Rapport n° 188 (1995-1996) de M. Patrice GÉLARD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 31 janvier 1996

Disponible au format Acrobat (4,5 Moctets)

Tableau comparatif au format Acrobat (4,5 Moctets)

N° 188

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 janvier 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale(1) sur :

- le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, instituant les lois de financement de la sécurité sociale,

- la proposition de loi constitutionnelle de M. Jacques OUDIN, tendant à renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes des régimes obligatoires de sécurité sociale, ainsi que sur les concours de l'État à leur financement.

Par M. Patrice GÉLARD,

Sénateur.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (10ème législ.) 2455. 2489. 2490. 2493 et T.A. 453.

Sénat 180 (1995-1996) et 367 (1994-1995).

Sécurité sociale

Cette commission est composée de MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, vice-présidents ; Robert Pagès. Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Guy Leguevaquès, Paul Masson, Daniel Millaud Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois, dans sa séance du mercredi 31 janvier 1996, a examiné, sur le rapport de M. Patrice Gélard, le projet de loi constitutionnelle instituant les lois de financement de la sécurité sociale.

Le rapporteur a tout d'abord constaté l'urgence de la révision constitutionnelle, estimant qu'il n'était plus possible de laisser dériver les déficits de la sécurité sociale sans qu'à un moment donné le Parlement statue et fixe enfin des objectifs clairs.

Il a précisé que les lois de financement de la sécurité sociale constitueraient une nouvelle catégorie de lois dotées d'une « normativité aléatoire » puisque basées sur des prévisions de recettes et fixant des objectifs de dépenses.

Quant au problème du calendrier d'examen -chaque automne- par le Parlement de la loi de finances et de la loi de financement, le rapporteur a estimé que ces travaux pourraient être menés concomitamment et à la double condition du respect par le Gouvernement des délais de dépôt des deux projets et de l'examen par l'Assemblée nationale de la loi de financement entre la première et la seconde partie du projet de loi de finances.

Globalement, le rapporteur a considéré que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture répondait aux attentes et aux nécessités du moment. Il a souligné que l'essentiel du débat sur le contenu et les procédures d'examen de la loi de financement aurait lieu lors de l'élaboration de la loi organique à laquelle renvoient les articles premier et 3 du projet de révision.

Aussi, le rapporteur a-t-il conclu à l'adoption du texte de l'Assemblée nationale sans modification.

Après avoir rappelé la déclaration du Garde des Sceaux selon laquelle la loi organique devrait être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées, le président Jacques Larché a également recommandé d'adopter conforme le projet de révision.

A la suite des interventions de M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des Affaires sociales, MM. Robert Pagès, Robert Badinter, Luc Dejoie et M. Michel Dreyfus-Schmidt, la commission des Lois a décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification le projet de loi constitutionnelle.

Mesdames, Messieurs,

Le projet de révision dont le Sénat est aujourd'hui saisi -qui devrait aboutir à la dixième modification de notre Constitution depuis 1958-représente la clé de voûte de la réforme en cours de notre protection sociale, comme l'a indiqué le Premier ministre, M. Alain Juppé, dans sa déclaration au Parlement du 15 novembre 1995. Cette révision sera, pour reprendre ses termes, « l'acte fondateur qui donnera, cinquante ans après, une nouvelle légitimité à notre protection sociale » car « en démocratie, il incombe au Parlement de se prononcer le premier » .

La Constitution de 1958, rédigée à une époque où la sécurité sociale n'avait pas encore l'ampleur ni l'importance fondamentale qu'elle revêt aujourd'hui, ne permet pas au Parlement de se prononcer le premier ni, en tous cas, de se prononcer de façon globale.

À ce jour, en effet, la répartition constitutionnelle des compétences est telle que le Parlement n'intervient en matière de sécurité sociale que par la détermination de principes généraux, ou par son pouvoir budgétaire quand l'État doit instituer en faveur de la sécurité sociale une recette « entrant dans la catégorie des impositions de toute nature » -la CSG, par exemple- ou lui accorder une subvention d'équilibre.

Pour le reste, le législateur n'a pas la faculté de se prononcer par un vote sur les évolutions globales ni sur l'équilibre financier des régimes de sécurité sociale.

Ces recettes et ces dépenses atteignent pourtant aujourd'hui des montants considérables, largement supérieurs au budget de l'État lui-même.

Selon le dernier rapport des comptes de la sécurité sociale, les dépenses sociales se sont ainsi élevées à 2 207 milliards de francs en 1994, contre « seulement » 1 552 milliards pour le budget de l'État. Elles atteignaient, toujours en 1994, quasiment 30 % du produit intérieur brut.

Les recettes et les dépenses de sécurité sociale ne constituent pas des recettes ou des dépenses de l'État, certes, mais n'en sont pas moins des ressources et des charges publiques, ainsi que l'a considéré le Conseil constitutionnel.

Il est donc logique que pour la plupart de nos concitoyens, les prélèvements sociaux soient ressentis comme très similaires à des prélèvements fiscaux. Chacun est d'ailleurs accoutumé à les voir regroupés au sein d'une même catégorie comptable, les « prélèvements obligatoires ».

La création de ressources fiscalisées de la sécurité sociale, comme la contribution sociale généralisée, n'a fait que renforcer cette analogie.

Or, le Parlement, s'il a la maîtrise directe des prélèvements fiscaux, n'a pas celle des prélèvements sociaux.

Cette situation résulte pour l'essentiel des conditions historiques dans lesquelles s'est édifié notre système de protection sociale. Elle n'en demeure pas moins singulière -voire critiquable- au regard du principe selon lequel « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi... » .

Ce principe a valeur constitutionnelle, puisqu'il figure à l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il est la traduction juridique d'un principe politique qui, historiquement, a constitué un des premiers fondements des démocraties parlementaires : le libre consentement à l'impôt, en général exprimé par une assemblée émanant du peuple.

Sous l'Ancien régime, c'était les États-Généraux qui étaient consultés sur la levée d'impôts nouveaux même si, en pratique, cette consultation n'a plus été sollicitée à partir de 1614. Pourtant, ce qu'Eugène Pierre qualifie d' « invincibles difficultés d'argent » ont conduit à convoquer à nouveau les États-Généraux au 1er mai 1789.

La naissance, moins de deux mois plus tard, de la première Assemblée constituante a confirmé le lien indissoluble entre le principe ancien du libre consentement à l'impôt et le rôle du Parlement, tel qu'il s'est imposé dans la tradition constitutionnelle française.

Ce principe demeure à la base de la procédure budgétaire et il est d'ailleurs rappelé avec force chaque année en tête de la loi de finances, dans l'article autorisant pour l'exercice suivant la perception des impositions de toute nature. Au plan local, il a même trouvé une confirmation nouvelle avec le vote par les assemblées délibérantes des collectivités territoriales du taux des impositions transférées, dans les limites autorisées par la loi.

Or, en matière de sécurité sociale, le principe du libre consentement à l'impôt ne s'applique que très indirectement, faute d'une intervention spécifique de la représentation nationale.

Certes, les prélèvements sociaux ne sont pas des impôts stricto sensu, mais cette distinction purement juridique n'existait pas en 1789.

Formulé en termes modernes, le principe du libre consentement à l'impôt devrait pouvoir s'appliquer non seulement aux prélèvements fiscaux mais aussi à l'ensemble des prélèvements obligatoires, selon des modalités spécifiques.

Face aux « invincibles difficultés d'argent » auxquelles la sécurité sociale est confrontée depuis de nombreuses années, il était donc naturel que la représentation nationale soit réunie pour exercer sa fonction la plus solennelle, c'est-à-dire la révision constitutionnelle, afin de permettre au Parlement de pouvoir se prononcer à l'avenir sur le financement d'une des institutions les plus fondamentales de la solidarité nationale.

Dans cette optique, la révision constitutionnelle va au-delà d'une simple mesure tendant, parmi d'autres, à rétablir durablement l'équilibre des régimes de protection sociale.

Sur le principe, elle représente une avancée significative des droits du Parlement, donc de la démocratie dans un domaine où les représentants de la Nation ne peuvent plus -et ne doivent plus- être écartés.

Pour ce qui est de ses modalités concrètes, la réforme proposée n'est certes pas sans soulever plusieurs interrogations, d'ailleurs bien compréhensibles eu égard à son caractère novateur.

Ces questions portent à la fois sur le contenu exact de la nouvelle compétence reconnue au Parlement, sur la procédure d'élaboration des « lois de financement de la sécurité sociale » que l'Assemblée nationale a substituées à la « loi d'équilibre de la sécurité sociale » du projet initial, ainsi que sur le rôle du Sénat, quelque peu minoré dans cette procédure par rapport à celui de l'Assemblée nationale.

Tout en cherchant à y apporter des réponses aussi précises que possible, votre commission des Lois a souhaité dépasser ces interrogations.

Elle a tout d'abord constaté l'urgence de la révision constitutionnelle car il n'est plus possible de laisser dériver les déficits de la sécurité sociale sans qu'à un moment donné le Parlement statue et fixe enfin des objectifs clairs.

La crise que traverse la protection sociale va d'ailleurs au-delà d'un aspect proprement financier et est aussi imputable à la complexité et à une certaine opacité du système dans un contexte de déresponsabilisation des différents intervenants. Pour reprendre l'expression du Premier ministre, M. Alain Juppé, « la sécurité sociale qui est la responsabilité de chacun est devenue la responsabilité de personne » .

Ces problèmes ne sont pas nouveaux mais n'avaient pas trouvé jusqu'à présent de réponse satisfaisante.

A cet égard, la révision proposée, tout en représentant un progrès dans les droits du Parlement, va lever les difficultés auxquelles s'étaient heurtées les différentes propositions formulées à ce sujet depuis plus de vingt ans.

Pour faire face aux impératifs urgents du rétablissement de l'équilibre des comptes sociaux et de la définition de responsabilités claires, le projet de loi constitutionnelle dote enfin le Parlement d'un pouvoir décisionnel, celui de fixer des « objectifs de dépenses » qui encadreront l'action ou le comportement de tous les intervenants de la sécurité sociale : le Gouvernement, bien entendu, mais aussi les professionnels de la santé et les patients eux-mêmes.

En lui même, ce système consacre dans une disposition constitutionnelle le principe aujourd'hui indispensable de la modération des dépenses de la sécurité sociale.

En second lieu, votre commission a considéré que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture répondait globalement aux attentes et aux nécessités du moment. Sans apporter de modification substantielle au projet initial, l'Assemblée nationale est de surcroît parvenue à en préciser certaines dispositions.

Le texte soumis à l'examen du Sénat comporte notamment la faculté explicite d'adopter des lois de financement rectificatives qui permettraient au Parlement, si nécessaire, d'ajuster ou de réviser en cours d'année ses prévisions initiales, donc d'exercer son pouvoir d'appréciation chaque fois qu'il le faudra. D'autre part, l'Assemblée nationale a pris en compte dans le texte même de la révision les prévisions de recettes de la sécurité sociale qui, dans le projet initial, apparaissaient déjà en filigrane derrière les notions d'équilibre prévisionnel et d'objectifs de dépenses. Enfin, l'Assemblée nationale a complété certaines dispositions de procédure et prévu que la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l'application des lois de financement.

Sur tous ces points, le texte soumis à l'examen du Sénat demeure parfaitement fidèle à l'esprit du projet initial tout en atteignant un degré suffisant de précision pour des dispositions constitutionnelles qui ne gagneraient pas à être surchargées.

Pour le reste, l'essentiel du débat aura lieu au moment de l'élaboration de la loi organique à laquelle renvoient les articles premier et 3 du projet de révision.

Votre commission tient à ce propos à saluer l'effort d'information dont a fait preuve le Gouvernement en transmettant au Président de la commission des Lois un avant-projet déjà très avancé de cette loi organique.

Un des principaux mérites de la révision constitutionnelle est en effet de débloquer le verrou de procédure sur lequel avaient achoppé les précédentes tentatives, en particulier la loi organique issue de la proposition de notre regretté collègue, M. Michel D'Ornano.

Ce verrou supprimé, la loi organique donnera au Parlement la plus grande latitude pour prolonger la révision constitutionnelle et c'est donc à ce stade que devront être prises les principales options qu'autorise le texte très ouvert aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat.

Dans le cadre assez général défini par la révision constitutionnelle, il appartiendra donc au législateur organique de dessiner les contours exacts de la réforme, tant en ce qui concerne le contenu des lois de financement que le détail de leur procédure d'élaboration.

Certaines de ces dispositions auront d'ailleurs le caractère d'une « loi organique relative au Sénat » au sens de l'article 46, alinéa 4 de la Constitution et sauf disjonction de ces dispositions, l'ensemble de la loi organique devra donc être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Lors de son audition le 30 janvier 1996 par votre commission des Lois, M. Jacques Toubon, Garde des Sceaux, Ministre de la justice, a d'ailleurs fait part du sentiment du Gouvernement selon lequel l'intégralité de cette loi organique devrait bien être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

C'est donc à ce stade que le Sénat pourra utilement exercer son plein pouvoir de proposition et d'amendement.

Ce moment venu, les commissions permanentes intéressées ne manqueront sans doute pas de prendre une part active à ce débat.

Pour l'heure, votre commission des Lois ne peut que se féliciter de la confiance que lui ont témoignée M. Jean-Pierre Fourcade, Président de la commission des Affaires sociales et M. Christian Poncelet, Président de la commission des Finances, qui -contrairement à ce qui s'est fait à l'Assemblée nationale- n'ont pas jugé souhaitable de demander que le projet de révision leur soit renvoyé pour avis.

Fidèle à sa position habituelle, votre commission des Lois estime en effet préférable de ne pas compliquer outre mesure les débats en séance publique par des avis divers ou multiples.

PREMIÈRE PARTIE - LE PARLEMENT DOIT ETRE MIEUX ASSOCIE AUX DÉCISIONS INTÉRESSANT L'ÉQUILIBRE FINANCIER DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

I. LE PARLEMENT NE DISPOSE ACTUELLEMENT QUE DE COMPÉTENCES INDIRECTES DANS LA DÉTERMINATION DES CONDITIONS GÉNÉRALES DE L'ÉQUILIBRE FINANCIER DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Le partage actuel des compétences en matière de sécurité sociale, tel qu'il résulte de la Constitution, ne permet pas au Parlement de se prononcer sur l'équilibre financier des régimes.

Le législateur est en effet compétent pour déterminer des principes fondamentaux mais les mesures concrètes de mise en oeuvre de ces principes et leurs implications financières lui échappent.

Force est pourtant d'admettre que la définition des conditions de l'équilibre financier des régimes, même si elle ne constitue pas un principe fondamental au sens de l'article 34 de la Constitution, représente une décision fondamentale pour la sécurité sociale, dans la mesure où cet équilibre conditionne leur survie.

1. Le partage actuel des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire en matière de sécurité sociale


• La répartition des compétences au regard des articles 34 et 37 de la Constitution

Aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux de la sécurité sociale.

La Constitution ne définit cependant pas explicitement de ce que recouvre la notion de « principe fondamental de la sécurité sociale » , aussi est-ce le Conseil constitutionnel qui, au fil de ses décisions, a fait le départ entre les compétences du législateur et les matières relevant du pouvoir réglementaire.

Il n'est guère aisé de dégager des critères stricts à partir des très nombreuses décisions rendues à ce sujet mais comme le notait en 1987 M. Alain Lamassoure dans son remarquable rapport sur la proposition de loi organique de M. Michel d'Ornano, il apparaît que la ligne de partage entre le domaine législatif et le domaine réglementaire est tracée, en matière de sécurité sociale, sur la base de ce qu'il qualifiait 1' « importance des problèmes en cause » .

En ce qui concerne le champ de la compétence du législateur, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 6 L du 8 juillet 1960, a considéré que les principes fondamentaux de la sécurité sociale comprennent « non seulement les principes du régime général de la sécurité sociale, mais encore ceux applicables aux différents régimes particuliers de prévoyance » .

Dans le prolongement de ce considérant du principe, le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que la compétence du législateur s'étendait à la sécurité sociale agricole (décision du 8 juillet 1960), aux différentes assurances maladie, invalidité vieillesse et aux régimes de pensions, y compris ceux des activités non professionnelles (décision n°29 L du 12 mai 1964), à la couverture des accidents du travail et aux prestations familiales (décision n° 66 L du 17 décembre 1970) ou encore à la sécurité sociale dans les mines (décision n° 9 FNR du 9 juin 1977).

Quant au contenu des principes fondamentaux, il a été précisé par de nombreuses décisions traitant, selon le cas, des règles d'organisation des régimes, des cotisations, des prestations, etc...

Ainsi, la détermination des missions de la sécurité sociale constitue un principe fondamental (décision n° 4 L du 7 avril 1960), de même que la participation des salariés à la gestion des risques ou la représentation des différentes catégories sociales (décision du 7 juin 1977).

De même, en matière de prestations, c'est au législateur qu'il appartient de créer ou de supprimer une prestation de sécurité sociale (décision n° 5 L du 7 avril 1960) mais également d'en déterminer les catégories de bénéficiaires et la nature des conditions d'attribution.

En revanche, c'est au pouvoir réglementaire qu'il appartient de fixer la nature et le montant des prestations ainsi créées (décision n° 17 L du 22 décembre 1961). : « S'il y a lieu de ranger au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale ... l'existence même de ces allocations ... il appartient au pouvoir réglementaire ... d'un préciser les éléments » .

En matière de cotisations, le législateur est pareillement compétent pour définir les catégories de personnes assujetties à l'obligation de cotiser, déterminer l'assiette et les exonérations relatives à ces prélèvements ainsi que les règles de la répartition des cotisations entre les employeurs et les salariés.

Mais selon la même logique que pour les prestations, la fixation des taux de cotisations et les pourcentages de cette répartition incombent au pouvoir réglementaire.

Deux exemples permettent de bien mesurer la portée de la distinction entre les compétences du législateur et celles du pouvoir réglementaire.

Ainsi, dans le domaine des prestations, l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale (partie législative) dispose-t-il que l'assurance vieillesse garantit une pension de retraite à l'assuré qui en demande la liquidation « à partir d'un âge déterminé » .

Ce principe fondamental étant posé, c'est au pouvoir réglementaire qu'il appartient de déterminer cet âge de la retraite. C'est donc l'article R. 351-2 du code de la sécurité sociale (partie réglementaire) qui fixe cet âge à soixante ans, le pouvoir réglementaire pouvant l'abaisser ou l'élever sans aucune intervention du législateur.

A cet égard, l'expression usuelle d'âge « légal » de la retraite ne traduit qu'imparfaitement la réalité juridique car ce n'est pas la loi qui fixe l'âge en question, mais un simple règlement.

De même, en matière de cotisations, l'article L. 241-1 du code prévoit que les ressources de l'assurance maladie « sont constituées par des cotisations proportionnelles aux rémunérations ou gains des assurés » et que ces cotisations « sont à la charge des employeurs et des travailleurs salariés et assimilés » .

En revanche, les taux de ces cotisations et la répartition de la charge entre l'employeur (« la part employeur ») et les salariés sont déterminés par différents textes réglementaires, décrets ou arrêtés selon les cotisations ou les professions concernées.


L'inconvénient de cette répartition des compétences est que le Parlement ne dispose pas de pouvoir direct sur l'équilibre financier des régimes de sécurité sociale

Il résulte de répartition constitutionnelle des compétences entre les principes fondamentaux et les pouvoirs du Gouvernement qu'en pratique, le législateur n'a pas de pouvoir direct sur l'équilibre financier des régimes de sécurité sociale, car cet équilibre dépend pour l'essentiel d'un ensemble de paramètres qui échappent au domaine de la loi : les taux de cotisations, le plafond de la sécurité sociale, le montant des différentes prestations et allocations, la durée minimale de cotisation ou d'immatriculation pour pouvoir en bénéficier, l'âge de la retraite, etc...

De même, il est très difficile au Parlement d'apprécier, même de façon approximative, l'incidence financière des décisions qu'il prend, puisqu'elles s'expriment en principes généraux et non en termes quantifiés.

Ainsi que le constatait notre excellent collègue, M. Charles Descours, dans son rapport d'information du 22 avril 1994 (n° 370) au nom de la commission des Affaires sociales, « si les prérogatives actuelles du Parlement dans le domaine de la sécurité sociale ne sont pas négligeables, aucune ne lui permet actuellement d'avoir une vision d'ensemble de leur implications, en particulier financières, sur notre système de protection sociale... A l'occasion de l'examen de textes législatifs ...le Parlement est régulièrement conduit à se prononcer sur les dispositions influant directement sur le niveau de la protection sociale. Cependant, ces interventions sont parcellaires et il est très difficile d'en mesurer pleinement les conséquences, ainsi que de les relier à l'évolution globale des structures ou des comptes des régimes de sécurité sociale » .

Le législateur, en matière de sécurité sociale, est en quelque sorte dans la situation d'un architecte qui définirait le nombre et la forme des pièces d'un bâtiment, mais pas leurs dimensions respectives. Cet architecte ne serait donc pas à même d'apprécier dès le départ la superficie totale du bâtiment qu'il conçoit, ni son coût.


