B. LA RÉNOVATION DU SYSTÈME

Compte tenu de ces dysfonctionnements -dont l'analyse commence à être bien connue-, le gouvernement, puis l'Assemblée nationale, ont souhaité, dans le présent projet de loi, mettre en place de nouveaux mécanismes destinés à améliorer les moyens de contrôle de l'État et la transparence des entreprises contrôlées.

S'il s'agit là d'une première étape très positive, d'autres améliorations apparaissent néanmoins possibles.

1. Un système de contrôle original pour les structures de cantonnement

Trois mécanismes prévus, soit par les plans de redressement, soit par le projet de loi lui-même, définissent le nouveau cadre de contrôle des structures de cantonnement mises en place pour permettre la restructuration financière du Crédit Lyonnais et du Comptoir des entrepreneurs.

a) Un organe particulier : le comité consultatif de contrôle de CDR

Le Consortium de réalisation, structure d'accueil des actifs cantonnés du Crédit Lyonnais, a été créé sous forme de société par actions simplifiée. Il a été décidé de le doter d'un organe social spécifique dénommé comité consultatif de contrôle.

Au moment où a été élaboré le plan de redressement, soit au mois de mars 1995, la composition de ce comité devait être la suivante : 5 membres désignés par la SPBI, c'est-à-dire indirectement par l'État, et 5 membres nommés par le Crédit Lyonnais.

Par la suite, afin de mieux séparer la gestion du Crédit Lyonnais de celle du CDR, il a été prévu que la majorité des membres du comité soit désignée par l'État. Le comité devrait ainsi regrouper 5 membres désignés par le ministre de l'économie, 3 membres désignés par la SPBI (après l'intervention du projet de loi, par l'EPFR), dont le président, qui a voix prépondérante, et 2 membres désignés par le Crédit Lyonnais après agrément du ministre de l'économie.

La mission dévolue à ce comité consultatif de contrôle est triple :

ï se prononcer sur le budget et le plan annuel de cessions de CDR,

ï émettre un avis spécifique sur chacune des transactions les plus significatives, par leur montant ou par leur nature juridique, effectuées par CDR,

ï faire procéder régulièrement à l'audit des actifs et des opérations intervenues.

Il aura donc un rôle déterminant dans le suivi de la gestion de CDR. Son contrôle sera pratiquement quotidien. Mais il devrait aussi bénéficier d'un certain recul et d'une expérience, voire d'une sagesse -liées au profil des personnalités qui devraient être désignées- propres à favoriser des arbitrages pertinents entre portage et cession des actifs.

b) Une composition spécifique : les conseils d'administration des établissements publics

Les articles 4 et 8 du présent projet de loi fixent la composition des conseils d'administration des deux établissements publics créés pour gérer le soutien financier de l'État aux plans de redressement du Crédit Lyonnais et du Comptoir des entrepreneurs.

Cette composition est, dans les deux cas, identique. Ainsi, les conseils d'administration de l'EPFR et de l'EPRD devraient chacun comprendre 5 membres :


• un président nommé par décret et désigné en raison de sa compétence économique et financière,

ï un représentant de l'Assemblée nationale,

ï un représentant du Sénat,

ï deux représentants de l'État.

La présence de deux parlementaires -un député et un sénateur- au sein de ces conseils répond au souci du gouvernement d'associer le Parlement au contrôle des engagements financiers pris par l'État dans ces deux opérations.

Cette participation des parlementaires au contrôle de la mise en oeuvre des plans de redressement était d'ailleurs souhaitée par la commission des finances de l'Assemblée nationale dont le rapporteur général avait déposé une proposition de loi en ce sens le 5 avril dernier.

La formule choisie par le gouvernement de faire participer les parlementaires aux conseils d'administration des établissements publics visé à leur permettre de contrôler les activités des structures de cantonnement sans toutefois être directement impliqués dans leur gestion, ce qui aurait été le cas s'ils avaient été, par exemple, membres du comité consultatif de contrôle de CDR.

Les établissements publics créés par le projet de loi sont néanmoins au coeur des montages financiers des deux plans de redressement et des relations entre l'État et les différentes parties prenantes aux opérations de cantonnement. Leur conseil d'administration aura donc à suivre et contrôler de près le rythme et les modalités de cession des actifs cantonnés.

Compte tenu du caractère stratégique de cette mission, il importe que les parlementaires, comme les autres membres du conseil, soient pleinement en mesure d'exercer leur responsabilité.

Cela signifie, d'abord, que les attributions exactes de chacun des conseils d'administration devront être rapidement et clairement définies. Ainsi, il conviendra de déterminer à quelle échéance les conseils auront à se prononcer sur les orientations stratégiques des structures de cantonnement, sur les principes de leur gestion, sur leur évolution, etc.

