TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DU MINISTRE

La commission des Affaires sociales s'est réunie le jeudi 30 novembre 1995 sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, afin de procéder à l'audition de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, sur le projet de loi autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale.

M. Jacques Barrot a indiqué que le projet de loi d'habilitation était conforme au plan de réformes sur la protection sociale proposé par le Premier ministre mais ne prédéterminait pas dans le détail le contenu des ordonnances qui seraient préparées en concertation avec les commissions compétentes du Parlement.

Il a précisé d'emblée que les régimes spéciaux n'étaient pas concernés par les ordonnances, contrairement à certaines rumeurs. Une commission présidée par M. Dominique Le Vert venait d'être chargée de faire des propositions dans le délai de quatre mois sur leur adaptation afin de préserver leur avenir.

Puis, il a rappelé les grandes lignes du plan de réforme en mettant l'accent sur l'importance de la réforme constitutionnelle visant à renforcer le rôle du Parlement, véritable « clé de voûte » du nouveau système de protection sociale et dont le texte a déjà été transmis au Conseil d'État.

Il a confirmé que le projet de loi d'habilitation sur les ordonnances serait examiné le 7 décembre à l'Assemblée nationale et le 14 décembre au Sénat. Quant aux ordonnances, les deux premières, relatives au remboursement de la dette sociale et aux mesures immédiates de rééquilibrage financier, interviendraient entre la fin du mois de décembre et le début du mois de janvier, les trois autres concernant la réforme hospitalière, les mesures de maîtrise médicalisée et l'organisation des caisses seraient adoptées avant la fin du mois d'avril.

Il a rappelé à cet égard qu'il viendrait présenter chacune d'entre elles aux membres de la commission et recueillir ainsi leurs suggestions.

La réforme constitutionnelle, qui devrait venir à l'ordre du jour du conseil des ministres du 13 décembre prochain, pourrait être examinée par le Parlement dès le mois de janvier.

Il a évoqué également les trois projets de loi qui devraient être déposés au cours du premier semestre 1996 concernant respectivement le régime universel d'assurance maladie, le développement de l'épargne retraite et la réforme fiscale sur les prélèvements obligatoires.

Puis, M. Jean-Pierre Fourcade, président, a demandé s'il y aurait un projet de loi sur les régimes spéciaux à l'issue des travaux de la commission Le Vert. Il a obtenu une réponse positive du ministre sur ce point.

M. Charles Descours a interrogé notamment le ministre sur les modalités de consultation de la commission des Affaires sociales sur les ordonnances, sur l'apparente contradiction entre les objectifs définis par le Premier ministre et l'ouverture de crédits par le projet de loi de finances pour 1996 qui ont eu pour effet d'anticiper de cinq ans le départ à la retraite des personnels des services pénitentiaires ; sur le plafond de revenus des mesures prenant en compte « la situation matérielle » des familles, ainsi que sur le champ d'application et la portée des contrats d'objectifs dans le domaine sanitaire ; sur le décalage entre la volonté de décentralisation du système sanitaire et la nouvelle chaîne des responsabilités étroitement dépendante de l'État ; sur les raisons de l'élargissement des mesures d'apurement de la dette sociale à la Caisse nationale d'assurance maladie des non salariés (CANAM) ; sur les différences entre la contribution au remboursement de la dette sociale (RDS) et la contribution sociale généralisée (CSG) après l'élargissement de son assiette, et enfin, sur la portée de l'article 2.