Pourtant, le Parlement est de plus en plus sollicité lorsqu'il devient nécessaire de remédier aux déséquilibres financiers de la sécurité sociale

Dans les faits, cependant, la ligne de partage entre les compétences du Parlement et celles du Gouvernement s'est trouvée déplacée depuis une vingtaine d'années, par suite de l'apparition de déséquilibres dans le financement de la sécurité sociale, liés notamment à l'insuffisance de ses recettes face à l'augmentation considérable de ses dépenses.

Pour y remédier, le Parlement a régulièrement été invité à adopter des dispositions législatives destinées à endiguer ces déficits, que ce soit par des mesures générales ou par le versement de subventions d'équilibre.

Ces interventions se sont le plus souvent inscrites dans le cadre des plans de redressement de la sécurité sociale qui se sont succédés à un rythme soutenu depuis 1975 (plans Durafour de 1975, Barre-Beullac de 1976, Veil de 1977 et 1978, Barrot de 1979, Questiaux de 1981, Bérégovoy de 1982 et 1983, Dufoix de 1985, Séguin de 1986, Evin de 1988, Bianco de 1991, Veil de 1993, sans compter le plan d'ensemble présenté par le Premier ministre, M. Alain Juppé, le 15 novembre 1995, qui diffère des précédents par son ampleur, sa durée et surtout son caractère structurel).

Ainsi, si les taux de cotisations et le montant des prestations demeurent bien du domaine réglementaire, force est de constater que le déficit de la sécurité sociale, par son ampleur, est tombé dans le domaine législatif.

Mais là encore, comme l'observait M. Charles Descours, « les conditions dans lesquelles le Parlement se prononce, bien souvent dictées par l'urgence, ne lui permettent pas d'appréhender les conditions générales de l'équilibre financier des régimes ».

En définitive, le Parlement est aujourd'hui directement associé au traitement des déficits de la sécurité sociale mais il n'en a pas pour autant acquis la maîtrise des éléments financiers qui génèrent ces déficits, ni même la compétence pour définir les conditions de l'équilibre.

2. La généralisation de la sécurité sociale et l'ampleur de son budget justifient que le Parlement intervienne dans la définition des conditions générales de l'équilibre financier des régimes

En vertu du principe défini à l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale, l'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale.

Originellement limitée à certaines catégories, la sécurité sociale a progressivement été étendue moyennant l'affiliation à un régime obligatoire ou, à défaut, par le rattachement à l'assurance personnelle.

Cette généralisation progressive et le développement concomitant des charges sous l'influence de différents facteurs (l'allongement de l'âge de la vie, la croissance des dépenses de santé, etc..) sont tels qu'aujourd'hui, les masses financières en cause dépassent largement le budget de l'État, atteignant, en 1994, 2 207 milliards de francs dont près de 2 000 milliards pour les régimes obligatoires, supérieures de 42 % aux dépenses de l'État.

À leur rythme actuel, les prestations croissent d'environ 70 à 80 milliards de francs par an.

Sans s'engager plus avant dans la voie des chiffres, qui excède son domaine habituel de compétence, votre commission des Lois ne peut que souscrire à un constat unanime : tant par leur fonction sociale que par leur impact économique, les décisions intéressant la sécurité sociale ont une influence profonde sur la société et impliquent tous les acteurs de la vie économique et sociale, comme l'a souligné à juste titre M. Jacques Toubon, Garde des Sceaux, ministre de la Justice.

D'autre part, la contribution de l'État et des collectivités territoriales au financement des régimes n'a cessé de se développer, notamment sous forme de subventions d'équilibre, de création d'impôts et de taxes affectées et par le basculement progressif d'une partie des cotisations maladie des salariés sur la CSG élargie. En 1994, ces apports représentaient près du quart (23,9%) des recettes hors transfert.

Cette tendance est elle-même appelée à s'amplifier durant les années à venir, puisque parallèlement à la présente révision constitutionnelle, le plan de réforme de la sécurité sociale présenté par le Premier ministre prévoit d'accroître la contribution de l'État, notamment par l'élargissement de l'assiette de la contribution sociale généralisée dans le cadre de la réforme des prélèvements obligatoires.

En dépit de toutes ces évolutions, difficilement prévisibles lors de la rédaction de notre Constitution en 1958, le rôle du Parlement en matière de sécurité sociale n'a pas été réévalué.

Sans remettre en cause le paritarisme qui constitue le socle de notre système de protection sociale, il convient donc de réaménager l'équilibre des pouvoirs entre le Gouvernement et le Parlement.

Le législateur ne doit plus être cantonné dans la simple détermination de principes fondamentaux.

En premier lieu, il doit pouvoir assigner des objectifs clairs à moyen terme et déterminer les conditions générales de l'équilibre financier prévisionnel de la sécurité sociale.

Ces objectifs et ces conditions générales constitueraient le cadre général de la politique de sécurité sociale pour la période considérée et orienteraient l'action des différents intervenants, Gouvernement et partenaires sociaux.

D'autre part, la procédure de décision doit être aménagée de telle sorte que le Parlement puisse régulièrement comparer les résultats des exercices précédents aux objectifs qu'il aura assignés.

Tels sont les objectifs généraux du projet de loi constitutionnelle, dont il reste bien entendu à mesurer la portée exacte, l'efficacité du dispositif étant liée à l'étendue réelle des compétences qui seront reconnues au Parlement.

II. LES DIFFERENTES TENTATIVES ENTREPRISES POUR ACCROITRE L'INFORMATION OU LES COMPETENCES DU PARLEMENT SUR L'EQUILIBRE FINANCIER DE LA SECURITE SOCIALE SE SONT REVELEES D'UNE EFFICACITE LIMITEE

L'idée d'assurer une information régulière du Parlement sur l'état des budgets sociaux est ancienne, la période budgétaire étant généralement considérée comme la mieux appropriée, eu égard à la nature essentiellement financière des données en cause.

Cette idée a abouti, dans les dernières années de la IVe République, à l'élaboration par le Gouvernement et à la présentation au Parlement d'un « budget social » , institué par le décret du 19 juin 1956.

Le terme de « budget » ne doit cependant pas faire illusion : le budget social n'était pas l'équivalent en matière sociale du budget de l'État car il ne regroupait que des indications parcellaires et demeurait purement informatif.

De même, informer le Parlement, non seulement de l'état des budgets sociaux, mais aussi de leur évolution prévisible à moyen terme, a très tôt été ressenti comme une nécessité.

Ainsi, au début de la Ve République, l'article 164-1 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 a reconduit le budget social en tant qu'annexe au projet de loi de finances, et a prévu que cette annexe serait assortie de perspectives pour l'année en cours et de prévisions pour l'année suivante.

La loi n° 68-698 du 32 juillet 1968 portant ratification de plusieurs ordonnances relatives à la sécurité sociale prévoyait quant à elle que le Parlement soit saisi chaque année d'un rapport retraçant l'évolution financière des différentes prestations sociales et précisant les compensations à établir et les mesures à prendre de façon à ce que l'évolution ultérieure s'inscrive dans le cadre défini par le Plan.

En pratique, toutefois, l'efficacité de ces dispositions s'est toujours révélée très limitée.

1. Faute d'une révision constitutionnelle, les différentes mesures législatives adoptées depuis 1974 ont amélioré l'information du Parlement mais n'ont pas pu reconnaître un pouvoir de décision

Depuis 1974, avec la généralisation progressive de la sécurité sociale et l'augmentation constante des masses financières en jeu, plusieurs mesures législatives ont été adoptées en vue d'améliorer l'information du Parlement -voire ses compétences- sur les budgets sociaux.

Parmi ces mesures, on peut ainsi mentionner :


La loi du 24 décembre 1974 et « l'effort social de la Nation »

La loi n° 74-1074 a prévu que le Gouvernement présente chaque année, à l'appui du projet de loi de finances, un état qui retrace, pour les trois années précédentes, l'effort social de la Nation en regroupant l'ensemble des prestations sociales et des charges qui en découlent pour l'État, les collectivités locales, les employeurs, les assurés et les contribuables.

Une annexe devait analyser les prévisions de recettes et de dépenses des régimes obligatoires de sécurité sociale pour l'année en cours et l'année suivante, y compris les aides ou compensations versées à chacun de ces régimes par l'État ou par d'autres régimes.

Ces dispositions n'ont pas eu l'efficacité qu'on en attendait car le dépôt du « jaune » sur l'effort social de la Nation est souvent intervenu après la discussion du budget du ministère des Affaires sociales. De surcroît, ce document ne comportait que les tableaux récapitulatifs, sans l'annexe consacrée aux prévisions de recettes et de dépenses.

Enfin, l'effort social de la Nation était un instrument purement informatif, ne faisant pas l'objet d'un débat ni, a fortiori, d'un vote.


L'article 2 de la loi de finances pour 1980, issu d'un amendement présenté par MM. Claude Labbé et Roger Chinaud.

Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1980 (loi n° 80-30 du 18 février 1980), l'Assemblée nationale puis le Sénat adoptèrent un amendement de MM. Claude Labbé et Roger Chinaud aux termes duquel :

« Dans le cadre des dispositions constitutionnelles, organiques et législatives en vigueur, le Parlement se prononce chaque année sur l'évolution des recettes et des dépenses constituant l'effort social de la Nation pour l'exercice budgétaire en cours, et ce à partir de 1980 » .

Cette disposition, à la différence des précédentes, dépassait le cadre purement informatif car elle tendait à ce que le Parlement « se prononce » . En d'autres termes, les deux assemblées auraient émis un vote approuvant ou rejetant les prévisions que leur aurait soumises le Gouvernement.

L'article 2 de la loi du 18 février 1980 est cependant demeuré sans suite, précisément parce qu'aucune disposition constitutionnelle, organique ou législative ne prévoit de procédure par laquelle le Parlement pourrait se prononcer sur cette matière.


L'article 135 de la loi de finances pour 1991

Selon l'article 135 de la loi de finances pour 1991 (loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990), le Gouvernement devait présenter au parlement un rapport sur la protection sociale faisant apparaître l'état et l'évolution des recettes et des dépenses des différents régimes de protection et d'aide sociale et indiquant l'assiette et le produit de la contribution sociale généralisée. Ce rapport devait faire l'objet d'un vote.

Mais là encore, cette disposition est restée lettre morte.


Le régime actuel, issu de l'article 14 de la loi du 25 juillet 1994

L'article 14 de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 (article L. 111-3 du code de la sécurité sociale) a largement modifié le système intérieur en vue d'accroître sa transparence et sa clarification.

Les débats de la loi de 1994 sont trop récents pour nécessiter un long rappel. On sait que le Gouvernement est tenu de présenter chaque année au Parlement un rapport unique relatif aux principes fondamentaux qui déterminent l'évolution des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, comportant de nombreuses indications prévisionnelles pour les trois années à venir et, en annexe, le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale.

Comme l'observe M. Daniel Mandon dans son rapport du 30 novembre 1995 (n° 2414) au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale sur le dernier projet de loi d'habilitation sur la protection sociale, la procédure instituée par la loi du 25 juillet 1994 a représenté une avancée importante sur plusieurs points, notamment « l'unicité de l'information au Parlement » , un seul rapport mettant en perspective à la fois les principes fondamentaux et des informations prévisionnelles beaucoup plus détaillées qu'auparavant.

La formule du rapport unique représente en outre une garantie pour le Parlement car comme le note M. Daniel Mandon, il serait « beaucoup plus difficile pour le Gouvernement de ne pas déposer un document unique que ne pas déposer un document parmi d'autres » .

Tant en 1994 qu'en 1995, le rapport institué par la loi de 1994 a fait l'objet d'un large débat en séance publique avant la discussion des crédits du ministère des Affaires sociales.

Pour autant, l'efficacité du nouveau régime se heurte au même obstacle qu'auparavant, car la procédure demeure simplement informative. Même assortie d'un débat, elle ne débouche pas sur un vote.

D'autre part, comme les précédentes, la loi du 25 juillet 1994 représente une injonction du Parlement au Gouvernement, lequel reste libre de s'y soumettre ou non en fournissant -ou en ne fournissant pas- les informations sollicitées.

En définitive, comme le relève l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, le silence de notre loi fondamentale ne laisse place à « aucune procédure annuelle permettant au Parlement de déterminer les conditions générales de l'équilibre de la sécurité sociale » .

Remédier à cette lacune est d'ailleurs précisément un des objectifs de la présente révision.

2. Plusieurs propositions de loi constitutionnelle ou organique présentées à l'Assemblée nationale ou au Sénat ont tenté de renforcer les compétences financières du Parlement en matière de sécurité sociale

Partant d'un constat identique, de nombreuses propositions de loi constitutionnelle ou organique ont tenté de remédier à cette situation.

Une seule d'entre elles a abouti à l'adoption définitive d'une loi organique, mais ce texte s'est finalement heurté à la censure du Conseil constitutionnel. Quant aux autres, elles sont demeurées sans suite, faute d'avoir été inscrites à l'ordre du jour.

Pour s'en tenir à quelques exemples, on peut ainsi évoquer :


La proposition de loi organique déposée à l'Assemblée nationale le 20 juin 1979 par M. Edgar Faure et un certain nombre de ses collègues, parmi lesquels on relève MM. Emmanuel Aubert, Lucien Neuwirth, Philippe Séguin, Bernard Stasi, etc...

Dans leur exposé des motifs, les signataires de cette proposition de loi organique dressaient un constat qui, dix-sept ans plus tard, conserve une parfaite actualité :

« ... Il n'est plus possible que les sommes considérables, qui concernent aussi bien sous forme de prélèvements que sous forme de prestations la quasi-totalité de la population française, restent à l'écart de tout débat public.

« En effet le budget social de la Nation, tel qu'il a été présenté pendant longtemps au Parlement en annexe de la loi de finances, n'était pas à proprement parler un budget et ne constituait qu'un document d'information ne faisant l'objet d'aucune approbation de la part des Assemblées auxquelles il était soumis...

« Or, il est évident que nos concitoyens ont le droit de même qu'ils ont la volonté d'être avertis des choix qui s'imposent en matière de protection sociale. Quant à leurs représentants ils ont le devoir de se prononcer en toute clarté sur les masses et l'évolution des dépenses de sécurité sociale. »

À cette fin, la proposition de loi organique tendait à insérer dans l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique sur les lois de finances des dispositions nouvelles aux termes desquelles les dépenses des régimes légaux de sécurité sociale, y compris les subventions, prélèvements et taxes affectées à ces régimes et figurant au budget général de l'État, auraient fait l'objet d'un vote unique après le vote sur la seconde partie de la loi de finances de l'année.


La proposition de loi organique présentée par M. Michel d'Ornano, relative au contrôle du Parlement sur les finances des régimes obligatoires de sécurité sociale, adoptée par le Parlement le 8 décembre 1987 mais déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Le 2 juin 1987, M. Michel d'Ornano, alors Président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale et plusieurs de ses collègues ont déposé une proposition de loi organique relative au contrôle du parlement sur les finances des régimes obligatoires de sécurité sociale.

Cette proposition de loi organique se fondait sur le dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution, qui prévoit que les dispositions dudit article « peuvent être précisées et complétées par une loi organique » .

En l'espèce, les signataires de la proposition de loi organique proposaient de préciser et de compléter « les dispositions de l'article 34 de la Constitution relatives à la fixation de l'assiette, du taux et des modalités de recouvrement des impositions de toute nature et aux principes fondamentaux de la sécurité sociale » , ces dispositions étant inclues dans le domaine de la loi respectivement par les sixième et dix-septième alinéas de l'article 34.

Ainsi qu'ils l'indiquaient dans l'exposé des motifs, les auteurs de cette proposition de loi organique étaient partis du principe qu'aux termes mêmes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les charges de la sécurité sociale revêtaient le caractère de charges publiques.

Dans ces conditions, il leur paraissait difficile de continuer à distinguer « des recettes publiques votées par les élus, à savoir les impôts d'État et les impôts locaux, et des recettes publiques déterminées par voie réglementaire (les prélèvements sociaux) » d'autant que l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 reconnaît à tous les citoyens le droit « de constater, par eux-mêmes ou leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée » .

D'autre part, les auteurs de la proposition de loi organique constataient les limites des nouvelles procédures de débat parlementaire instituées à la suite des déclarations de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, le 8 juillet 1981 (« chaque année, le Parlement débattra de la progression des recettes et des dépenses de la sécurité sociale » ) et du 6 avril 1983 (« Désormais, les représentants de la Nation examineront chaque année l'évolution des dépenses et des recettes des différents régimes au vu d'un rapport ... et discuteront au cours de la session de printemps, c'est-à-dire avant le vote du budget, de la contribution de l'État aux régimes sociaux » ).

En fait, ces procédures demeuraient suspendues à la bonne volonté du Gouvernement (il n'y eut pas de débat en 1985) et, surtout, ne pouvaient se conclure par un vote et demeuraient dépourvus de sanction juridique.

Aussi les auteurs de la proposition de loi organique proposaient-ils d'institutionnaliser l'intervention du Parlement « en lui donnant un caractère normatif ».

À cette fin, ils préconisaient qu'une « loi sur les finances sociales » autorise chaque année la perception des cotisations des régimes obligatoires de base et fixe le montant des dotations nécessaires pour faire face aux prestations dues par ces régimes. Cette loi aurait enfin arrêté « les données générales de l'équilibre financier » de chacun de ces régimes, les recettes et les charges devant être présentées en équilibre sans recours à l'emprunt, à des avances du Trésor ou à d'autres ressources temporaires.

Le projet de loi sur les finances sociales aurait été déposé au plus tard le 30 septembre de l'année précédant celle où elle se serait appliquée et aurait été régie par des règles de procédure directement inspirées de celles applicables aux lois de finances (interdiction des « cavaliers », irrecevabilité des amendements d'origine parlementaire n'ayant pas pour objet de réduire une charge ou à accroître les recettes, etc.).

La proposition de loi organique de M. Michel d'Ornano fut inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale en même temps qu'un projet de loi portant diverses mesures relatives au financement de la sécurité sociale, défendu par M. Philippe Séguin, alors ministre des Affaires sociales et de l'emploi. Discutée les 18 et 19 juin 1987, la proposition de loi organique fut adoptée avec modification et transmise au Sénat qui l'examina en séance publique le 8 décembre 1987 sur le rapport de M. Hubert Haenel au nom de la commission des Lois et de M. Charles Descours, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales.

Le texte, tel qu'il avait été modifié par l'Assemblée nationale et adopté définitivement par le Sénat, différait peu de la proposition de loi organique originelle, et comportait deux articles :

- l'article premier précisait et complétait les dispositions de l'article 34 de la Constitution en prévoyant que le Parlement soit saisi chaque année d'un projet de loi sur les finances sociales portant approbation d'un rapport sur les comptes prévisionnels des régimes obligatoires de base ;

- l'article 2 disposait que ce projet de loi aurait été déposé au plus tard le 30 septembre mais seulement, pour la première fois, après que le Conseil économique et social eut rendu son avis sur les conclusions d'une consultation menée à l'époque, dite « états généraux de la sécurité sociale » .

En application de l'article 61, alinéa premier de la Constitution, cette loi organique fut soumise au Conseil constitutionnel. Dans une décision très concise (un seul considérant) n° 87-234 DC du 7 janvier 1988, le Conseil la déclara non conforme à la Constitution, au motif « que ces dispositions n'ont pas pour objet la détermination des matières qui sont du domaine de la loi mais qu'elles sont afférentes à la procédure législative ; qu'elles échappent donc à la compétence ouverte à la loi organique » par le dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution.

Cette décision a fait l'objet de commentaires partagés. Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel y a opposé deux éléments bien distincts :

- d'une part le contenu même de la compétence attribuée au législateur par l'article 34 de la Constitution (le « domaine législatif » ; en l'espèce, il s'agit de la détermination des principes fondamentaux de la sécurité sociale) ;

On déduit de la décision du Conseil constitutionnel que ce serait uniquement ce contenu qui pourrait être précisé et complété par une loi organique.

- d'autre part, les règles de procédure par lesquelles le législateur exerce sa compétence législative.

Pour le Conseil constitutionnel, ces règles de procédure échappent à la loi organique dans la mesure où elles sont régies par la Constitution elle-même.

Il est vrai qu'en dehors du cas particulier des lois de finances, les articles de la Constitution organisant la procédure législative (dépôt des projets de loi, modalités de discussion, etc..) ne prévoient aucune intervention de la loi organique.

Dans cette optique, l'approbation annuelle des comptes prévisionnels des régimes obligatoires de base par le vote d'un projet de loi déposé au plus tard le 30 septembre n'a pas été considérée par le Conseil constitutionnel comme un principe fondamental de la sécurité sociale mais comme une simple règle de procédure n'entrant pas dans le domaine de la loi organique.

D'où la nécessité, pour institutionnaliser une procédure équivalente, de l'inscrire dans la Constitution elle-même.


La proposition de loi constitutionnelle n° 190 présentée le 23 décembre 1992 par M. Jacques Oudin, tendant à réaffirmer les principes démocratiques devant présider au contrôle de l'effort social de la Nation.

Le 23 décembre 1992, M. Jacques Oudin a déposé sur le Bureau du Sénat une proposition de loi constitutionnelle où il jugeait « indispensable de réaffirmer solennellement les principes démocratiques devant présider au contrôle de l'effort social de la Nation » .

