III. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 13 décembre 1995, sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Charles Descours, rapporteur, sur le projet de loi n° 128 (1995-1996) autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale.

M. Charles Descours, rapporteur, a estimé que le projet de loi d'habilitation était la première étape de la mise en oeuvre du plan de réformes de la protection sociale présenté le 15 novembre dernier par le Premier ministre à l'occasion de sa déclaration de politique générale. Ce projet vise à autoriser le Gouvernement à recourir aux ordonnances prévues à l'article 38 de la Constitution dans huit domaines particuliers énumérés à l'article premier de ce texte et dans un délai de 4 mois.

Il a d'abord exposé les raisons qui justifient le recours aux ordonnances.

Il a indiqué que notre système de protection sociale traversait une crise d'une exceptionnelle gravité, d'un point de vue financier mais également au plan de ses structures, qui imposait des mesures d'une ampleur sans précédent.

Il a estimé que le projet de loi d'habilitation traduisait la volonté du Gouvernement d'agir en ce sens au plus vite. Le texte a été soumis au Parlement moins d'un mois après l'annonce des objectifs et de la méthode que le Gouvernement s'est fixés. M. Charles Descours, rapporteur, a observé que le délai de promulgation des ordonnances (quatre mois) représentait presque la moitié de la durée moyenne des précédentes habilitations qui s'établissaient entre 6 mois et 1 an. Le délai de ratification prévu est également relativement rapproché puisque celle-ci devrait intervenir avant le 30 mai 1996.

M. Charles Descours, rapporteur, a estimé que la procédure retenue apparaissait également pertinente du point de vue de l'efficacité.

Elle permet en effet au Gouvernement une unité et une cohérence dans l'action qui est un atout dans des domaines comme la protection sociale où les dispositions à caractère réglementaire et celles à caractère législatif sont fortement imbriquées. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les grandes réformes en matière sociale ont quasiment toutes été menées par voie d'ordonnances, que ce soit en 1967 ou en 1982.

Surtout, cette procédure permet de surmonter les corporatismes d'où qu'ils viennent.

Enfin, le recours aux ordonnances n'impliquera pas un effacement du Parlement. Non seulement l'habilitation est de courte durée, mais le Gouvernement s'est engagé à consulter les commissions parlementaires tout au long de la période de mise au point des ordonnances, ce qui est rendu possible grâce à la session unique.

M. Charles Descours, rapporteur, a ensuite indiqué que le contenu du projet de loi était conforme au programme annoncé et qu'à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale, il était beaucoup plus précis.

Concernant l'assurance vieillesse, la rédaction initiale a été, à juste titre, amendée à l'Assemblée nationale pour ne viser que les deux mesures directement concernées, à savoir, d'une part, la modification du mode de revalorisation des pensions de retraite et d'invalidité servies par le régime général et les régimes alignés et, d'autre part, l'harmonisation des conditions de prise en compte des durées d'assurance pour le calcul des pensions. Ces deux mesures devraient rapporter 700 millions en 1996 et environ 800 millions en 1997.

Concernant la branche famille, l'Assemblée nationale a également sensiblement modifié la rédaction initiale du texte qui, là encore trop générale, laissait la possibilité au Gouvernement de placer sous condition de ressources l'ensemble des prestations familiales.

Elle a ainsi substitué à la rédaction contestée par le président Jean-Pierre Fourcade, des dispositions plus précises et conformes au contenu du plan du 15 novembre comme l'élargissement de l'assiette des revenus pris en compte pour l'attribution des prestations sous condition de ressources, la mise en oeuvre de condition de ressources pendant toute la durée d'octroi de certaines prestations -une seule allocation est en fait concernée : l'allocation pour jeune enfant (APJE)- et l'harmonisation des délais de prescription. Enfin, l'expression « simplifier les modalités de gestion » des prestations familiales, qui correspond en fait au transfert à la CNAF de la gestion de ces prestations encore servies à leurs personnels par l'État et certaines entreprises publiques, a été substituée à celle d'une portée plus vaste prévoyant de « simplifier le régime desdites prestations ».

Concernant la médecine de ville, M. Charles Descours, rapporteur

a observé que le champ de l'habilitation était très large, puisqu'il incluait professions de santé et les assurés sociaux, mais aussi l'exercice des professions médicales.

Il a rappelé que les dispositifs législatifs et conventionnels applicables aux professions de santé ne s'étaient pas avérés suffisants pour garantir la maîtrise de dépenses de l'assurance maladie et la qualité de soins.

Les réformes annoncées par le Premier ministre comprennent deux volets : l'institution de nouvelles relations entre l'État, les caisses et les professions et l'amélioration de la maîtrise des dépenses de santé.

M. Charles Descours, rapporteur, a évoqué le dispositif d'ajustement automatique des rémunérations des médecins en fonction du respect des objectifs annoncé par le Premier ministre. Il a estimé qu'il était probablement inévitable et qu'il serait efficace. En effet, il permettra de conjuguer les effets de maîtrise des dépenses résultant de l'application par les médecins des références médicales et ceux qu'induisent leurs efforts en matière de volumes d'actes et de prescriptions.