Par ailleurs, il est fondamental que les membres du conseil, au premier rang desquels les parlementaires, puissent avoir accès aux sources d'information nécessaires pour bien exercer leur mission de contrôle. À cet égard, ils devront pouvoir auditionner les dirigeants de CDR, les membres du comité consultatif de contrôle et recevoir les rapports des missions de contrôle instituées par l'article 12 du projet de loi. Ce dernier point fait d'ailleurs l'objet amendement de votre commission afin d'en inscrire le principe dans la loi.

En effet, le contrôle exerce par les deux parlementaires mandatés par leurs assemblées respectives au sein de chacun de ces deux conseils n'a de sens que s'il peut être réellement effectif.

Il devrait d'ailleurs se traduire par un rapport au reste de la représentation nationale qui, après avoir autorise l'action de l'État dans les plans de redressement, pourra en suivre la mise en oeuvre.

c) Un contrôle de gestion sur les sociétés de cantonnement

L'article 12 du présent projet de loi instaure un mécanisme de contrôle spécifique auquel seront soumises les sociétés de cantonnement et leurs filiales. Il donne à l'État les moyens d'évaluer, sur pièces et sur place, et de façon permanente, la qualité de la gestion de ces sociétés.

On observera que cette disposition reprend l'une des suggestions du rapport du groupe de travail de votre commission des finances sur "les ambiguïtés de l'État actionnaire".

De fait, l'ampleur des engagements financiers pris par l'État dans les plans de redressement du Crédit Lyonnais comme du Comptoir des entrepreneurs justifie la mise en place d'un tel contrôle et cela d'autant plus que le coût final de ces restructurations dépendra pour partie des arbitrages réalisés par les gestionnaires des actifs cantonnés. Un suivi très strict de cette gestion est donc indispensable.

Or, les moyens actuels dont dispose l'État ne permettent pas de répondre à ce souci de façon satisfaisante, comme cela a déjà été souligné. En outre, il apparaît important que les contrôles puissent continuer de s'exercer après la privatisation de certains actionnaires des structures de cantonnement, ce qui devrait être le cas si les plans de redressement se déroulent dans les conditions prévues.

Aussi, le nouveau mécanisme propose apparaît-il être une réponse adaptée à la nécessaire mise en oeuvre d'un contrôle de la gestion des sociétés de cantonnement du Crédit Lyonnais et du Comptoir des entrepreneurs.

Il devrait être exercé par des agents publics, habilités à cet effet par le ministre de l'économie. Ces agents pourront se faire assister par des experts extérieurs qui devront eux aussi être habilités. La complexité des opérations à contrôler ( ( * )1) rend en effet le recours à une telle expertise indispensable dès lors qu'elle présente toutes les garanties de réelle indépendance.

Le ministre de l'économie a donc la maîtrise de cette nouvelle structure. En revanche, les conseils d'administration des établissements publics et les organes sociaux des structures de cantonnement n'ont pas compétence pour lui demander directement d'intervenir mais ils peuvent demander au ministre de diligenter un tel contrôle.

Votre commission suivra avec intérêt la mise en place de ce nouveau mécanisme de contrôle de gestion. Elle souhaite d'ailleurs qu'une évaluation puisse en être faite après deux ou trois années de fonctionnement. En effet, si la formule à la fois souple et professionnelle de cette structure fait ses preuves, il pourrait être utile de l'étendre progressivement à certaines entreprises du secteur public, lorsque les circonstances le justifieraient.

2. L'introduction d'une nouvelle responsabilité des dirigeants

L'Assemblée nationale a adopté un article additionnel (l'article 19 nouveau) visant à instaurer une responsabilité financière des dirigeants d'entreprises publiques en cas de faute de gestion.

A cet effet, une nouvelle infraction est définie dans le Livre III du code des juridictions financières consacré à la Cour de discipline budgétaire et financière. Les dirigeants d'entreprises dont la mauvaise gestion aurait entraîné des pertes significatives pour leur entreprises deviendraient passibles d'une amende allant de 1 000 francs à un an de salaire brut.

Votre commission approuve cette disposition qui met fin à une longue période d'irresponsabilité des dirigeants d'entreprises publiques. Le fait que le pouvoir de certains présidents soit qualifié de "monarchique" est à cet égard très significatif.

Toutefois, votre commission estime aussi que la responsabilité du pouvoir politique reste première et essentielle En effet, la sauvegarde du Patrimoine national et des intérêts de l'État incombe avant tout au gouvernement et, à l'intérieur de celui-ci, plus particulièrement aux ministres chargés de la tutelle des entreprises ou établissements concernés.

Ainsi, en ne donnant que rarement des avertissements, en ne sanctionnant pas et en ne révoquant pas des dirigeants d'entreprises publiques, dont la gestion est mauvaise, l'État ne joue pas le rôle qui devrait être celui d'un actionnaire normal.

La responsabilité doit donc être, dans de nombreux cas, partagée C'est pourquoi, il ne serait pas normal que la responsabilité financière des dirigeants, mise en place par cet article, serve d'alibi à l'irresponsabilité politique.