L'exposé des motifs de cette proposition de loi constitutionnelle dresse un constat très analogue à celui de la proposition de loi organique déposée cinq ans auparavant par M. Michel d'Ornano.

M. Jacques Oudin y constate en effet :

- le pouvoir constitutionnel limité du Parlement en matière de sécurité sociale, du fait que le législateur détermine des principes fondamentaux, certes, mais n'en détermine pas « certains paramètres fondamentaux » , notamment les taux de cotisations et le montant des prestations, qui incombent au pouvoir réglementaire ;

- l'inefficacité des dispositions légales relatives à l'information du Parlement en matière de sécurité sociale, les différentes mesures instituées à cet effet demeurent pour l'essentiel inappliquées.

Aussi M. Jacques Oudin proposait-il d'introduire dans la Constitution un nouveau titre, « de l'effort social de la Nation » dont un des articles disposait que « le peuple français assure, par l'intermédiaire de ses représentants élus, le contrôle des différents régimes et institutions concourant à l'effort social de la Nation » .

À cette fin, la proposition de loi constitutionnelle prévoyait que les recettes et les dépenses de ces régimes et institutions seraient présentées chaque année au Parlement.

Le dispositif proposé par M. Jacques Oudin différait cependant de celui proposé par M. Michel d'Ornano, car il ne comportait pas le vote d'une loi.

La présentation de l'effort social de la Nation aurait en effet pris la forme d'un rapport du Gouvernement, donnant lieu à un débat organisé à l'Assemblée nationale et au Sénat au cours des trente premiers jours de la première session ordinaire (donc au cours du mois d'octobre de chaque année).


La proposition formulée le 15 février 1993 par le comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le doyen Georges Vedel.

Dans ses « propositions de révision de la Constitution » formulée le 30 novembre 1992 et soumises au « comité Vedel » institué par le décret n° 93-1247 du 2 décembre 1992, M. François Mitterrand avait avancé l'idée d'« étendre le domaine de la loi prévu par l'article 34 de la Constitution pour permettre au Parlement de se prononcer sur le budget social de la Nation et lui donner toute compétence sur le taux des cotisations et le montant des prestations des régimes de sécurité sociale » .

Cette proposition, si elle avait été suivie, aurait profondément modifié le partage actuel des compétences entre le législateur et le Gouvernement en matière de sécurité sociale, car le Parlement n'aurait plus simplement déterminé des principes généraux mais aurait fixé lui-même les taux de cotisations et le montant des prestations.

Dans ses conclusions remises au Président de la République le 15 février 1993, le « comité Vedel » s'en tiendra toutefois à une formule plus timide ne remettant pas en cause le partage des compétences et qui n'est pas sans analogie avec le projet de loi constitutionnelle dont le Parlement est aujourd'hui saisi.

Trois arguments lui paraissaient en effet s'opposer à ce que le Parlement exerce lui-même une compétence décisionnelle directe en matière de recettes et de dépenses de la sécurité sociale :

- La structure des recettes et des dépenses ne laisse qu'une place minoritaire au financement par l'État et ne pourrait être profondément modifiée que par une refonte d'ensemble du système française de sécurité sociale, dont l'ampleur excéderait très largement une révision constitutionnelle somme toute ponctuelle.

Dans ces conditions, le « comité Vedel » ne jugeait pas possible « d'envisager le vote par le Parlement d'une véritable loi de finances sociales, analogue par sa portée juridique à celle qui concerne le budget de l'État » , la nature des ressources et des dépenses de sécurité ne permettant « ni de subordonner leur perception ou leur versement à une autorisation parlementaire ni d'appliquer un principe d'équilibre » ;

- Donner au Parlement l'entière compétence en matière de cotisations et de prestations « conduirait le Parlement à voter un très grand nombre de mesures techniques et fragmentaires qui ne contribueraient pas elles-mêmes à améliorer ni son information sur les problèmes généraux de maîtrise des dépenses et des prélèvements sociaux ni son pouvoir d'orientation de la politique du Gouvernement en la matière » ;

- Une telle réforme romprait l'équilibre qui s'est établi dans la gestion de la sécurité sociale entre les pouvoirs du législateur, ceux du Gouvernement et ceux des partenaires sociaux, en transférant au pouvoir politique l'essentiel des décisions alors que d'autres évolutions étaient à l'époque évoquées pour la gestion de certaines branches de la sécurité sociale.

- Aussi le « comité Vedel » a-t-il proposé d'insérer dans la Constitution un article 47-1 aux termes duquel :

« Le Gouvernement présente chaque année au Parlement un rapport sur les comptes prévisionnels des régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

« Au vu de ce rapport le Parlement délibère sur les objectifs de ces régimes, les conditions de leur équilibre financier et sur les ressources provenant d'une part du budget général et d'autre part des contributions fiscales affectées qui seront consacrées à leur financement.

« Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »


Le projet de loi constitutionnelle n° 232 présenté au Sénat le 11 mars 1993 au nom de M. François Mitterrand, Président de la République, par M. Pierre Bérégovoy, Premier ministre, et M. Michel Vauzelle, Garde des Sceaux, ministre de la Justice.

On se souvient que la plupart des propositions formulées par le « Comité Vedel » ont été reprises dans le projet de loi constitutionnelle n° 232 présenté au Sénat quelques jours plus tard.

Pour ce qui est de la sécurité sociale, toutefois, l'article 20 de ce projet de loi constitutionnel diffère quelque peu de la proposition évoquée ci-dessus, même si l'exposé des motifs précise qu'elle a été « reprise dans son esprit » . Cet article propose en effet d'insérer dans la Constitution un nouvel article 47-1 aux termes duquel :

« Le Gouvernement présente chaque année au Parlement un rapport sur les comptes prévisionnels de la sécurité sociale. Ce rapport définit les objectifs des régimes de sécurité sociale et les conditions de leur équilibre.

« Ce rapport donne lieu à un débat » .

On note que cette formule aurait limité l'intervention du Parlement à un simple débat, alors que la proposition du « Comité Vedel » instituait une délibération.

Quoi qu'il en soit, ce projet de loi constitutionnelle n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour du Sénat.


La proposition de loi organique déposée le 27 avril 1994 par MM. Charles Descours, Jean-Pierre Fourcade et plusieurs de nos collègues à la suite du rapport d'information de M. Charles Descours au nom de la commission des Affaires sociales du Sénat sur l'avenir de la protection sociale et la place du Parlement dans sa définition.

Le rapport d'information de M. Charles Descours sur l'avenir de la protection sociale et la place du Parlement dans sa définition (n° 370 du 22 avril 1994), cité à plusieurs reprises dans le présent rapport, constatait que toutes les tentatives entreprises pour renforcer le rôle du Parlement étaient restées lettre morte, la loi organique issue de la proposition de loi de M. Michel d'Ornano s'étant quant à elle heurtée à la censure du Conseil constitutionnel.

Aussi la commission des Affaires sociales a-t-elle souhaité « aller plus loin » grâce au dépôt d'une proposition de loi organique destinée à institutionnaliser l'examen annuel et un projet de loi relatif à la sécurité sociale.

En l'espèce, le texte retenu par la commission avait été conçu pour s'harmoniser avec le projet de loi simple dont a résulté la loi du 25 juillet 1994, précitée.

Cette démarche a abouti au dépôt le 27 avril 1994 d'une proposition de loi organique n° 383, présentée par M. Charles Descours, M. Jean-Pierre Fourcade et trente-trois cosignataires, la plupart membres de la commission des Affaires sociales.

Selon cette proposition de loi organique, le Parlement serait saisi chaque année d'un projet de loi relatif à la sécurité sociale déterminant les conditions de l'équilibre financier annuel des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, compte tenu des objectifs qu'il définit.

Soucieux de ne pas cantonner l'intervention du Parlement dans un domaine trop strictement financier, les auteurs de la proposition de loi organique ont également prévu que la loi annuelle sur la sécurité sociale puisse contenir « toutes dispositions relatives à la protection sanitaire et sociale ou destinées à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur celle-ci » .

Les articles 2 à 6 de la proposition de loi organique énumèrent quant à eux de façon très détaillée le contenu du projet de loi, portant principalement sur :

- des objectifs quantifiés d'évolution des dépenses,

- les conditions de mise en oeuvre des instruments destinés à permettre la réalisation de ces objectifs,

- le produit des cotisations sociales tel qu'il résulte des taux prévus par voie réglementaire,

- le montant des contributions budgétaires et fiscales de l'État résultant de la loi de finances,

- les mouvements de compensation entre les régimes,

- les prestations versées aux assurés,

- les dépenses d'action sanitaire et sociale,

- les frais financiers et de gestion administrative.

La loi comporterait deux parties, à l'instar de la loi de finances.

La première partie présenterait les ressources des régimes obligatoires de base et les voies et moyens assurant l'équilibre financier compte tenu des objectifs définis et des résultats définitifs de l'exercice précédent tels que décrits dans une annexe soumise au vote du Parlement.

La seconde partie comporterait des mesures diverses comme le champ d'application des régimes de sécurité sociale, les principes relatifs aux prestations et aux cotisations (création, assiette et cas d'exonération), les compétences des organismes de sécurité sociale et de leurs conseils d'administration, les principes et les conditions d'exercice de la tutelle de l'État, etc...

Le projet de loi relatif à la sécurité sociale aurait enfin été accompagné de sept annexes ou rapports explicatifs dont deux « décrivant et motivant » les comptes prévisionnels pour l'année considérée et présentant des projections pour les deux années suivantes.

Ainsi que le soulignaient les auteurs de cette proposition de loi organique ambitieuse, « notre système de sécurité sociale est en train de se transformer. Le Parlement doit se prononcer sur les mutations en cours ou à venir conformément aux compétences que lui reconnaît la Constitution. Il est indispensable que le pays se fixe des objectifs à moyen ou à long terme avec une vision d'ensemble pour sortir de cette gestion à vue qui, notamment en matière d'assurance maladie, conduit à des gaspillages et à des inégalités » .


La proposition de loi constitutionnelle n° 367 présentée le 12 juillet 1995 par M. Jacques Oudin tendant à renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes des régimes obligatoires de sécurité sociale, ainsi que sur les concours de l'État à leur financement.

Dans sa seconde proposition de loi constitutionnelle, M. Jacques Oudin estime à nouveau nécessaire « de réaffirmer solennellement la vocation du peuple français à exercer, par l'intermédiaire de ses représentants élus, le contrôle des régimes obligatoires de sécurité sociale » .

Il relève que l'information du Parlement en matière de finances sociales a certes été considérablement améliorée par la loi du 25 juillet 1994 mais estime souhaitable d'aller au-delà de cette disposition de valeur simplement législative et « d'inscrire directement dans la Constitution le principe d'un débat parlementaire annuel sur les comptes de la sécurité sociale » .

À cette fin, s'inspirant pour l'essentiel de la proposition du « comité Vedel » -comme il l'indique lui-même dans l'exposé des motifs- M. Jacques Oudin propose que le Gouvernement présente au Parlement avant l'adoption définitive de la loi de finances de l'année un rapport sur les comptes prévisionnels des régimes obligatoires de la sécurité sociale, dans les conditions fixées par une loi organique.

Au vu de ce rapport, le Parlement délibérerait sur les objectifs de ces régimes, les conditions de leur équilibre financier et sur les ressources consacrées à leur financement provenant du budget de l'État et de contributions affectées.

À la différence du « comité Vedel » , toutefois, M. Jacques Oudin juge souhaitable d'inclure dans cette réforme les comptes prévisionnels de tous les régimes obligatoires de sécurité sociale, et non pas les seuls régimes de base. Mais surtout, il établit nettement le lien entre la délibération parlementaire sur la sécurité sociale et la discussion budgétaire, le rapport du Gouvernement sur les comptes prévisionnels devant être présenté au Parlement avant l'adoption définitive de la loi de finances. De cette sorte, le Parlement pourrait se prononcer « en parfaite connaissance de cause sur les concours financiers de l'État aux régimes de sécurité sociale » .

Cette proposition de loi constitutionnelle n'a pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat. Votre rapporteur tient cependant à associer à sa réflexion notre excellent collègue, M. Pierre Fauchon qui, en son temps, en avait été désigné rapporteur par votre commission des Lois.

DEUXIÈME PARTIE - LA RÉPONSE PROPOSÉE PAR LE PROJET DE RÉVISION TEL QUE MODIFIE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : LA CRÉATION DE LOIS DE FINANCEMENT DE LA SECURITE SOCIALE DISCUTÉES SELON UNE PROCÉDURE PARTICULIÈRE

Pour permettre au Parlement de se prononcer chaque année sur les conditions générales de l'équilibre financier prévisionnel de la sécurité sociale, le texte initial du projet de révision constitutionnelle proposait la création d'une nouvelle catégorie de loi -la loi d'équilibre de la sécurité sociale- et fixait certaines règles de procédure (essentiellement de délais) applicables à cette nouvelle catégorie.

La loi d'équilibre de la sécurité sociale déterminerait les conditions générales de l'équilibre financier prévisionnel de la sécurité sociale et fixerait, en fonction de celles-ci, les objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.

En première lecture, l'Assemblée nationale a modifié sur deux points importants la rédaction initiale du projet de loi constitutionnelle.


L'article premier vise désormais « les lois de financement de la sécurité sociale » et non plus « la loi d'équilibre de la sécurité sociale » .

En elle-même, la substitution des termes « loi de financement » aux termes « loi d'équilibre » est d'ordre avant tout rédactionnel, comme l'a reconnu M. Pierre Mazeaud, Président de la commission des Lois de l'Assemblée nationale et rapporteur du projet de révision. L'emploi du pluriel (« les lois de financement » ) à la place du singulier (« la loi d'équilibre » ) ouvre de façon explicite la possibilité de discuter, s'il y a lieu, de lois de financement rectificatives.


Les lois de financement ne traiteraient plus seulement des conditions générales de l'équilibre et des objectifs de dépenses mais aussi des « prévisions de recettes » qui apparaissaient déjà en filigrane dans le texte initial du projet de loi constitutionnelle. L'appellation « lois de financement » participe d'ailleurs aussi du même souci car comme l'a justement noté le Garde des Sceaux, elle « met l'accent sur les ressources de la sécurité sociale » .

I. LA REFORME PROPOSÉE IMPOSAIT-ELLE ABSOLUMENT UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE ?

L'article premier du projet de révision n'étend pas à proprement parler le domaine de l'article 34. Il se contente de préciser et de regrouper dans une catégorie particulière de loi le contenu de la compétence du législateur en matière d'équilibre financier de la sécurité sociale.

Cette réforme aurait sans aucun doute pu être réalisée par la voie d'une simple loi organique, ainsi que l'autorise le dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution :

« Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique » .

Car le nouvel alinéa inséré dans l'article 34 de la Constitution par l'article premier du projet de révision n'introduit bien qu'un complément ou une précision à cet article.

Mais si l'on veut fixer des règles particulières d'examen des lois de financement de la sécurité sociale -en l'occurrence, des délais particuliers une révision devient inévitable, la procédure législative échappant au domaine de la loi organique ainsi que l'a considéré le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 janvier 1988 sur la loi organique issue de la proposition de loi de M. Michel d'Ornano.

Au cas présent, l'institution d'une procédure particulière est-elle réellement opportune ?

Où, tout au moins, n'est-elle pas quelque peu prématurée ?

Cette question mérite d'être posée dans la mesure où le contenu même des lois de financement n'est pas explicitement défini dans le projet de révision et que la nécessité de délais stricts d'adoption de ce type de loi n'est pas réellement établie, d'autant qu'on ne sait pas exactement le moment où elle sera discutée.

On se trouve donc devant une double incertitude qui aurait pu inciter à ne pas surcharger le texte de la Constitution.

Du point de vue juridique, la démarche proposée ne soulève certes aucune difficulté car le Constituant a la plénitude d'appréciation des matières qu'il entend inscrire dans la Constitution et sur la manière dont il entend articuler les dispositions nouvelles avec les dispositions préexistantes. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs clairement rappelé dans sa décision n° 312 DC du 2 septembre 1992 que « le constituant est souverain ; il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée » .

Pour autant, il aurait peut-être été préférable de faire l'économie d'une nouvelle révision constitutionnelle -la cinquième en moins de quatre ans- et de ne pas instituer dès le départ des procédures complexes.

De cette sorte, la réforme proposée aurait pu passer par la voie beaucoup plus simple d'une loi organique.

En outre, faire figurer dès à présent dans la Constitution le contenu et la procédure d'examen des lois de financement de la sécurité sociale présente un inconvénient non négligeable : celui de figer pour un temps indéterminé le dispositif, car s'il se révèle nécessaire de le modifier après quelques temps de mise en oeuvre, une révision constitutionnelle sera à nouveau indispensable.

Là encore, l'institution par une loi organique de lois de financement discutées selon la procédure législative ordinaire aurait ménagé un élément appréciable de souplesse, tout en prévenant le risque de révisions à répétition qui, à la longue, pourraient finir par altérer la nécessaire stabilité de notre loi fondamentale.

Mais à partir du moment où le Gouvernement a jugé nécessaire de prévoir des dispositions particulières de procédure, il s'est fermé la voie de la loi organique.

Cette fermeture est cependant toute relative car la révision constitutionnelle va résoudre du même coup tous les problèmes de procédure auxquels les précédentes tentatives se sont heurtées, notamment celle de M. Michel d'Omano.

Une fois débloqué le « verrou » de la procédure, le Parlement retrouve en effet une pleine marge de manoeuvre pour compléter ou préciser par la voie organique les dispositions de l'article 34 de la Constitution relatives à la sécurité sociale.

Dans cette optique, les lois de financement de la sécurité sociale deviendront un instrument constitutionnel dont le législateur organique aura toute latitude pour préciser l'usage.

II. LA CRÉATION D'UNE NOUVELLE CATÉGORIE DE LOIS : LES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

1. Le rappel des catégories législatives prévues par la Constitution de 1958

La Constitution de la Vème République distingue trois catégories de lois : les lois constitutionnelles, régies par l'article 89 de la Constitution, les lois organiques (article 46) et les lois communément qualifiées « lois simples » ou « lois ordinaires » qui, pour l'essentiel, relèvent de l'article 34 de la Constitution.

Au sein de la catégorie des lois simples, les deux avant-derniers alinéas de l'article 34 établissent deux sous-catégories particulières :

- les lois de finances, qui déterminent les ressources et les charges de l'État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ;

- les lois de programme, qui interviennent notamment pour déterminer les objectifs de l'action économique et sociale de l'État.

L'article premier du projet de loi constitutionnelle propose d'insérer dans l'article 34 de la Constitution un alinéa créant une nouvelle catégorie de lois simples, dites « lois de financement de la sécurité sociale » , dont il indique le contenu : la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale et la fixation, compte tenu de leurs prévisions de recettes, des objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.

Si la procédure législative est, dans ses grandes lignes, régie par les articles 39 à 45 de la Constitution, on relève que la procédure d'examen des lois de finances fait l'objet de dispositions particulières prévues par la Constitution elle-même (article 47) et par une loi organique (l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances).

Comme dans le cas des lois de finances, une procédure particulière d'examen des lois de financement de la sécurité sociale serait introduite dans la Constitution par les articles 2 et 3 du projet de révision.

Ce rappel conduit à examiner successivement le contenu même des lois de financement de la sécurité sociale puis la procédure particulière proposée pour leur examen.

2. Un nouveau type de lois : les lois de financement, qui permettront au Parlement de se prononcer sur certains aspects proprement financiers du fonctionnement de la sécurité sociale

Selon l'article premier du projet de loi constitutionnelle, les lois de financement détermineront « les conditions générales de l'équilibre financier » de la sécurité sociale et fixeront « compte tenu de leurs prévisions de recettes » « des objectifs de dépenses » , dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.

On note que d'un point de vue strictement juridique, cette loi organique ne sera pas « relative au Sénat » au sens de l'article 46, alinéa 4, de la Constitution, contrairement à la seconde loi organique prévue à l'article 3 du projet de révision. Mais le Gouvernement a clairement annoncé son intention de réunir toutes les dispositions organiques d'application de la présente révision dans un seul texte et d'en organiser l'examen de telle sorte que l'intégralité de la loi organique soit votée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

Pour évaluer aussi précisément que possible le contenu des lois de financement, c'est-à-dire l'objet du vote du Parlement, il convient de s'interroger sur les différentes notions auxquelles se réfère cet article : que recouvrent les termes de « sécurité sociale » ? Que représentent des « prévisions de recettes » , des « objectifs de dépenses » ? etc...


Le problème du champ des lois de financement

Déterminer les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale conduit en premier lieu à circonscrire le « périmètre » de la sécurité sociale.

En fait, il semble qu'un élément de réponse puisse être déduit du texte actuel de l'article 34 de la Constitution. La « sécurité sociale » y est déjà visée sans être délimitée ; il est seulement prévu que la loi en détermine les principes fondamentaux.

