LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION

Dans l'élaboration du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, le Gouvernement n'a retenu aucun amendement relatif aux crédits de la mission « Aide publique au développement » et aux crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers »

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 9 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de MM. Michel Canévet et Raphaël Daubet, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Aide publique au développement » et sur les crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ». - Je commencerai par rappeler que les montants demandés de 6,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 5,9 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) ne représentent que 46 % de l'aide publique au développement (APD) de la France.

Ainsi, quand on prend en compte les divers agrégats s'ajoutant à la mission, la France a versé 15,3 milliards d'euros d'APD en 2022, ce qui en fait le quatrième pays donateur, devant le Royaume-Uni. Ce niveau d'engagement conditionne directement notre ambition en matière d'influence internationale et de diplomatie économique, ainsi que notre capacité à être associés à la gestion des grandes crises humanitaires ou politiques, aux côtés des grands États donateurs. Ce montant représente 0,56 % du revenu national brut (RNB).

Pour mémoire, la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales du 4 août 2021 avait fixé un objectif de 0,7 % du RNB pour 2025. Lors du Conseil présidentiel du développement et du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) qui se sont tenus cet été, l'atteinte de cet objectif a été repoussée à 2030. Ce report s'imposait : l'objectif est trop ambitieux et l'état de nos finances publiques ne permet pas de progression abrupte des dépenses de la mission.

Par ailleurs, j'attire votre attention sur plusieurs manquements relatifs à la loi de programmation, deux ans après son adoption. D'abord, le texte prévoyait la remise au Parlement en juin d'un rapport sur la politique de développement, mais l'administration ne l'a toujours pas envoyé. De plus, la loi instituait une commission d'évaluation de l'APD, qui n'a toujours pas été mise en place, malgré la publication d'un décret fixant son statut. Enfin, la négociation du prochain contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre l'Agence française de développement (AFD) - principal opérateur de la mission - et sa tutelle n'a toujours pas été finalisée, alors que le précédent COM a pris fin en 2022.

Ces points d'alerte ayant été soulignés, j'en viens au fond et à l'orientation stratégique de l'APD pour 2024.

Le Conseil présidentiel du développement et le Cicid ont fixé une nouvelle doctrine de l'APD française, qui tient compte des changements de la donne géopolitique.

Si les thématiques du climat, de la santé et de la défense des droits humains restent des priorités, on note aussi la présence d'objectifs de renforcement de l'aide humanitaire et de mobilisation du secteur privé.

Cependant, le phénomène le plus marquant reste la « repolitisation » de l'aide au développement versée par la France, qui doit devenir un véritable outil partenarial et transactionnel à destination des pays cibles, qui ne sont plus définis par la liste des 19 pays prioritaires, même si 50 % de l'aide doit se concentrer sur les pays les moins avancés (PMA). Il s'agit d'une avancée positive, qui permet de redéployer notre aide en fonction de nos priorités géopolitiques. Cette suppression permettra aussi aux pays concernés de sortir des logiques de rente et d'abonnement.

En ce qui concerne les grands pays émergents comme l'Inde ou le Brésil, le Quai d'Orsay souhaite s'orienter vers une coopération transactionnelle et utiliser notre aide comme un levier d'action et de négociation.

Si nous approuvons l'équilibre et la philosophie de la mission « Aide publique au développement » pour 2024, la situation de nos comptes publics demeure préoccupante. Sans obérer les moyens de la coopération internationale, il apparaît nécessaire que la mission participe comme les autres à l'effort de redressement de nos finances publiques. Nous proposerons un amendement visant à réduire ses crédits.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ». - Les crédits de la mission « Aide publique au développement », qui s'élèvent à 6,3 milliards d'euros en AE et à 5,9 milliards d'euros en CP, diminuent par rapport à 2023, puisque les AE baissent d'1,7 milliard d'euros et que les CP augmentent de 5 millions d'euros.

Suivant l'architecture de la mission, je présenterai ces crédits en trois points.

En premier lieu, le programme 110, qui relève du ministère de l'économie et des finances, voit ses crédits diminuer de 1,1 milliard d'euros en AE et de 28 millions d'euros en CP. Cette baisse importante des AE s'explique essentiellement par un moindre besoin de crédits pour les cycles de refinancement des fonds multilatéraux.

