Pierre Fourcade a déclaré qu'il n'était pas convaincu par l'argumentation de M. Robert Badinter. Il a considéré qu'il appartiendrait à la loi organique de définir le champ de la loi de financement de la sécurité sociale, à savoir la détermination des orientations générales de la politique de protection sociale et les conditions de l'équilibre financier prévisionnel des régimes de base.

M. Luc Dejoie a déclaré que compte tenu de l'analogie avec la loi de finances, il ne considérait pas anormal de calquer la rédaction du projet de loi constitutionnelle sur les dispositions de la Constitution concernant la loi de finances. En revanche, il s'est interrogé sur l'opportunité de faire figurer dans la Constitution le détail du calendrier d'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a pour sa part souligné les risques d'encombrement de l'ordre du jour des Assemblées, estimant que le Gouvernement aurait besoin de faire voter d'autres textes en même temps que la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a alors fait observer que le projet de loi constitutionnelle ne prévoyait pas à proprement parler un calendrier mais seulement des délais et ne précisait pas que les deux lois devraient être adoptées simultanément.

M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a estimé que, dans la mesure où le projet de loi prévoyait que les dispositions de la loi de financement pourraient être prises par ordonnance en cas de non-respect des délais, il importait que ceux-ci figurent dans la Constitution. Il a indiqué qu'en tout état de cause, le fond, à savoir la nécessité pour le Parlement d'examiner les comptes sociaux, l'emportait sur la procédure.

Enfin, après des observations de M. Robert Badinter, M. Jacques Larché, président, a de nouveau recommandé à la commission une adoption conforme du texte qui lui est apparu répondre à une nécessité.

La commission a alors approuvé sans modification le projet de loi constitutionnelle instituant les lois de financement de la sécurité sociale.

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