Ainsi qu'il a été constaté dans la première partie du présent rapport, le Conseil constitutionnel a retenu une conception extensive du domaine d'intervention du législateur, incluant en particulier dans la « sécurité sociale » non seulement le régime général mais encore les différents régimes particuliers de prévoyance (décision du 8 juillet 1960, précitée). De même range-t-il sous ces termes, la sécurité sociale agricole, les assurances sociales et le régime des pensions des professions non salariées, les prestations familiales, la couverture des accidents du travail, etc...

En l'absence d'une autre définition proposée par le projet de révision, il faudrait en déduire que la « sécurité sociale » concernée par les lois de financement couvrirait le même champ que la sécurité sociale au sens de l'actuel article 34 de la Constitution.

Les lois de financement détermineraient donc les conditions générales de l'équilibre financier prévisionnel de l'ensemble des régimes dont les principes fondamentaux sont du domaine législatif.

Dans cette interprétation extensive, le projet de révision irait au-delà de certaines des propositions antérieurement formulées en vue d'accroître le rôle du Parlement en matière de sécurité sociale, comme par exemple la loi organique issue de la proposition de loi de M. Michel d'Ornano. Celle-ci ne concernait en effet que les régimes obligatoires de base de sécurité sociale visés par le code de la sécurité sociale ou le code rural (la mutualité sociale agricole).

Pour autant, les débats de l'Assemblée nationale et les indications recueillies par votre rapporteur, confirmées par le Garde des Sceaux lors de son audition le mardi 30 janvier 1996, établissent sans aucune ambiguïté que pour le Gouvernement, les lois de financement ne concerneront que les régimes obligatoires de base (et non les régimes complémentaires, fussent-ils obligatoires).

En fait, ce point sera précisé par la loi organique à laquelle revoie l'article premier du projet de révision, ainsi que l'a souligné M. Pierre Mazeaud : « j'estime que la notion de sécurité sociale est déjà définie dans l'article 34 de la Constitution : inutile d'y revenir. Il appartiendra d'ailleurs à la loi organique de préciser le champ de la loi d'équilibre »

Tel est très précisément l'objet de la formulation de l'article premier du projet de révision, selon laquelle les lois de financement détermineraient les conditions générales de l'équilibre et fixeraient les objectifs de dépenses dans les conditions « et sous les réserves » prévues par une loi organique.

Ces « réserves » permettraient en effet de passer du domaine très général de la sécurité sociale au domaine précis assigné pour le moment aux lois de financement par la loi organique, en l'occurrence les seuls régimes obligatoires de base. Il ne s'agit donc, par ces réserves, que de délimiter le domaine exact des lois de financement, et non d'établir des règles de procédure dérogatoires à la procédure législative ordinaire (lesquelles seront précisées par les dispositions organiques auxquelles renvoie, non pas l'article premier, mais l'article 3 du projet de révision).

Bien entendu, rien n'interdira, le moment venu, au législateur organique d'assouplir ces réserves, notamment s'il se révélait souhaitable d'inclure dans le champ des lois de financement d'autres régimes de sécurité sociale que les régimes obligatoires de base stricto sensu.

En définitive, ne pas circonscrire d'emblée la portée de la révision constitutionnelle à tel ou tel régime présente un avantage certain. Un texte « ouvert » permettra en effet, sans nouvelle révision constitutionnelle, d'adapter le domaine d'intervention du Parlement aux évolutions structurelles que la sécurité sociale viendrait à connaître dans les prochaines années.


La détermination des « conditions générales de l'équilibre financier » , un concept encore imprécis dont il appartiendra à la loi organique de préciser les contours exacts

Appliquée ici à la sécurité sociale, l'expression « conditions générales de l'équilibre financier » est empruntée à l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, dont l'article premier dispose :

« Les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'État, compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent » .

L'article 31 de cette ordonnance organique précise que la première partie de la loi de finances « arrête les données générales de l'équilibre financier » , opération qui prend la forme, dans chaque loi de finances, d'un « article d'équilibre » figurant généralement dans un titre spécifique consacré aux « Dispositions relatives à l'équilibre des ressources et des charges » .

Dans la loi de finances pour 1996, par exemple, l'article d'équilibre se présente de la façon suivante :

« Pour 1996, les ressources affectées au budget évaluées dans l'état A annexé à la présente loi, les plafonds des charges et l'équilibre qui en résulte sont fixés aux montants suivants : ... » [suit un tableau de données chiffrées en deux parties -ressources et charges- faisant apparaître, in fine, un « solde général » ].

L'équilibre ainsi défini résulte donc du rapprochement des ressources affectées au budget et des plafonds des charges, le solde pouvant être excédentaire ou déficitaire.

Peut-il en aller de même pour l'équilibre financier de la sécurité sociale ?

Le Garde des sceaux, ministre de la Justice, a certes indiqué que la notion d'équilibre ne devait pas être interprétée dans un sens purement comptable et qu'elle faisait référence à un équilibre économique et financier général au sens de l'article d'équilibre de la loi de finances.

Pourtant, la transposition du système de la loi de finances aux lois de financement de la sécurité sociale paraît difficilement concevable.

A cet égard, les travaux de l'Assemblée nationale en première lecture ont clarifié la notion d'équilibre en faisant figurer dans le texte même du projet de révision, non seulement les objectifs de dépenses, mais également des prévisions de recettes.

En effet, dans sa rédaction initiale, le projet de révision, s'il donnait bien au Parlement la possibilité de fixer des objectifs de dépenses, ne lui reconnaissait pas explicitement celle de connaître des recettes de la sécurité sociale.

La définition d'un solde d'équilibre aurait donc risqué d'être un exercice très problématique.

Pour reprendre l'expression de M. Bruno Bourg-Broc, Président de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, on voit mal comment le Parlement pourrait « voter un équilibre entre des dépenses et... des silences » .

En dépit de l'adjonction opérée en première lecture par l'Assemblée nationale, la notion de « conditions générales de l'équilibre financier » demeure difficile à cerner.

Dans l'exposé des motifs, il est en particulier indiqué que la loi d'équilibre pourrait « comporter toutes dispositions de nature législative nécessaires à l'équilibre de la sécurité sociale » .

Or, il ne serait pas souhaitable que les lois de financement comportent trop de « dispositions diverses » analogues à celles qui émaillent la seconde partie de la loi de finances, compte tenu d'une procédure d'examen qui représente une contrainte pour les deux assemblées et qui, de surcroît, ne reconnaît pas au Sénat des compétences identiques à celles de l'Assemblée nationale.

Pour reprendre l'expression usuelle applicable aux lois de finances, les lois de financement ne devront pas être surchargées de « cavaliers sociaux »

Le contenu des lois de financement devra au contraire demeurer limité et ne pas inclure de dispositions de fond, quand bien même elles seraient de nature à avoir une incidence sur l'équilibre financier (création d'une nouvelle prestation ou élargissement d'une catégorie de bénéficiaires, par exemple).

En effet, en insérant dans des lois de financement des dispositions de nature législative non directement liées à l'objet même de ces lois, on amènerait les deux assemblées à devoir se prononcer dans des délais stricts et on permettrait au Gouvernement de mettre ces dispositions en vigueur par ordonnance pour peu que le Parlement n'ait pas statué dans les délais requis. En outre, on consacrerait une priorité d'examen par l'Assemblée nationale puisqu'elle sera toujours saisie la première.

Ce système aboutirait à une restriction de fait des droits des deux assemblées à l'égard de dispositions pouvant parfaitement être adoptées par la procédure législative ordinaire, laquelle ne comporte pas de telles contraintes.

A cet égard, la session unique de neuf mois permet de mieux répartir dans l'année l'examen des textes législatifs. Elle a fait disparaître le « butoir » constitutionnel de la fin de la session budgétaire qui, trop souvent, a servi de prétexte pour faire adopter précipitamment en fin d'année des dispositions auxquelles il aurait été souhaitable d'accorder un examen plus attentif.

Aussi serait-il préférable que les « dispositions diverses » évoquées dans l'exposé des motifs du projet de révision figurent dans des lois séparées examinées selon la procédure ordinaire, quitte à en différer la discussion de quelques jours ou de quelques semaines.

Pour le reste, il appartiendra à la loi organique de préciser le contenu des lois de financement de la sécurité sociale, le texte constitutionnel devant demeurer assez concis et assez général pour permettre au Parlement d'exercer en aval son plein pouvoir d'appréciation sans risquer de se voir opposer des limites trop étroites par le Conseil constitutionnel, saisi de droit des lois organiques.


La référence explicite aux prévisions de recettes

Alors que le projet initial de révision exprimait en toutes lettres le rôle du Parlement en matière de dépenses, les recettes de la sécurité sociale y étaient traitées par prétérition : elles apparaissaient seulement en filigrane dans la détermination d'un équilibre qui, par définition, implique non seulement des dépenses mais aussi des ressources.

Sur ce point, le projet initial restait nettement en deçà de beaucoup des propositions formulées jusqu'à présent, pour lesquelles le Parlement devrait se prononcer d'une façon ou d'une autre sur les ressources de la sécurité sociale.

Aussi n'est-il pas surprenant que ce problème ait fait l'objet d'une ample réflexion lors des débats de l'Assemblée nationale, tant en commission qu'en séance publique.

Lors de son audition par votre commission des Lois, M. Jacques Toubon, Garde des sceaux, ministre de la Justice, a justifié le silence du projet initial sur les recettes en considérant qu'elles relevaient, soit de la compétence du Gouvernement (par la fixation des taux de cotisations), soit de celles qu'exerce déjà le Parlement dans le cadre de la loi de finances (ressources fiscales affectées et subventions d'équilibre). Dans ces conditions, il avait semblé au Gouvernement que les ressources de la sécurité sociale ne devaient pas faire l'objet de décisions prises à l'occasion de la loi d'équilibre.

Le problème ne se poserait effectivement pas si toutes ces ressources provenaient de l'État car dans ce cas, c'est au Parlement qu'il appartiendrait de se prononcer au moment de l'examen de la loi de finances.

Mais tel n'est pas le cas, les recettes de cotisations représentant encore près de 70 % des ressources totales de la sécurité sociale.

Donner au Parlement la compétence de fixer des objectifs de dépenses et les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale tout en faisant totale abstraction des recettes de cotisations pouvait donc sembler paradoxal.

Sans doute pourrait-on estimer difficile que législateur fixe lui-même les taux de cotisations, sauf à modifier radicalement le partage actuel des compétences entre le Parlement et le Gouvernement. Le « comité Vedel » avait d'ailleurs noté en 1992 que cette formule conduirait à multiplier les interventions du Parlement sans lui fournir, pour autant, une vision globale du financement de la sécurité sociale.

Il est cependant souhaitable que le Parlement, appelé à se prononcer sur un niveau d'équilibre, puisse au moins connaître et se prononcer au vu de prévisions globales de recettes selon des modalités qu'il appartiendrait à la loi organique de déterminer.

En pratique, d'ailleurs, on voit mal comment il pourrait en être autrement une fois que le Parlement aura déterminé les conditions de l'équilibre à partir d'objectifs de dépenses, sauf à considérer que la loi d'équilibre serait purement indicative et n'aurait aucune valeur normative, même à l'égard du Gouvernement.

C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a adopté un amendement prévoyant que les lois de financement fassent référence à « des prévisions de recettes » . Mais dans son esprit comme dans celui du Gouvernement il ne s'agirait bien que de prévisions retracées alors que pour les dépenses, la loi fixera des objectifs.

Ces prévisions n'auront pas le caractère d'une autorisation au sens budgétaire mais elles donneront un sens à la notion d'équilibre.


La fixation d'« objectifs de dépenses »

S'agissant de l'assurance-maladie, la notion d'objectifs de dépenses n'est pas entièrement nouvelle même si, jusqu'à présent, la méthode d'élaboration de ces objectifs est loin d'être harmonisée.

Ainsi, pour l'hôpital, le code de la santé publique prévoit, dans son article L. 714-7, qu'un taux directeur de l'évolution des dépenses hospitalières est fixé, chaque année, par voie réglementaire.

De même, tous les dispositifs de maîtrise médicalisée concernant les professions de santé (médecins, directeurs de laboratoires d'analyses, masseurs-kinésithérapeutes, infirmières libérales...) ou les établissements privés de santé, prévus par le code de la sécurité sociale, comportent la publication d'un arrêté portant approbation d'une annexe tarifaire annuelle, signée par les partenaires conventionnels, qui détermine un objectif d'évolution des dépenses pour l'année n+1. Selon les cas, cet objectif est directement opposable à la profession (directeurs de laboratoires d'analyses) ou demeure largement prévisionnel (médecins).

Enfin, l'accord cadre conclu entre l'État et le syndicat national de l'industrie pharmaceutique comporte lui aussi un objectif d'évolution des dépenses pharmaceutiques.

Pourtant, alors que les dépenses engendrées par certains secteurs (par exemple les soins de ville) influent directement sur les dépenses liées à d'autres (par exemple les prescriptions pharmaceutiques et les analyses de biologie), les objectifs correspondants sont fixés séparément.

Certes, l'État est toujours impliqué dans le processus de fixation des objectifs. Cette implication est directe (Convention des directeurs de laboratoires d'analyses, accord cadre État - SNIP) ou indirecte, par la tutelle qu'il exerce sur la Caisse nationale d'assurance maladie qui est toujours signataire des annexes annuelles aux conventions.

Surtout, juridiquement, le contenu des conventions n'acquiert de valeur juridique qu'à compter de l'approbation de la convention par arrêté.

Mais la coordination entre les objectifs ainsi assurée par l'État -et c'est une différence très importante avec la situation qui prévaudrait après l'adoption du présent projet de loi de réforme constitutionnelle- n'est pas affichée et ne repose pas sur des objectifs sanitaires et sociaux. On peut dire sans trop forcer le trait que, s'il existe aujourd'hui des mécanismes de régulation de l'évolution des dépenses de protection sociale, il n'existe pas de politique de protection sanitaire et sociale faisant l'objet d'un débat public et qui en serait le support.

Mais appliqués à l'ensemble de la sécurité sociale, que représentent exactement les « objectifs de dépenses » visés par le projet de loi constitutionnelle ? Cette expression pourrait en effet être entendue soit comme des objectifs à atteindre, soit comme des objectifs à ne pas dépasser.

En dépit de l'ambiguïté des termes, les indications fournies par le Garde des sceaux, ministre de la Justice et les débats de l'Assemblée nationale montrent qu'en l'occurrence, il s'agirait de plafonds, probablement exprimés en pourcentages de croissance d'une année sur l'autre.

Là encore, le texte constitutionnel n'a pas à entrer dans un trop grand niveau de détail car à l'expérience, il pourrait se révéler souhaitable d'affiner les objectifs de dépenses fixés par les lois de financement.

Il n'est pas exclu qu'à terme, le législateur juge nécessaire de passer d'objectifs généraux exprimés au plan national à des objectifs mieux focalisés, par type de dépenses, par exemple (hôpitaux, professions médicales et paramédicales, médicament, etc...), ou à des objectifs définis au plan régional.

De même, il paraîtra peut être logique, le moment venu, d'inscrire certains objectifs annuels dans la perspective plus large d'une programmation pluriannuelle, notamment pour les équipements lourds (scanners, imageurs à résonance magnétique nucléaire, etc...).

On doit d'autre part s'interroger sur la valeur normative -ou plus exactement, sur la force contraignante- de ces objectifs de dépenses. Par exemple, le respect des objectifs de dépenses fixés pas le Parlement en matière de retraites imposerait-il au Gouvernement de réduire le taux des pensions, dans l'hypothèse où les prévisions initiales se révéleraient insuffisantes ?

Le Gouvernement considère quant à lui que les lois de financement auront une « normativité spécifique » ou une « normativité différée » , selon l'expression employée par le Garde des Sceaux lors de son audition par votre commission des Lois.

Sans s'attarder outre mesure sur ces nuances sémantiques, votre rapporteur considère pour sa part que ces lois, tant par leur contenu que par les mécanismes destinés à assurer le respect après-coup des objectifs de dépenses, auront en fait une « normativité aléatoire » .

En droit, les plafonds déduits d'objectifs de dépenses exprimés en pourcentages d'augmentation n'auront pas un caractère strictement limitatif au sens de l'article 11 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances (« .... les dépenses sur crédits législatifs ne peuvent être engagées et ordonnancées que dans la limite des crédits ouverts ; ceux-ci ne peuvent être modifiés que par la loi de finances... » ).

Les objectifs de dépenses s'apparenteront plutôt aux crédits évaluatifs de la loi de finances (article 9 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959), qui résultent de dispositions législatives spéciales et pour lesquelles les dépenses « s ' imputent, au besoin, au-delà de la dotation inscrite aux chapitres qui les concernent » ).

Par ailleurs, la portée décisionnelle des objectifs définis dans le projet de loi de financement pourra être variable selon les branches, compte tenu des facteurs propres déterminant l'évolution de leurs dépenses.

En matière d'assurance vieillesse, il est clair qu'il existe des tendances lourdes résultant de l'allongement de l'espérance de vie et du mouvement continu de généralisation et d'amélioration des retraites. A l'avenir, le législateur pourra être amené à fixer de nouvelles règles quant au mode de revalorisation des pensions ou sur certaines conditions générales d'attribution (par exemple, régime du cumul entre revenus d'activité et pensions) au regard des orientations qui auront été au préalable débattues et approuvées.

Dans le domaine des prestations familiales, si les paramètres démographiques constituent également des facteurs prépondérants de l'évolution des dépenses, le législateur doit pouvoir redéfinir des objectifs clairs à la politique familiale, alors que ceux-ci ont eu tendance à se multiplier au cours des deux dernières décennies, -redistribution sociale, conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, lutte contre le chômage, notamment-et se prononcer sur les moyens correspondants, en particulier quant à l'évolution des prestations familiales qui en constituent le noyau dur.

Au contraire, en matière d'assurance maladie, les prescripteurs d'actes médicaux et les mécanismes conventionnels ont une influence déterminante sur le montant des dépenses. La notion d'objectifs de dépenses fixés par le Parlement y prend tout son sens car il appartiendra à chaque intervenant de se conformer au cadre assigné par le Parlement et doté de cette « normativité spécifique » évoquée par le Gouvernement.

Comme l'a exposé le Garde des Sceaux, la chaîne des responsabilités serait la suivante :

« Il appartiendra en premier lieu au Parlement de voter les objectifs nationaux de l'évolution des dépenses. Ceux-ci se traduiront d'abord par des conventions d'objectifs et de moyens conclues entre le Gouvernement et les caisses nationales, ensuite par des conventions entre ces caisses et les différents professionnels de la santé, trouvant elles-mêmes leur traduction au niveau régional ».

En cas de dépassement des objectifs, il appartiendra au Gouvernement de faire jouer l'année suivante les « mécanismes correcteurs » institués par la législation en vigueur ou par les ordonnances prévues dans le cadre de l'actuel plan de réforme de la sécurité sociale, de manière à ne pas sortir du cadre assigné par le Parlement ou, plus exactement, de manière à y revenir.


Le texte élaboré par l'Assemblée nationale ouvre de façon explicite la possibilité d'adopter des lois de financement rectificatives

Ainsi qu'il a été noté, le projet de révision proposait de créer une nouvelle catégorie de loi, à placer sur le même plan juridique que la catégorie des lois ordinaires, des lois de finances ou des lois de programme. Mais du texte même proposé pour le nouvel alinéa de l'article 34 de la Constitution, il apparaissait que cette catégorie n'aurait été composée que d'un seul élément, « la » loi d'équilibre votée chaque année, alors que le même article vise « les » lois de finances ou « des » lois de programme.

On sait que l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 range sous la catégorie des lois de finances, non seulement la loi de finances de l'année, mais encore les lois de règlement et les lois de finances rectificatives.

Devait-on en déduire que l'utilisation au singulier du terme « la » loi d'équilibre de la sécurité sociale interdirait l'adoption en cours d'année d'une ou plusieurs lois d'équilibre rectificatives ?

Modifier les prévisions initiales pourrait cependant se révéler nécessaire pour prendre en compte d'éventuels bouleversements des conditions générales de l'équilibre ou encore pour revoir à la baisse ou à la hausse certains objectifs de dépenses.

Lors de son audition par la commission des Lois de l'Assemblée nationale le 16 janvier 1996, M. Jacques Toubon, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, avait estimé que l'emploi du singulier n'interdirait nullement qu'une loi d'équilibre soit modifiée en cours d'année par un texte voté dans les mêmes conditions. Il avait cependant considéré qu'il ne devrait y être procédé qu'en cas d'absolue nécessité, faute de quoi la loi d'équilibre y perdrait une part de sa portée. Il a à nouveau développé cette analyse lors de son audition du 30 janvier 1996 par votre commission des Lois.

En dépit de cette analyse, la commission des Lois et la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale ont toutes deux considéré que l'emploi du singulier pourrait soulever une difficulté d'interprétation.

Elles ont en effet observé que si l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 sur les lois de finances a pu distinguer plusieurs types de lois de finances -dont les lois de finances rectificatives- c'est que la Constitution l'y invitait, ou tout au moins ne s'y opposait pas, en employant elle-même une expression au pluriel (« les » lois de finances). S'agissant au contraire de « la » loi d'équilibre, rien n'assure que la loi organique prévue par le projet de révision pourrait opérer des distinctions analogues sur la base d'une disposition constitutionnelle rédigée au singulier.