Toutefois, le montant dédié à l'aide bilatérale par le programme augmente de 184 millions d'euros en CP, en raison des effets de la hausse des taux d'intérêt sur le coût des opérations de bonification des prêts. En effet, afin de permettre à l'AFD de prêter à des taux concessionnels aux bénéficiaires, l'État assume la différence entre le coût de financement de l'AFD et le taux auquel elle prête, par le versement de crédits de bonification.

En deuxième lieu, le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », qui relève du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), voit également ses crédits diminuer, de 645 millions d'euros en AE et de 1,1 million d'euros en CP.

Comme pour le programme 110 et pour les mêmes raisons, l'aide multilatérale prévue par le programme 209 se contracte en 2024. En ce qui concerne l'aide bilatérale, deux éléments peuvent être soulignés.

D'abord, les crédits de l'aide-projet correspondant à la part de l'APD versée en dons connaissent un renforcement significatif depuis quelques années. Le MEAE a renforcé ce dispositif, en se concentrant sur les petits projets à fort impact en termes de communication, ce qui va dans le bon sens. Cependant, l'essentiel de l'aide-projet est géré par l'AFD pour un montant proche de 1 milliard d'euros. Cette enveloppe a particulièrement progressé ces dernières années, interrogeant la capacité de l'Agence à décaisser ces fonds. L'amendement que nous présentons vise à réduire l'aide-projet gérée par l'AFD de 150 millions d'euros.

Ensuite, en cohérence avec les objectifs affichés par le CICID, les moyens accordés à l'aide humanitaire et à la gestion de crise progressent également, pour atteindre 725 millions d'euros. La réserve prévue en cas de crise majeure, qui avait attiré notre attention l'année dernière, est maintenue et dotée de 270 millions d'euros, comme en 2023. Je précise que les crédits de cette réserve prévus pour 2023 et qui n'ont pas été utilisés sont prévus pour être annulés à hauteur de 50 millions d'euros par la loi de finances de fin de gestion.

Le montant de cette réserve nous paraît particulièrement élevé au regard de l'augmentation générale des crédits dédiés à l'aide humanitaire et à la gestion de crise. Nous proposons donc de réduire cette enveloppe de 50 millions d'euros, afin de financer les mesures d'économie demandées à la mission.

En troisième lieu, j'évoquerai le programme 365, dédié à la recapitalisation de l'AFD. Les 150 millions d'euros demandés correspondent à une opération de conversion de ressources financières de l'AFD en crédits budgétaires. Cette opération est totalement neutre pour les finances publiques en comptabilité nationale. Il ne s'agit donc ni d'accroître les engagements de l'État envers l'AFD ni de lui permettre d'augmenter son volume d'activité, figé à 12 milliards d'euros.

Enfin, j'en viens au nouveau programme 370, relatif à la restitution des biens mal acquis, qui sera abondé pour la première fois en 2024. Néanmoins, le décaissement des crédits restera subordonné à la conclusion d'un accord avec la Guinée équatoriale.

En conclusion, je vous invite à adopter les crédits de la mission et ceux du compte de concours financier « Prêts aux États étrangers », sous réserve de l'adoption de l'amendement que nous présentons.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères sur la mission « Aide publique au développement ». - Nous prenons acte de la stagnation des CP des programmes 209 et 210. Ils avaient connu une augmentation sensible les années précédentes, mais il est sans doute nécessaire de dépenser mieux plutôt que plus, dans le cadre d'une maîtrise des dépenses publiques. À ce titre, la stabilisation observée depuis deux ans des crédits de l'AFD autour de 12 milliards d'euros nous semble être une bonne chose ; il s'agit de passer d'une logique d'expansion infinie à une logique plus vertueuse de réponse à des besoins bien identifiés.

Cependant, si nous comprenons certaines inflexions, liées notamment au contexte d'inflation, nous regrettons quelques points de méthode, en particulier le fait que le Conseil présidentiel du développement et le Cicid ne respectent pas la loi du 4 août 2021 sur plusieurs sujets.

Ainsi, la réalisation de l'objectif que nous avions fixé en matière de proportion d'aide bilatérale s'éloigne, puisque nous sommes passés de presque 65 % en 2020 à moins de 60 % aujourd'hui, pour un objectif de 65 % en moyenne pour la période 2022-2025.