En effet, le secteur privé ne connaît pas ce type de sanction. La différence de traitement entre dirigeants d'entreprises publiques et dirigeants d'entreprises privées ne peut donc tenir que par le souci particulier d'avoir à préserver au mieux les intérêts patrimoniaux de l'État et par voie de conséquence, les intérêts du contribuable. Il faut donc que l'autorité politique soit elle aussi impliquée dans cette mission.

En tout état de cause, cette disposition, qui n'est pas rétroactive, doit être une incitation à la bonne gestion plutôt qu'un frein lié au poids de la responsabilité.

3. Des pistes pour l'avenir

Pour poursuivre la rénovation des mécanismes de contrôle de l'État sur ses entreprises, pour améliorer la transparence de la gestion de ces mêmes entreprises, pour éviter de nouvelles déroutes dans le secteur financier, plusieurs pistes de réformes peuvent être envisagées. L'une d'entre elles semble aujourd'hui s'engager. Une autre, à laquelle tient votre commission, pourrait sans difficulté être mise en oeuvre. Une dernière, enfin, déjà proposée par votre commission, mériterait d'être étudiée.

a) La réforme de la Commission bancaire

A la suite de ses investigations sur le Crédit Lyonnais, la Cour des comptes a décidé de s'engager dans une analyse des méthodes et du fonctionnement de la Commission Bancaire en contrôlant les activités de celle-ci de 1987 à 1994. Un rapport devrait en donner les conclusions dans le courant de l'année 1996.

D'autres instances de réflexion se penchent actuellement aussi sur les moyens et les missions de la Commission Bancaire. Votre commission y songe également et devrait constituer un groupe de travail à ce sujet.

L'Assemblée nationale a tenté de traduire certaines de ces préoccupations dans le présent projet de loi, en examinant plusieurs amendements visant à modifier la loi bancaire.

Ces diverses initiatives prouvent, s'il en était besoin, la nécessité d'une réforme de la Commission Bancaire de façon surtout à lui permettre d'assurer son métier de contrôleur de la manière la plus adaptée au contexte financier actuel. Un renforcement de ses moyens, aussi bien en quantité qu'en qualité apparaît d'ores et déjà indispensable.

b) L'envoi de lettres de mission aux dirigeants nouvellement nommés

La "solitude" des présidents d'entreprise publique, leur excessive liberté", leur "complète autonomie" ont été souvent dénoncées.

Pour y remédier, en particulier pour ce qui est de la définition de la stratégie de l'entreprise dont ils ont la charge, il faudrait que les ministres de tutelle fassent systématiquement parvenir à ces dirigeants une lettre de mission détaillée avec des axes stratégiques, des orientations, des directives, tant dans le domaine des résultats, que de la gestion du personnel ou de tout autre secteur.

Pour être efficaces, ces lettres devraient être préparées en concertation étroite entre les dirigeants et les ministres responsables.

Lors de son audition devant votre commission, M. Hervé Gaymard, secrétaire d'État aux finances, a indiqué qu'une fois le présent projet de loi adopté, le gouvernement avait l'intention d'envoyer une telle lettre à M. Peyrelevade, président du Crédit Lyonnais.

Cette démarche paraît en effet souhaitable. La lettre de mission aurait le mérite de fixer un horizon et un environnement susceptibles d'apaiser le personnel de l'entreprise, ainsi que ses concurrents.

Là encore, il serait bon de prévoir une extension d'une telle initiative, encore exceptionnelle, à l'ensemble du secteur public.

En outre, à partir de ces lettres de mission l'État actionnaire pourrait définir un système de suivi plus efficace des résultats des entreprises qu'il contrôle. L'élaboration de tableaux de bords mensuels avec des indicateurs appropriés serait, dans certains cas, d'une grande utilité.

c) La professionnalisation du choix des présidents

Le rapport sur "les ambiguïtés de l'État actionnaire", adopté par votre commission il y a un peu plus d'un an, proposait un changement du mode de nomination des présidents.

Il préconisait de maintenir la nomination par décret en conseil des ministres, mais en organisant une sélection à partir d'une liste établie par une commission de "sages", comme, par exemple, la commission de la privatisation.

Cette méthode permettrait en effet de choisir, avec objectivité et indépendance, des personnalités ayant des compétences de gestion réelles et affirmées, sans qu'aucun autre critère n'entre en ligne de compte.

Le choix final resterait celui du ministre (ou du gouvernement), mais celui-ci serait mieux préservé des soupçons de corporatisme ou d'amitié politique ou personnelle. Cela éviterait également l'écueil de la reconduction systématique des dirigeants d'entreprises publiques, notamment en période électorale -une solution de facilité lorsqu'on souhaite "ne pas faire de vagues".

* (1) La complexité des structures du groupe Crédit Lyonnais et de certaines de ses filiales, ajoutée à la complexité des opérations traitées explique, en partie, les défaillances, tant des contrôles internes du Crédit Lyonnais que des mécanismes de contrôle externe.

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