B. LE BUDGET 2024 CONFIRME UN MAINTIEN DURABLE DES DÉPENSES AU NIVEAU HAUT ATTEINT PENDANT LA CRISE SANITAIRE

1. Les crédits de la grande majorité des missions augmentent en 2024 ...

Sur les 34 missions du budget général, 16 connaissent une hausse de leurs crédits supérieure à 100 millions d'euros et 7 une diminution supérieure à 100 millions d'euros.

Pour 7 missions, la hausse est supérieure ou égale à 1 milliard d'euros.

Évolution des crédits des missions entre la loi de finances initiale pour 2023
et le projet de loi de finances pour 2024

(en milliards d'euros)

Crédits hors remboursements et dégrèvements, hors contributions directes de l'État au compte d'affectation spéciale « Pensions ». Crédits de la loi de finances initiale pour 2023 au format du projet de loi de finances pour 2024.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des éléments du dossier de presse

Malgré la baisse du nombre des élèves constatée depuis 2017, les crédits de la mission « Enseignement scolaire » augmentent de 3,9 milliards d'euros afin, notamment, de mettre en oeuvre les mesures annoncées de revalorisation des rémunérations des enseignants et de financer les missions complémentaires réalisées par les enseignants volontaires dans le cadre du « Pacte enseignants ».

La mission « Défense » reçoit 3,3 milliards d'euros de crédits supplémentaires, mettant en oeuvre la première annuité de la loi de programmation militaire 2024-203093(*).

S'agissant de la mission « Travail et emploi », la hausse des crédits de 1,7 milliard d'euros résulte d'une nouvelle dotation supplémentaire de France Compétences à hauteur de 2,5 milliards d'euros pour le financement de la formation professionnelle et de l'alternance.

Les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 », qui porte les crédits des programmes d'investissement d'avenir et du plan France 2030, progressent pour leur part de 1,6 milliard d'euros en crédits de paiement, principalement au titre de la mise en oeuvre du plan France 2030, dont toutes les autorisations d'engagement ont été consommées.

S'agissant de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », les crédits augmentent de 1,2 milliard d'euros hors les dépenses exceptionnelles relatives au programme 345 « Service public de l'énergie » et à l'indemnité exceptionnelle carburant.

Malgré ces hausses de crédits, le bilan global, sur ce périmètre, est une diminution des crédits de 6,1 milliards d'euros, qui résulte toutefois de la simple diminution des dépenses d'urgence sur les missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Économie ».

2. ... et les 16 milliards d'euros d'économies affichées relèvent d'une présentation en trompe-l'oeil

Les crédits du programme 345 « Service public de l'énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », qui étaient de 21,7 milliards d'euros en loi de finances initiale pour 2023, seraient de 5,5 milliards d'euros en projet de loi de finances pour 2024, soit une diminution de 16,2 milliards d'euros.

Toutefois, l'état de sous-consommation de certains programmes de cette mission94(*) pourrait pousser le Gouvernement, conformément à ses habitudes, à reporter des crédits sur l'exercice 2024, ce qui augmenterait d'autant les crédits réellement dépensés l'an prochain et réduirait donc la diminution relative des crédits.

Les crédits de la mission « Économie » diminuent eux-mêmes de 3,7 milliards d'euros. Pour mémoire, ils avaient été rehaussés de 4,0 milliards d'euros en cours d'examen du projet de loi de finances pour 2023 afin de renforcer les aides de guichet aux entreprises pour le paiement de leurs factures d'électricité et de gaz. Pour cette mission également, le montant important des crédits disponibles (5,1 milliards d'euros à la fin octobre, alors que seulement 3,6 milliards d'euros ont été dépensés) permet de prévoir une sous-consommation en fin d'année.

En conséquence, pour les deux missions affichant une baisse des crédits en 2024, il est peu probable que la diminution des crédits soit aussi importante qu'affiché dans le projet de loi de finances, aussi bien parce que le niveau des dépenses en 2023 devrait être inférieur au montant ouvert en loi de finances initiale que parce que certaines dépenses pourraient être reportées à 2024.

S'agissant des autres missions, la diminution de 3,0 milliards d'euros des crédits ouverts sur la mission « Plan de relance », qui n'ouvre que 1,4 milliard d'euros de crédits en 2024, ne correspond pas non plus à la réalité des crédits qui seront consommés aussi bien en 2023 qu'en 2024, en raison des reports massifs de crédits effectués sur cette mission dont l'utilisation, comme l'a fait observer le rapporteur général en qualité de rapporteur spécial de cette mission95(*), est très peu documentée par le Gouvernement.

La diminution de 1,0 milliard d'euros des crédits de la mission « Santé » correspond à la réduction de la part revenant à la Sécurité sociale parmi les versements européens effectués au titre de la facilité pour la reprise et la résilience. Certaines mesures labellisées « Plan de relance » ont en effet été financées par les administrations de sécurité sociale dans le cadre du « Ségur de la santé ».

