IV. EXAMEN DU RAPPORT (8 NOVEMBRE 2023)

Réunie le mercredi 8 novembre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur les principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances pour 2024.

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin les principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous présente ce matin mon analyse des prévisions macroéconomiques et de l'équilibre général du projet de loi de finances pour 2024. Je rappelle que nous nous retrouverons mercredi prochain, le 15 novembre, pour traiter en détail des articles de la première partie du PLF.

Un certain nombre des observations dont je vous ai fait part lors de l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 restent valables, en particulier en ce qui concerne le scénario macroéconomique proposé pour l'année 2024. Celui-ci apparaît en effet trop optimiste et détonne dans le contexte d'une politique monétaire particulièrement restrictive et d'une multiplication des incertitudes.

Le PLF 2024 s'inscrit dans les conditions particulières d'une sortie de la crise sanitaire et d'une sortie progressive de la crise énergétique et de l'inflation. Il est temps de dresser un bilan économique de la gestion de ces crises.

Le niveau de richesse de la France dépasse désormais franchement celui atteint en 2019. Toutefois, depuis l'entrée dans la crise sanitaire, le taux de croissance annuel moyen n'est que de 0,65 %. Plus problématique encore, si l'on compare l'activité française à la trajectoire de croissance observée avant 2020, la situation est détériorée. La France se retrouve, sur ces deux points, dans la moyenne basse de ses principaux partenaires européens.

Quand le ministre de l'économie, en poste depuis six ans, affirme que « la politique de l'offre, ça marche », je réponds donc que cela ne suffit pas.

Ce bilan pour le moins mitigé explique sans doute l'obstination avec laquelle le Gouvernement propose des prévisions macroéconomiques trop optimistes.

Je veux, à ce sujet, revenir sur un point : le Gouvernement proclame que ses prévisions de croissance pour 2023, critiquées l'an dernier pour leur optimisme, se sont révélées justes. Je note pourtant que le taux de croissance pour 2023, qui devrait en effet approcher 1 %, est dû à un deuxième trimestre particulièrement favorable, où la progression de l'activité a été qualifiée de « surprise » par la Banque de France, et d'événement « ponctuel » par l'Insee. Or, on ne peut fonder un scénario macroéconomique sur des « surprises ».

Le Gouvernement retient donc la prévision d'un taux de croissance du PIB de 1 % en 2023 et de 1,4 % en 2024. Ces prévisions ont été révisées depuis la présentation du programme de stabilité, à l'été dernier, où le taux de croissance prévu pour 2024 était de 1,6 %. Le Gouvernement se montre désormais moins optimiste.

Dans le détail, il estime que la consommation des ménages portera l'essentiel de la croissance en 2024, alors qu'elle l'avait freinée en 2023. La contribution à la croissance de l'investissement des entreprises reculerait, mais resterait positive, et l'investissement des ménages serait le seul frein réel.

Je considère que la prévision de croissance retenue par le Gouvernement pour l'année 2024 est trop optimiste. En effet, elle dépasse de 0,6 point la moyenne du consensus des économistes et s'établit au-dessus de la prévision la plus élevée.

Est-ce à dire, comme s'y risquait Sandrine Duchêne lors de la table ronde que la commission a organisée récemment, que l'ensemble des prévisions se caractérise par un biais optimiste ? Cela est fort probable et le PLF pour l'année 2024 me semble clairement construit sur des hypothèses de croissance trop fragiles.

Tout d'abord, le Gouvernement sous-estime singulièrement les effets de la politique monétaire. Je rappelle que la Banque centrale européenne (BCE) a procédé en quatorze mois à une augmentation de 450 points de base de ses taux d'intérêt directeurs, ce qui correspond au durcissement le plus sévère de son histoire. Il faudrait remonter au début des années 1980 et à l'ère où Paul Volcker était président de la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) pour trouver des resserrements aussi brutaux dans les pays développés. Au total, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime que cette contraction monétaire amputerait la croissance française de 0,9 point en 2024.

Ce serrement de vis monétaire pourrait se traduire par un recul de l'investissement des entreprises. Certes, le Gouvernement prévoit un ralentissement de sa hausse, mais la combinaison de l'extinction progressive des aides publiques, des échéances de l'Urssaf et des prêts garantis par l'État avec le durcissement monétaire pourrait renforcer cette tendance et se traduire par un recul net de l'investissement des entreprises.

Je rappelle que les effets de la politique monétaire sont, comme le montre la littérature économique, généralement retardés de plus d'un an. Les entreprises commencent par puiser dans leurs réserves - qu'elles ont accumulées grâce à des taux de marge élevés - puis, selon leur solvabilité et leur rentabilité, interrompent plus ou moins rapidement leurs projets, et, pour les plus fragiles, font faillite.

Le plein effet de ces restrictions monétaires devrait donc se faire sentir d'ici à la fin de l'année 2024, alors que le Gouvernement estime qu'il est majoritairement déjà derrière nous, ce qui ne me semble pas crédible.

Par ailleurs, compte tenu des défaillances d'entreprises, qui ne manqueront pas d'intervenir - le niveau de 2019 est d'ores et déjà atteint -, le chômage risque d'augmenter. Alors que le Gouvernement anticipe des créations d'emplois en 2024, la Banque de France prévoit quant à elle des destructions d'emplois. Selon elle, le taux de chômage s'établirait à 7,5 % en 2024, l'OFCE anticipant plutôt un taux à 7,9 %. Le taux de chômage n'augmenterait donc pas en flèche, mais nous sortirions d'une période d'accalmie.

Cette hausse du chômage, conjuguée à l'augmentation des taux d'intérêt, contribuerait à dégrader l'investissement des ménages dans une proportion supérieure à ce que prévoit le Gouvernement. Au total, le taux d'investissement augmenterait, selon le Gouvernement, de 0,3 % en 2024, mais il diminuerait de plus de 1 % selon la Banque de France et l'OFCE. L'optimisme du Gouvernement ne me paraît pas marqué du sceau de la modération.

Par ailleurs, cette reprise du chômage, même modérée, pourrait freiner la consommation des ménages, pourtant moteur essentiel de la croissance prévue en 2024.