Il s'est ensuite déclaré favorable à l'institution d'une formation médicale continue obligatoire ainsi qu'au projet de favoriser la réorientation de médecins libéraux vers la médecine préventive, la médecine scolaire ou la médecine du travail. Elle contribuera à réduire l'excédent de l'offre de soins libéraux tout en respectant les aspirations des médecins à continuer à exercer et en assurant une meilleure satisfaction des besoins de la population.

Il a émis une réserve sur l'expérimentation du passage obligé par le médecin généraliste avant de consulter un spécialiste : sauf à supprimer le paiement à l'acte, cette mesure ne devrait pas être génératrice d'économies. Mais il a estimé qu'il était tout de même utile de l'expérimenter.

M. Charles Descours, rapporteur, a ensuite évoqué les prélèvements visant les entreprises appelées à contribuer au rééquilibrage des comptes sociaux.

Il a souhaité que le prélèvement sur l'industrie pharmaceutique instauré « à titre exceptionnel » ne soit pas prorogé à moyen terme sous peine de compromettre, par exemple, certains investissements en faveur de la recherche et a estimé que les modalités de ce prélèvement devraient être négociées.

Il a attiré également l'attention sur la complexité du dispositif résultant du prélèvement sur les contrats de prévoyance collective. Plutôt que de créer une nouvelle taxe de 6% qui se superpose aux dispositifs existants, il eût été plus simple de réduire ou de supprimer l'exonération actuelle de cotisations sociales en matière de prévoyance.

M. Charles Descours, rapporteur, a ensuite évoqué la réforme hospitalière, dont il a approuvé les orientations générales, qu'il s'agisse de la contractualisation du financement ou de l'accréditation des structures hospitalières, émettant toutefois une réserve sur l'idée de supprimer la présidence des maires.

Évoquant l'organisation et le fonctionnement des caisses, M. Charles Descours, rapporteur, a estimé que les orientations de la réforme allaient dans le bon sens.

En effet, s'agissant du retour à la nomination des administrateurs, il a observé que la suppression de la désignation par élection ne faisait que traduire sa caducité dans les faits. Il a estimé qu'il ne fallait pas modifier la composition des conseils d'administration qui devait rester fondée sur le paritarisme.

Sur la création d'un conseil de surveillance composé notamment de parlementaires et de personnalités qualifiées, il s'est déclaré favorable à un tel rééquilibrage qui semblait s'inspirer d'un dispositif qu'elle avait elle-même institué par amendement à la loi du 22 juillet 1993 auprès du conseil d'administration du Fonds de solidarité vieillesse.

Il a souhaité que ce conseil permette d'assurer enfin la représentation des autres acteurs du système de protection sociale, actuellement absents du conseil d'administration, comme par exemple les professions de santé, les associations familiales ou de retraités.

Évoquant le traitement qui sera réservé à la dette sociale accumulée, il a estimé que la création de la caisse d'amortissement de la dette sociale apparaissait comme un dispositif plus clair et doté d'une plus grande transparence que celui mis en oeuvre en 1993.

Il a regretté que la reprise de la dette des régimes des non-salariés non agricoles reste limitée au déficit de la branche maladie à travers la dette de la CANAM alors que les deux principales caisses d'assurance vieillesse enregistrent également de sérieux problèmes de trésorerie. Il a estimé que le fait que le texte soumis au Parlement ne comporte plus de condition à la reprise de la dette de la CANAM constituait néanmoins déjà une garantie importante pour ces professions.

A l'occasion de la création du remboursement de la dette sociale(RDS), il a estimé nécessaire d'éviter une triple assiette (cotisations, CSG et RDS) impliquant une nouvelle rubrique déclarative et augmentant les risques d'évasion et de fraude.

Enfin, concernant les missions du FSV, M. Charles Descours, rapporteur, s'est félicité de la clarification annoncée dans les mesures du Fonds de solidarité vieillesse et souhaitée dès l'origine par la commission, même s'il a souligné que la notion de recentrage était ambiguë : elle pourrait, en effet, laisser entendre que le financement des prestations de solidarité sera la principale mission, mais peut-être pas la seule.

M. Charles Descours, rapporteur, a proposé à la commission de ne pas amender le projet de loi.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, a remercié le rapporteur pour son exposé clair et précis et a souligné que les amendements utiles avaient déjà été adoptés par l'Assemblée nationale, avec le rapporteur de laquelle M. Charles Descours a été en rapport permanent.

M. Roland Huguet a félicité le rapporteur de la clarté de son travail, tout en estimant que son rapport ne justifiait pas, sur la forme, le recours aux ordonnances.

Il a estimé que rien n'empêchait le Gouvernement de recourir à la procédure législative normale, d'autant que la session parlementaire avait été allongée et qu'en tout état de cause le Parlement serait conduit à ratifier les ordonnances.

Il a souligné en outre que, rapporté au déficit budgétaire de l'État, fixé à 287 milliards de francs dans le projet de loi de finances pour 1996, le déficit de la sécurité sociale s'élevait seulement à 60 milliards de francs, ce qui conduisait à en relativiser l'importance. Il a indiqué, enfin, que le groupe socialiste voterait contre le projet de loi d'habilitation.