De la même manière, le CICID a supprimé la notion de « pays prioritaire », pourtant consacrée par loi. Contrairement à M. Daubet, nous regrettons la disparition de la liste des 19 pays prioritaires, l'aide programmable constituant le coeur de notre APD, une fois délestée des frais d'écolage et des dépenses ne dépendant pas directement de cette politique.

Nous identifions deux raisons potentielles à cette suppression. D'une part, elle pourrait s'expliquer par la volonté de ne pas afficher des résultats peu reluisants, puisque nous avons reçu la confirmation, en auditionnant le directeur responsable au Quai d'Orsay du programme 209, que l'aide programmable ne représente toujours que 13 % du total de notre APD alors que la loi prévoyait qu'elle s'élève à 25 % en 2020. D'autre part, le remplacement des pays prioritaires par les PMA ou les « pays vulnérables » permettra de faire varier les bénéficiaires en fonction des priorités politiques du moment. S'il est utile de ne pas donner l'impression que l'aide constitue une rente, il faut aussi prendre garde à ne pas la politiser à l'excès. Cette politique publique vise avant tout à lutter contre la pauvreté extrême, contre la faim, pour l'amélioration de la santé publique, pour l'éducation et la formation dans les pays qui en ont le plus besoin. S'il nous faut tirer une leçon de ce qui s'est passé cet été en Afrique de l'Ouest, c'est bien que la politique sécuritaire ne peut se dispenser d'une politique de développement, faute de quoi d'autres sensibilités, plus extrémistes, nous remplacent pour rouvrir des écoles et des centres de santé, qui deviennent islamiques.

Enfin, comme les rapporteurs spéciaux, nous regrettons que la commission d'évaluation de l'APD ne fonctionne toujours pas. Nous en avons besoin pour mieux évaluer l'efficacité et l'impact de notre aide. Nous faisons face à un problème quasiment insoluble, puisque la loi précise que la commission élit son président. Or il s'agit du président de la Cour des comptes, qui n'a aucune intention d'être élu et souhaite être désigné. Il faut donc changer la loi. Depuis 2021, nous nous demandons comment contourner cette difficulté. Cette commission est pourtant essentielle, le rôle du Parlement étant de valider la qualité de nos investissements. Nous ne sommes toujours pas en mesure de le faire, alors que nous nous étions battus pour obtenir la présence de parlementaires dans cette enceinte.

M. Patrice Joly, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères sur la mission « Aide publique au développement ». - Je souhaiterais insister sur le pilotage politique qui conduit à l'évincement de nos assemblées face aux décisions de l'exécutif.

D'abord, ces décisions ont remis en cause la trajectoire financière.

Elles ont aussi concerné la question des pays éligibles puisque nous passons des 19 pays prioritaires aux PMA, qui sont une cinquantaine et dont la liste n'est pas établie, ce qui permet de prendre en compte des considérations politiques, qui ne sont pas illégitimes.

Enfin, la question des modalités d'intervention se pose, notamment en ce qui concerne la répartition entre l'aide sous forme de prêts et l'aide au moyen de dons. La répartition de 70 % pour la première et 30 % pour la seconde se maintient, alors que la volonté était d'inverser ces chiffres, sachant que la capacité d'endettement des pays les plus fragiles est atteinte et qu'ils rencontrent des difficultés de remboursement liées notamment à l'évolution des marchés financiers.

Quelles que soient les évolutions politiques des pays concernés, les besoins restent réels, notamment pour les plus fragiles. Il nous faut donc rester attentifs à la politisation en cours. Les travaux préalables à la loi de 2021 avaient ouvert la perspective d'une augmentation de la part de l'aide octroyée au travers des ONG. Aujourd'hui, celle-ci représente 5 % de l'aide publique, alors que la moyenne se situe plutôt entre 12 % et 15 % pour les autres pays de l'OCDE. Ce moyen est pourtant intéressant pour éviter l'instrumentalisation de la politique d'aide au développement.