Je précise aussi que l'instabilité de l'environnement international et la faiblesse de la croissance mondiale risquent de peser sur la croissance française. Le taux de croissance de la zone euro s'établirait, selon la Commission européenne, à 1,3 %, restant inférieur à 1 %, en Allemagne et en Italie, en raison de la diminution de la demande extérieure, due au ralentissement de l'économie chinoise qui enregistrerait son plus faible taux de croissance depuis cinquante ans.

Enfin, en matière de prévisions macroéconomiques, il faut rappeler les propos du président du Haut Conseil des finances publiques selon lequel la prévision du Gouvernement combine des hypothèses toutes favorables et prend donc peu en compte les nombreux aléas auxquels est soumis son scénario macroéconomique.

J'ai déjà en partie souligné les conséquences du recours à des hypothèses favorables, en mentionnant le manque d'anticipation de la politique monétaire.

Par ailleurs, le Gouvernement table sur un recul du taux d'épargne, de 18,6 % à 18,2 %. Or, des comportements de précaution, liés à la hausse probable du taux de chômage, à la réforme des retraites, voire à des anticipations d'inflation élevées, pourraient conforter le maintien du taux d'épargne à un haut niveau. La faible confiance des ménages ne joue pas non plus en faveur d'un mouvement de désépargne comparable à celui que l'on a pu observer cette année aux États-Unis.

Enfin, la prévision du Gouvernement a été élaborée avant l'attaque d'Israël par le Hamas, le 7 octobre dernier. Elle ne pouvait donc pas prendre en compte ses retombées économiques, encore impossibles à prévoir, ni pondérer le scénario des incertitudes qui lui sont associées, ce que l'on peut à peine commencer à faire. Un rapport de la Banque mondiale du 30 octobre 2023 envisage trois scénarios d'intensification du conflit, selon le degré de perturbation des approvisionnements en pétrole : le prix du pétrole pourrait passer de 90 dollars à une fourchette comprise entre 93 dollars et 157 dollars. Le risque de reprise de l'inflation existe donc. Selon la gravité du conflit, les effets positifs de la baisse de l'inflation pourraient se trouver annulés, avec pour conséquence possible un nouveau durcissement de la politique monétaire. Cet exercice de prospective, sans doute un peu sombre, reste évidemment très incertain : il vise surtout à comprendre les aléas profonds auxquels sont exposées les prévisions macroéconomiques pour 2024.

De manière générale, les perspectives de la croissance mondiale s'assombrissent et l'augmentation de la demande mondiale adressée à la France, que le Gouvernement estime à 3 % en 2024, doit être considérée avec réserve et circonspection.

En outre, il est légitime de se demander si la contribution du commerce extérieur à la croissance sera toujours positive en 2024.

J'en viens à la présentation de la situation des finances publiques. Je veux tout d'abord vous alerter sur la position particulièrement dégradée de la France dans le peloton européen, à l'heure où la hausse des taux d'intérêt et le poids croissant de la dette imposeront des mesures de consolidation plus amples.

En 2024, le déficit public devrait atteindre 4,4 % du PIB, selon le Gouvernement. Il s'agit, encore une fois, d'une estimation optimiste, puisque si la croissance est plus faible que prévu, les recettes publiques le seront aussi. Si l'on retient les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), en pourcentage du PIB, la France aurait en 2024 le deuxième déficit public le plus élevé de la zone euro.

L'endettement public se maintiendrait, en pourcentage du PIB, à un taux avoisinant 110 %, ce qui représente une hausse de près de 12 points depuis 2017. Là encore, la France serait sur le podium des pays les plus endettés de la zone euro en 2024, juste derrière la Grèce et l'Italie, et cela alors que notre pays n'a pas été soumis à des chocs économiques plus violents que ses partenaires européens.

Les recettes publiques progresseront de presque 100 milliards d'euros entre 2022 et 2024. Cette hausse est bien répartie entre 2023 et 2024, malgré une croissance du PIB en valeur beaucoup plus forte en 2023 du fait de l'inflation. En effet, l'élasticité des recettes à l'activité serait très faible en 2023, estimée à 0,6, et reviendrait à un niveau normal, à 1,1, en 2024.

Plusieurs mesures nouvelles viendront réduire le rendement fiscal, comme la moindre contribution sur les rentes inframarginales des producteurs d'électricité ou encore le lissage de la suppression de la deuxième tranche de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en quatre ans.

Les dépenses progresseront également de 100 milliards d'euros entre 2022 et 2024. En réalité, cette hausse des dépenses sera encore plus importante, car il faut intégrer dans cette évolution celles liées aux crises de l'année 2022. Les dépenses progresseraient alors de 131 milliards d'euros en deux ans.

Enfin, en comptabilité nationale, la charge de la dette augmenterait d'environ 11 milliards d'euros sous l'effet, principalement, de la hausse des taux d'intérêt - le renchérissement des intérêts versés au titre des obligations indexées sur l'inflation est déjà intervenu en 2021 et 2022.

Le solde public restera particulièrement dégradé en raison de la situation financière de l'État - j'y reviendrai dans un instant.

Les administrations locales, pour leur part, parviennent à relever le défi de l'équilibre des comptes en 2024, l'essentiel du très faible déficit étant dû aux lourdes dépenses d'investissement de la Société du Grand Paris (SGP), largement pilotées par l'État. Il faudra attirer l'attention du Gouvernement sur ce point.

Le solde des administrations sociales demeurerait en excédent. Sa légère dégradation s'expliquerait, d'une part, par la hausse des prestations vieillesse, due aux revalorisations liées à l'inflation, et, d'autre part, par la progression des dépenses dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), liée notamment aux mesures d'attractivité à l'hôpital, comme la revalorisation des heures de nuit pour les infirmiers et les aides-soignants, l'augmentation des primes du week-end pour les infirmiers ou encore l'augmentation des tarifs des gardes.

Enfin, il me faut aborder le sujet de la charge de la dette, qui ne devrait pas cesser d'augmenter d'ici à 2027. En effet, la hausse des taux d'intérêt que nous connaissons actuellement - le taux français à dix ans est passé de 0 % à près de 3,5 % en deux ans - se répercutera progressivement sur la charge de la dette.

