II. DES MÉCANISMES DE CONTRÔLE DÉFAILLANTS QUI DOIVENT ÊTRE RÉNOVÉS

L'ampleur des pertes constatées tant par le Crédit Lyonnais que, à une moindre échelle, du moins en valeur absolue, par le Comptoir des entrepreneurs résulte, en partie, du retard avec lequel les difficultés ont été détectées dans chacun de ces établissements. En particulier, l'État, actionnaire ou tuteur selon le cas, n'a, semble-t-il, pas été en mesure de réagir à temps pour éviter l'aggravation de la crise.

Le rapport du groupe de travail de la commission des finances sur "les ambiguïtés de l'État actionnaire" ( ( * )5) a fait, en son temps, une analyse détaillée des imperfections du système et proposé quelques pistes de reformes.

Sur de nombreux points, cette réflexion peut s'appliquer aux deux établissements concernés par le présent projet de loi.

A. LES IMPERFECTIONS DU SYSTÈME

Deux raisons principales permettent d'expliquer la gravite de la crise subie par le Crédit Lyonnais et par le Comptoir des entrepreneurs : le retard pris dans la constatation de la mauvaise gestion, le caractère ambigu de la présence de l'État dans ces deux organismes.

1. La difficulté de détecter la mauvaise gestion

Les résultats du Crédit Lyonnais ont été positifs jusqu'en 1991, puis se sont brutalement dégradés à partir de 1992. Or, même s'il était difficile de prévoir l'ampleur du retournement, dû en grande partie à la conjoncture et à l'effondrement du marché immobilier, certains indices auraient dû alerter les pouvoirs publics, tout à la fois actionnaires, tuteurs et contrôleurs. En effet, la stratégie extrêmement audacieuse suivie à partir de 1989 et la réalisation de nombreuses opérations exceptionnelles auraient dû inciter à une vigilance accrue, tant dans les systèmes de contrôle interne que dans les structures de contrôle externe.

Le calendrier de la déroute du Comptoir des entrepreneurs est assez proche de celui du Crédit Lyonnais, des pertes massives ayant été constatées à partir de 1992. La politique très volontariste de financement des professionnels de l'immobilier, menée à partir de la fin des années 80, et poursuivie en 1991, 1992 et 1993 maigre le retournement du marche, en est la cause principale.

Dans les deux cas, la stratégie particulièrement audacieuse suivie nécessitait, sinon une approbation, du moins une vigilance accrue de la part de l'État.

a) Le mode de nomination des dirigeants

Nommés par le gouvernement -le plus souvent d'ailleurs par décret en conseil des ministres- les dirigeants d'entreprises publiques ont une légitimité propre qui s'impose tant à l'égard du personnel de l'entreprise que des services chargés d'exercer un contrôle dans les ministères de tutelle.

De fait, jusqu'où peut aller l'intervention de fonctionnaires chargés de la tutelle d'une entreprise dirigée par un de leurs anciens responsables hiérarchiques ? Qu'en est-il en outre lorsqu'une véritable "onction Politique" a été accordée à ce dirigeant ?

Dans le cas particulier du Comptoir des entrepreneurs, on observera que le seul pouvoir de nomination des dirigeants, prérogative de l' État alors que l'établissement est privé, a eu des conséquences d'une portée plus que significative sur l'entreprise.

On observera enfin que la sanction de la mauvaise gestion d'un président est, soit le non renouvellement de son mandat, soit la révocation. Or, celle-ci, en application de la règle du parallélisme des formes, doit se faire, comme la nomination, c'est-à-dire le plus souvent par décret en conseil des ministres. Il s'agit donc d'un acte grave qui n'est pratiquement jamais mis en oeuvre et qui a pour effet de protéger l'autonomie des dirigeants.

Dans ces conditions, il y a donc une véritable difficulté à contester, remettre en cause ou modifier la stratégie suivie par un dirigeant d'entreprise publique ainsi nommé.

b) L'intervention a posteriori des contrôles

L'État a différents moyens de contrôle à sa disposition, mais la plupart interviennent a posteriori, notamment ceux de la Cour des Comptes, dont les rapports sur les comptes, les résultats et la qualité de la gestion des entreprises publiques sont envoyés aux ministres intéressés plusieurs mois après la clôture des comptes ( ( * )1) .

Ces contrôles sont parfois révélateurs de véritables contradictions. Ainsi, dans certains cas, l'État actionnaire peut se voir reprocher des choix, des agissements ou des négligences que l'État tuteur pourrait, par ailleurs, sanctionner une situation pour le moins inconfortable

Le même type de contradiction se pose avec la Commission bancaire ou le représentant de l'État est à la fois celui de l'État-tuteur et, dans certains cas aussi, celui de l'État actionnaire.

Comment gérer, dans ces conditions, de façon optimale les contrôles qui peuvent ou doivent s'imposer dans le secteur bancaire ?

En tout état de cause, il apparaît que les crises du Comptoir des entrepreneurs et du Crédit Lyonnais, qui ont certes donné lieu à des interventions de la Commission bancaire, l'ont été dans les deux cas, un peu trop tardivement pour permettre une réaction rapide des différentes parties prenantes.

L'évaluation que la Cour des comptes s'apprête à faire des interventions de la Commission bancaire devrait, à cet égard, être particulièrement intéressante.