Aussi, l'Assemblée nationale a-t-elle adopté un amendement visant « les » lois de financement (au pluriel) pour permettre explicitement le vote de lois de financement rectificatives.

Le Garde des Sceaux ne s'est pas opposé à cet amendement, ajoutant cependant : « le Gouvernement ayant l'initiative de la loi, il n'y en aura en effet qu'une si aucune rectification ne se révèle nécessaire ». Ce rappel, et l'emploi systématique des termes « projets de loi de financement » établissent sans ambiguïté qu'en ce domaine, l'initiative appartiendra exclusivement au Gouvernement, ce qui écarte la possibilité de déposer des propositions de lois de financement, tant initiales que rectificatives.

3. La procédure d'examen des lois de financement, inspirée de celle applicable à l'examen des lois de finances


• On observe que la procédure proposée par les articles 2 et 3 du projet de révision est en large part calquée sur celle de l'examen de la loi de finances.

S'agissant du dépôt, les projets de lois de financement de la sécurité sociale seraient obligatoirement soumis en premier lieu à l'Assemblée nationale, comme c'est le cas des projets de loi de finances, à la différence des autres lois simples (y compris les lois fiscales) qui peuvent aussi bien être déposées sur le Bureau de l'Assemblée nationale que sur le Bureau du Sénat, selon le choix du Gouvernement.

D'autre part, les délais constitutionnels d'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale par chaque assemblée seraient fixés selon un schéma très analogue à celui de l'examen des projets de loi de finances.

Dans l'hypothèse où l'Assemblée nationale ne se serait pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt du projet de loi, le Gouvernement saisirait le Sénat qui devrait statuer dans un délai de quinze jours. Ces deux délais rappellent ceux qu'accorde la Constitution à chaque assemblée pour examiner la loi de finances en première lecture (quarante jours pour l'Assemblée nationale et quinze jours pour le Sénat).

De même, le projet de révision prévoit un mécanisme de sortie en cas d'inobservation des délais : les dispositions du projet de loi pourraient être mises en oeuvre par ordonnance si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de cinquante jours. Ce délai de cinquante jours ne serait toutefois pas un délai préfix, le Gouvernement n'étant pas tenu de recourir à la procédure de l'ordonnance s'il jugeait préférable de laisser se poursuivre la discussion parlementaire.

On retrouve là encore la même faculté que celle prévue pour les lois de finances, à cette exception notable près que pour ces dernières, le délai total est fixé à soixante-dix jours, soit vingt jours de mieux.

Toujours dans le même souci de parallélisme avec les lois de finances, l'Assemblée nationale a introduit en première lecture une disposition selon laquelle les délais d'examen des lois de financement de la sécurité sociale seraient suspendus lorsque le Parlement n'est pas en session et, pour chaque assemblée, au cours des semaines où elle a décidé de ne pas tenir séance.

L'Assemblée nationale a jugé cette disposition nécessaire à partir du moment où la possibilité d'examiner en cours d'année des lois de financement rectificative a été explicitement inscrite dans le projet de révision, faute de quoi le délai total de cinquante jours aurait pu continuer à courir durant une intersession ou pendant des semaines où l'une ou l'autre des deux assemblées déciderait de ne pas tenir en séance, ainsi qu'elles en ont la possibilité depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995.

En ce qui concerne les semaines où les assemblées auraient décidé de ne pas siéger, on saisit mal l'intérêt pratique de cette précision, dans la mesure où le Gouvernement aurait toujours la possibilité de demander la tenue de séances supplémentaires.

D'ailleurs, le problème se pose théoriquement dans les mêmes termes pour les lois de finances rectificatives, mais la pratique démontre que leurs délais d'examen sont toujours assez brefs, au point que lors de la révision constitutionnelle du 4 août 1995, il n'a même pas paru nécessaire d'introduire une disposition équivalente dans l'article 47 de la Constitution (lequel ne vise donc que le seul cas où le Parlement ne serait pas en session).

Enfin, une loi organique déterminerait les conditions dans lesquelles le Parlement vote les lois de financement, ainsi qu'il est prévu pour les lois de finances par l'article 47, alinéa premier de la Constitution (la loi organique en question résulte de l'ordonnance n° 59-2 du 2 février 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, qui fixe également les « conditions et les réserves » visées par l'article 34 de la Constitution en ce qui concerne le champ des lois de finances).

En soi même, le renvoi à une loi organique n'a rien d'original et la seule comparaison utile consisterait à rapprocher les dispositions de la loi organique sur les lois de finances et celles de la loi organique sur les lois de financement.

Il faut à cet égard saluer le souci d'information du Parlement manifesté par le Gouvernement, puisque l'avant projet de loi organique a été communiqué aux Présidents des commissions intéressées.

Sans préjuger des dispositions définitives qui en résulteront après son examen par les deux assemblées, on rappellera d'ores-et-déjà que cette loi organique aura le caractère d'une « loi organique relative au Sénat » au sens de l'article 46, alinéa 4, de la Constitution.


• Les dispositions initialement prévues pour l'article 47-1 relatif à la loi d'équilibre de la sécurité sociale différaient néanmoins sur deux points de celles de l'article 47 de la Constitution.

En premier lieu, on relève que le quatrième alinéa de l'article 47 envisage l'hypothèse où le Gouvernement n'aurait pas déposé le projet de loi de finances de l'année en temps utile pour que cette loi soit promulguée avant le début de l'exercice. En pareil cas, le Gouvernement demande d'urgence au Parlement d'autoriser la perception des impôts, les crédits se rapportant aux services votés étant ouverts par décret.

Aucune procédure équivalente n'est prévue pour les lois de financement de la sécurité sociale.

Au premier examen, il peut paraître choquant que la Constitution organise une sorte de sanction juridique en cas de retard imputable au Parlement, sans instituer un mécanisme symétrique si le retard est imputable au Gouvernement.

Ce point a fait l'objet d'une discussion lors des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture, le Garde des Sceaux faisant néanmoins observer qu'en cas de non respect du délai par le Gouvernement, il n'y aurait « pas vraiment de sanction adéquate » . Il a pleinement confirmé ce propos lors de son audition par votre commission des Lois.

On pourrait imaginer qu'en pareille hypothèse, les objectifs antérieurs soient purement et simplement reconduits. Mais cette solution est à écarter, notamment si le contexte économique et financier de la sécurité sociale devait conduire à réduire les objectifs de dépenses de l'année précédente.

Votre rapporteur s'est également interrogé à ce sujet mais il est arrivé à la conclusion que sur le plan de la technique juridique, une telle procédure n'aurait pas d'utilité dans la mesure où les cotisations et les dépenses de sécurité sociale ne sont pas soumises à la règle de l'annualité. Partant, leur perception ou leur versement pourrait continuer en l'absence de toute autorisation légale particulière même dans l'hypothèse où le Gouvernement n'aurait pas déposé son projet en temps utile pour que la loi de financement soit promulguée avant le début de l'exercice.

Tout au plus doit-on souligner que l'article 47, alinéa 4, de la Constitution est conçu de telle sorte qu'en principe, la loi de finances doit être examinée durant le dernier trimestre de l'année civile.

En l'absence de disposition expresse dans le projet de révision, rien n'assure qu'il en ira obligatoirement de même pour la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le texte assigne en effet des délais d'examen, mais n'indique pas la période de l'année durant laquelle cet examen devra avoir lieu.

En second lieu, le projet de loi constitutionnelle n'incluait dans sa rédaction initiale aucune disposition sur le contrôle par le Parlement de l'exécution de la loi d'équilibre, alors que le principe du contrôle parlementaire de l'exécution de la loi de finances figure au dernier alinéa de l'article 47 de la Constitution. Cet alinéa ajoute d'ailleurs que la Cour des Comptes assiste le Parlement dans cette fonction. Dans le cas de la loi d'équilibre, aucun concours de la Cour des Comptes n'était prévu.

Rétablissant le parallélisme des formes, l'Assemblée nationale a adopté un amendement prévoyant que la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale.


• Le parallélisme des procédures ainsi établi entre les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale est-il totalement pertinent
?

Cette question mérite d'être posée car précisément, les lois de financement de la sécurité sociale ne seront pas des lois de finances sociales.

S'agissant de la priorité d'examen reconnue à l'Assemblée nationale, justifiée par la tradition des régimes parlementaires en ce qui concerne l'autorisation budgétaire, elle n'aurait pas eu de véritable fondement si l'on s'en était tenu à une loi d'équilibre de la sécurité sociale ne comportant que des objectifs de dépenses.

En revanche, votre rapporteur estime que l'inclusion opérée par l'Assemblée nationale des prévisions de recettes dans les lois de financement est susceptible d'être présentée comme rétablissant la logique de la saisine prioritaire de l'assemblée élue au suffrage direct.

Pour ce qui est des délais impératifs d'examen des lois de financement et, surtout, de la possibilité de mettre en oeuvre les dispositions du projet en cas d'inobservation de ces délais, la logique demeure moins nette.

En effet, comme le constatait « le comité Vedel », le prélèvement des cotisations et le versement des prestations de sécurité sociale procèdent de différents textes législatifs et réglementaires dont la mise en oeuvre n'est pas subordonnée à une autorisation annuelle du Parlement, contrairement aux impôts et aux dépenses de l'État.

La loi de financement de la sécurité sociale ne comportera donc pas, en ce qui concerne les cotisations, l'équivalent de l'article premier de la loi de finances : « La perception des impôts, produits et revenus affectés à l'État, aux collectivités locale, aux établissements publics et organismes divers habilités à les percevoir continue d'être effectuée pendant l'année 1996 conformément aux lois et règlements et aux dispositions de la présente loi de finances » .

L'examen du projet de loi de finances dans des délais impératifs et la possibilité de le mettre en vigueur par ordonnance si le Parlement n'a pas statué dans ces délais est logique car il s'agit d'un budget qui doit impérativement être arrêté avant le début de l'exercice. Mais ces mécanismes ont-ils la même signification dans le cas des lois de financement de la sécurité sociale ?

En effet, pour la fraction du financement de la sécurité sociale assumée par l'État (le versement de subventions d'équilibre), le problème ne se pose pas car ces éléments figurent dans la loi de finances pour laquelle la Constitution prévoit déjà des délais impératifs et, s'ils ne sont pas respectés, le recours éventuel au mécanisme des ordonnances budgétaires. De surcroît, le Parlement peut à tout moment être saisi d'un projet de loi de finances rectificative lui permettant de modifier les données initiales de l'équilibre budgétaire.

Pour le reste, le risque de vide juridique ou financier au premier janvier ne se pose pas car même si la loi de financement n'était pas promulguée à cette date, les cotisations continueraient d'être prélevées et les prestations d'être servies aux assurés sociaux.

Mais votre rapporteur ne saurait s'en tenir à un seul raisonnement juridique fondé sur les normes existantes. Les « deux textes majeurs qui regroupent l'essentiel des prélèvements obligatoires », pour reprendre les termes même utilisés par le Garde des Sceaux -la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale- reposeront sur les mêmes prévisions économiques, sociales et financières pour l'année suivante et devront logiquement être en phase avec l'ensemble de la vie économique et sociale du pays, tant pour leur élaboration que pour leur application.

De même, on ne peut faire abstraction des modalités actuelles de la négociation conventionnelle, fondées sur l'annualité et calées sur l'année civile. Pareillement, l'élaboration du budget des hôpitaux a lieu au cours de l'automne de l'année précédant l'exercice, en fonction d'un taux directeur qui, à l'avenir, devra tenir compte des objectifs de dépenses fixés par la loi de financement, d'autant plus que l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996, adoptée dans le cadre du « plan Juppé », vient de donner un caractère limitatif aux crédits hospitaliers.

La réponse à toutes ces interrogations réside probablement dans la normativité « spécifique » ou « différée » (votre rapporteur optant plutôt pour la formule de « normativité aléatoire » ) que reconnaît le Gouvernement aux lois de financement, notamment en ce qui concerne la fixation d'objectifs de dépenses devant servir de cadre obligatoire aux négociations nationales puis régionales.

Quoi qu'il en soit, ce raisonnement ne vaut que pour les objectifs de dépenses et incite d'autant plus à exclure que les lois de financement comportent trop de « cavaliers sociaux », car leur examen dans des délais impératifs, la priorité de saisine de l'Assemblée nationale et, le cas échéant, leur mise en vigueur par ordonnance constitueraient autant d'atteintes aux droits du Parlement, et en particulier à ceux du Sénat.

III. UNE REFORME APPRECIABLE QUI PERMETTRAIT, S'IL Y A LIEU, D'EN FAIRE EVOLUER LA PORTEE SANS NOUVELLE REVISION CONSTITUTIONNELLE

1. La révision constitutionnelle consacre l'intervention du Parlement sur l'équilibre financier de la sécurité sociale et représente donc une réelle avancée par rapport à la situation actuelle

Dans sa déclaration au Parlement le 15 novembre 1995, le Premier Ministre estimait que le Parlement « doit pouvoir -sur proposition du Gouvernement- fixer les orientations générales et les objectifs des politiques de protection sociale, les ressources financées par l'impôt, le taux d'évolution de l'ensemble des dépenses qui permettra de garantir l'équilibre du système et les critères de répartition des objectifs quantifiés nationaux ainsi arrêtés » .

Sous une formulation plus synthétique, le projet de révision constitutionnelle propose un dispositif qui constitue indiscutablement une avancée par rapport à la situation actuelle, même si l'on peut estimer que cette avancée aurait pu être obtenue par la voie beaucoup moins lourde et plus simple d'une loi organique, à condition de ne pas comporter de dispositions de procédure.

Cette avancée concerne autant la sécurité sociale elle-même que le rôle du Parlement.

En premier lieu, l'importance de la protection sociale dans la société française contemporaine et sa part déterminante dans le fonctionnement de notre économie justifient qu'elle fasse l'objet d'une disposition constitutionnelle plus précise qu'actuellement, où cette matière n'est abordée que sous l'angle de principes fondamentaux.

De surcroît, indépendamment du contenu des lois de financement, la révision constitutionnelle va inscrire dans la Constitution le principe même d'un équilibre financier de la sécurité sociale, alors que l'équilibre financier des régimes -ou, trop souvent, leur déséquilibre- n'étaient jusqu'à présent qu'une donnée purement comptable.

Mutatis mutandis, la « constitutionnalisation » du principe d'équilibre n'est pas sans analogie avec le principe d'équilibre financier du budget de l'État, tel qu'il est posé par l'article premier de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique sur les lois de finances. Celles-ci déterminent en effet la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'État « compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent » .

En second lieu, le principe d'équilibre sera traduit dans une loi particulière consacrée par la Constitution. Cette loi, délibérée et approuvée par la représentation nationale, représente un net progrès par rapport aux procédures de simple information conçues en cette matière depuis 1958.

Tout d'abord, pour reprendre les propos de notre collègue Charles Descours dans son rapport d'information précité, l'intervention d'une loi plutôt que l'examen d'un simple rapport conférera une « légitimité politique » aux décisions que l'État est amené à prendre en matière de sécurité sociale, « considérablement réduite en raison de l'absence du Parlement dans la formation des principaux choix devant guider la régulation du système » .

D'autre part, à la différence des procédures d'approbation d'un rapport, le vote d'une loi permettra à chaque parlementaire d'exercer son droit d'amendement, dans les conditions et sous les réserves déjà prévues par la Constitution (irrecevabilités constitutionnelles) et, le cas échéant, celles qui seraient instituées par la loi organique à laquelle renvoie le projet de révision.

Ces conditions et ces réserves ne sont pas encore définies mais il serait souhaitable qu'elles ne restreignent pas trop la capacité d'initiative des parlementaires.

Le vote d'une loi assortie s'il y a lieu d'amendements respecte mieux la vocation naturelle du Parlement, car celui-ci ne saurait se limiter à une simple approbation d'un rapport ou de comptes qui s'apparenterait à un quitus de la gestion passée.

Enfin, la révision introduit un élément de régularité. Elle crée, tant pour le Gouvernement que pour le Parlement, l'obligation d'un rendez-vous à date fixe sur la sécurité sociale, ce qu'aucune des dispositions législatives simples adoptées jusqu'à présent n'était parvenue à imposer durablement.

Chaque année, le Gouvernement aura en effet l'obligation constitutionnelle de déposer un projet de loi spécifique, à des dates ou dans une période que fixera la loi organique. Le Parlement sera quant à lui tenu chaque année de se prononcer sur ce sujet, dans des délais constitutionnels stricts.

L'annualité de cette procédure paraît de très loin préférable à des interventions épisodiques uniquement laissées à la discrétion des Gouvernements, eux-mêmes soumis à la pression des circonstances.

Comme dans le cas de la loi de finances, la discussion annuelle de la loi de financement sera l'occasion à la fois d'un bilan et d'un exercice prospectif.

S'agissant de l'aspect bilan, cette occasion offrira au Parlement un moment privilégié pour évaluer l'impact de ses décisions et de celles du Gouvernement en matière de sécurité sociale.

À ce titre, elle représentera un temps fort du contrôle parlementaire dans un domaine ou, précisément, les procédures antérieures ont montré leurs limites.

Mais le contrôle parlementaire doit aussi permettre au Parlement de faire oeuvre prospective.

La définition de l'équilibre et des objectifs de dépenses laissera précisément au Parlement plus de marge d'appréciation pour approuver ou, s'il y a lieu, pour infléchir ou modifier les arbitrages proposés par le Gouvernement, dans une perspective à moyen ou à plus long terme.

Cette formule représente donc un progrès par rapport à la situation antérieure où le Parlement était tenu informé de manière souvent irrégulière et n'intervenait généralement qu'après-coup et dans l'urgence pour rétablir une situation compromise. Surtout, les mécanismes conçus jusqu'à présent ne permettaient pas d'anticiper sur les évolutions à venir et demeuraient axés sur des solutions à très court terme.

2. Il aurait été néanmoins concevable d'aller plus loin dans la revalorisation du rôle du Parlement à l'égard de la sécurité sociale

La réforme proposée, pour appréciable qu'elle soit, aurait cependant pu conférer un rôle encore plus actif au Parlement en matière de sécurité sociale, notamment en lui reconnaissant la compétence de fixer les ressources dans les mêmes conditions que les dépenses.

Dans cette optique, on pourrait considérer les mécanismes proposés par le projet de révision comme une simple première étape d'une remise en ordre de la sécurité sociale.

Fallait-il s'arrêter à cette étape ?

Force est d'admettre que notre système de protection est très certainement appelé à connaître d'importantes évolutions dans les années à venir.

Dans cette optique, il serait difficile et sans doute peu réaliste d'anticiper sur ces évolutions en définissant dès à présent des compétences ou des modalités d'intervention du Parlement qui, à terme, risqueraient fort de ne pas correspondre aux nécessités du moment.

Seul le bilan de la présente révision permettra de vérifier, le moment venu, si les pouvoirs du Parlement en matière de sécurité sociale doivent encore être renforcés.

Pour l'heure, la révision constitutionnelle permet enfin de débloquer « le verrou » de la procédure. Il existera désormais l'instrument constitutionnel adéquat permettant au Parlement de se prononcer par un vote sur le financement de la sécurité sociale.

Par la loi organique, le Parlement pourra, le cas échéant, modifier le domaine de la loi de financement de la sécurité sociale en fonction d'évolutions sur lesquelles il serait difficile d'anticiper.

C'est sous le bénéfice de toutes ces observations que votre commission des Lois propose au Sénat d'adopter sans modification le projet de loi constitutionnelle.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier (article 34 de la Constitution) - Institution des lois de financement de la sécurité sociale

Cet article, tel qu'il résulte des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture, propose d'insérer avant l'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution un nouvel alinéa aux termes duquel :

« Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et dans les réserves prévues par une loi organique » .

Ainsi qu'il a été dit dans l'exposé général, ce texte diffère sur plusieurs points de celui proposé par le projet initial de révision.

ï Le nouvel alinéa de l'article 34 de la Constitution en serait désormais l'antépénultième et non l'avant dernier, comme le proposait le projet initial. Cette modification de rang résulte du souci de la commission des Lois de l'Assemblée nationale de faire figurer les dispositions relatives aux lois de financement de la sécurité sociale immédiatement après celles concernant les lois de finances (au même titre que l'article fixant leur procédure d'élaboration serait inséré dans la Constitution immédiatement après l'article 47 régissant la procédure budgétaire).

ï L'appellation « lois de financement de la sécurité sociale » a par ailleurs été substituée à celle de « loi d'équilibre de la sécurité sociale » . La portée rédactionnelle de cette modification réside moins dans la terminologie que dans le passage du singulier au pluriel.

En effet, l'expression loi « de financement » a été préférée à celle de loi « d'équilibre » pour éviter une redondance -voire une tautologie- dans la mesure où cette loi aurait précisément pour objet de déterminer, entre autres, les conditions générales de l'équilibre de la sécurité sociale. Tout au plus le Garde des Sceaux a-t-il noté que les termes « lois de financement » mettaient l'accent sur les ressources de la sécurité sociale.

L'emploi du pluriel au lieu du singulier a en revanche une portée juridique plus apparente car il ouvre explicitement la possibilité de voter des lois de financement rectificatives.