La réduction des crédits de la mission « Crédits non répartis » de 0,7 milliard d'euros provient enfin du retour de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles à un niveau de crédit plus limité, alors que son montant avait été fixé à un niveau excessif en loi de finances initiale pour 2023, malgré les efforts du Sénat pour la réduire96(*). Là encore, la diminution des crédits réellement consommés ne sera pas aussi importante qu'annoncé, car l'enveloppe ouverte en loi de finances initiale n'a pas été consommée et a déjà été partiellement annulée.

Enfin, les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » diminueraient de 0,4 milliard d'euros par rapport à la loi de finances pour 2023. Comme il a été expliqué précédemment, cette diminution résulte de faits conjoncturels et doit être replacée dans le contexte d'une augmentation importante de cette charge à terme.

L'ensemble de ces diminutions de crédit ne correspond qu'à des économies de constatation, qui de surcroît ne seront que partiellement constatées en exécution.

3. Sur la période 2017-2024, des politiques dites prioritaires ont été privilégiées sans que, en compensation, soient définies des politiques non prioritaires

Alors que les dépenses nettes du budget général97(*) de l'État avaient augmenté de 8,7 % en plus de l'inflation entre 2007 et 2017, elles ont progressé de 22,3 % depuis 2017.

Évolution en volume des dépenses nettes du budget général

(base 100 en 2017)

Source : commission des finances, à partir des lois et projets de loi de finances. Dépenses brutes moins remboursements et dégrèvements, actualisés en fonction de l'indice des prix harmonisé hors tabac

La crise sanitaire a établi un nouveau palier dans les dépenses de l'État, l'année 2024 étant située encore au-dessus de l'année 2020 malgré la fin de la plupart des régimes d'aide.

Malgré les ambitions de réforme successivement affichées par le Gouvernement (programme Action publique 2022, revues de dépenses...), l'État n'a réduit sa sphère dans aucune des politiques qu'il a pris l'habitude d'assumer ; la crise sanitaire semble au contraire lui avoir donné l'opportunité d'étendre encore plus son action.

On constate en effet, dans une analyse par mission, que les principales missions de l'État ont vu leurs crédits progresser en volume, à l'exception de la mission « Cohésion des territoires » qui a subi des économies notables sur les aides au logement.

Évolution des principales missions de 2017 à 2024

(en euros constants, base 100 en 2017)

Hors mission « Écologie, développement et mobilité durables »

Source : commission des finances. Crédits des missions hors remboursements et dégrèvements, actualisés selon l'indice des prix hors tabac, base 100 en 2017

Alors que le coût de la crise sanitaire aurait dû être concentré sur les missions « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » et « Plan de relance », à vocation temporaire, la plupart de des missions ont vu leurs crédits augmenter soit dès 2020, soit progressivement en 2021 et 2022.

La mission « Écologie, développement et mobilité durables », en particulier, a connu de 2021 à 2023 une progression extraordinaire de ses crédits liée notamment aux mesures mises en place temporairement face à la hausse de l'inflation, de sorte qu'il est nécessaire de l'isoler pour considérer à part l'évolution, déjà très sensible, des autres missions. Cette mission, même avec le reflux important de ses crédits en 2024, conserve la plus forte progression de crédits depuis 2017, avec une augmentation de 62,1 % en euros constants.

4. À la fin 2022, l'État s'était déjà engagé pour 215 milliards d'euros de dépenses futures, hors dépenses de personnel

Un indicateur des dépenses futures est donné par les restes à payer, qui correspondent, en fin d'année, aux engagements pris qui n'ont pas encore fait l'objet de paiements, par exemple dans le cas de travaux dont le marché public a été attribué mais dont l'exécution n'est pas encore terminée, voire n'a pas encore commencé. Ces dépenses ne pourront que difficilement être évitées.

Encore faut-il, toutefois, qu'il s'agisse d'engagements réels, ce qui n'est pas le cas des 165 milliards d'euros d'autorisations d'engagement ouvertes sur le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19 » de la mission « Engagements financiers de l'État », lesquels ne seront pas pris en compte dans l'analyse qui suit bien qu'ils multiplient presque par deux le montant techniquement comptabilisé des restes à payer.

Le montant global des restes à payer, selon les données fournies au rapporteur général, est passé de 118,5 milliards d'euros à la fin 2017 à 184,9 milliards d'euros à la fin 2021, soit une augmentation de 56,0 %.

La mission « Défense » se caractérise par des niveaux considérables de restes à payer, en hausse de près de 40 milliards d'euros en cinq ans, résultant notamment de la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire.

Évolution des restes à payer depuis 2017, hors programme 369

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur général

Plusieurs missions ont également été créées selon un mode de gestion prévoyant une ouverture importante d'autorisations d'engagement au départ et une consommation de crédits de paiement s'étendant sur plusieurs années : Plan de relance (12,7 milliards d'euros de restes à payer), Investir pour la France de 2030 (35,6 milliards d'euros).

