IV. LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE : UNE INTERRUPTION DE LA DIFFUSION DES INDICATEURS DE PERFORMANCE QUI INTERROGE, ALORS QUE DES INSUFFISANCES IMPORTANTES ONT ÉTÉ CONSTATÉES PAR LE PASSÉ

A. LES INSUFFISANCES CONSTATÉES LES ANNÉES PRÉCÉDENTES PAR RAPPORT AU NIVEAU REQUIS PAR LA HAUTE INTENSITÉ

1. Un potentiel militaire affaibli par la disponibilité insuffisante des matériels

La guerre en Ukraine a rappelé la nécessité impérieuse de préparer les armées françaises à une opération de coercition majeure dans le cadre d'une coalition internationale, pour lesquelles le calendrier est subi et impliquant des combats de haute intensité.

Ce type de conflits, qui tranche avec l'emploi des forces françaises en opérations extérieures au cours des dernières décennies, suppose un important durcissement de la préparation opérationnelle.

À titre d'exemple, l'armée de Terre a posé plusieurs jalons pour les années à venir en la matière :

- à fin 2023, être en mesure de déployer une brigade équipée Scorpion (voir encadré) en 10 jours ;

- à horizon 2025 : être en mesure de 2 brigades équipées Scorpion pour participer à une opération interalliée avec un préavis de 30 jours ;

- à horizon 2027 : être en mesure de projeter une division complète, composée de 2 brigades équipées Scorpion avec tout son environnement de soutien en 30 jours.

Comme l'avait déjà rappelé le rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 202310(*), la disponibilité des matériels11(*) pèse fortement sur l'activité opérationnelle.

S'agissant de l'armée de Terre, la disponibilité de l'équipement souffre notamment :

- de l'obsolescence de certains modèles, dont témoigne le niveau préoccupant de disponibilité des hélicoptères de manoeuvre (seulement 45 % en 2022 contre une cible fixée à 60 %) ou encore des chars Leclerc (seulement 75 % en 2022, contre une cible fixée à 90 %) ;

- des cessions à l'Ukraine, comme en témoigne la faible disponibilité des obus de 155 mm tirées par les canons Caesar (seulement 55 % en 2022, contre une cible à 90 %).

S'agissant de la Marine, si la disponibilité du porte-avions est forte (89 % en 2022) et celle des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) en progrès (72 % en 2022, contre 51 % en 2021), celle des frégates reste faible (57 %). C'est d'autant plus préoccupant que les décalages de programme prévus par la LPM 2024-2030 (voir supra) vont entraîner des tensions sur ce segment.

S'agissant enfin de l'armée de l'Air et de l'Espace, les prélèvements opérés pour l'export sur le parc de Rafale (voir supra) pèsent fortement sur le taux de disponibilité des avions de combat, qui s'établit à 62 % en 2022, soit un niveau nettement inférieur à la cible (84 %) et à celui de 2021 (81 %).

Ces prélèvements pèsent également sur l'activité opérationnelle et en particulier sur le nombre d'heures de vol des pilotes de chasse, qui s'établissait à 169 heures en 2022 et est prévu à 147 heures en 2023, soit un niveau très en-deçà de la cible LPM, fixée par référence à la norme OTAN (180 heures de vol).

Préparation opérationnelle des pilotes
de l'armée de l'Air et de l'Espace

(en heures de vol)

 

2019
(réalisé)

2020
(réalisé)

2021
(réalisé)

2022
(prévision)

2022
(réalisé)

2023
(prévision)

Cible LPM

Norme OTAN

Chasse

159

152

161

162

169

147

180

180

Transport

185

176

192

208

207

189

320

400

Hélicoptère

161

155

163

183

157

181

200

200

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

2. Un effort important sur le maintien en condition opérationnelle

L'exercice 2024 serait marqué par l'accélération de l'effort en faveur du maintien en condition opérationnelle, avec une augmentation des crédits dédiés à l'opération stratégique « entretien programmé des matériels » (EPM) (+ 775 millions d'euros, soit une hausse de 14 % par rapport à 2023), amplifiant la dynamique de ces dernières années. Le taux de croissance annuel moyen des dépenses d'EPM s'établirait ainsi à 9 % sur la période 2020-2024.

Ces efforts s'inscrivent dans le cadre d'un chantier de simplification du paysage contractuel, avec la mise en place de schémas « verticalisés », c'est-à-dire la passation de contrats longs et globaux, confiant la responsabilité de la quasi-totalité de la maintenance à un maître d'oeuvre unique. Cette politique consiste à remplacer les multiples marchés transverses à tranches conditionnelles fermes par des contrats globaux de soutien sur une plus longue durée donnant de la visibilité aux industriels et avec des objectifs de performance précis, assortis d'obligations de résultat. Il conviendra donc, lorsque le recul sera suffisant, d'évaluer l'efficacité de ces contrats en matière de disponibilité technique opérationnelle, ainsi que leur efficience en termes de maîtrise des coûts de maintien en condition opérationnelle pour le budget de la mission « Défense ».

Pour l'armée de Terre, les crédits d'EPM affichent une hausse de 19 % en 2024 (après 18 % en 2023). Elle résulte majoritairement de l'accroissement des coûts de l'EPM terrestre du fait de la modernisation du parc et les impératifs liés à la montée en puissance des équipements de nouvelle génération (Scorpion), concomitante avec le maintien de parcs plus anciens (chars Leclerc). Le cycle des coûts du MCO forment en effet une courbe « en U » : ils sont les plus importants dans les premières et dernières années de vie des matériels.

Pour la Marine, les crédits d'EPM affichent une hausse de 8 % en 2024 (après 9 % en 2023). Ils permettent notamment de couvrir le coût des contrats de rénovation à mi-vie des missiles Aster et Exocet.

Pour l'armée de l'Air et de l'Espace, l'année 2024 confirme l'effort sur les crédits d'EPM, avec une hausse de 14 % des crédits après une progression de 9 % en 2023. Elle est notamment portée par la montée en puissance des flottes modernes d'A400M et de MRTT.

Évolution des crédits en faveur de l'entretien programmé des matériels (CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

Le rapporteur spécial ne peut que saluer cette évolution, qui est de nature à permettre d'améliorer la disponibilité des matériels, même si l'effort de MCO ne saurait être perçu comme un moyen de compenser les trous capacitaires provoqués notamment par les exportations de Rafale et les décalages de programmes prévus par la LPM 2024-2030.


* 10 Annexe n° 9 au rapport général n° 115 (2022-2023) de M. Dominique de LEGGE , fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 novembre 2022.

* 11 Les données présentées proviennent de l'indicateur n° 5.2 du programme n° 178 « Préparation et emploi des forces » présenté dans le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement pour l'année 2022. Il mesure le ratio du niveau de matériels effectivement disponibles rapporté au besoin généré par les contrats opérationnels les plus dimensionnant et au besoin organique (formation, entraînement, plastron, essais...).

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