Le Gouvernement n'avait pas d'ailleurs écarté d'emblée cette perspective pour faire face à une situation exceptionnelle, aussi la modification introduite par l'Assemblée nationale a-t-elle le mérite de couper court à toutes les interprétations contraires qui auraient pu être avancées en cas de maintien d'une expression au singulier dans le nouvel alinéa de l'article 34.


• Enfin, le texte soumis à l'examen du Sénat inclut les « prévisions de recettes » de la sécurité sociale, dont il sera tenu compte pour la fixation des objectifs de dépenses.

Cette modification n'a sans doute pas une portée aussi large qu'il pourrait sembler au premier examen, car elle ne modifie en rien le partage actuel des compétences en matière de ressources de la sécurité sociale.

Ainsi que l'a considéré le Garde des Sceaux, la référence expresse aux recettes est avant tout dictée par des « raisons pédagogiques » . Pour le reste, le régime juridique des ressources de la sécurité sociale ne sera pas affecté par les lois de financement. La fixation du taux des cotisations sociales continuera de relever exclusivement du pouvoir réglementaire, les concours budgétaires relevant des lois de finances, de même que le recouvrement chaque année des impositions affectées (ces dernières pouvant d'ailleurs être établies ou modifiées par une loi fiscale autre que la loi de finances).

Il appartiendrait enfin à une loi organique de préciser les conditions et les réserves applicables aux lois de financement de la sécurité sociale, à l'instar de ce que prévoit l'article 34 pour les lois de finances.

Ainsi qu'il a été indiqué dans la première partie du présent rapport, l'expression « sous les réserves » n'a pas d'autre objet que de permettre à la loi organique de délimiter le domaine d'application des lois de financement au sein du concept très général de « sécurité sociale » visé par l'article 34 de la Constitution.

Ce renvoi à la loi organique n'est en rien contraire à la hiérarchie des normes car la Constitution n'a pas à définir par elle-même le contenu des lois de financement, qui pourrait d'ailleurs connaître des évolutions au fil du temps. En revanche, le constituant est souverainement habilité pour renvoyer ce point à une loi organique, et pour prévoir que cette loi pourra fixer des conditions et des réserves.

Mais bien entendu, il ne saurait être question que ces réserves réduisent en quoi que ce soit les compétences du Parlement pour déterminer les principes fondamentaux de la sécurité sociale, car en ce domaine, le dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution dispose bien que la loi organique peut « préciser et compléter » le domaine de la loi, et non le restreindre.

Dans cette perspective, l'avant-projet de loi organique communiqué par le Gouvernement permet d'ores et déjà de se faire une première idée du champ qu'il souhaite conférer aux lois de financement de la sécurité sociale. Selon ce texte, rédigé avant l'examen du projet de révision par l'Assemblée nationale et qui devra donc être modifié en fonction des décisions du Parlement au fil de la navette :

« La loi d'équilibre de la sécurité sociale :

« 1°) approuve les orientations générales et les objectifs des politiques de protection sociale ; elle se prononce sur les moyens mis en oeuvre à cette fin ;

« 2°) détermine, en fonction de ces orientations, les voies et moyens de l'équilibre financier prévisionnel des régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

« A cette fin :

« a) elle évalue, pour l'année à venir, l'évolution des dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ;

« b) en matière d'assurance maladie, elle fixe, compte tenu notamment du montant des recettes prévisibles, de l'évaluation des besoins de santé et des résultats prévisionnels de l'année en cours, un objectif national d'évolution des dépenses d'assurance maladie ;

« c) elle comporte, le cas échéant, toutes dispositions législatives nécessaires à l'équilibre financier des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ».

En définitive, le présent article crée une catégorie nouvelle de loi mais c'est au législateur organique qu'il appartiendra d'en délimiter le contenu exact, sur la base du renvoi à la loi organique prévu au nouvel antépénultième alinéa dont l'insertion est proposée dans l'article 34.

C'est donc bien au moment de la discussion de la loi organique que les options de fond devront être prises et, s'il y a lieu, le Parlement disposera de sa pleine compétence pour les modifier ou les faire évoluer en fonction des nécessités ultérieures.

Pour l'heure, votre commission des Lois a estimé qu'il n'était pas souhaitable de surcharger le texte constitutionnel ni de modifier le cadre suffisamment ouvert proposé par l'Assemblée nationale.

Article 2 (article 39 de la Constitution) - Priorité reconnue à l'Assemblée nationale en matière d'examen des lois de financement de la sécurité sociale

L'article 39, alinéa 2, de la Constitution dispose actuellement que les projets de loi de finances sont soumis en premier lieu à l'Assemblée nationale.

L'article 2 du projet de révision constitutionnelle propose d'étendre cette priorité de l'Assemblée nationale aux projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Le net parallélisme entre la procédure d'examen des lois de finances et celle proposée pour l'examen des lois de financement plaide pour cette solution.

Votre rapporteur l'a juge d'ailleurs d'autant plus logique avec la référence expressément faite aux prévisions de recettes, compte tenu de la compétence prioritaire reconnue à l'assemblée élue au suffrage direct en matière de ressources publiques.

En revanche, l'audition du Garde des Sceaux par votre commission des Lois, le 30 janvier 1996, a mis en évidence certaines difficultés qui pourraient survenir dans l'organisation des travaux des assemblées au cas -très vraisemblable- où le Gouvernement souhaiterait que la loi de financement de la sécurité sociale soit examinée en automne, c'est-à-dire en pleine période de discussion budgétaire.

Pour s'en tenir aux seuls travaux du Sénat, ce risque n'est pas à exclure si l'Assemblée nationale entreprend l'examen de la loi de financement immédiatement après le vote de la première partie de la loi de finances, ainsi que l'envisage le Garde des Sceaux.

Dans cette hypothèse, M. Christian Poncelet, président de la commission des Finances, a attiré l'attention sur les problèmes auxquels le Sénat serait confronté, s'il devait être saisi au même moment des deux projets de loi, par le simple jeu de l'expiration quasi-concomitante des deux délais constitutionnels accordés à l'Assemblée nationale : quarante jours pour l'examen de la loi de finances et vingt jours pour celui de la loi de financement.

En se référant au calendrier habituel de la discussion budgétaire, il se trouve en effet que le projet de loi de finances est toujours transmis au Sénat aux alentours du 20 novembre. Dans l'hypothèse évoquée par le Garde des Sceaux, l'Assemblée suspendrait ses travaux sur le projet de loi de finances après le vote de la première partie -soit aux alentours du 20 octobre- pour aborder l'examen du projet de loi de financement. Le délai de vingt jours dont elle dispose la conduirait donc à transmettre ce second projet de loi peu avant la transmission du projet de loi de finances.

Le ministre a toutefois observé que l'examen de la loi de financement ne s'étendrait probablement pas sur toute la durée du délai constitutionnel autorisé, eu égard à la brièveté de ce texte qui ne nécessitera d'ailleurs pas d'aborder les crédits d'un grand nombre de ministères, contrairement à la loi de finances.

Dans cette optique, le Garde des Sceaux a défini les trois principes qui, dans son esprit, permettrait aux deux assemblées d'examiner sans « télescopage » insurmontable les deux textes à peu près à la même période : « dépôt décalé, discussion intercalée, adoption quasi-simultanée » .

De fait, plusieurs simulations communiquées à votre rapporteur permettent d'envisager des hypothèses ne comportant pas les inconvénients mis en évidence par le président Christian Poncelet, pour peu que le Gouvernement prenne les dispositions adéquates.

Ainsi, si le Gouvernement dépose la dernière annexe du projet de loi de finances assez tôt pour que le délai de quarante jours dont dispose l'Assemblée nationale commence à courir à compter du 2 octobre -et non pas à compter du 12 octobre, comme ce fut le cas l'année dernière- la loi de financement, examinée aussitôt après la première partie de la loi de finances, pourrait être transmise au Sénat au plus tard le 10 novembre. Quant à la loi de finances, son examen se poursuivrait à l'Assemblée nationale jusqu'au terme du quarantième jour, c'est-à-dire le 20 novembre.

De cette sorte, entre le 10 et le 20 novembre, le Sénat n'aurait à subir aucun chevauchement entre les deux textes et pourrait se consacrer entièrement à la loi de financement de la sécurité sociale.

Bien entendu, il ne s'agit que de schémas prévisionnels mais ils montrent en tout cas que ce problème n'a sans doute rien d'insoluble, moyennant certains changements d'habitudes. Au demeurant, l'Assemblée nationale serait plus concernée par ces changements que le Sénat, ne serait-ce qu'en devant intercaler l'examen de la loi de financement entre les deux parties de la loi de finances et en devant consacrer à cette dernière quelques uns des jours qu'elle consacre ordinairement à la deuxième partie du budget.

Encore faut-il souligner, comme l'a fait le président Jacques Larché, que ces mécanismes ne pourront fonctionner qu'à condition que le Gouvernement ne dépose pas d'autres projets de loi au même moment.

Dans le cas contraire, les décisions et les engagements pris lors de la dernière révision constitutionnelle en vue d'améliorer les conditions de travail parlementaire risqueraient fort d'être gravement remis en cause.

Article 3 (insertion d'un article 47-1 après l'article 47 de la Constitution) - Procédure d'élaboration des lois de financement de la sécurité sociale

Cet article propose d'insérer après l'article 47 de la Constitution (relatif à la procédure d'examen des lois de finances) un nouvel article 47-1 traitant de la procédure d'examen des lois de financement de la sécurité sociale.

La première partie du présent rapport évoque toutes les interrogations que soulève cette procédure et dispense donc votre rapporteur d'un long commentaire.

Dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale en première lecture, l'article 47-1 de la Constitution comporterait cinq alinéas.


Premier alinéa : le renvoi à une loi organique

Cet alinéa dispose que les projets de loi de financement seraient votés par le Parlement dans les conditions prévues par une loi organique. Par l'emploi du pluriel (et non du singulier, comme le proposait le projet initial) et la suppression de conséquence de la mention « chaque année » , l'Assemblée nationale a rétabli l'exact parallèle entre le premier alinéa de cet article et le premier alinéa de l'article 47 de la Constitution.

Sous réserve des dispositions constitutionnelles figurant aux alinéas suivants, c'est donc à la loi organique qu'il appartiendra de fixer les règles procédurales d'examen des lois de financement, ce qui n'était jusqu'à présent pas possible, comme l'avait considéré le Conseil constitutionnel en 1988 à propos de la proposition de loi organique de M. Michel d'Ornano.

En tout état de cause, cet alinéa n'appelle guère d'observation car c'est seulement au moment de l'examen de la loi organique en question que le Gouvernement et les deux assemblées du Parlement devront faire valoir leurs points de vue respectifs.

On peut toutefois souligner que s'agissant d'une loi organique qui concernera le Sénat, elle devra être adoptée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat en application de l'article 46, alinéa 4, de la Constitution. Le Gouvernement a d'ailleurs indiqué qu'il en irait ainsi pour l'ensemble des dispositions organiques d'application de la présente révision constitutionnelle.


Deuxième alinéa : les délais d'examen des lois de financement en première lecture

Là encore, cet alinéa est assez similaire au deuxième alinéa de l'article 47 de la Constitution en ce qu'il assigne des délais particuliers d'examen en première lecture des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Le délai accordé à l'Assemblée nationale serait toutefois plus bref : vingt jours (et quinze jours pour le Sénat si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée dans le délai requis), au lieu de quarante jours.

On note à cet égard que l'écart de délai entre le Sénat et l'Assemblée nationale serait plus faible dans le cas des lois de financement (cinq jours) que dans celui des lois de finances (vingt-cinq jours) ce qui, toute proportion gardée, atténue quelque peu la disparité entre les deux assemblées.

D'autre part, il convient de souligner qu'au stade de la première lecture, ce dispositif ne représente une véritable contrainte juridique que pour l'Assemblée nationale, et non pour le Sénat. En effet, si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée dans le délai requis, le Gouvernement saisit aussitôt le Sénat du projet de loi. En revanche, si le Sénat ne se prononce pas dans les quinze jours, aucune mesure particulière n'est prévue et c'est seulement au terme du délai total de cinquante jours (applicable à l'ensemble de la navette) que le Gouvernement pourra, s'il le souhaite, mettre en oeuvre les dispositions du projet de loi par ordonnance. Cette faculté n'a d'ailleurs rien d'obligatoire et le Gouvernement pourra toujours décider de laisser la nouvelle se poursuivre jusqu'à son terme normal.

Pour le reste, le problème des délais d'examen de la loi de financement est lié à celui de la priorité conférée à l'Assemblée nationale par l'article 2 du projet de révision. Aussi votre rapporteur ne juge-t-il pas nécessaire d'en présenter à nouveau le détail.


Troisième alinéa : le délai total d'examen de la loi de financement par les deux assemblées et la possibilité de mettre en oeuvre les dispositions du projet de loi par ordonnance si le Parlement ne s'est pas prononcé dans le délai de cinquante jours.

Ainsi qu'il vient d'être exposé, le délai total d'examen de la loi de financement par le Parlement serait fixé à cinquante jours et n'appelle pas d'observation particulière de votre rapporteur.

On doit seulement noter que la succession des délais respectivement accordés à chaque assemblée pour l'examen en première lecture de la loi de financement (vingt jours pour l'Assemblée nationale et quinze jours pour le Sénat, soit au total trente-cinq jours) laisserait un laps de quinze jours pour achever la navette.

En réponse à une question de votre rapporteur, le garde des sceaux a indiqué qu'à l'issue de la première lecture, le Premier ministre « pourra » convoquer la commission mixte paritaire, ce qui lui laisse, le cas échéant, la possibilité de ne pas la convoquer et de laisser se poursuivre la navette.

Votre rapporteur s'est interrogé sur cette éventualité. Ne serait-il pas préférable que la commission mixte paritaire « doive » être convoquée dès la fin de la première lecture ?

Car dans le cas contraire, un désaccord persistant entre les deux assemblées conduirait à multiplier les lectures et, en fin de compte, à dépasser le délai de cinquante jours, ce qui permettrait au Gouvernement de mettre en oeuvre par ordonnance les dispositions du projet de loi.

Par comparaison, l'article 47 de la Constitution relatif aux lois de finances demeure certes muet sur le moment de la convocation de la commission mixte paritaire mais l'article 39, alinéa 5, de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 pallie ce silence en disposant que dès après le vote en première lecture par le Sénat, « le projet de loi de finances est ensuite examiné selon la procédure d'urgence » .

Pour l'heure, il ne s'agit que d'une simple interrogation, d'autant que la mise en oeuvre du projet de loi de financement par ordonnance n'est qu'une faculté et non une obligation. En tout état de cause, ce problème pourra utilement être abordé au moment de l'élaboration de la loi organique.

Quant à la possibilité de mettre en oeuvre le projet de loi de financement par ordonnance après cinquante jours, largement commentée dans le présent rapport, elle n'appelle que trois observations complémentaires :

- ainsi qu'il a été dit, la mise en oeuvre du projet de loi de financement par ordonnance demeurerait une simple faculté dont le Gouvernement ne sera pas tenu d'user ;

- comme dans le cas des « ordonnances budgétaires » prévues par l'article 47 de la Constitution, les ordonnances visées dans le présent article n'auraient pas pour effet de transférer au Gouvernement l'exercice du pouvoir législatif. Tout au plus pourrait-il mettre en oeuvre « les dispositions » de son projet de loi mais non les modifier ou y substituer d'autres dispositions.

- la formulation retenue par le projet de révision constitutionnelle vise la « mise en oeuvre » des dispositions du projet de loi de financement par ordonnance, alors qu'en pareille hypothèse, l'article 47 de la Constitution vise la « mise en vigueur » du projet de loi de finances. Or, la mise en oeuvre d'un texte pourrait sembler ménager un pouvoir d'appréciation quant aux modalités de cette mise en oeuvre, alors que sa mise en vigueur a seulement pour effet de lui conférer une valeur normative. Au cas présent, votre rapporteur estime que la mise en oeuvre du projet de loi de financement doit s'entendre comme une simple mise en vigueur au sens de l'article 47 de la Constitution.


Quatrième alinéa : la suspension des délais lorsque leParlement ne serait pas en session ou au cours des semaines pendant lesquelles les assemblées auraient décidé de ne pas tenir séance.

Comme il a été indiqué dans la première partie du présent rapport, l'Assemblée nationale a introduit en première lecture une disposition selon laquelle les délais d'examen des lois de financement de la sécurité sociale seraient suspendus lorsque le Parlement n'est pas en session et, pour chaque assemblée, au cours des semaines où elle a décidé de ne pas tenir séance.

En ce qui concerne les semaines où les assemblées auraient décidé de ne pas siéger, on saisit mal l'intérêt pratique de cette précision, dans la mesure où le Gouvernement aurait toujours la possibilité de demander la tenue de séances supplémentaires.


Cinquième alinéa : le contrôle par le Parlement de l'application des lois de financement et le concours de la Cour des comptes

Toujours par souci de parallélisme avec l'article 47 de la Constitution, l'Assemblée nationale a introduit à la fin de l'article 47-1 un nouvel alinéa au terme duquel : « La Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale. » .

En séance publique, le Gouvernement a exprimé son accord de principe sur cette disposition. Il aurait toutefois préféré que l'article 47-1 de la Constitution fasse référence au contrôle de « la mise en oeuvre » et non à celui de « l ' application » de la loi de financement -pour le différencier du contrôle de la loi de finances, qui porte sur son « exécution » - afin de ne pas « donner à penser à tort, qu'il y aura en ce domaine des lois de règlement » .

L'Assemblée nationale n'a toutefois pas souhaité s'arrêter à cette nuance terminologique. Votre rapporteur n'élève aucune objection particulière à ce sujet, les débats suffisant d'ailleurs à établir très clairement l'intention du Constituant.

Le Garde des sceaux a par ailleurs indiqué « qu'en ce domaine, le contrôle de la Cour des comptes ne saurait avoir la même étendue qu'en ce qui concerne la loi de finances. Les ressources de la sécurité sociale sont en effet d'une nature différente, ses dépenses également, et l'intervention de la Cour des comptes devrait donc se limiter à un rapport et à des enquêtes effectuées à la demande des commissions parlementaires » .

Votre rapporteur note à cet égard qu'une forme de concours de la Cour des comptes était déjà prévue -quoiqu'en termes moins explicites- dans l'avant-projet de loi organique communiqué par le Gouvernement, dont l'article L.O. 4 dispose : « Sont joints au rapport mentionné à l'article L.O. 2 ci-dessus [le rapport présenté en même temps que le projet de loi] tous rapports et avis prévus par la loi en vue de parfaire l'information du Parlement sur les politiques de sécurité sociale et de santé. Est notamment joint le rapport de la Cour des comptes prévu à l'article L.O. 132 du code des juridictions financières » .

En fait, on peut considérer que les formes du concours susceptible d'être apporté au Parlement par la Cour des comptes ressortissent pour l'essentiel au domaine de la loi simple. Par analogie, le ministre a d'ailleurs rappelé, lors des débats de l'Assemblée nationale, que l'intervention de la Cour des comptes dans la loi de finances n'était pas régie par une loi organique.

Quoi qu'il en soit, la disposition constitutionnelle adoptée ne peut que mieux asseoir les dispositions légales prises à cet effet et, peut-être, en favoriser l'application.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE N° 367 PRÉSENTÉE LE 12 JUILLET 1995 PAR M. JACQUES OUDIN

tendant à renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes des régimes obligatoires de sécurité sociale, ainsi que sur les concours de l'État à leur financement

N°367

SÉNAT

TROISIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1994-1995

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 juillet 1995.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

tendant à renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes des régimes obligatoires de sécurité sociale, ainsi que sur les concours de l'État à leur financement,

PRÉSENTÉE

Par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Parlement - Sécurité sociale.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Initialement conçu sur la base d'une solidarité professionnelle, le système français de protection sociale étend aujourd'hui le bénéfice de ses prestations à la quasi-totalité de la population, tandis qu'une part croissante de son financement fait appel à la solidarité nationale.

Son adaptation, son évolution et son avenir sont désormais devenus l'affaire de tous.

Il est donc nécessaire de réaffirmer solennellement la vocation du peuple français à exercer, par l'intermédiaire de ses représentants élus, le contrôle des régimes obligatoires de sécurité sociale.

Or les prérogatives du Parlement dans ce domaine sont constitutionnellement limitées. En vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi « détermine les principes fondamentaux de la sécurité sociale ». Le Parlement ne détermine donc ni les taux de cotisations ni le montant des prestations, ces responsabilités incombant au pouvoir réglementaire.

Ce partage des compétences fait obstacle à une bonne information du Parlement en matière de sécurité sociale. Celui-ci est amené à débattre des mesures d'ordre social sans pouvoir en mesurer pleinement les conséquences financières. De même, il est appelé à voter les concours budgétaires de l'État à la sécurité sociale sans maîtriser leurs paramètres d'évolution, ni même en avoir une vue globale.

En 1987, les deux Chambres avaient cherché à remédier à cette situation peu satisfaisante en adoptant, à l'initiative de M. Michel d'Omano, une loi organique relative au contrôle du Parlement sur les finances des organismes de protection sociale. Mais le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 87-234 du 7 janvier 1987, l'a invalidée, considérant qu'elle ne s'inscrivait pas dans le cadre de l'article 34 de la Constitution.