Or - Patrick Artus nous a alertés sur ce point dans le cadre de la table-ronde des économistes que la commission a organisée récemment - les taux réels, dont l'augmentation provient en grande partie d'une politique monétaire très restrictive, pourraient à moyen terme devenir supérieurs au taux de croissance réelle, ce qui produirait une augmentation auto-entretenue de la dette.

Le ministre de l'économie vante sa politique de l'offre. Pourquoi pas ? Mais en réalité je vois surtout une politique de la dette.

Si la consolidation budgétaire ne doit pas être brutale, ce qui risquerait de ralentir la croissance, elle doit être déterminée. Or, elle est inexistante. Comme je vous l'avais indiqué lors de l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de programmation des finances publiques, des économies sont nécessaires et ce, dès le PLF pour 2024.

Voyons à présent comment la situation des finances publiques se décline dans le budget de l'État, qui fait l'objet de l'autorisation parlementaire de la loi de finances.

En 2023, le montant du déficit budgétaire atteindrait 172 milliards d'euros, contre 164 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale. Il y a un an, le budget qui nous était soumis prévoyait une amélioration du solde de 14 milliards d'euros entre 2022 et 2023. On constate finalement une dégradation du solde de 20 milliards d'euros entre les deux années. D'une part, le déficit avait été très surévalué en 2022, ce qui renvoie aux difficultés que rencontre le Gouvernement à prévoir l'état des finances, même en fin d'année ; d'autre part, le solde en 2023 a été affecté par plusieurs phénomènes. Les recettes fiscales se sont bien tenues, en partie parce que l'État a décidé de prélever 2 milliards d'euros de TVA, en cours d'année, à l'Unédic. Les recettes non fiscales, en revanche, sont moindres que prévu et, surtout, la charge de la dette dépasse les prévisions de 3,8 milliards d'euros, sous l'effet de l'inflation et des charges d'intérêt. Nous examinerons tous ces éléments plus en détail, la semaine prochaine, dans le cadre du collectif budgétaire.

Le montant du déficit budgétaire est prévu à 144,5 milliards d'euros en 2024, représentant 45,7 % des ressources nettes sur le périmètre du budget général. Espérons que les quatre années précédentes, au cours desquelles le déficit a été systématiquement sous-estimé par le projet de loi de finances, ne se répéteront pas.

J'aurais pu choisir un autre chiffre : la somme des dépenses et des dettes à rembourser en 2024 sera égale à 608 milliards d'euros, soit le double de ces mêmes ressources. D'où des émissions de dette proches de 300 milliards d'euros.

La prévision d'une baisse du déficit entre 2023 et 2024 est surtout liée à la diminution des crédits alloués aux mesures d'urgence, sur laquelle je reviendrai plus en détail dans un instant. En effet, hors mesures d'urgence, les dépenses augmentent encore de 5,8 milliards d'euros.

La France entrera en 2024 dans la cinquantième année consécutive de déficit budgétaire, mais depuis cinq ans nous vivons dans une nouvelle ère, celle des déficits extrêmes.

En effet, la crise sanitaire a conduit le Gouvernement à établir un nouveau socle de déficit de l'ordre de 150 milliards d'euros par an, contre 90 milliards d'euros dans les années précédentes, ce qui était déjà considérable. Ce nouveau mode de gestion budgétaire, qui pouvait s'expliquer durant les deux premières années par la nécessité de faire face à la crise sanitaire, aboutit à l'accumulation d'un surcroît de déficit de 400 milliards d'euros en cinq ans.

Le budget général n'est pas seul concerné. Il faut par exemple s'inquiéter de l'évolution du plus important des comptes spéciaux, celui qui finance les pensions : d'ici à 2026 une action de l'État - sans doute un abondement - sera certainement nécessaire.

L'accumulation des déficits a pour conséquence directe, lorsqu'on ne dispose pas de recette exceptionnelle, d'accroître la dette. Il en ressort, d'une part, l'explosion de la charge de la dette, dont j'ai déjà parlé ; d'autre part, la nécessité de rembourser chaque année un montant croissant de titres de dette arrivant à échéance. La seule manière de les rembourser étant d'émettre de nouvelles dettes, les deux courbes se « poussent » en quelque sorte l'une l'autre. Cela signifie que la hausse des taux d'intérêt n'accroît pas seulement le coût de financement des 145 milliards d'euros du déficit annuel, mais que si par miracle le déficit passait à zéro l'an prochain, il faudrait encore contracter quelque 160 milliards d'euros de dette, aux taux actuels, afin de faire rouler la dette existante.

Ce phénomène caractérise également la politique de la dette du Gouvernement.

Quant aux recettes fiscales nettes et non fiscales du budget général, elles progressent de 3,9 % en valeur, soit 1,4 % hors inflation. Leur composition continue toutefois d'évoluer dans le sens d'une plus grande dépendance à la conjoncture économique.

Les recettes fiscales nettes passeraient de 332,1 milliards d'euros en 2023 à 349,7 milliards d'euros en 2024.

Si les produits de la TVA et de l'impôt sur le revenu progressent à peu près au rythme de l'activité économique, celui de l'impôt sur les sociétés connaîtrait un nouveau rebond pour atteindre 72,2 milliards d'euros. Cet impôt représentait autour de 10 % des recettes fiscales il y a cinq ans ; il dépasse désormais les 20 % alors que la part de la TVA, à l'inverse, est passée de 50 % à 28 %. Cette évolution est due à l'affectation croissante de parts de TVA à d'autres administrations, qui se poursuivra encore en 2025 pour le financement des régimes spéciaux. Il faut y prêter attention.

En effet, la TVA est une recette assez prévisible, comme l'impôt sur le revenu. L'impôt sur les sociétés, quant à lui, dépend de l'évolution annuelle de la production, car il est assis sur les bénéfices des entreprises. Il subit également les conséquences de ses règles de report, ce qui le rend beaucoup plus volatile. Le discours du Gouvernement sur la hausse du produit de l'impôt sur les sociétés qui découlerait mécaniquement de la baisse de son taux, et d'une meilleure situation des entreprises, ne doit pas être pris au pied de la lettre : en réalité, les ressources de l'État sont beaucoup plus aléatoires.