M. Jacques Barrot, ministre, a indiqué que la mesure concernant les personnels pénitentiaires répond à un engagement visant à permettre l'alignement de la situation de ces derniers sur celle des policiers et qu'elle relevait du code des pensions civiles et militaires. Il a estimé prématuré de répondre aux questions relatives au système de santé tant que le dispositif des agences régionales n'aurait pas été arrêté tout en insistant sur la nature contractuelle des liens qui devraient unir les différentes structures et la nécessité de procéder à une réflexion en profondeur afin de ne pas superposer celles-ci. Il a admis que les conseils d'administration des hôpitaux devraient peut-être avoir des compétences élargies et qu'il faudrait éviter une organisation trop pyramidale des pouvoirs. Sur l'allocation parentale pour jeune enfant (APJE), il a rappelé que le plafond de ressources existait au-delà de l'âge de trois mois et que le Gouvernement prévoyait seulement de l'étendre à la période allant du troisième mois de grossesse au troisième mois suivant la naissance. Le rééquilibrage permettra par ailleurs l'accélération de l'application de la loi famille et le renforcement de l'action sociale des caisses. Il a justifié l'élargissement de l'apurement financier au régime d'assurance maladie des non salariés non agricoles par sa situation de trésorerie. Il a enfin indiqué que l'article 2 garantirait la date d'effet de certaines mesures, notamment financières, au 1er janvier 1996 quels que soient les délais d'adoption de la loi d'habilitation.

A cet égard, M. Hervé Gaymard, secrétaire d'État chargé de la santé et de la sécurité sociale, a souligné que le Sénat pourrait améliorer la rédaction de cet article.

M. Jean Chérioux s'est félicité que le plan de réforme de la protection sociale ne prévoit pas de placer les allocations familiales sous conditions de ressources. Il a vivement regretté que le Gouvernement n'adopte pas la même position au sujet de l'allocation pour jeune enfant, qui est une prestation à visée démographique. Il a interrogé le ministre sur les modalités de fiscalisation des allocations familiales ainsi que sur la représentation des familles au sein des conseils d'administration des caisses vieillesse et d'assurance maladie.

Il a observé que, si le projet de loi de finances tendait à aligner le régime de retraite des personnels pénitentiaires sur celui des policiers, rien n'excluait que la réforme de la protection sociale modifie dans quelques mois ce même régime des policiers.

M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, a

indiqué que l'allocation pour jeune enfant n'était dispensée sans condition de ressources qu'avant l'âge de trois ans. Il a accepté de mieux examiner les plafonds de ressources prévus par la réforme.

Il a indiqué que l'assujettissement à l'impôt des allocations familiales serait réalisé dans le cadre de la réforme fiscale. Il a rappelé que les familles modestes seraient épargnées et que cet assujettissement ne pourrait avoir pour effet de rendre imposables des familles qui ne l'étaient pas actuellement. Il a aussi rappelé que le produit de l'imposition des allocations familiales serait affecté à la branche famille.

Il a envisagé l'éventualité de demander un rapport annuel préparé par l'Union nationale des associations familiales pour permettre de faire le point sur ces questions.

Il a rappelé que les grandes réformes de la sécurité sociale avaient été réalisées par ordonnances. Il a justifié cette méthode par la volonté de prendre des mesures courageuses, nombreuses et audacieuses.

M. Roland Huguet lui a fait part de son incompréhension totale sur la procédure des ordonnances puisqu'il y aurait quand même consultation des commissions parlementaires. Il l'a interrogé sur le coût de l'assujettissement des allocations familiales à l'impôt sur le revenu et a déploré le report de la mise en place de la prestation d'autonomie.

Il a estimé à six milliards de francs le produit de la fiscalisation des allocations familiales : trois milliards de francs seraient utilisés afin d'aménager le barème de l'impôt, les trois autres milliards étant affectés à la branche famille.

Il a indiqué qu'il ne connaissait pas encore le calendrier d'examen par le Parlement du projet de loi sur la prestation autonomie. Il a estimé qu'un examen au cours du premier semestre permettrait à la fois de respecter les orientations fixées par le Premier ministre, de faire une réforme de grande ampleur instituant une prestation aussi bien pour le maintien à domicile que pour l'hébergement en établissement, et de donner aux départements le temps nécessaire pour s'adapter à cette nouvelle donne.

M. Alain Vasselle a affirmé que la réforme fiscale ne devrait pas pénaliser les classes moyennes. Il a rappelé que de nombreux jeunes ménages issus des classes moyennes hésitaient aujourd'hui à avoir des enfants, pour des raisons économiques.

Il a interrogé le ministre sur l'opportunité de maintenir dans le projet de loi d'habilitation la précision selon laquelle le déficit de la CANAM ne serait inclus que « le cas échéant » dans la dette isolée dans la caisse d'amortissement.