Toutefois, l'information du Parlement en matière de finances sociales a été considérablement améliorée l'an dernier par la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale.

Tout d'abord, cette loi légalise la commission des comptes de la sécurité sociale, qui n'avait qu'une existence réglementaire depuis sa création en 1979, et donne plus de régularité à ses réunions.

Par ailleurs, elle institue un rapport spécial de la Cour des comptes au Parlement analysant les comptes de l'ensemble des organismes de sécurité sociale.

Enfin, elle fait obligation au Gouvernement de présenter chaque année au Parlement un rapport relatif aux principes fondamentaux qui déterminent l'évolution des régimes de base de sécurité sociale. Cette disposition a été appliquée dès l'automne 1994 : au cours de la dernière session budgétaire, un débat sans vote a été organisé devant chacune des deux assemblées sur la base du rapport gouvernemental.

Il apparaît aujourd'hui opportun d'aller au-delà de cette disposition de valeur simplement législative, et d'inscrire directement dans la Constitution le principe d'un débat parlementaire annuel sur les comptes de la sécurité sociale.

En 1992 déjà, tirant les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1987, j'avais déposé une proposition de loi constitutionnelle tendant à réaffirmer les principes démocratiques devant présider au contrôle de l'effort social de la Nation (n° 190, première session extraordinaire de 1992-1993), qui prévoyait d'organiser chaque année un débat parlementaire sur les recettes et les dépenses des organismes concourant à l'effort social de la Nation.

En 1993, le comité consultatif pour la révision de la Constitution, mis en place par le Président de la République et présidé par le doyen Georges Vedel, avait à son tour préconisé, parmi bien d'autres propositions de réformes constitutionnelles, d'institutionnaliser un débat annuel au Parlement sur les comptes prévisionnels des régimes obligatoires de base de sécurité sociale {Journal officiel du 16 février 1993, page 2545).

La présente proposition de loi constitutionnelle reprend pour l'essentiel le texte proposé par le « comité Vedel ». Elle s'en distingue toutefois sur deux points :

- d'une part, le rapport présenté par le Gouvernement au Parlement porte sur les comptes prévisionnels de tous les régimes obligatoires de sécurité sociale, et non pas des seuls régimes de base ;

- d'autre part, un lien est établi avec la discussion budgétaire, le Parlement devant délibérer au vu du rapport avant l'adoption définitive de la loi de finances de l'année. Ainsi, le débat relatif à la sécurité sociale pourra utilement éclairer le débat budgétaire, et le Parlement se prononcera en parfaite connaissance de cause sur les concours financiers de l'État aux régimes de sécurité sociale.

Ainsi que l'a rappelé le Président de la République dans son message aux Assemblées du 19 mai dernier, l'une des vocations essentielles du Parlement est de veiller à la bonne gestion et au meilleur emploi possible des fonds publics.

La présente proposition de loi constitutionnelle, qui entend renforcer le contrôle exercé par le Parlement sur les comptes des régimes de sécurité sociale, s'inscrit dans le droit fil de cette vocation fondamentale.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique.

Après l'article 47 de la Constitution, il est inséré un article 47-1 ainsi rédigé :

« Art. 47-1. - Une loi organique fixe les conditions dans lesquelles le Gouvernement présente au Parlement, avant l'adoption définitive de la loi de finances de l'année, un rapport sur les comptes prévisionnels des régimes obligatoires de sécurité sociale.

« Au vu de ce rapport, le Parlement délibère sur les objectifs de ces régimes, les conditions de leur équilibre financier et sur les ressources consacrées à leur financement provenant du budget de l'État et de contributions fiscales affectées. »

ANNEXE - COMPTE RENDU DES TRAVAUX DE LA COMMISSION :

ï Audition de M. Jacques Toubon, Garde des Sceaux, ministre de la Justice ;

ï Examen du rapport de M. Patrice Gélard

COMPTE RENDU DE L'AUDITION, LE 30 JANVIER 1996, DE M. JACQUES TOUBON, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE INSTITUANT LES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE.

M. Jacques Larché, président, après avoir souhaité la bienvenue à M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, s'est félicité de la participation à cette audition de M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, de M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, et de M. Jacques Oudin, rapporteur spécial du budget des affaires sociales.

M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord souligné que la protection sociale traversait l'une de ses crises les plus graves depuis sa création il y a cinquante ans, imputable tant à une forte dérive financière qu'à l'opacité et la complexité du système dans un contexte de déresponsabilisation des différents intervenants, citant à ce sujet les propos du Premier ministre : « la sécurité sociale qui est la responsabilité de chacun est devenue la responsabilité de personne ».

Le garde des sceaux a estimé que la sécurité sociale devait « redémarrer d'urgence » sur des bases claires, solides et durables auxquelles le Parlement, organe de démocratie, devait désormais être associé. Dans cette perspective, il a considéré que la révision constitutionnelle permettrait de rééquilibrer les rôles des pouvoirs publics en substituant à l'actuel dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux une relation triangulaire dotant le Parlement de certaines responsabilités détenues jusqu'à présent par le seul Gouvernement.

Il a exposé que les Assemblées pourraient désormais, par un vote, assigner au pouvoir exécutif un cadre normatif d'évolution des dépenses des régimes obligatoires de base, qu'il appartiendrait au Gouvernement de mettre en oeuvre avec les partenaires sociaux.

Le ministre a souligné qu'un tel système ne correspondait ni à une privatisation de la sécurité sociale comme aux États-Unis ni à son étatisation selon le modèle britannique, d'autant que le projet ne remettait aucunement en cause l'autonomie de gestion des caisses.

Devant l'insuccès des mesures adoptées depuis une vingtaine d'années en vue de mieux associer le Parlement aux décisions intéressant l'équilibre financier des régimes de sécurité sociale, le ministre a estimé que la révision constitutionnelle était la seule voie permettant aux Assemblées de se prononcer sur une enveloppe de dépenses ; plus largement, il a jugé que cette révision constituerait la véritable assise constitutionnelle de la réforme de la sécurité sociale.

Le garde des sceaux a ensuite présenté les axes essentiels du projet de révision, comportant dans une formulation intentionnellement concise deux volets :

- la création d'une nouvelle catégorie de loi et la définition de son objet ;

- la procédure d'adoption de cette nouvelle catégorie de loi.

Il a rappelé que la mise en oeuvre de ces principes constitutionnels nouveaux devait être organisée par une loi organique dont un avant-projet avait d'ailleurs été communiqué par le Gouvernement au Président du Sénat et au président de la commission des lois, ce texte n'ayant toutefois qu'un caractère préparatoire et devant être modifié en fonction des amendements adoptés au cours de la navette.

Le ministre a souligné que l'Assemblée nationale, tout en modifiant sur plusieurs points la forme du projet initial, en avait préservé le fond et que le texte soumis au Sénat traduisait ainsi une totale convergence de vues entre l'Assemblée nationale et le Gouvernement.

M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a ensuite exposé qu'en vertu de l'article premier, les lois de financement de la sécurité sociale fixeraient des objectifs de dépenses dont la loi organique limiterait explicitement la portée aux seuls régimes obligatoires de base de la sécurité sociale, à l'exclusion des régimes complémentaires ou d'autres régimes de protection sociale comme l'UNEDIC, l'ARRCO, l'AGIRC, etc... Il a indiqué que ces objectifs de dépenses, exprimés en taux d'évolution, s'imposeraient au Gouvernement dans ses négociations avec les partenaires sociaux et seraient traduits d'abord dans les conventions nationales conclues entre le Gouvernement et les caisses nationales puis dans les conventions conclues entre ces caisses et les professionnels de la santé, ainsi que dans les budgets des établissements hospitaliers.

Le ministre a souligné le caractère véritablement normatif de ces objectifs de dépenses, sanctionné non pas par la cessation des prestations qui constituaient des droits pour les assurés sociaux, mais par des mécanismes de régulation opposables aux intervenants de la sécurité sociale (ajustements collectifs ou, sur le plan individuel, application des références médicales par le codage des actes).

Il a indiqué que ces objectifs de dépenses devraient être fixés annuellement, cette périodicité étant la seule compatible avec les instruments de mise en oeuvre de la politique sanitaire et sociale.

Il n'a toutefois pas exclu qu'en cas de nécessité impérieuse liée à une évolution brutale et très ample du contexte économique, ces objectifs de dépenses soient rectifiés en cours d'année. Le ministre a noté à ce sujet que l'Assemblée nationale avait explicitement introduit cette faculté dans le projet de révision -en substituant l'expression, au pluriel, « les lois de financement », texte initial, rédigé au singulier, « la loi d'équilibre »- mais que cette modification de forme ne contredisait en rien l'objectif du Gouvernement de conférer un caractère exceptionnel à de tels aménagements en cours d'année. Il a d'ailleurs rappelé que le Gouvernement serait seul compétent pour déposer un projet de loi de financement rectificative et qu'il n'en déposerait pas, sauf impérieuse nécessité.

Le garde des sceaux a également observé que l'Assemblée nationale avait introduit dans le projet de révision une référence explicite aux prévisions de recettes qui, dans l'esprit du Gouvernement, n'avait pas paru de prime abord nécessaire dans la mesure où elle se déduisait déjà implicitement de la définition même de l'équilibre financier, lequel résulte en toute logique du rapprochement entre des dépenses et des ressources. Aussi, le ministre a-t-il considéré que cette adjonction était de pure forme et demeurait sans la moindre incidence sur les compétences de détermination des ressources de la sécurité sociale, que le Gouvernement n'entendait pas modifier.

Il a ainsi rappelé que les taux de cotisations de sécurité sociale resteraient fixés par le Gouvernement, que les concours budgétaires continueraient d'être arrêtés par la loi de finances et que la création, le taux et l'assiette des recettes fiscales affectées -la CSG, par exemple- demeureraient du domaine de la loi, leur recouvrement devant toutefois être autorisé chaque année par la loi de finances.

Dans cette optique, le garde des sceaux a souligné que les lois de financement ne seraient pas des lois de finances sociales, qu'elles n'emporteraient ni crédits limitatifs ni autorisation de dépenses ou de prélèvement de recettes et qu'elles ne remettraient pas en cause la compétence du législateur pour déterminer les principes fondamentaux de la sécurité sociale, telle que prévue à l'article 34 de la Constitution.

Abordant le schéma d'élaboration des lois de financement, le ministre a indiqué que les conditions générales de l'équilibre financier des régimes seraient définies en fonction des objectifs de la politique sanitaire et sociale et des recettes attendues, puis qu'en fonction de ces éléments, les objectifs de dépenses seraient fixés. Il a vu dans cette démarche l'occasion d'exprimer certains choix fondamentaux de la politique sanitaire et sociale, par exemple la politique de vaccination, la politique de restructuration hospitalière, etc.

La mise en oeuvre des objectifs de dépenses devant être traduite dans les budgets hospitaliers et dans les conventions avec les professionnels de la santé, le ministre a estimé indispensable que la loi de financement soit adoptée avant la fin de l'année, ce qui avait conduit le Gouvernement à enserrer l'examen du projet de loi dans un délai total de cinquante jours au-delà desquels il pourrait être mis en vigueur par voie d'ordonnance.

Avec vingt jours de délai pour Assemblée nationale puis quinze jours pour le Sénat -la commission mixte paritaire pouvant être réunie aussitôt après-, le ministre a estimé que le projet de révision atteignait un équilibre « sinon pleinement satisfaisant, du moins raisonnablement acceptable ». Il a justifié le délai moindre accordé au Sénat, d'une part par la saisine prioritaire de l'Assemblée nationale, d'autre part parce que la loi de financement serait plus brève et moins diversifiée que la loi de finances, n'imposant en particulier pas d'aborder l'ensemble des budgets d'un grand nombre d'administrations.

Il a toutefois reconnu qu'il serait nécessaire de coordonner le calendrier d'examen du projet de loi de finances avec celui du projet de loi de financement, le décalage de la date de dépôt de ce dernier -environ fin octobre- devant permettre de résoudre cette difficulté. Il a jugé cette solution préférable à celle d'un examen en premier lieu par le Sénat, insistant sur la nécessité pour chaque Assemblée d'examiner en parallèle les deux textes. Il a considéré que tout autre mécanisme risquerait de subordonner indûment l'un des débats à l'autre.

Dans cette optique, le garde des sceaux a exclu que la loi de financement soit examinée au printemps précédant l'exercice, le Parlement ne disposant pas à ce moment-là des éléments d'information nécessaires, ou au contraire un mois après le vote de la loi de finances, ce qui décalerait l'année sociale par rapport à l'exercice budgétaire et poserait de nombreuses difficultés tant sur le plan des principes que d'un point de vue pratique.

En définitive, le garde des sceaux a estimé que l'examen simultané, en dépit de l'importante charge de travail qui serait probablement imposée aux Assemblées, garantirait la cohérence des choix politiques à l'égard des deux textes majeurs regroupant l'essentiel des prélèvements obligatoires.

Le ministre a évoqué les réticences exprimées çà ou là quant à l'absence de sanction dans l'hypothèse où le projet de loi de financement de la sécurité sociale n'aurait pas été déposé par le Gouvernement en temps utile pour que la loi soit adoptée avant le début de l'exercice, alors que la révision prévoyait la possibilité de mettre le projet en vigueur par ordonnance en cas de retard imputable au Parlement. Il a reconnu que sur ce point, le Gouvernement n'était pas parvenu à une réponse satisfaisante, la reconduction des objectifs de l'exercice précédent pouvant en tout état de cause se révéler dangereuse face à un contexte socio-économique ayant fortement changé d'une année sur l'autre.

En conclusion, M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que cette révision traduisait le souci du Gouvernement de conférer au Parlement une responsabilité nouvelle dans le financement de la sécurité sociale sans toucher au paritarisme. Il a estimé que cette réforme permettrait à la protection sociale, non seulement d'assurer sa mission mais surtout de survivre face aux difficultés qui la menaçaient.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a souhaité que le ministre apporte des précisions sur les principales notions contenues dans le projet de révision (la « sécurité sociale », les « objectifs de dépense », les « prévisions de recettes », etc.).

Il s'est également interrogé sur les conséquences de prévisions de recettes trop optimistes et ne permettant finalement pas d'atteindre les objectifs de dépenses ainsi que sur les conditions d'exercice du droit d'amendement sur la loi de financement, en particulier quant à l'irrecevabilité financière prévue par l'article 40 de la Constitution.

Le rapporteur a également demandé au garde des sceaux de préciser ce qu'il fallait entendre par « mesures de nature législative » susceptibles d'être introduites dans les lois de financement en vue de permettre la mise en oeuvre effective des amendements parlementaires ayant pour effet de modifier les données générales de l'équilibre. Il a exprimé la crainte que ces mesures ne s'apparentent à de véritables « cavaliers sociaux ».

Enfin, le rapporteur a souhaité savoir si le vote annuel de la loi de financement serait conciliable avec la nécessaire programmation pluriannuelle de certains équipements lourds de santé, comme les scanners ou les imageurs à résonance magnétique nucléaire.

M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a vu dans le projet de loi constitutionnelle l'aboutissement d'une très longue évolution dont la précédente étape avait été le vote de la loi du 25 juillet 1994, à cette différence majeure toutefois que la Constitution permettrait enfin au Parlement non seulement de débattre mais de se prononcer par un vote.

Il a rappelé que la commission des affaires sociales s'était toujours attachée à une vision globale de la protection sociale et qu'il ne conviendrait pas de focaliser la loi de financement sur les seuls problèmes de l'assurance maladie, d'autant que les branches « Famille » et « Retraite » laissaient d'ores et déjà envisager des difficultés à l'horizon 2005-2015.

Il a ensuite fait part de l'accord de sa commission sur la rédaction de l'article premier, notant toutefois à titre personnel que le Parlement aurait fort bien pu se prononcer sur des dépenses et des recettes, et non sur de simples objectifs ou prévisions. Il a rappelé à ce sujet que tel était déjà le cas pour le budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA), sans que cela soulevât la moindre critique. Il a néanmoins souligné qu'il appartiendrait à la loi organique de définir le contenu exact des lois de financement, relevant pour le moment que l'avant-projet communiqué par le Gouvernement devrait être aménagé pour tenir compte du texte finalement voté par le Parlement, notamment pour les prévisions de recettes.

Sur l' article 2, M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a estimé que la priorité reconnue à l'Assemblée nationale n'était pas un réel sujet d'inquiétude pour peu que l'Assemblée puisse se saisir du texte entre la fin de l'examen de la première partie de la loi de finances et le début de l'examen de sa seconde partie, de façon que le Sénat puisse entreprendre celui de la loi de financement avant d'être lui-même accaparé par le budget. En revanche, il lui a semblé absolument impératif que les objectifs de dépenses de la sécurité sociale soient définitivement fixés avant le 1er janvier.

Il a enfin souhaité que les lois de financement -notamment les lois de financement rectificatives- ne soient pas surchargées de dispositions diverses au point de se transformer en lois portant diverses dispositions d'ordre social (DDOS). Il a exhorté le ministre à résister aux pressions prévisibles des administrations de manière à conserver aux lois de financement leur caractère de lois brèves et avant tout centrées sur les objectifs de dépenses.

M. Jacques Larché, président, a craint que l'encombrement de l'ordre du jour d'octobre à décembre et l'examen concomitant de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale ne remettent en cause les engagements et les décisions pris lors de la dernière révision constitutionnelle en vue d'améliorer les conditions du travail parlementaire.

M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, s'est tout d'abord félicité de l'excellente coopération entre la commission des lois et les deux autres commissions intéressées, qui dispensait de multiplier les saisines pour avis ou de constituer une commission spéciale, formule ayant pour effet de départir les commissions permanentes de leurs compétences naturelles.

Il a rappelé que, sur le principe, la commission des finances avait toujours souhaité l'institution d'une loi sur le financement de la sécurité sociale, compte tenu notamment de la part croissante des concours budgétaires et fiscaux à l'équilibre des régimes. Il a cité à ce propos la proposition de loi constitutionnelle présentée le 12 juillet dernier par M. Jacques Oudin. Aussi a-t-il jugé la révision urgente et nécessaire.

En revanche, il a considéré que ses modalités étaient très discutables, en raison d'une certaine assimilation (à ses yeux infondée) entre les lois de finances et les lois de financement, tant sur le fond que sur la procédure. Il a considéré que les lois de financement ne seraient pourvues que d'une « faible densité normative » et devraient être plutôt assimilées à des lois de programme ou d'orientation, au point que l'application de l'article 40 de la Constitution à ce type de loi ne lui paraissait guère aller de soi.

Mais il a surtout insisté sur le véritable risque de « télescopage » entre l'examen de la loi de finances et celui de la loi de financement, sauf à modifier le calendrier de la discussion budgétaire, solution qui lui semblait exclue.

Pour illustrer son propos, il a exposé que saisie du projet de loi de financement aux alentours du 2 novembre, à l'issue des travaux préalables à l'élaboration de ce projet (adoption des rapports de la Cour des comptes, de la commission des comptes de la sécurité sociale et consultation des caisses), l'Assemblée nationale disposerait de vingt jours pour l'examiner, soit un vote final en principe le 23 novembre ; que de cette sorte, le Sénat se trouverait saisi de la loi de financement en plein début de la discussion budgétaire, la loi de finances lui étant transmise le plus souvent aux alentours du 20 novembre. Il en a donc conclu que le Sénat serait bien obligé d'examiner simultanément le budget et la loi de financement de la sécurité sociale.

Pour remédier à cette difficulté, M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, a vivement préconisé, soit d'accorder la priorité d'examen de la loi de financement au Sénat pour qu'il l'examine pendant que l'Assemblée nationale discuterait du budget, soit de reporter l'examen du projet de loi de financement en janvier, voire plus tard.

M. Jacques Larché, président, s'est interrogé sur l'hypothèse d'un rejet de la loi de financement, observant qu'en pareille hypothèse, le parlement se serait bien prononcé (par la négative) et que la mise en vigueur du projet par ordonnance ne serait donc pas possible.

En réponse à cette observation, M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a confirmé que la procédure de l'ordonnance ne pourrait être mise en oeuvre en cas de rejet du projet de loi, estimant que la sécurité sociale se retrouverait alors dans la même situation qu'actuellement, c'est-à-dire dépourvue d'un cadre légal d'évolution de ses dépenses.

Le garde des sceaux a ensuite approuvé les propos introductifs du président Jean-Pierre Fourcade, estimant que la révision représentait un progrès considérable par rapport à la situation antérieure en permettant au Parlement de se prononcer par un vote. Il a souligné que cette révision ferait « sauter le verrou constitutionnel » auquel s'étaient heurtées les précédentes tentatives mais que les évolutions ultérieures de la sécurité sociale conduiraient probablement à de nouveaux aménagements sur lesquels il était impossible d'anticiper.

En réponse, le ministre a indiqué :

- que la loi de financement traiterait exclusivement des régimes obligatoires de base ;

- qu'à ses yeux, elle serait dotée d'une « normativité suspendue » -et non d'une « normativité différée », comme l'avait considéré M. Pierre Mazeaud, président et rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale- dans la mesure où tout dépassement des objectifs de dépenses conduirait à appliquer des mécanismes d'ajustement collectifs ou individuels ;

- qu'en revanche, la loi de financement ne comporterait ni crédits limitatifs ni autorisation de recettes ;

- que le droit d'amendement des parlementaires s'exercerait dans les conditions ordinaires applicables à toutes les lois, y compris l'article 40 de la Constitution.