En outre, du point de vue des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale, le financement par la TVA est un moyen commode pour faire accepter des transferts de charge ou des suppressions de ressources, mais cette pratique n'a rien d'idéal, dans la mesure où elle déconnecte l'impôt de l'action locale et favorise la perte de souveraineté fiscale des collectivités. L'État exerce une forme de gouvernement à distance par l'affectation de parts d'impôts nationaux. Le cas de l'Unédic est éclairant : en effet, l'État a décidé de prélever plusieurs milliards d'euros sur la trésorerie de cet opérateur. Si, en apparence, l'État ne garde dans ses caisses qu'un tiers des 300 milliards d'euros payés par les contribuables français au titre de la TVA, il conserve en réalité la pleine maîtrise juridique du dispositif.

Pour le reste, le produit de l'impôt sur le revenu progresse à peu près au même rythme que le PIB nominal et devrait s'établir à 94,1 milliards d'euros.

Il en va de même pour la TVA, dont le produit global est réparti entre les remboursements et les dégrèvements, les administrations de sécurité sociale et les collectivités, ainsi que l'audiovisuel public depuis 2022, la part résiduelle revenant à l'État.

Un émiettement comparable caractérise, à une échelle moindre, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont le produit reste globalement stable en 2024 à 31,7 milliards d'euros.

Le montant des recettes non fiscales, soit 22,6 milliards d'euros, inclut depuis trois ans les versements européens au titre du plan de relance. Un versement de 10,9 milliards d'euros est prévu cette année, qui a été demandé à la fin du mois de juillet dernier. Si la somme était versée au début du mois de janvier prochain plutôt qu'à la fin du mois de décembre, il faudrait ajouter ce montant dans le calcul du déficit budgétaire de 2023 et le retirer de celui de 2024.

Pour clore le chapitre des recettes, je dois dire un mot des dépenses fiscales qui les minorent de 78,7 milliards d'euros en 2024, montant qui est en réalité sous-estimé d'environ 10 milliards d'euros. En effet, le Gouvernement a choisi de comptabiliser désormais les dépenses fiscales relatives à la TVA à hauteur de 50 % environ de leur coût réel, sous prétexte qu'il s'agit là de la part de TVA nette qui revient à l'État. Ce choix me paraît très contestable, car les parts de TVA affectées à d'autres administrations ont été calculées selon leurs besoins à un moment donné et ne dépendent donc que très peu des dépenses fiscales. Par conséquent, les documents budgétaires nous livrent désormais une vision incorrecte du coût réel de ces dépenses fiscales et il faut espérer que le Gouvernement reviendra sur ce choix l'an prochain.

Les dépenses budgétaires sont examinées après les recettes parce que, en bonne gestion budgétaire, elles devraient être déterminées en fonction de celles-ci. En pratique, la dérive des dépenses est telle que le Gouvernement semble avoir supprimé tout lien avec l'évolution des recettes. C'est là une conséquence toxique du « quoi qu'il en coûte ».

L'État n'agit pas seulement par les crédits budgétaires et on peut mesurer les dépenses réelles de plusieurs manières. Les crédits de paiement, hors pensions, remboursements et dégrèvements, sont de 392,8 milliards d'euros. On peut aussi considérer les moyens globaux en incluant les contributions aux pensions, les dépenses fiscales et les autres ressources décidées en loi de finances.

Dans les deux cas, les deux principaux postes de dépense sont l'enseignement scolaire et, désormais, les engagements financiers de l'État. Cette évolution se poursuivra dans les années à venir. En 2026, les engagements financiers de l'État devraient représenter le premier poste de dépenses, avec un montant égal au budget conjoint des armées et des forces de sécurité.

En 2024, si l'on se limite au champ des crédits budgétaires hors pensions, la plupart des missions du budget général verront leurs crédits augmenter, d'un montant supérieur à 1 milliard d'euros pour sept d'entre elles.

Les crédits de l'enseignement scolaire augmenteront pour financer les revalorisations de rémunération. Ceux de la défense et d'autres missions bénéficieront des hausses prévues par leurs lois de programmation respectives. Dans le cadre de la mission « Travail et emploi », France Compétences recevra une nouvelle dotation de 2,5 milliards d'euros.

Les diminutions de crédits correspondent à la réduction naturelle des dispositifs mis en place pendant la crise sanitaire, que ce soit le plan de relance, ou les aides pour faire face à l'inflation.

Il faut le dire : le Gouvernement affiche en trompe-l'oeil 16 milliards d'euros d'économies et celles qu'il envisageait de réaliser à la suite de la revue de dépenses du printemps dernier sont repoussées à 2025 et 2026 dans le projet de loi de programmation. S'agissant par exemple des opérateurs de l'État, le ministre de l'économie et des finances annonçait à la télévision, au mois de juillet dernier, une réduction de leur trésorerie de 1,2 milliard d'euros, jugée excédentaire par l'Inspection générale des finances. En réalité, les moyens des opérateurs concernés augmentent dans ce projet de loi de finances.

En 2017, le candidat Emmanuel Macron déclarait : « Nous réaliserons 60 milliards d'euros d'économies, en responsabilisant les ministres sur leurs objectifs de réduction des dépenses ». Or, en euros constants, les dépenses ont augmenté de plus de 20 % depuis 2017, soit un montant de 90 milliards d'euros.

Les grandes missions du budget sont toutes concernées par l'augmentation des crédits. La mission « Écologie », après le gonflement considérable de ses crédits dans le cadre du bouclier tarifaire, reste en hausse de 62 % par rapport à 2017. Les seules véritables économies ont porté sur la politique du logement et concernent les bénéficiaires des aides au logement et les bailleurs sociaux.

Enfin, l'un des signes les plus sûrs de l'absence de volonté de maîtrise des finances de l'État est l'évolution de l'emploi public, car les embauches d'aujourd'hui déterminent les dépenses pour plusieurs décennies.

Le 27 septembre dernier, le Gouvernement nous a présenté un projet de loi de finances prévoyant un accroissement des effectifs de 8 273 équivalents temps plein (ETP). Quelques heures plus tard, il engageait sa responsabilité sur un projet de loi de programmation des finances publiques promettant la stabilité de l'emploi jusqu'en 2027.