Enfin, je m'inquiète des tergiversations qui entourent la mise en place de la commission d'évaluation de l'APD, qui paraît pourtant essentielle. Une proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission a été déposée à l'Assemblée nationale en mai dernier. Il faudra avancer sur le sujet et il pourrait être utile que le Sénat prenne l'initiative de désigner ceux qui parmi nous siégeraient dans cette commission, afin de forcer un peu les autres acteurs à se mettre en mouvement.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - À plusieurs reprises, la commission des affaires étrangères s'est étonnée et émue de la réalisation du nouveau siège de l'AFD, qui s'étend sur 50 000 mètres carrés et prévoit des équipements somptuaires. Les temps ne sont pas à de pareilles dépenses, même si on nous explique que les mètres carrés non utilisés seront loués et ainsi rentabilisés. Ces investissements grandioses donnent une image forte de cette institution respectable mais coûtent très cher au contribuable, en termes d'investissement mais aussi de coût d'exploitation.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En ce qui concerne la construction du siège, le coup est parti...

Je soutiens pleinement l'amendement proposé, qui est encore modeste au regard des montants mobilisés pour la mission. Le budget 2024 prévoit, hors extinction des mesures de crise, un peu plus de 5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires pour toutes les missions budgétaires. Compte tenu de la situation de nos comptes publics et de leur dérive, nous pouvons adopter la politique de l'autruche ou regarder la situation en face. Il faut dépenser mieux tout en dépensant moins. Certes, il s'agit d'une formule, mais elle se réfère à des arbitrages que nous devons avoir le courage de rendre. Je crains un réveil qui pourrait être douloureux, comme celui que nous avons connu il y a cinq ans avec les gilets jaunes. La charge de la dette occupe une place de plus en plus grande, ce qui nourrit une colère qui pourrait s'exprimer. Les efforts doivent être partagés et concerner le plus grand nombre possible de politiques publiques. Il nous faut anticiper car nous finirons par être rattrapés par la réalité et l'opinion.

Enfin, je note que notre diplomatie économique et d'influence a été réduite par la force des choses et avec violence, notamment en Afrique. Quand des ressortissants français sont violemment chassés par certains pays, on ne peut pas continuer de mobiliser les mêmes moyens. Notre ligne de conduite et notre cap doivent être compréhensibles et soutenus par l'opinion.

M. Claude Raynal, président. - La tonalité de ce rapport me semble plus positive que celle des années passées. En effet, les débats autour de l'AFD évoquaient un État dans l'État ou un fonctionnement en circuit fermé et je n'ai pas retrouvé ces critiques dans le rapport de cette année ; ne sont-elles plus d'actualité ? Une clarification a-t-elle eu lieu ?

De la même façon, je ne trouve plus trace de débats sur notre soutien à des pays tels que la Chine, qui ne dépendent pas vraiment de notre aide au développement. Cette question a-t-elle cessé de se poser ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Le Président de la République avait appelé en juin dernier à un « choc de financement public » pour les pays les plus vulnérables et nous observons finalement une stagnation, qui advient en plus dans un contexte inflationniste.

Je partage l'avis des rapporteurs spéciaux sur les objectifs abandonnés de la loi de programmation et je regrette la disparition de la liste des 19 pays prioritaires. Il s'agit de pays qui connaissent de grandes difficultés, qui sont confrontés à des questions cruciales de pauvreté, de faim, d'éducation et de santé, et qu'il nous faut accompagner. L'amendement que vous proposez leur donne un très mauvais signal, alors qu'ils subissent aussi de plein fouet le réchauffement climatique, qui trouve son origine dans les pays développés et en développement.

Nous étions prêts à nous abstenir lors du vote mais si l'amendement était adopté, nous pourrions nous opposer à l'adoption de ces crédits.

M. Bernard Delcros. - Michel Canévet a évoqué la question de la recapitalisation de l'AFD : quel est l'intérêt de cette opération ?

Nous approuvons l'amendement proposé, qui s'inscrit dans une logique de responsabilité et de maîtrise de la dépense publique, sans remettre en cause les fondamentaux de notre APD.

M. Victorin Lurel. - Depuis de longues années, nous nous interrogeons sur la doctrine de l'APD. Il s'agit du prestige international de la France, mais aussi du contrôle exercé par le Parlement. À cet égard, nous n'avons pas progressé en termes de méthodologie, d'évaluation et d'efficacité.

D'abord, une ambiguïté devait être clarifiée, puisque l'APD couvrait aussi les aides en faveur des outre-mer...

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Ce n'est plus le cas.

M. Victorin Lurel. - Je ne suis pas sûr que cela soit tout à fait clair. Dans l'un des graphiques que contient votre rapport figurent les aides en faveur de l'outre-mer, qui s'élèvent à 814 millions d'euros pour 2023. Que recouvre ce chiffre ? Pourriez-vous en préciser les modalités de calcul ?

