II. UN DÉFICIT « EXTRÊME », À L'HEURE OÙ LES TAUX D'INTÉRÊT ET LA CHARGE DE LA DETTE AUGMENTENT : EN FINIR AVEC LA POLITIQUE DE LA DETTE

A. LE DÉFICIT PUBLIC DE LA FRANCE, MALGRÉ LE RETRAIT DES DÉPENSES EXCEPTIONNELLES, RESTE PARMI LES PLUS ÉLEVÉS DE LA ZONE EURO EN 2024

1. Un déficit et une dette publique qui demeurent parmi les plus élevés de la zone euro

En augmentation par rapport à 2022, où il était de 4,8 % du PIB, le déficit public devrait s'élever en 2023 à 4,9 % du PIB selon le Gouvernement. Ces niveaux demeurent très éloignés encore du seuil de 3 % prévu par les traités européens. Les exigences de solde structurel (- 4,1 % du PIB au lieu de - 0,5 % du PIB) sont également loin d'être respectées.

En 2024, le déficit public diminuerait et atteindrait 4,4 % du PIB.

Décomposition du solde public entre 2022 et 2024

(en pourcentage du PIB)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les articles liminaires du PLF de fin de gestion pour 2023 et du PLF pour 2024

L'amélioration pour 2024 paraît significative, mais le solde public apparaît tout de même se situer à un niveau dégradé en comparaison aux niveaux qu'il a pu atteindre juste avant la crise sanitaire et avant la crise des subprimes.

Évolution du solde public de la France entre 2002 et 2024

(en pourcentage du PIB)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données d'Eurostat, du PLFFG pour 2023 et du PLF pour 2024

Entre 2017 et 2024, le solde public se creuserait d'1,4 point.

La comparaison historique peut utilement s'enrichir d'une comparaison européenne. Ainsi, au regard de nos partenaires de la zone euro, la France enregistrerait une piètre performance.

En effet, en 2023, la France aurait le quatrième déficit le plus élevé de la zone euro, en pourcentage du PIB, à égalité avec la Belgique. En 2024, parmi les pays de la zone euro, et si l'on retient les prévisions du FMI, seule la Belgique aurait un déficit plus élevé.

Déficits publics des pays de la zone euro
selon les prévisions du FMI en 2023 et 2024

(en pourcentage du PIB)

Source : commission des finances, d'après les prévisions du FMI (octobre 2023)

Il convient de noter par ailleurs que la diminution du déficit envisagée par le Gouvernement n'est rien moins qu'hypothétique : elle repose sur des hypothèses de croissance favorables qui devraient ne pas se réaliser, et qui entraînent une hausse du dénominateur - le PIB - plus importante que celle qui devrait effectivement se stabiliser. Au contraire, le déficit public, exprimé en points de PIB, pourrait simplement se stabiliser : c'est l'hypothèse de l'OFCE, qui estime que le déficit public devrait s'élever, en 2023 comme en 2024, à hauteur de 4,8 % du PIB.

Des remarques similaires peuvent être faites à propos du ratio de dette publique par rapport au PIB. Après un point haut de 114,6 % du PIB atteint en 2020 à la faveur des dépenses engagées lors de la crise sanitaire, la dette publique française décroît lentement. Elle atteindrait 109,7 % du PIB en 2023 et se stabiliserait à ce niveau en 2024, ce qui représente une hausse de près de 12 points depuis 2017.

Évolution des ratios de dette publique et de déficit public en France
entre 2002 et 2024

(en pourcentage du PIB)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données d'Eurostat, du PLFFG pour 2023 et du PLF pour 2024

Alors que l'on peut constater que la diminution du ratio de dette publique exige plusieurs années de diminution continue du déficit public50(*), il paraît urgent de revenir le plus rapidement possible à une situation plus équilibrée.

Si la succession des crises sanitaire et énergétique ainsi que la réponse fiscale et budgétaire que la puissance publique leur a apportée explique sans conteste pour une bonne part cette hausse de l'endettement public, il n'en demeure pas moins que, encore une fois, la France fait en la matière figure de mauvais élève de la zone euro, dont elle figurerait dans le trio de tête des pays les plus endettés, alors que l'ensemble des pays concernés a fait face aux mêmes crises exogènes que la France.

Les autres pays de la zone euro ont connu le même choc - et ils ont aussi connu une hausse de leur endettement - mais leur situation budgétaire d'avant-crise et les efforts qu'ils ont accomplis depuis leur ont permis, pour leur immense majorité de revenir à des niveaux soutenables d'endettement public. Hormis la Grèce, l'Italie, la France, la Belgique, l'Espagne et le Portugal, tous les pays de la zone euro affichent un endettement public inférieur à 80 % du PIB.

Endettement public des pays de la zone euro en 2023 et 2024

(en pourcentage du PIB)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les prévisions du FMI (octobre 2023)

Note de lecture : les pays sont classés par ordre décroissant du niveau de leur dette publique prévue pour 2024.