Encore une fois, les ministères prioritaires sont favorisés, conformément aux lois de programmation, sans que soient identifiés des ministères et des politiques moins prioritaires : cette année, aucun ministère ne connaît de diminution significative de ses effectifs. Le Gouvernement semble céder à la facilité.

Quant à la masse salariale, elle a augmenté en volume de près de 10 % depuis 2017, ce qui correspond à une augmentation de 23 % en euros courants.

Pour conclure, je considère que le Gouvernement ne prend pas la mesure de la situation. Il est intoxiqué au « quoi qu'il en coûte ». Le déficit public s'installe à des niveaux extrêmes parce que la dépense publique progresse très fortement. La croyance selon laquelle on pourrait repousser les problèmes budgétaires et financiers à plus tard n'est, de mon point de vue, ni raisonnable ni courageuse. En réalité, dans ce contexte de hausse des taux d'intérêt, la charge de la dette aura plus que doublé entre 2017 et 2027. Il est d'autant plus urgent d'y remédier que nous devons aussi faire face à l'urgence climatique. Nous ne pouvons laisser porter la majeure partie de ce fardeau aux jeunes générations. C'est pourquoi nous devons faire preuve d'esprit de responsabilité.

M. Marc Laménie. - Dans une page du document, le total des recettes publiques est estimé à 1 511 milliards d'euros et celui des dépenses publiques à 1 640 milliards d'euros. Les montants indiqués dans une autre page sont nettement inférieurs. Comment expliquer ces gros écarts ?

M. Vincent Delahaye. - Ce rapport établit un constat objectif de la situation catastrophique de nos finances publiques. Le Gouvernement ne semble pas l'entendre et poursuit dans le « quoi qu'il en coûte ». Il remplace des dépenses exceptionnelles par des dépenses pérennes et donne l'impression qu'il suffit d'augmenter les moyens pour rehausser la qualité des services publics et les résultats obtenus. En réalité, ce n'est pas le cas : il suffit d'observer la situation dans l'éducation nationale.

Nous sommes nombreux à nous interroger sur les évolutions assez erratiques du produit de la TVA. Sur quels critères s'appuyer pour avoir des prévisions plus fiables sur ce sujet ?

Enfin, si l'on veut que les Français nous comprennent, nous devons employer des termes compréhensibles. Or, la notion de « rente inframarginale » n'a rien d'évident, pas même pour nous.

M. Éric Bocquet. - Je me demande s'il ne faudrait pas modifier l'intitulé de ce rapport, car l'équilibre semble une cause perdue ou reste, du moins, difficile à trouver. Le texte prévoit des dépenses nettes d'un montant de 511 milliards d'euros et des recettes à 372 milliards d'euros, soit un déficit de 139 milliards d'euros. Le budget est déséquilibré et le Gouvernement s'apprête à réemprunter 285 milliards d'euros. Aucun ménage ni aucune entreprise ne survivrait à un budget que l'on équilibre en creusant la dette. Le rapporteur général a rappelé que nous nous apprêtions à voter pour la cinquantième année un budget en déséquilibre, financé en partie croissante par la dette. Je ne peux que saluer son courage et son volontarisme face à cette situation.

Votre proposition consiste à réduire la dépense publique, qui contribue - rappelons-le tout de même - à nourrir la croissance, car si les salaires augmentent, la consommation croît, ce qui produit davantage de TVA. Un cercle vertueux pourrait s'enclencher.

Sur les intérêts de la dette, n'est-il pas temps de remettre en cause les obligations à terme (OAT) indexées sur l'inflation ? Elles ont été créées il y a une vingtaine d'années et sont la cause principale de l'augmentation des intérêts, hormis le volume de la dette qui s'accroît. Sans doute faudrait-il envisager un autre type de financement. Je précise toutefois que la pratique de l'équilibre par la dette est bien antérieure à la présidence de M. Macron.

Le rapporteur général emploie le terme de « déficit extrême » après le « déficit excessif » qui avait suscité la méfiance de la Commission européenne. Je crois que l'on pourra parler d'un « déficit spectaculaire », « alarmant » ou « catastrophique » dans les années à venir.

Les créanciers, que nous risquons de devoir solliciter à nouveau, sont-ils inquiets ?

La Cour des comptes a publié, en juillet dernier, un rapport sur les dépenses fiscales. On recense 464 dispositifs en France pour un montant total de 94,2 milliard d'euros. Nos collègues du groupe Union centriste ont déjà travaillé sur le sujet et devraient poursuivre dans cette voie. Certaines dépenses fiscales ont leur intérêt, mais d'autres mériteraient d'être revues, car elles n'ont pas forcément d'efficacité réelle sur l'économie ou la croissance.

Soutiendrez-vous la suppression de la CVAE ? En effet, vous ne pouvez pas d'un côté dénoncer le déséquilibre du budget et de l'autre être favorable à une mesure qui contribue à l'aggraver.

Enfin, il manque un volet de propositions dans ce rapport. Quelle sera votre méthode pour arriver à l'équilibre tant réclamé par tous ?

M. Thierry Cozic. - Nous sommes face à une équation impossible. Ce rapport analyse l'équilibre général du PLF pour 2024, mais le Gouvernement, qui ne veut surtout pas toucher aux recettes, se concentre uniquement sur les dépenses. La baisse du déficit public qu'il envisage pour 2024 reste principalement due au rabot sur le bouclier tarifaire et à la hausse des recettes fiscales, en partie liée à l'inflation. Dans cet exercice d'équilibriste, le Gouvernement tente tant bien que mal de ménager les contraires, entre l'engagement de réduire drastiquement le déficit public et les promesses hasardeuses d'investissement pour des lendemains meilleurs.

Depuis 2018, les dogmes ne varient pas et le Gouvernement reste fidèle à sa politique de baisse d'impôt. Il prévoit ainsi d'indexer le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation de 2023, ce qui représentera un manque à gagner pour les caisses de l'État de 6,1 milliards d'euros en 2024. Il aurait pourtant été opportun de limiter cette indexation en ne l'appliquant qu'aux contribuables les plus modestes.

Face à l'absurde, le Gouvernement persiste et signe : c'est un principe auquel il ne déroge pas. Depuis 2018, il entreprend systématiquement de diminuer la fiscalité du capital pour les entreprises et nos concitoyens les plus aisés, en espérant que cela finisse par ruisseler sur l'économie.