Il a demandé au ministre de préciser les intentions du Gouvernement en ce qui concernait le fonds de solidarité vieillesse (FSV).

M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, a fait siens les propos tenus par M. Alain Vasselle au sujet des classes moyennes. Il a indiqué que le fonds de solidarité vieillesse devait être consacré exclusivement à la prise en charge de prestations de solidarité. Il a observé qu'il existait cependant d'autres tentations au sein d'un autre ministère, mais qu'il convenait de n'y pas céder.

M. Jean-Louis Lorrain a indiqué au ministre que le régime d'Alsace-Moselle était équilibré et que l'on s'orientait vers une baisse des cotisations. Il lui a demandé si la sécurité sociale ne pourrait pas s'inspirer de cet exemple.

M. Jacques Barrot, ministre du travail et des Affaires sociales, a

estimé que M. Jean-Louis Lorrain avait raison. Quand des institutions ont fait leurs preuves, il faut en effet s'y référer. Il a souhaité, à cet égard, que des expérimentations soient mises en place.

Mme Michelle Demessine s'est insurgée contre la méthode autoritaire du Gouvernement qui l'amenait à recourir aux ordonnances. Elle a estimé inconcevable que celui-ci refuse d'écouter des millions de Français en grève et s'attaque aux chômeurs et aux plus démunis. Elle a indiqué que la taxation du capital au même taux que celui qui est actuellement appliqué aux revenus du travail permettrait de dégager plus de 70 milliards de francs.

Elle a estimé que l'assujettissement des allocations familiales à l'impôt sur le revenu aboutissait, de fait, à soumettre leur bénéfice à des conditions de ressources.

Elle a regretté de n'avoir pu entendre, en commission, le ministre du travail et des affaires sociales au sujet des crédits de son ministère.

Elle a enfin rappelé que de nombreuses personnes bénéficiaires d'un contrat emploi-solidarité seraient confrontées au problème de son renouvellement compte tenu des restrictions budgétaires et que l'État remettait en cause sa prise en charge du dispositif.

M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, a

indiqué à Mme Michelle Demessine que l'assiette de la nouvelle contribution RDS (remboursement de la dette sociale) comprendrait les revenus du patrimoine à hauteur de 20 % alors que la contribution sociale généralisée (CSG) ne les intégrait qu'à hauteur de 7 %. Aller au-delà serait prendre des risques majeurs pour l'avenir de l'épargne.

Il a regretté de n'avoir pas pu présenter à la commission les crédits du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle et que les peurs des citoyens face à la réforme de la sécurité sociale soient alimentées par des fausses rumeurs ou des éléments de désinformation délibérée.

Évoquant les contrats emploi-solidarité, il a déclaré que des problèmes importants auraient pu naître en l'absence de la « rallonge » de 35.000 contrats supplémentaires qui avait été accordée. Il a indiqué que le projet de loi contre l'exclusion irait plus loin, grâce notamment à « l'activation » des dépenses du RMI.

M. Dominique Leclerc a indiqué que la réforme de la sécurité sociale était urgente. Il a estimé qu'il fallait absolument lutter contre les abus, sans montrer du doigt telle ou telle catégorie.

M. Jacques Machet a encouragé le ministre en lui disant que « quand on est dans le même bateau, il faut que l'on s'aide ».

M. Louis Boyer a estimé que la réforme se heurtait à la conjonction des égoïsmes. Il a regretté que les conducteurs de train d'aujourd'hui, qui ne vivent pas une vie aussi difficile que les conducteurs d'anciennes machines, souhaitent cependant bénéficier des mêmes avantages que leurs aînés.

Il a jugé nécessaire une meilleure évaluation des activités hospitalières, indiquant que la densité en personnels de services hospitaliers ayant une activité identique allait du simple au double. Il a estimé qu'une réflexion tendant à résoudre ces anomalies était au moins aussi urgente que celle qui était menée sur la composition des conseils d'administration.

M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, a fait siens les propos des trois derniers orateurs.

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