II. UNE RÈGLEMENTATION EUROPÉENNE ET INTERNATIONALE EN MATIÈRE DE TRANSFERTS DE DÉCHETS INADAPTÉE AUX RÉGIONS ULTRAPÉRIPHÉRIQUES FRANÇAISES

À l'été 2021, les départements de Mayotte et de La Réunion ont été confrontés à une situation de blocage inédite en matière d'exportations de déchets. À la suite de la crise sanitaire, et de la reprise économique qui a suivi, le trafic maritime a été fortement désorganisé et les déchets se sont accumulés dans ces deux territoires sans pouvoir être exportés vers l'Hexagone. Les compagnies maritimes ont alors durci les conditions d'application de la règlementation internationale et refusé de prendre en charge les conteneurs de déchets dangereux. Elles ont ainsi invoqué l'absence d'autorisations délivrées par les pays tiers, par lesquels devaient transiter les déchets en provenance de ces deux départements pour être ensuite traités dans l'Hexagone en l'absence d'installations au niveau local. Finalement, un bateau a été spécialement affrété pour procéder à ces transferts, afin d'apurer les stocks de déchets accumulés. Plus de 500 conteneurs ont ainsi été évacués via une liaison maritime directe Mayotte-La Réunion-Hexagone. Cette opération exceptionnelle d'un montant total de 2,6 millions d'euros a été en partie financée par la région Réunion à hauteur de 800 000 euros. Des opérations ont aussi été menées avec les autorités étrangères compétentes et les compagnies maritimes pour normaliser la situation. Aujourd'hui le système a repris un fonctionnement plus normal et plus stable.

Comme le souligne le rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer, « cette crise a contribué à la prise de conscience de la faible résilience de La Réunion et de Mayotte en matière de gestion des déchets dangereux : le seul exutoire est l'exportation vers l'Europe, soumise à la bonne volonté des compagnies maritimes qui prennent en charge ces déchets et des nombreux pays de transit ».

· Une forte croissance des exportations de déchets au départ des outre-mer

Les exportations de déchets des outre-mer vers l'Hexagone et l'étranger ont fortement augmenté au cours de ces vingt dernières années. Sur la base des données des douanes françaises, le volume de ces exportations a presque doublé depuis la fin des années 20009(*). 90 % de ces exportations, en volume et en valeur, concernent des déchets non dangereux. Elles sont essentiellement composées de déchets métalliques et déchets papier et carton. Les piles, batteries et accumulateurs électriques constituent une très large part des déchets dangereux ; viennent ensuite les huiles et les déchets chimiques.

Une majorité des déchets non dangereux est envoyée vers l'Hexagone ; c'est plus particulièrement le cas pour les déchets en provenance de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane. La Réunion et Mayotte exportent majoritairement leurs déchets en Asie, tandis que les exportations de déchets de la Polynésie française se répartissent entre l'Océanie, l'Amérique du Nord et l'Asie. En revanche, s'agissant des déchets dangereux, ils sont essentiellement exportés vers l'Hexagone pour y être traités.

En effet, les transferts de déchet permettent de réguler efficacement leur stockage, compte tenu des contraintes très particulières des outre-mer, qui ne disposent pas de capacités suffisantes pour les stocker, les traiter et les valoriser sur leurs territoires.

· La réglementation européenne sur les transferts de déchets

Les transferts de déchets transfrontières sont régis par un règlement de 200610(*) qui a introduit, dans le droit européen, les dispositions de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination, adoptée le 22 mars 1989 et entrée en vigueur en France le 5 mai 1992, ainsi que la décision de 2001 de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)11(*), qui vise à contrôler les mouvements de déchets destinés à des opérations de valorisation entre pays de l'OCDE.

Le règlement européen établit les procédures et les régimes de contrôle applicables aux transferts de déchets en fonction de l'origine, de la destination, de l'itinéraire suivi, du type de déchets transférés (listes verte ou orange) et du type de traitement appliqué aux déchets (élimination ou valorisation). Il s'applique aux transferts de déchets entre États membres à l'intérieur de l'UE ou transitant par un pays tiers, importés dans l'UE en provenance de pays tiers, exportés depuis l'UE vers un pays tiers ou transitant par l'UE.

Les exportations de déchets pour élimination ne sont autorisées qu'à l'intérieur de l'Union européenne et vers les pays de l'Association européenne de libre-échange (AELE). Les exportations de déchets non dangereux pour valorisation sont autorisées vers les mêmes pays ainsi que vers les pays de l'OCDE et les pays non OCDE parties à la Convention de Bâle dès lors que ces derniers donnent leur accord, en vertu du règlement (CE) 1418/200712(*). En conséquence, sont interdites les exportations de déchets destinés à être éliminés vers des pays tiers hors AELE et celles de déchets dangereux destinés à être valorisés vers les pays hors OCDE.

Deux procédures de contrôle des transferts de déchets sont prévues par le règlement de 2006 : la procédure d'information et la procédure de notification et de consentement écrits préalables. Les dossiers sont instruits au niveau français par le Pôle National des Transferts Transfrontaliers de Déchets (PNTTD).