Pourtant, les études scientifiques peinent à trouver les effets vertueux de telles réformes pour l'économie française. Les rapports de France Stratégie se succèdent et ne changent pas. Celui du comité d'évaluation confirme que, concernant l'instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU), « aucun effet n'a pu être identifié sur l'économie réelle ». Le constat est le même pour ce qui est de la transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Or, ces mesures ont un coût pour la collectivité, puisque le produit des impôts supprimés depuis 2017 représente plus de 50 milliards d'euros. C'est autant de recettes fiscales manquantes. Elles pourraient participer à un meilleur équilibre du budget en donnant la priorité aux engagements financiers qui correspondent aux besoins de l'époque.

M. Albéric de Montgolfier. - Pendant le précédent quinquennat, la charge de la dette était contenue par la baisse des taux d'intérêt. Chaque année, nous répétions que nous n'étions pas à l'abri d'une remontée de ces taux. Celle-ci s'est désormais installée de manière durable, à hauteur de 3,5 %. C'est inquiétant. La charge de la dette augmentera d'ici trois ans jusqu'à atteindre 84 milliards d'euros, soit l'équivalent du produit de l'impôt sur le revenu. Y a-t-il un autre pays dans l'Union européenne qui accepte que le quart de ses recettes fiscales serve uniquement à payer les intérêts de la dette ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Les perspectives ne sont pas favorables. Je retiens néanmoins la notion de flou, car les incertitudes au niveau international sont fortes. Albéric de Montgolfier vient de mentionner la stabilisation éventuelle des taux d'intérêt. Peut-on envisager leur desserrement et quelles seraient les conséquences sur l'économie globale, notamment sur l'inflation ?

La productivité est un sujet de fond. L'Europe décroche par rapport aux États-Unis. S'agit-il simplement d'une conséquence de la crise covid et du développement du télétravail ? Le chômage ayant baissé, les personnes qui sont revenues à l'emploi sont-elles moins productives ? Le taux d'activité peut être une solution, même si le débat s'annonce compliqué, comme on a pu le constater lors de l'examen du texte sur la réforme des retraites.

La Société du Grand Paris est financée par les impôts des Franciliens. Sa dette entre dans les chiffres globaux des administrations publiques. La décision concernant ce mode de financement est ancienne : elle date de Nicolas Sarkozy et l'on s'en félicite.

Mme Sylvie Vermeillet. - Vous indiquez que les émissions de dette semblent stables entre 2010 et 2019, avec un encours entre 188 milliards d'euros et 200 milliards d'euros, puis un décrochage au moment de la crise sanitaire, puisque l'encours passe à 260 milliards d'euros et atteint désormais 285 milliards d'euros. Qu'est-ce qui relève des conséquences de la crise sanitaire dans la hausse des émissions de dette ? Est-il possible d'isoler cet élément ? En outre, le temps d'amortissement de la dette covid est-il le même que pour les emprunts classiques ?

M. Bruno Belin. - Que représentent les 94 milliards d'euros de niches fiscales mentionnés par mon collègue Bocquet ?

Monsieur le rapporteur général, quelles seraient les trois premières mesures que vous prendriez si vous étiez nommé à Bercy ?

M. Emmanuel Capus. - J'ai bien noté les remarques du rapporteur général sur l'augmentation des effectifs de l'État et je partage son inquiétude à ce sujet. Notre groupe propose chaque année, lors de l'examen du PLF, de réduire la masse salariale de l'État. Toutefois, ce sont les effectifs des ministères régaliens qui augmentent et, dans le contexte actuel, il paraît difficile de les réduire. Par conséquent, dans quel ministère pourrait-on plus facilement procéder à des réductions d'effectifs ?

M. Bernard Delcros. - La situation est compliquée et nous souhaitons tous redresser les finances publiques, réduire le déficit et stabiliser notre endettement. Nous n'y parviendrons pas sans agir sur le levier des recettes. En effet, les dépenses engagées sont pour un certain nombre d'entre elles incontournables, notamment celles qui relèvent des lois de programmation ou bien celles qui concernent des secteurs comme la transition écologique, la santé, la justice ou l'éducation.

Ne pensez-vous pas que, dans ce contexte, il serait opportun de différer la suppression de la deuxième partie de la CVAE, qui représente tout de même 1 milliard d'euros de recettes par an dans les années qui viennent ?

M. Stéphane Sautarel. - La dette est la préoccupation majeure de chacun. Il ne faut pas désespérer quant à la prise de conscience de nos concitoyens sur ce sujet et c'est à nous de faire preuve de pédagogie. La dette effraie tout le monde et cela d'autant plus que l'on manque d'information. La dépense fiscale et la réduction des effectifs sont les deux sujets majeurs auxquels nous devons nous attaquer.

Sur la réduction des effectifs, est-il possible d'avoir une approche différenciée entre ceux qui sont producteurs du service public auquel ils sont affectés et ceux qui relèvent de l'administration « administrante » ? Au moment de la crise sanitaire, on évaluait que dans les hôpitaux français les soignants représentaient 56 % de la masse salariale contre 70 % en Allemagne. Les chiffres ne doivent pas être très différents dans d'autres secteurs comme, par exemple, l'éducation nationale. Peut-on envisager de suivre cette piste afin de construire une trajectoire de réduction des effectifs qui ne diminue pas pour autant la production du service public à laquelle nous sommes tous attachés ?

M. Grégory Blanc. - Je nourris les mêmes inquiétudes que le rapporteur général quant à la sous-estimation du taux de croissance et à l'augmentation de la dette. L'absence de prise en compte du mur d'investissement climatique est préoccupante. Ce budget se caractérise par un refus de choisir, car rien n'est engagé pour tenir compte de la dette environnementale ni pour soutenir l'investissement privé des entreprises en matière de préservation de l'environnement. Le texte met en oeuvre une politique de la dette, mais cette dette ne sert qu'à soutenir l'affaiblissement de certaines recettes.

Dans ce contexte, l'étalement de la suppression de la CVAE est-il pertinent ? Comment travailler pour faire émerger une fiscalité plus verte ? La projection du déficit en 2027 envisage un montant de 84 milliards d'euros. Si l'on poursuit dans cette voie, il sera très difficile d'agir sur la dette climatique, voire sur la dette tout court.