J'avais déjà évoqué la présence parmi les pays bénéficiaires d'États comme la Chine ou la Thaïlande ; pourriez-vous préciser le périmètre retenu pour l'allocation de l'APD ?

J'en viens à ce que nous appelions « zone de solidarité prioritaire » et à la question des pays prioritaires. Si vous souhaitez limiter l'immigration, il faut aider ces pays ! Or on choisit de diminuer l'enveloppe de la mission de 200 millions d'euros, sur lesquels 150 millions d'euros correspondraient à un jeu d'écriture comptable. Il s'agit tout de même d'une baisse de 50 millions d'euros.

À Pointe-à-Pitre en 2015, le président Hollande avait déclaré qu'il s'acquitterait de la dette de la France à l'égard d'Haïti, pour ensuite préciser qu'il faisait référence à une dette morale et non financière. Aujourd'hui, les Américains renforcent leur influence dans ce pays francophone et créolophone, dont l'élite fait ses études aux États-Unis et parle anglais, ce qui me fait un peu mal. Les collectivités de Guadeloupe, Martinique et Guyane font ce qu'elles peuvent sur cette question, pour se substituer à l'État défaillant et à l'AFD.

J'identifie donc des problèmes de périmètre, de doctrine, de prestige international et d'héritage colonial. Il nous faut continuer d'assurer une présence dans ces zones. Nous ne faisons même pas partie de la Banque caribéenne de développement ! Nous devons repenser notre politique dans certains bassins, comme en Amérique latine.

J'apprends également qu'un siège luxueux est en cours de construction pour l'AFD ; quelles sont nos priorités ?

Nous tentons de remplacer le multilatéral par le bilatéral, pour mieux contrôler l'aide que nous octroyons, dans nos propres intérêts. Or ces aides bilatérales sont plutôt liées ; pourrait-on les associer aux politiques que nous menons dans les régions concernées ?

Je ne voterai pas l'amendement proposé en l'absence d'une vision globale de ce que veut faire la France et de ses intérêts.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - En ce qui concerne la gouvernance de l'AFD, monsieur le président, le sujet est encore sur la table, même si nous ne l'avons pas mis en exergue dans notre rapport. Il n'a pas non plus été central dans nos auditions. Néanmoins, des zones d'ombre persistent dans les choix opérés, notamment sur la question immobilière. Je retiens de ces auditions qu'une désinstitutionnalisation accompagne la repolitisation de l'APD, ce qui atténue un peu la question posée par l'AFD. Avec cette réorientation, le MEAE aura peut-être plus de moyens et d'impact, au travers de son aide-projet, qu'en passant par des organismes comme l'AFD.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - S'agissant du siège de l'AFD, il est en cours de construction et ne sera opérationnel qu'en 2026. L'opération est engagée depuis février 2020 mais les travaux viennent juste de commencer, après l'épuisement de différents recours déposés. Il faudra suivre attentivement ce dossier, notamment en ce qui concerne l'utilisation des mètres carrés qui ne sont pas destinés à l'AFD.

La liste des 19 pays prioritaires a été supprimée et on peut regretter à cet égard que l'exécutif ait remis en cause ce que le législatif avait décidé. Cependant, cette liste a été remplacée par une autre, qui rassemble les PMA et qui est définie par le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE. Il existe donc une liste de 43 pays dans lesquels l'APD devra se concentrer. La suppression tient compte des évolutions géopolitiques qui sont intervenues, notamment au Sahel. À titre d'exemple, la junte au pouvoir au Mali dit refuser la moindre aide publique française. Il nous faut reconsidérer les choses pour que notre aide soit la plus efficiente possible. En la matière, notre philosophie doit être celle que le rapporteur général a évoquée : « dépenser mieux tout en dépensant moins ». L'efficacité ne se mesure pas seulement au volume des crédits, surtout dans ce domaine, et l'un de nos objectifs est aussi d'éviter la corruption.

Après une période où l'AFD fut considérée comme un État dans l'État, les choses ont évolué. Dans la loi du 4 août 2021, pour ce qui concerne les interventions sur le terrain par exemple, on a créé un conseil local de développement (CLD), sous l'autorité de l'ambassadeur, afin de coordonner les différentes actions de la France dans les pays.