De la même manière, le rapport de la Cour des Comptes remis au Président de la République au début de ce mois sur les comptes du Crédit Lyonnais au titre des exercices 1987 à 1993 fournit des explications détaillées sur les causes des pertes du Crédit Lyonnais, mais il intervient bien après la constatation de la crise et la mise en oeuvre des plans de redressement.

Ainsi, la description des imperfections de ces contrôles faite dans le rapport sur "les ambiguïtés de l'État actionnaire" reste d'actualité :

"Alors que les moyens mis en oeuvre pour exercer le contrôle au nom de l'État -tuteur ou actionnaire- sont multiples, ils demeurent parcellaires, tandis que le champ et le rythme d'investigation restent discrétionnaires. Dépourvu de coordination, le système n'apporte pas à l'État le niveau de sécurité correspondant à sa puissance et aux enjeux".

2. Les ambiguïtés de l'État tuteur ou actionnaire

La présence directe ou indirecte de l'État dans une entreprise a des effets qui, là encore, expliquent pour partie la faillite du Crédit Lyonnais et du Comptoir des entrepreneurs.

a) Une caution puissante

La présence de l'État dans une entreprise donne à cette dernière un avantage exorbitant. Quelle que soit sa situation financière réelle, les analystes extérieurs postulent la poursuite de l'activité.

En effet, il est pratiquement inimaginable qu'une entreprise publique puisse déposer son bilan, même si l'examen objectif de ses données financières fait clairement apparaître qu'elle ne sera jamais en mesure d'assumer seule son endettement. Les plans de redressement aujourd'hui soumis à l'approbation du Parlement en sont le meilleur témoignage.

Il en est de même lorsque la présence de l'État n'est qu'indirecte, qui était le cas du Comptoir des entrepreneurs et reste encore le cas, par exemple, du Crédit Foncier.

L'État est un garant implicite au regard des créanciers. Il est aussi une présence rassurante pour les commissaires aux comptes qui peuvent ainsi se dispenser de formuler officiellement toutes les réserves qu'ils émettraient s'il s'agissait d'entreprises privées.

Par ailleurs, la présence trop marquée de l'État dans une entreprise empêche les régulateurs de marche de fonctionner normalement. La sanction du marché, impitoyable dans une économie concurrentielle, en particulier pour les entreprises cotées, ne fonctionne donc pas de la même manière pour des entreprises placées dans la mouvance de l'État.

b) Un actionnaire pas comme les autres

Les conseils d'administration des entreprises publiques ont le plus souvent un caractère formel, en particulier si on les compare avec ceux d'entreprises équivalentes du secteur privé.

Cela tient à plusieurs raisons la légitimité propre du président nommé par le gouvernement et non par le conseil, la présence des salariés conformément à la loi du 26 juillet 1983 dite de "démocratisation du secteur public", la présence plus ou moins assidue des personnalités qualifiées. S'y ajoute enfin le fait qu'un affrontement entre le président et les représentants de l'État paraît difficilement imaginable. Dans ce cas, les arbitrages nécessaires sont rendus dans d'autres enceintes.

Ce dysfonctionnement des conseils d'administration fait d'ailleurs l'objet d'un des paragraphes de la conclusion du rapport de la Cour des comptes sur le Crédit Lyonnais :

"La Cour a constaté que les procès-verbaux des conseils d'administration du Crédit Lyonnais, comme c'est souvent le cas dans les entreprises publiques , reflètent une absence générale de débats au sein de cet organe, l'essentiel des rares questions posées, souvent de manière pertinente, émanant de représentants du personnel. "

Ce faible poids des conseils et l'absence de rôle effectif des représentants de l'État actionnaire en leur sein sont la contrepartie de la "solitude" des dirigeants d'entreprises publiques, de leur grande autonomie et de leur complète liberté pour définir une stratégie.

L'État n'est pas un stratège pour ses entreprises -il pourrait en outre être taxé d'interventionnisme dans le secteur concurrentiel-, mais un simple gestionnaire de ses participations. En ce sens, il n'est pas et ne peut être un actionnaire comme les autres. Il se trouve donc contraint de laisser une grande marge d'autonomie à ses entreprises pour la définition de leur stratégie. Dans ces conditions une modification des choix effectués ou une sanction de la gestion menée ne peuvent intervenir qu'au vu des résultats de l'entreprise ou des éventuels contrôles mis en oeuvre, soit, dans tous les cas, plus tardivement que dans le secteur privé.

On rappellera en outre que, souvent, l'État poursuit simultanément plusieurs objectifs contradictoires. Cet argument a d'ailleurs été invoqué pour expliquer la crise du crédit Lyonnais : évitant "d'ajouter la crise à a crise", le Crédit Lyonnais a pris des risques excessifs mais il a également sauvé de nombreux emplois.

* (5) Rapport d'information n° 591 (1993-1994) de MM. Jean Arthuis, Claude Belot et Philippe Marini sur les conditions d'exercice par l'État de ses responsabilités d'actionnaire.

* (1) I.'article L. 114-4 du code des juridictions financières prévoit que "la Cour des Comptes assure la vérification des comptes et de la gestion des entreprises publiques". Ce contrôle intervient sur les comptes clos et donc, par définition, a posteriori.

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