2. Des recettes publiques dont la progression regagnerait en vigueur en 2024

En 2023, d'après les prévisions du Gouvernement, les recettes publiques devraient s'élever à environ 1 452 milliards d'euros, dont 1 241 milliards d'euros de prélèvements obligatoires nets de crédits d'impôts et 200 milliards d'euros de recettes hors prélèvements obligatoires.

Par rapport à 2022, les recettes publiques auront ainsi progressé de seulement 40 milliards d'euros (contre une évolution de 96,5 milliards d'euros entre 2021 et 2022).

Décomposition de l'évolution des recettes publiques entre 2022 et 2023

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Contrairement à l'année dernière, il s'agit d'une évolution beaucoup moins rapide (+ 2,8 %) que celle du PIB en valeur (+ 6,8 %). Elle provient d'une faible évolution spontanée (+ 4 %) des prélèvements obligatoires comparée à celle du PIB, ainsi que du retrait des financements européens et de mesures nouvelles en recettes.

La faible évolution spontanée résulte d'une élasticité des recettes à l'activité infra-unitaire, qui atteindrait le niveau de 0,6 en 2023, contre 1,5 en 2022. Le Gouvernement explique notamment cette faible élasticité par le contrecoup, sur le solde de l'impôt sur les sociétés, de la forte croissance du bénéfice fiscal en 2021 - démontrant par-là, comme cela sera développé ci-après, le risque d'asseoir les recettes budgétaires sur une assiette aussi instable que celle de l'IS - mais aussi par une masse salariale en ralentissement, le resserrement des conditions d'emprunt venant peser sur les DMTO, la revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, un retrait de la consommation de carburants et de nombreux remboursements de crédits de TVA.

Le retrait progressif des versements européens liés au plan de relance (6,6 milliards d'euros en 2023 contre 11,1 milliards d'euros en 2022) explique également une évolution des recettes publiques relativement contenue en 2023.

Cette faible évolution spontanée ne serait que peu entamée par des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires, puisque celles-ci n'éroderaient l'évolution des recettes que de 4 milliards d'euros en 2023.

Cette érosion modérée cache des mouvements importants puisque, parmi les mesures qui entament le plus les recettes publiques figurent la suppression d'une partie de la CVAE en 2023, qui entraînerait une perte en recettes de 3,6 milliards d'euros, ainsi que la dernière étape de la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, avec une perte de 2,8 milliards d'euros, subies toutes deux par les collectivités territoriales.

Synthèse des principales mesures nouvelles
en prélèvements obligatoires en 2023

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En 2023, le ralentissement de l'évolution des recettes publiques a conduit à un retrait significatif du taux de prélèvements obligatoires (44 %) par rapport à 2022 (45,4 %), année où la France a pris la première place en la matière au sein de l'Union européenne.

En 2024, l'évolution des recettes publiques, qui s'élèveraient à plus de 1 510 milliards d'euros, ne regagnerait que peu en vigueur (+ 3,1 %) du fait d'une croissance réelle atone (+ 1,4 % selon le Gouvernement, mais probablement moins) et d'une inflation plus faible, aboutissant à une hausse du PIB en valeur de 4 %. Les recettes en prélèvements obligatoires, nettes des crédits d'impôts, atteindraient 1 292 milliards d'euros, et les recettes hors prélèvements obligatoires 206 milliards d'euros.

Décomposition de l'évolution des recettes publiques entre 2023 et 2024

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Note de lecture : la différence entre la somme des chiffres et le résultat total est dû aux arrondis.

Les recettes publiques bénéficieraient toutefois d'un niveau d'élasticité des prélèvements obligatoires plus classique, qui augmenterait pour atteindre 1,1. Le taux de prélèvements obligatoire serait ainsi de 44,1 % en 2024.

Les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires représentant une perte de recette seraient principalement associées à la suppression de la CVAE (- 1,4 milliard d'euros en 2024), au traitement en recettes de gains sur les charges de service public de l'énergie (- 1,9 milliard d'euros), à la contribution sur les rentes infra-marginales (- 3,1 milliards d'euros) et à l'atteinte du plafond du fonds de résolution unique (- 2,8 milliards d'euros).

Toutefois, en additionnant l'ensemble des mesures nouvelles en recettes - et hormis l'année 2020 - l'année 2024 serait, depuis 2018, l'année où les finances publiques subiraient le moins de pertes en recettes liées aux mesures nouvelles, avec une érosion de seulement 1,5 milliard d'euros des prélèvements obligatoires due aux mesures nouvelles. Ce faisant, elle se place dans le cadre posé par l'article 6 du projet de loi de programmation des finances publiques 2023.

Comme en 2023, ce faible chiffre masque de nombreux mouvements.

La sortie progressive de la mesure - nécessairement temporaire - de contribution sur les rentes infra-marginales de la production d'électricité, dispositif de plafonnement des revenus des producteurs d'électricité introduit dans la loi de finances pour 2023 et donnant lieu à un prélèvement sur les revenus de marché tirés de la fourniture d'électricité entre le 1er juillet 2022 et le 31 décembre 2023, entraînerait une perte de 3,1 milliards d'euros.