M. Claude Huriet, après avoir félicité le rapporteur, a estimé qu'une hiérarchie pouvait être établie dans le degré d'urgence des différents sujets abordés dans la réforme et a estimé, que si l'urgence des dispositions à caractère financier apparaissait clairement, l'opportunité du recours aux ordonnances semblait moins évidente pour ce qui concerne les relations entre les professions médicales et les caisses de sécurité sociale en vue d'améliorer la qualité des soins et la maîtrise des dépenses de santé d'une part, et la réforme hospitalière d'autre part.

Indiquant que le groupe de l'Union centriste voterait le projet de loi, il a souligné que sa démarche ne visait pas à défendre des intérêts corporatistes mais à éviter que le Gouvernement ne se heurte aux mêmes pesanteurs que celles qui avaient déjà ralenti la mise en oeuvre des réformes précédentes, et en particulier de la loi du 31 juillet 1991, en raison de l'insuffisance de concertation préalable et de l'incapacité de certaines parties prenantes à faire face à leurs obligations conventionnelles.

Il s 'est interrogé sur les conditions dans lesquelles interviendrait la concertation sur le contenu des ordonnances promise par le Gouvernement.

Il s'est demandé, à cet égard, si le Gouvernement prendrait en compte les observations faites au cours du débat en séance publique sur le projet de loi d'habilitation ou si la concertation interviendrait en aval, avec les commissions des affaires sociales des deux assemblées et, dans ce cas, selon quelle procédure et quel calendrier.

En réponse, M. Charles Descours, rapporteur, a tout d'abord rappelé qu'en 1982 le Gouvernement avait recouru aux ordonnances en matière sociale, et a estimé qu'au-delà des aspects financiers, l'importance des corporatismes en matière de protection sociale justifiait cette procédure.

Sur le plan financier, il a souligné l'importance des frais financiers générée par le déficit de la sécurité sociale, le caractère spécifique et ancien du déficit du budget de l'État qui fait l'objet de procédures de financement appropriées et, enfin, la forte aggravation du déficit de la sécurité sociale observée depuis 1990.

Il a rappelé par ailleurs que le Parlement examinerait selon la procédure habituelle la création du régime universel d'assurance maladie et la réforme des prélèvements obligatoires.

S'agissant du secteur de la santé, il a souligné que, dès lors que le Gouvernement demandait un effort d'urgence aux entreprises et aux ménages, il n'aurait pas été compréhensible, dans cette logique globale, que les professions médicales ne soient pas concernées, d'autant que les corporatismes sont particulièrement importants en ce domaine.

Reconnaissant que le contenu des ordonnances sur ce sujet appellerait un examen attentif, il a estimé que le débat sur le projet de loi d'habilitation n'était pas le lieu pour fixer le contenu des ordonnances, lesquelles, concernant le secteur de la santé, seraient prises après le 1er janvier 1996.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, après avoir félicité le rapporteur de la qualité de son travail, a souligné que le projet de loi d'habilitation ne devait pas être dissocié du projet de révision constitutionnelle qui permettrait au Parlement de se prononcer chaque année sur l'équilibre de la sécurité sociale et de fixer les objectifs de dépenses des différents régimes.

M. Roland Hughet, estimant paradoxal de considérer que le recours aux ordonnances conduirait à revaloriser le rôle du Parlement, s'est interrogé sur les compétences respectives de la commission des finances et de la commission dans le cadre de la nouvelle procédure.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, a souligné que les amendements adoptés par l'Assemblée nationale apportaient les améliorations nécessaires et que le rapporteur ne proposait donc pas de nouveaux amendements à ce texte.

Il a invité la commission à voter sans le modifier, conformément aux conclusions du rapporteur, le projet de loi transmis par l'Assemblée nationale, en indiquant par avance que, compte tenu de cette position, la commission ne pourrait donner un avis favorable à aucun amendement extérieur.

S'agissant de la préparation des ordonnances, il a indiqué que si les dispositions d'ordre financier devaient être prises avant la fin de l'année 1995, le Parlement pourrait être consulté en février et mars 1996 sur les ordonnances relatives à la médecine de ville, à la réforme hospitalière et à la nouvelle organisation institutionnelle du système de la protection sociale.

A cet égard, il a souligné que le calendrier très complet d'auditions de la commission, préparé à sa demande, avait d'ores et déjà permis de faire apparaître les divergences de vue des acteurs du secteur hospitalier et la perception par les médecins du caractère injuste d'une sanction collective en cas de dépassement des objectifs de dépense.

Enfin, M. Jean-Pierre Fourcade, président, a présenté le calendrier prévisionnel des débats en séance publique en soulignant que, à sa demande, la durée de la discussion générale avait été portée de cinq heures à sept heures afin de permettre à chacun « d'aller au fond des choses » et en précisant qu'une réunion avait été prévue, le samedi 16 décembre au soir, entre le Président du Sénat, le ministre chargé des relations avec le Parlement et lui-même afin de faire le point sur l'état d'avancement de la discussion.

Puis, la commission a adopté sans le modifier le projet de loi autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale.

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