De même, nous avons veillé à une meilleure coopération au sein du conseil d'administration de l'AFD, où siègent deux sénateurs. Il s'agit également de renforcer la tutelle de l'État, à savoir des deux ministères concernés, celui de l'Europe et des affaires étrangères, et celui de l'économie et des finances.

L'AFD continue à intervenir en Chine, mais ses interventions ne sont plus comptabilisées au titre de l'aide au développement. En Chine, l'AFD soutient des projets répondant aux enjeux de l'accord de Paris sur le climat, mais aussi concernant la question du genre et le respect des droits humains. La présence en Chine de l'AFD n'empêche pas les possibilités d'intervention de l'organisme dans les pays considérés comme prioritaires.

L'amendement se justifie d'abord par l'attention portée aux finances publiques. Par ailleurs, la semaine prochaine, nous aurons à examiner la loi de finances de fin de gestion (LFG) de l'exercice 2023 ; à sa lecture, on peut constater l'annulation de 280 millions d'euros de crédits. Comme nous l'avions exprimé l'année dernière au moment du vote de la loi de finances initiale (LFI), les moyens alloués étaient trop élevés. Nous essayons aujourd'hui de les redimensionner par rapport aux besoins.

Il existe également une provision en cas de crise majeure. Cette provision doit se situer à un niveau raisonnable.

L'aide publique française au développement ne se résume pas aux crédits inscrits dans le budget. Nous cotisons également à des fonds multilatéraux ; il s'agit de les mobiliser pour la mise en oeuvre des objectifs de la politique d'aide au développement. La France doit se coordonner avec les autres pays développés afin de mener des politiques cohérentes.

L'Union européenne (UE) intervient aussi à son niveau. Dans la mesure où nous participons au financement du nouvel instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (NDICI), qui prend la suite du fonds européen de développement (FED), il serait souhaitable de mobiliser les moyens de l'organisme en direction de nos priorités.

En 2021, l'AFD a connu une recapitalisation significative ; depuis lors, nous la poursuivons. Les engagements financiers de l'AFD ont été limités à 12 milliards d'euros par an. L'organisme, comme une banque, doit répondre à des critères de prudentialité auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Les ratios de fonds propres doivent donc être en rapport avec les engagements financiers ; cela explique la recapitalisation régulière, qui s'effectue par un jeu d'écriture, via le transfert de crédits concessionnels alloués à l'AFD.

L'aide aux territoires d'outre-mer n'est pas comptabilisée dans l'aide publique française au développement. Toutefois, l'AFD accompagne des projets dans les territoires d'outre-mer, dans le cadre d'une mission particulière, financée chaque année à hauteur de 1 milliard d'euros par le ministère chargé des outre-mer. Les besoins considérables en infrastructures justifient l'intervention de l'AFD.

La loi du 4 août 2021 a décidé le rapprochement de l'agence Expertise France et du groupe AFD ; ce rapprochement est effectif depuis le 1er janvier 2022. Les experts de l'agence sont mis à la disposition d'un certain nombre de pays, dans la cadre de conventions internationales, pour aider à la réalisation de projets. Cela renforce la présence de la France à l'étranger et permet d'avoir une meilleure connaissance des territoires concernés. Ces missions d'Expertise France sont, pour l'essentiel, financées par le NDICI.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - Pour répondre à Victorin Lurel, nous n'avons pu obtenir d'argument objectif concernant l'enveloppe pour la réserve en cas de crise majeure, fixée à 270 millions d'euros. Nous aurions pu aussi bien avoir une enveloppe de 400 millions d'euros. Nous proposons donc une maille à 220 millions d'euros, en s'appuyant sur le montant de l'an dernier, notre seule année de référence. Cela reste un chiffre arbitraire, significatif d'une vision purement comptable du sujet.

M. Victorin Lurel. - Peut-on avoir une idée de ces pays rentiers bénéficiant de l'AFD ?

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Avoir 19 pays prioritaires peut donner le sentiment d'un système de rente, avec des pays abonnés qui captent l'aide publique française au développement ; voilà ce que je souhaitais dire dans mon propos.

Article 35 (État B)

L'amendement N°  II-32 (FINC.1) est adopté.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement », sous réserve de l'adoption de son amendement.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement » tels que modifiés par son amendement et d'adopter, sans modification, les crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

Partager cette page