M. Christian Bilhac. - Le rapporteur général n'a pas fait preuve d'un optimisme débordant, mais ses analyses sont le reflet de la réalité.

La TVA nette donne lieu à un tour de passe-passe digne de celui du compté à part au moment de la crise covid. Le produit de l'impôt sur les sociétés est évalué à 70 milliards d'euros, celui de l'impôt sur le revenu à 90 milliards d'euros et celui de la TVA à 100 milliards d'euros, ce qui paraît relativement équilibré. En réalité, le montant total de TVA dont s'acquittent les Français équivaut à 300 milliards d'euros. Il faudrait clarifier la situation pour que chacun puisse disposer d'une approche du budget qui corresponde à la réalité.

La TVA est une recette affectée, mais des dizaines d'autres chiffres figurent dans le budget, qui n'apparaissent pas forcément sous leur montant net. Privilégier le net sur le brut revient à camoufler la réalité aux Français. Nos concitoyens paient en réalité 300 milliards d'euros de TVA. Les chiffres sont là.

De manière plus générale, le Gouvernement continue de pratiquer la politique du rabot sans définir de priorités claires. Mieux vaudrait des réformes structurelles. Si l'on rapporte le coût des enseignants qui enseignent à la masse salariale de l'éducation nationale, on est loin de nos voisins européens ; idem à l'hôpital. Les coûts administratifs sont énormes. Pourquoi ne pas s'attaquer au nerf de la guerre, à ce millefeuille qui s'exerce dans tous les domaines, notamment le tourisme ? Sans réforme de structure, nous irons dans le mur.

M. Michel Canévet. - Le rapporteur général s'est montré à la fois réaliste et pessimiste.

On peut être très inquiet de la situation financière de nos comptes publics, particulièrement dégradée, avec un déficit lourd et persistant et un niveau de dette qui risque d'altérer notre capacité à restaurer l'équilibre de nos comptes publics. Le groupe Union centriste formulera des propositions, car nous devons réduire le déficit public et trouver des recettes nouvelles, qui proviendront aussi des niches fiscales.

Le rapporteur général s'est montré pessimiste sur l'évolution de la croissance. En effet, le Gouvernement doit afficher une ligne ambitieuse forte pour l'évolution économique de notre pays, s'il veut attirer des recettes.

Enfin, l'un de vos graphiques indique 64 milliards d'euros de crédits pour l'enseignement scolaire, l'autre 87 milliards d'euros. Comment expliquer cette différence de montant ?

Mme Isabelle Briquet. - Plusieurs de nos collègues ont suggéré la nécessité de supprimer des postes. Mais dans quels domaines peut-on envisager de le faire pour que ces suppressions contribuent véritablement à réduire la dépense publique ?

M. Arnaud Bazin. - L'un de nos collègues a mentionné la part d'endettement due à la Société du Grand Paris. Cela me donne l'occasion de revenir sur la distinction qu'il faut établir entre la « bonne dette », celle des investissements d'avenir, et la « très mauvaise dette », qui permet d'équilibrer les dépenses courantes. La Société du Grand Paris représente 200 kilomètres de lignes de métro neuves et 68 gares. Elle est surtout financée par la TVA et contribue à l'augmentation du PIB. C'est une opération rentable.

Peut-on établir un ordre de grandeur concernant la part de ce qui relève des investissements d'avenir et celle qui correspond à de la « mauvaise dette » dans ce budget ? Les Français gagneraient à connaître l'équilibre des dépenses courantes, même en ordre de grandeur.

La suppression de la CVAE a été décidée par le Gouvernement, malgré nous. Celui-ci avait remis à plus tard la répartition de la dynamique de la CVAE. Une partie de la CVAE semble avoir été préemptée pour financer le fonds vert. Qu'en est-il exactement de la répartition de cette dynamique ? Pouvons-nous en être informés de manière claire avant d'avoir à nous prononcer sur la suppression de la CVAE en 2024 ?

M. Claude Raynal, président. - Merci d'avoir fait ce rappel sur la « bonne » et la « mauvaise » dette, ce vieux sujet, que nous n'arrivons jamais à traiter, mais c'est bien de le rappeler.

M. Victorin Lurel. - M. Bocquet évoquait un montant de 94 milliards d'euros pour les dépenses fiscales selon le rapport de la Cour des comptes, alors que le montant indiqué dans le rapport est de 78,6 milliards d'euros. Je ne comprends pas bien la décomposition de ce montant et cet écart de chiffres, de même d'ailleurs que les montants affichés pour l'outre-mer. Peut-on avoir plus d'informations sur ces chiffres ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur Laménie, le premier chiffre que vous avez mentionné concerne l'ensemble des dépenses publiques, le second la dépense publique de l'État. La décomposition détaillée de l'ensemble de ces données figure dans le rapport.

Monsieur Delahaye, je partage votre analyse, qui n'est pas d'un pessimisme trop lourd, compte tenu de la situation. Les indicateurs sont clairs et lors de la table ronde que nous avons organisée avec les économistes, ceux-ci nous l'ont confirmé. On peut rester dans une forme de déni ou bien, comme le suggère Michel Canévet, tenter de faire preuve d'ambition. Toutefois, l'ambition ne suffit pas à faire une politique.

L'évolution des recettes de TVA est assez prévisible.

La rente inframarginale est, en effet, une notion peu claire. À nous de faire comprendre à nos concitoyens ce qu'elle recouvre.

Monsieur Bocquet, nous pourrons travailler plus finement avec l'agence France Trésor, qui assume sa mission avec professionnalisme, sur les intérêts de la dette et les OAT indexées sur l'inflation. Il faudrait analyser les avantages et les inconvénients de cette indexation pour déterminer les orientations futures. Quel que soit le dispositif, quand on a besoin d'emprunter, l'organisme prêteur se fait toujours rémunérer pour le service qu'il rend. L'indexation sur l'inflation a longtemps été une bonne affaire. On ne peut pas trouver le dispositif regrettable dès lors qu'il tourne à notre désavantage. La solution est sans doute dans le dosage.