Le ministre a également confirmé qu'à ses yeux, la loi de financement ne devrait en aucun cas devenir une sorte de projet de loi portant diverses mesures d'ordre social, même si, à l'Assemblée nationale, plusieurs députés avaient souhaité que cette nouvelle catégorie de loi puisse contenir des dispositions plus générales que celles relatives au financement proprement dit de la sécurité sociale. Quant aux « mesures de nature législative » susceptibles de figurer dans les lois de financement, il a indiqué qu'il s'agirait, pour l'essentiel, de mesures analogues à celles actuellement prises par la voie d'ordonnances dans le cadre de l'article 38 de la Constitution.

En réponse aux objections de M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, le garde des sceaux a récapitulé les trois principes qui avaient guidé le choix du Gouvernement pour un examen concomitant par chaque Assemblée de la loi de finances et de la loi de financement : « dépôt décalé, discussion intercalée, adoption quasi-simultanée ». A cette fin, il a indiqué que le Gouvernement déposerait le projet de loi de finances le 2 octobre pour que l'Assemblée nationale puisse aborder l'examen de la loi de financement immédiatement après la première partie de la loi de finances, de telle manière que le Sénat en soit à son tour saisi avant d'entamer la discussion budgétaire.

Il a ajouté qu'il n'était pas certain que l'Assemblée nationale utilise l'intégralité du délai constitutionnel de vingt jours pour l'examen de la loi de financement. Il s'est par ailleurs déclaré convaincu que l'Assemblée nationale parviendrait facilement à consacrer quelques jours à l'examen de la loi de financement à l'intérieur du délai constitutionnel d'examen de la loi de finances, d'autant que le souci d'alléger les discussions budgétaires était de plus en plus partagé.

M. Jacques Larché, président, a estimé que ce voeu ne liait en rien le Sénat et qu'en tout état de cause, le calendrier évoqué par le ministre ne pourrait être respecté qu'avec l'engagement formel du Gouvernement de ne pas déposer d'autres projets de loi au même moment, faute de quoi l'amélioration du travail parlementaire résultant de la révision constitutionnelle du 4 août 1995 serait remise en cause, notamment le principe de la suppression des séances de nuit. Il a d'autre part considéré que l'examen concomitant des deux lois revenait à créer une période de surcharge en automne, alors qu'au contraire, un des objectifs de la précédente révision constitutionnelle avait été de mieux répartir sur l'année le programme des travaux législatifs.

M. Christian Poncelet, président de la commission des affaires sociales, a quant à lui réaffirmé sa conviction que le système proposé conduirait nécessairement le Sénat à devoir examiner les deux textes en même temps, ce qui ne lui paraissait pas envisageable.

M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a admis que les assemblées risquaient de devoir faire face à une importante charge de travail pendant cette période. Il n'y a cependant pas décelé de contradiction avec la révision constitutionnelle du 4 août 1995, dans la mesure où le premier trimestre de la session unique était consacré pour l'essentiel aux choix financiers publics fondamentaux. Il a d'ailleurs jugé impossible de découpler les deux discussions, ne serait-ce que pour préserver la cohérence des choix financiers retenus par le budget et par la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a fait observer qu'en l'état actuel du projet de révision, aucune date impérative n'était prévue pour l'examen de la loi de financement et que le Parlement n'en était donc encore qu'à des hypothèses.

Plusieurs membres de la commission ont alors interrogé le garde des sceaux.

M. Robert Badinter s'est déclaré perplexe devant les notions de « normativité à faible densité », de « normativité suspendue » ou de « normativité différée », estimant qu'on passait de la hiérarchie à la confusion des normes. Il a pour sa part considéré que les lois de financement comporteraient, comme beaucoup de lois programmatives, deux types de normes : les normes prévisionnelles et les normes contraignantes.

Il a souhaité que le ministre précise le sens de l'expression figurant à l'article premier selon laquelle les lois de financement détermineraient les conditions de l'équilibre financier de la sécurité sociale et les objectifs de dépenses dans les conditions « et sous les réserves » prévues par une loi organique, craignant que ces réserves ne permettent au législateur organique de restreindre le champ du texte constitutionnel, ce qui lui est apparu contraire à la hiérarchie des normes.

Il a également observé qu'en première lecture, l'Assemblée nationale avait supprimé dans l'article 3 la référence à un vote « chaque année » de la loi de financement, et en a déduit, qu'en l'état, le texte n'interdirait pas le vote de lois de financement pluriannuelles, ainsi que le dernier article de l'avant-projet de loi organique semblait l'admettre.

Il a enfin noté que les dispositions de nature législative susceptibles d'être introduites dans les lois de financement pourraient aussi être mises en vigueur par ordonnance, au même titre que les objectifs de dépenses, pour peu que le Parlement ne se soit pas prononcé dans le délai de cinquante jours.

Mme Nicole Borvo a jugé paradoxal qu'au moment où il faisait part de sa volonté de revaloriser le rôle du Parlement, le Gouvernement ait recouru aux ordonnances pour réformer la sécurité sociale. Elle a estimé que la révision constitutionnelle privilégiait l'équilibre financier des caisses au détriment de droits sociaux fondamentaux, comme le droit à la santé. Elle a jugé que la procédure d'élaboration des lois de financement ne ménageait pas de place suffisante à la consultation des partenaires sociaux et s'est interrogée sur les reports successifs des élections des administrateurs des caisses. Elle a d'autre part considéré la révision comme prématurée dans la mesure où les ordonnances du « Plan Juppé » n'étaient pas encore toutes publiées. S'agissant des problèmes de calendrier, elle a craint qu'une discussion précipitée de la loi de finances et de la loi de financement aboutisse finalement à une restriction de la marge réelle d'appréciation du Parlement.

Mme Nicole Borvo a enfin souhaité connaître l'avis du Gouvernement sur la proposition formulée en 1993 par le « Comité Vedel » quant au rôle du Parlement en matière de financement de la sécurité sociale.

M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a apporté les précisions suivantes :

- les « réserves » évoquées par M. Robert Badinter à propos de la loi organique concerneront la procédure d'élaboration de la loi de financement, en ce qu'elle sera dérogatoire à la procédure législative ordinaire ;

- le vote de la loi de financement sera annuel, comme pour celui de la loi de finances pour lequel l'article 47 de la Constitution ne prévoit d'ailleurs aucune périodicité ; le ministre a ajouté que l'intention du Gouvernement sur ce point était parfaitement claire et que les travaux préparatoires de la révision l'établiraient sans la moindre ambiguïté ;

- l'opposition établie par Mme Nicole Borvo entre l'équilibre financier des régimes et les droits à la protection sociale est apparue sans fondement, dans la mesure où ces droits ne pouvaient s'exercer qu'à la condition que les caisses chargées d'assurer les prestations restent solvables et que la richesse nationale le permette ;

- le projet de loi de financement serait dans tous les cas élaboré à partir des résultats des consultations des partenaires sociaux ;

- si les élections de la sécurité sociale avaient bien été reportées depuis 1983, c'était à la demande des organisations syndicales ;

- aux yeux du Gouvernement, la proposition du « Comité Vedel » avait résulté d'une réflexion déjà ancienne et ne semblait plus répondre aux nécessités du moment.

- M. Pierre Fauchon s'est interrogé sur l'articulation entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, évoquant la perspective de fondre ces deux textes dans une seule décision du Parlement.

Le garde des sceaux a confirmé 1' « entrelacement » de ces deux lois traitant chacune de deux piliers essentiels des finances publiques. Pour autant, il a estimé que leur fusion dans un seul et même texte reviendrait à changer la nature actuelle du système en abandonnant le principe des assurances sociales au profit d'un système étatisé.

M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a considéré que la question de l'examen simultané des deux textes trouvait un début de réponse dans l'existence de plusieurs commissions permanentes, permettant d'éviter la surcharge de l'une et de l'autre.

En conclusion, M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé que la révision constitutionnelle constituerait la pierre d'angle de la réforme en cours de la protection sociale. Il a considéré que loin d'être « un débat d'enregistrement » où le Parlement n'aurait qu'à ratifier des choix préétablis, le débat sur la loi de financement lui fournirait chaque année l'occasion d'arrêter des options politiques fondamentales. Il a estimé que sans devenir « le pilote de l'avion Sécurité sociale », le Parlement en définirait désormais « le plan de vol ».

Après des observations de MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Robert Badinter, M. Jacques Larché, président, a demandé au ministre de préciser la position du Gouvernement quant au caractère de la loi organique prévue par le projet de révision. Il lui a en particulier demandé si toutes les dispositions de cette loi organique ou seulement celles concernant la procédure seraient considérées comme « relatives au Sénat » au sens de l'article 46, alinéa 4, de la Constitution.

M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a répondu que, « tant en termes juridiques que politiques », l'intégralité de la loi organique serait considérée par le Gouvernement comme relative au Sénat et, partant, devrait être votée dans les mêmes termes par les deux Assemblées.

COMPTE RENDU DE LA REUNION DU 31 JANVIER 1996 CONSACREE A L'EXAMEN DU RAPPORT DE M. PATRICE GÉLARD SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE INSTITUANT LES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

M. Patrice Gélard, rapporteur, a tout d'abord qualifié ce projet de loi constitutionnelle d'intéressant, nouveau et complexe.

Il a indiqué qu'il correspondait à une volonté du Parlement exprimée depuis plus d'une dizaine d'années, rappelant les propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale et au Sénat sur le même sujet, notamment par M. Michel d'Ornano et M. Jacques Oudin.

Le rapporteur a constaté que la sécurité sociale n'était pas ignorée de la Constitution actuelle, puisque le préambule de la Constitution de 1946 en faisait mention et que l'article 34 de la Constitution de 1958 précisait que la loi déterminait les principes fondamentaux du droit de la sécurité sociale.

Il a toutefois relevé qu'en l'état actuel le Parlement ne pouvait pas statuer sur les grands équilibres financiers de la sécurité sociale, en dépit des attentes de l'opinion publique.

M. Patrice Gélard, rapporteur, s'est ensuite interrogé sur la pertinence du recours à une révision constitutionnelle, se demandant si une simple loi organique n'aurait pas été suffisante et si l'on n'aurait pas pu se contenter de lois de programme relatives à la sécurité sociale.

Il a cependant rappelé que la proposition de loi organique de M. Michel d'Ornano avait été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, le rapporteur a fait observer qu'il existait peu d'éléments comparables dans les Constitutions étrangères.

Il a souligné que le projet de loi constitutionnelle ouvrait au Parlement un champ d'intervention nouveau, en créant une nouvelle catégorie de loi, les lois de financement de la sécurité sociale, et en instituant une procédure d'adoption spécifique.

Tout en admettant que toutes les conséquences de cette révision constitutionnelle ne pouvaient être mesurées lors de l'examen du projet de révision, il a considéré que celui-ci obéissait à une réelle logique, accentuée par l'Assemblée nationale grâce à la transformation de la « loi d'équilibre de la sécurité sociale » en « lois de financement de la sécurité sociale » et au renforcement de l'analogie entre la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a ensuite présenté les différents articles du projet de loi.

Il a précisé que l'article premier modifiait l'article 34 de la Constitution, pour créer une nouvelle catégorie de lois, dont il a qualifié la normativité d'« aléatoire ». Il a en effet estimé que la définition du champ d'application et de la portée de ces lois était difficile et que les conséquences de ces définitions apparaissaient aléatoires.

Le rapporteur a approuvé la modification apportée par l'Assemblée nationale afin de permettre le vote de plusieurs lois de financement de la sécurité sociale, de même que, pour les lois de finances, on distingue la loi de finances de l'année et la loi de finances rectificative. Il a souligné en effet que les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses pourraient être révisés en cours d'année. Enfin il a noté que la formule « dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » était calquée sur celle existant pour les lois de finances.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a ensuite précisé que l'article 2 prévoyait que les lois de financement de la sécurité sociale seraient, comme les lois de finances, soumises en premier lieu à l'Assemblée nationale. Tout en reconnaissant qu'on pouvait regretter que le Sénat ne soit saisi qu'après l'Assemblée nationale, le rapporteur a souligné que c'était en vertu d'une tradition républicaine forte que l'Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, connaissait en premier lieu des textes de caractère financier.

Puis, le rapporteur a indiqué que l'article 3 tendait à instaurer une procédure d'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale calquée sur celle de la loi de finances, qui s'inscrivait dans la logique de l'analogie entre ces deux lois.

Au sujet du calendrier retenu pour l'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale, il a constaté que sa discussion allait interférer avec celle de la loi de finances. Il a cependant estimé que la surcharge de travail qui en résulterait pourrait être maîtrisée si l'Assemblée nationale discutait la loi de financement de la sécurité sociale à l'issue du vote sur la première partie de la loi de finances, ce qui permettrait au Sénat de l'adopter avant la loi de finances, à condition toutefois que le Parlement n'examine pas d'autres lois au cours de cette période. Il a en outre fait observer que, la loi constitutionnelle n'imposant pas de calendrier précis, il serait toujours possible d'envisager une adoption de la loi de financement de la sécurité sociale différée dans le temps par rapport à celle de la loi de finances.

S'agissant enfin de la loi organique appelée à préciser la portée de la révision constitutionnelle, le rapporteur a indiqué que l'avant-projet qui lui avait été communiqué devrait être revu en fonction des modifications apportées par l'Assemblée nationale, tout en rappelant que le garde des sceaux s'était engagé à considérer que la loi organique devait être adoptée par l'Assemblée nationale et le Sénat en des termes identiques.

En conclusion, M. Patrice Gélard, rapporteur, a proposé à la commission d'adopter sans modification le projet de loi constitutionnelle voté par l'Assemblée nationale.

A l'issue de cet exposé, M. Jacques Larché, président, a recommandé, à titre personnel, l'adoption conforme du projet de loi, compte tenu des engagements pris par le Gouvernement, s'agissant d'une part, de la procédure d'adoption de la loi organique et, d'autre part, de l'organisation du travail parlementaire entre octobre et décembre, qui devrait être une période d'« abstention législative ». Il a considéré que cette réforme répondait à une nécessité. Il a également tenu à marquer le bien fondé des modifications apportées par l'Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a tout d'abord précisé que la loi de financement de la sécurité sociale concernerait les régimes de base obligatoires soumis à l'examen de la commission des comptes de la sécurité sociale, ce qui correspondait à des montants s'élevant pour le seul régime général à 1.213 milliards de francs de dépenses et 1.153 milliards de francs de recettes, soit un ordre de grandeur comparable à celui du budget de l'État.

Il a déclaré que le Parlement pourrait ainsi examiner la validité des prévisions de recettes et de dépenses de ces régimes de base, tout en rappelant que le budget social de la Nation, regroupant l'ensemble des régime obligatoires et complémentaires, atteignait un montant total de 2.400 milliards de francs.

Au sujet du calendrier retenu pour l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale, il a estimé que l'Assemblée nationale et le Sénat pourraient trouver le temps nécessaire à cet examen, compte tenu du calendrier habituel de la discussion des lois de finances.

Enfin, M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a souligné que l'objectif de cette révision constitutionnelle était de permettre au Parlement d'apprécier la compatibilité entre les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses de la sécurité sociale, en fonction des informations apportées par le Gouvernement et les partenaires sociaux.

Il a considéré qu'il s'agissait là d'une innovation considérable qui permettrait progressivement de mieux cerner la réalité du financement de la sécurité sociale.

En conclusion, il a jugé le texte adopté par l'Assemblée nationale suffisant pour commencer à appliquer cette nouvelle procédure.

M. Robert Pagès a pour sa part estimé que le fil conducteur de la révision constitutionnelle n'avait pas été exprimé clairement. Il a en effet considéré, qu'en fait, il ne s'agissait pas de donner au Parlement un pouvoir nouveau mais de prendre en compte les critères de convergence imposés par le Traité de Maastricht et la perspective du passage à la monnaie unique.

Il a relevé le risque d'aboutir à une étatisation de la sécurité sociale et la contradiction avec le droit à la santé, affirmé par le préambule de la Constitution de 1946.

Il a par ailleurs regretté les reports successifs des élections à la sécurité sociale et la disparition progressive du pouvoir exercé par les partenaires sociaux dans ce domaine.

Il a enfin indiqué que le groupe communiste, républicain et citoyen voterait contre ce projet de révision constitutionnelle.

M. Robert Badinter, avant de faire part à la commission de ses observations juridiques sur le projet de loi constitutionnelle, a déclaré que le Gouvernement souhaitait obtenir du Sénat un vote conforme afin de respecter le calendrier de réformes annoncé devant l'opinion publique.

Il s'est ensuite interrogé sur la nature de la loi de financement de la sécurité sociale, dont il a considéré la normativité « indéterminée ».

Il a admis la nécessité d'une révision constitutionnelle, tout en soulignant qu'il convenait de limiter son contenu aux dispositions présentant un caractère indispensable.

Il a par ailleurs jugé inappropriée la formule « sous les réserves prévues par la loi organique » utilisée à l'article premier. Il a en effet souligné que cette formule, calquée sur celle déjà retenue pour les lois de finances, aboutissait à une confusion des normes puisqu'elle permettait à une loi organique d'apporter des réserves à des dispositions constitutionnelles. Il a considéré qu'il appartiendrait, en conséquence, au Conseil constitutionnel de définir le contenu des réserves qui pourraient être introduites par la loi organique. Il a donc suggéré que la Constitution se borne à renvoyer à la loi organique le soin de délimiter le seul domaine d'application des lois de financement.

A propos de la procédure d'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale, M. Robert Badinter a constaté que cette procédure avait été calquée sur celle de là loi de finances, en dépit de la différence de nature entre ces deux catégories de lois, la finalité de la loi de financement de la sécurité sociale se limitant à établir des prévisions. Il a considéré que la détermination de la procédure pourrait être renvoyée à la loi organique, ce qui permettrait de la modifier le cas échéant à l'expérience. Il a en effet regretté « l'aplatissement » de la norme constitutionnelle résultant du texte voté par l'Assemblée nationale.

En réponse à ces différents intervenants, M. Patrice Gélard, rapporteur, s'est déclaré en parfait accord avec les propos tenus par le président Jean-Pierre Fourcade, a pris acte des déclarations formulées par M. Robert Pagès et a souligné l'intérêt des problèmes juridiques soulevés par M. Robert Badinter.

Il a estimé que les lois de financement de la sécurité sociale seraient appelées à évoluer et prendraient peu à peu une importance capitale. Il a en effet déclaré que même s'il ne s'agissait pas de lois de finances, elles y ressemblaient singulièrement.

Il a par ailleurs indiqué qu'il appartiendrait à la loi organique de préciser que le domaine de la loi de financement de la sécurité sociale se limiterait aux régimes obligatoires de base étant entendu que cette limitation pourrait par la suite évoluer, et que le Conseil constitutionnel préciserait l'interprétation à donner au terme « réserves », déjà retenu par la Constitution, s'agissant du renvoi à la loi organique sur les lois de finances.

M. Robert Badinter a toutefois souhaité que l'on définisse précisément ce que recouvrait le terme « réserves ».

M. Patrice Gélard, rapporteur, a de nouveau spécifié qu'il s'agirait de la définition du domaine de la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Jean-Pierre Fourcade a déclaré qu'il n'était pas convaincu par l'argumentation de M. Robert Badinter. Il a considéré qu'il appartiendrait à la loi organique de définir le champ de la loi de financement de la sécurité sociale, à savoir la détermination des orientations générales de la politique de protection sociale et les conditions de l'équilibre financier prévisionnel des régimes de base.

M. Luc Dejoie a déclaré que compte tenu de l'analogie avec la loi de finances, il ne considérait pas anormal de calquer la rédaction du projet de loi constitutionnelle sur les dispositions de la Constitution concernant la loi de finances. En revanche, il s'est interrogé sur l'opportunité de faire figurer dans la Constitution le détail du calendrier d'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a pour sa part souligné les risques d'encombrement de l'ordre du jour des Assemblées, estimant que le Gouvernement aurait besoin de faire voter d'autres textes en même temps que la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a alors fait observer que le projet de loi constitutionnelle ne prévoyait pas à proprement parler un calendrier mais seulement des délais et ne précisait pas que les deux lois devraient être adoptées simultanément.

M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, a estimé que, dans la mesure où le projet de loi prévoyait que les dispositions de la loi de financement pourraient être prises par ordonnance en cas de non-respect des délais, il importait que ceux-ci figurent dans la Constitution. Il a indiqué qu'en tout état de cause, le fond, à savoir la nécessité pour le Parlement d'examiner les comptes sociaux, l'emportait sur la procédure.

Enfin, après des observations de M. Robert Badinter, M. Jacques Larché, président, a de nouveau recommandé à la commission une adoption conforme du texte qui lui est apparu répondre à une nécessité.

La commission a alors approuvé sans modification le projet de loi constitutionnelle instituant les lois de financement de la sécurité sociale.

Page mise à jour le

Partager cette page