Quelle que soit la pertinence de ces ouvertures de crédit, dont certaines résultent de lois de programmation, force est de constater que les crédits soumis à autorisation parlementaire sont en réalité de plus en plus contraints par des engagements passés, qui font échapper de fait le budget à son principe d'annualité.

L'examen des dépenses programmées pour les années à venir confirme l'augmentation tendancielle des dépenses, au-delà de l'inflation.

En application de la révision de la loi organique relative aux lois de finances du 28 décembre 2021, chaque projet annuel de performances présente désormais un échéancier triennal de dépenses pluriannuelles. Il en ressort que les dépenses des missions98(*) augmenteraient de 31,4 milliards d'euros de 2024 à 2026, passant de 581,1 milliards d'euros à 612,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 5,4 % en valeur et 1,6 % en volume.

Évolution des crédits des missions entre 2024 et 2026

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir fichier des dépenses pluriannuelles publié par la direction du budget. Seules les variations supérieures à + 500 millions d'euros ou inférieures à - 500 millions d'euros sont représentées

5. L'État doit exercer un contrôle plus strict sur ses opérateurs, dont la trésorerie a augmenté de plus de 20 milliards d'euros en trois ans

Une étude commandée à l'Inspection générale des finances a établi une augmentation très importante de la trésorerie des opérateurs : elle atteignait 56,6 milliards d'euros à la fin 2022, contre 33,8 milliards d'euros en 2019, soit une hausse de 22,8 milliards d'euros en 3 ans (+ 67,5 %).

Cette hausse est due pour les deux tiers à la progression de la trésorerie de la Société du Grand Paris, qui a réalisé un emprunt exceptionnel en bénéficiant de taux d'intérêt bas.

L'Inspection générale des finances identifie ainsi un excédent de trésorerie de 2,5 milliards d'euros sur les opérateurs relevant de plusieurs ministères et recommande de réduire en conséquence les concours financiers de l'État.

Le ministre de l'économie a indiqué au mois de juillet dernier, sur le fondement de ce rapport, que la moitié de cette trésorerie excédentaire serait récupérée dans le budget pour 2024, citant nommément plusieurs opérateurs99(*). Or force est de constater que les mesures en question font défaut dans le projet de loi de finances, qui accroît plutôt les moyens accordés à ces agences, qu'il s'agisse de subventions directes ou d'affectation de taxes. Le rapporteur général n'a eu aucune réponse à la question qu'il a posée au Gouvernement à ce sujet.

La maîtrise de la trésorerie des opérateurs n'est pas seulement un enjeu financier : son développement excessif est le signe d'un exercice insuffisant de la tutelle.

La Cour des comptes elle-même, dans une étude demandée par l'Assemblée nationale, soulignait l'insuffisance du pilotage stratégique des opérateurs100(*). Un opérateur disposant d'une trésorerie excessive peut exercer son activité en sollicitant moins souvent sa tutelle, qui dispose d'une information et d'un contrôle moindres sur son activité.

En tout état de cause, un opérateur public bénéficie du financement de l'État et n'a donc généralement pas besoin, contrairement à une entreprise privée indépendante, de disposer d'une trésorerie particulièrement abondante : l'État pourra toujours lui apporter des fonds nouveaux s'il en démontre la nécessité.

Au-delà de la question du montant de la trésorerie excédentaire, l'information même sur cette trésorerie est insuffisante et l'Inspection générale des finances souligne que les opérateurs ne transmettent pas à leur tutelle toutes les informations qui permettraient un pilotage adéquat de la trésorerie.


* 93 Article 4 de la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 94 Au 26 octobre, comme l'indique le projet de loi de finances de fin de gestion, les crédits de paiement disponibles étaient encore de 10,1 milliards d'euros sur cette mission (dont la moitié sur le programme 345 « Service public de l'énergie »), pour 30,2 milliards d'euros consommés.

* 95 Voir le rapport spécial de Jean-François Husson, rapporteur spécial, fait au nom de la commission des finances, sur la mission « Plan de relance ».

* 96 Voir l' amendement II-7 d'Albéric de Montgolfier, au nom de la commission des finances, qui a réduit les crédits de cette mission de 1 milliard d'euros, repris en partie seulement par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en nouvelle lecture.

* 97 Afin de permettre la comparaison, on retient sur l'ensemble de la période considérée les dépenses nettes du budget général de l'État dans leur définition antérieure à 2023, c'est-à-dire que l'ensemble des remboursements et dégrèvements sont retranchés des dépenses brutes.

* 98 Crédits de paiement ouverts en loi de finances, y compris les remboursements et dégrèvements et les contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions ».

* 99 Bruno Le Maire, France Info, 28 juillet 2023.

* 100 Cour des comptes, Les relations entre l'État et ses opérateurs, rapport demandé par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, janvier 2021.

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