Les agences de notation se sont montrées prudentes et notre notation reste stable. Évitons d'être excessivement pessimistes. Mais la situation géopolitique peut à tout moment provoquer une nouvelle flambée des prix de l'énergie. Nous devons faire preuve d'une grande vigilance.

Monsieur Cozic, nous aurons l'occasion d'aborder le sujet du barème de l'impôt la semaine prochaine. La désindexation aurait pour effet d'augmenter ce barème. Je ne suis pas certain que les Français le souhaitent, compte tenu du niveau des prélèvements obligatoires que nous connaissons déjà.

Monsieur de Montgolfier, en 2022, l'Espagne et l'Italie devançaient la France en ce qui concerne la charge de la dette en proportion du PIB.

Monsieur Capo-Canellas, la multiplication des incertitudes est réelle. Dans ce contexte, si la situation de nos finances publiques est trop dégradée, le risque est de manquer de ressources pour faire face à une nouvelle crise. Dans le PLF tel qu'il est construit, tout est très tendu.

La question de la productivité est un sujet préoccupant. La politique volontariste des États-Unis pose problème. L'absentéisme des Français au travail a doublé. On constate ainsi une augmentation du taux d'absentéisme de 3 % à 6 % chez les moins de 35 ans. Le problème tient sans doute au nombre d'heures travaillées. Pour redonner du pouvoir d'achat aux Français, il faut permettre à ceux qui veulent travailler plus et mieux gagner leur vie de le faire. Les entreprises et les partenaires sociaux doivent faire preuve de souplesse. Face à la pénurie dans certains emplois, on ne peut pas rester bloqué dans les dispositifs d'hier ou d'avant-hier. La solution n'est pas qu'arithmétique.

Monsieur Belin, les dépenses des missions nouvelles sont toutes en augmentation. C'est irresponsable. Si certaines missions nécessitent des besoins supplémentaires, y compris en personnel, rien n'empêche de fonctionner par redéploiement ou réorganisation. Par exemple, à la direction générale des finances publiques (DGFiP), les services de trésorerie ont été réorganisés et le bilan n'est pas aussi négatif qu'on pouvait le craindre. Le transfert sur les opérateurs privés comme les bureaux de tabac a bien fonctionné car l'amplitude horaire et le niveau de service se sont améliorés. Ce travail a pris du temps et tout n'est pas parfait, mais c'est un bel exemple de la possibilité de réorganiser un service en l'adaptant aux besoins de demain. Tant qu'on envisagera les dispositifs en silo, on ne progressera pas.

De la même manière, il est dommage que le Président de la République n'ait pas mis en oeuvre, comme il l'avait annoncé en 2017, le principe de responsabilisation des ministères, même si cela reste difficile à faire. Nous avions entendu en audition le responsable du personnel du ministère de l'écologie, qui devait raboter 3 % des effectifs par an. Or, le rabot est un instrument qui ne se caractérise pas par sa souplesse.

Enfin, certains opérateurs ne cessent d'augmenter leurs effectifs. Il faut apprécier la situation au regard du service rendu, de la qualité, de la disponibilité et de l'efficacité des équipes. Il reste de la marge chez les opérateurs publics. Les préfets regrettent de ne plus avoir la main sur certaines administrations puissantes dans les départements.

Madame Vermeillet, on ne peut pas isoler la dette « Covid » et mieux vaut éviter de le faire. La crise sanitaire a eu un impact considérable et a conduit à des changements d'habitude dans le travail. Le coût de cette crise doit être intégré dans la dette globale.

Sur la suppression de la CVAE, je tente d'être pragmatique. Faire et défaire, c'est toujours travailler, mais le monde économique est mécontent de cette opération à cinq coups. Le lien entre la fiscalité territoriale et le dynamisme économique des territoires en souffre. Comment améliorer la situation sans revenir en arrière ? C'est la problématique qu'a mise en évidence le groupe de travail sur la décentralisation et les ressources financières. Le sujet n'est pas simple, car l'impôt résidentiel que certains élus souhaitaient mettre en place peut susciter de vives réactions chez les Français.

Monsieur Sautarel, il existe des hôpitaux qui développent une stratégie de gestion du personnel exemplaire, notamment dans le nord de la France. Il faut s'inspirer de ces bonnes pratiques.

Monsieur Blanc, je plaide pour que nous portions le plus collégialement possible l'enjeu climatique et celui des dépenses environnementales. Cela prendra du temps. J'ai souvent dénoncé le budget vert comme un coup de peinture à l'eau. Le temps m'a donné raison puisque, au bout de deux ou trois ans, un nouveau dispositif a vu le jour sous la forme du secrétariat général à la planification écologique.

Les Français sont préoccupés par les questions environnementales, mais dès qu'il est question de fiscalité, leur réaction peut être dramatique, comme lors du mouvement des gilets jaunes contre la taxe carbone. Il faut prendre en compte la notion d'acceptation des mesures par les Français et oeuvrer de manière progressive. Il a fallu presque vingt ans à la Suède pour développer des mesures telles que les zones à faible émission.

Monsieur Bilhac, le Gouvernement doit revoir sa méthode sur la TVA. J'ai évoqué un certain nombre de réformes de structure. Le rôle des oppositions est de dénoncer et de faire des propositions, mais encore faut-il que le Gouvernement les écoute. Ce sera tout l'enjeu de l'examen du PLF au Sénat.

Monsieur Bazin, la Société du Grand Paris ne pose pas de problème particulier. Toutefois, il faut savoir effectivement distinguer la bonne dette, c'est-à-dire celle qui consiste à investir pour apporter du service. À chacun de faire avancer les choses et d'éviter de bloquer certaines décisions.

Monsieur Lurel, le graphique des moyens globaux synthétise les chiffres du nouvel état F du budget. Les chiffres sont détaillés dans le bleu budgétaire. La mission « Outre-mer » prévoit 2,7 milliards d'euros de crédits de paiement hors opérateurs et 5,6 milliards d'euros de dépenses fiscales bénéficient aux outre-mer.

Enfin, je précise que la fiscalité n'est pas toujours favorable aux plus riches. Preuve en est, la suppression de la taxe d'habitation pour tous les Français ou encore celle de la contribution sur l'audiovisuel public. Je tenais à le rappeler, même si je n'étais pas forcément favorable à ces mesures.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le rapporteur général, nous vous remercions.

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