L'atteinte du plafond du Fonds de résolution unique donnerait lieu à une perte de recettes de 2,8 milliards d'euros. Lors de la création du FRU, en 2015, dans le cadre de l'Union bancaire, l'objectif était pourtant d'alimenter ce fonds par des contributions du secteur bancaire, pour que celui-ci atteigne 55 milliards d'euros.

Synthèse des principales mesures nouvelles
en prélèvements obligatoires en 2024

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Au total, cette évolution conduirait le taux de prélèvements obligatoires à se stabiliser (44,1 % du PIB) par rapport à 2023.

Ces considérations, largement tirées du RESF produit par le Gouvernement, ne doivent aucunement occulter que, comme cela a été longuement développé antérieurement, les prévisions de croissance du Gouvernement sont trop optimistes pour 2024. Le plus probable, donc, est que la croissance soit inférieure à 1,4 %, et que, conséquemment, les recettes soient également inférieures à celles évoquées ci-avant51(*). Le taux de prélèvements obligatoires pourrait demeurer toutefois autour de 44 % du PIB.

3. Des dépenses publiques qui dérivent dangereusement

Après une diminution (- 1,3 %) en 2023, la dépense publique, hors crédit d'impôts et à champ constant augmenterait de 0,5 % en volume en 2024.

En 2023, les dépenses publiques (y compris les crédits d'impôts) atteindraient 1 591 milliards d'euros, en augmentation de 52 milliards d'euros par rapport à 2022.

Cette hausse masque des mouvements en sens contraires, principalement dus au retrait des mesures de crises. Ainsi, il a ainsi été mis un terme au bouclier gaz en juin 2023, tandis que les mesures d'urgence liées à la crise sanitaire ont presque toutes été retirées. Les dépenses de soutien d'urgence en matière de santé sont ainsi passées de 11,7 milliards d'euros à 900 millions d'euros. De même, les dépenses relatives au plan de relance diminuent.

Décomposition de l'évolution des dépenses publiques entre 2022 et 2023

(en milliards d'euros)

Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Note de lecture : les dépenses publiques devraient représenter deux milliards d'euros de moins en 2023 selon le PLF de fin de gestion pour 2023.

En revanche, les autres dépenses enregistrent une hausse massive. Comme le signale le RESF « des mesures nouvelles significatives ont été décidées en cours de gestion, à l'initiative du Gouvernement. Il s'agit principalement : de faire face au contexte inflationniste, avec des mesures de revalorisation salariales à destination des agents de la fonction publique ; de renforcer le soutien à l'Ukraine, dans le cadre du conflit avec la Russie ; de poursuivre l'effort soutenu en faveur du plein emploi, avec la prolongation des primes d'apprentissage selon des paramètres inchangés ». En particulier, des revalorisations salariales à hauteur de 1,6 milliard d'euros ont été annoncées en juin 2023, tandis que des mesures de revalorisation du point d'indice sont intervenues en juillet.

En 2024, les dépenses augmenteraient toujours (+ 49 milliards d'euros), mais ralenties par le retrait définitif des mesures de crises non-pérennes.

L'extinction de ces mesures est le principal vivier d'économies du Gouvernement : le retrait du bouclier électricité représente ainsi à lui seul une « économie » de 13 milliards d'euros (2,8 milliards d'euros en 2023 au lieu de 15,9 milliards d'euros en 2022).

Décomposition de l'évolution des dépenses publiques entre 2023 et 2024

(en milliards d'euros)

Source : calculs de la commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le retrait du bouclier gaz - qui ne coûterait à l'État que 500 millions d'euros à l'État en 2024 en raison d'un reliquat contre 2,8 milliards d'euros en 2023 - va dans le même sens, de même que celui de l'amortisseur d'électricité et du suramortisseur d'électricité, dont le coût pour l'État passerait de 2,6 milliards d'euros à 800 millions d'euros, ainsi que du guichet d'aide que paiement des factures d'électricité pour les entreprises, qui coûterait 2,5 milliards d'euros en 2023 mais qui serait purement et simplement supprimé en 2024.

En plus d'une hausse qui reste significative des dépenses primaires hors crédits d'impôt, la hausse de la charge de la dette de 10 milliards d'euros contribuerait également pour une part importante à l'augmentation de la dépense publique en 2024.


* 50 Le ratio dette/PIB a augmenté entre 2009 et 2017 malgré une diminution continue du déficit public. Il n'a commencé à diminuer qu'en 2018. À compter de 2020, la relation entre diminution du déficit public et de la dette publique est plus évidente.

* 51 Pour que ce raisonnement soit juste, il faut que l'élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité n'augmente pas par rapport à la prévision du Gouvernement, en cas de croissance plus faible que ne l'envisage le Gouvernement.

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