Les déchets ayant peu ou pas d'impact sur l'environnement sont mentionnés sur la liste verte et sont soumis à la procédure d'information dès lors qu'ils sont destinés à être valorisés ou à la procédure de notification et de consentement écrits préalables, s'ils doivent être éliminés. Les déchets présentant un risque non négligeable pour la santé humaine et l'environnement sont inscrits sur la liste orange. Dans ce cadre, ils sont soumis à la procédure de notification et de consentement écrits préalables, qu'ils aient vocation à être valorisés ou éliminés. Il revient alors aux autorités compétentes des pays d'expédition, de destination et de transit de donner leur accord écrit avant l'exportation.

En raison de leur appartenance au territoire européen, les régions ultrapériphériques (RUP) doivent se conformer au règlement sur les transferts de déchets, et respecter ces procédures dès lors que, dans le cadre d'un transfert vers l'État membre dont elles ressortent, les déchets transitent par un autre État. Sinon le transfert est considéré comme un mouvement intérieur à l'État membre. En effet, les déchets, en particulier dangereux, qui sont exportés par les outre-mer français sont principalement acheminés vers l'Hexagone, mais ils doivent parfois transiter par d'autres pays. C'est en particulier le cas des transferts au départ de La Réunion, de Mayotte ou de Guyane qui doivent systématiquement transiter par un pays tiers, très souvent l'Ile Maurice ou l'Afrique du Sud, avant de poursuivre vers un pays européen. Les transferts à l'intérieur de l'UE transitant par un pays tiers sont ainsi soumis à la procédure de notification et de consentement préalables écrits, en application de la Convention de Bâle. En revanche, les transferts de déchets en provenance des Antilles s'effectuent généralement sans transiter par un pays tiers et sont donc soumis à la réglementation nationale.

Plusieurs pays européens (Belgique, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Pays-Bas), ainsi que les pays voisins des départements d'outre-mer qui sont situés sur leur trajet vers l'Hexagone (Brésil, Suriname et Trinité-et-Tobago, Madagascar, Maurice, Afrique du sud, Mozambique, Oman etc.) constituent les principaux pays de transit pour de nombreuses RUP françaises13(*).

En outre, la question des trafics illicites est particulièrement sensible dans les outre-mer du fait de la proximité de pays disposant de contraintes règlementaires, environnementales et sociales moins fortes. Ces trafics représentent une partie non négligeable des transferts, de l'ordre de 30 %, même si les tentatives de fraude ne sont pas massives et que les manquements sont plus souvent liés à un défaut de production de documents.

Selon les informations communiquées par le Pôle National des Transferts Transfrontaliers de Déchets (PNTTD), le volume des transferts en provenance des outre-mer vers l'Hexagone nécessitant un passage par un pays tiers s'établit, en 2021, à 5 324 tonnes pour la Réunion, 1 964 tonnes pour la Martinique et à près de 1 500 tonnes pour la Guyane et Mayotte. Les différences de tonnage s'expliquent, d'une part, par les types d'installations de traitement des déchets existantes sur place, et, d'autre part, par la réglementation applicable, qui ne nécessite pas obligatoirement une procédure de contrôle.

· Un durcissement des règles en matière de transferts de déchets proposé par la Commission européenne

Le 17 novembre 2021, la Commission européenne a présenté une révision du règlement sur les transferts de déchets14(*), qui vise à encourager le développement du recyclage et du réemploi au niveau européen, conformément aux objectifs du Pacte vert pour l'Europe et de la communication sur le plan d'action pour une économie circulaire, adoptée en mars 202015(*). Il s'agit notamment de prévenir la pollution liée aux exportations de déchets et de lutter contre les transferts illégaux de déchets qui représenteraient entre 15 et 30 % des transferts.

L'Union européenne est, en effet, un des premiers exportateurs mondiaux de déchets avec près de 33 millions de déchets exportés en 2020, soit une augmentation de 75 % depuis 2004. Certains de ces transferts sont également opérés dans des pays qui ne sont pas en mesure, pour l'instant, de traiter ces déchets de façon rationnelle sur le plan environnemental. Par ailleurs, les transports de déchets à l'intérieur de l'UE représentent environ 67 millions de tonnes chaque année.

La proposition de règlement vise à renforcer le cadre existant afin de prévenir les risques environnementaux en s'appuyant sur trois priorités :

- promouvoir l'économie circulaire en facilitant les transferts intra-européens ;

- lutter contre la pollution, en particulier en dehors du continent européen ;

- lutter contre le trafic illégal de déchets.

L'actualisation de la législation européenne comprend notamment des dispositions plus strictes en matière d'exportation de déchets vers des pays tiers. Toute exportation de déchets vers des pays non membres de l'OCDE pourrait ainsi être interdite, sauf si le pays de destination apporte la garantie qu'il peut assurer une gestion durable en matière de traitement des déchets. Sur cette base, une liste des pays autorisés à importer des déchets provenant de l'Union européenne serait établie. Sont également prévus le renforcement de la coopération internationale et des contrôles, et la numérisation des procédures.

Les négociations sur cette proposition de règlement ont débuté sous la Présidence française du Conseil de l'UE. Un accord au Conseil est intervenu le 24 mai 2023, qui en a approuvé les grands objectifs, tandis que le Parlement européen a adopté sa position le 16 janvier 2023. Un premier trilogue politique s'est tenu le 31 mai 2023. Les réunions techniques entre le Conseil et le Parlement européen ont commencé au mois de juin 2023 et devraient se poursuivre au mois de juillet.

Le Parlement européen a, par ailleurs, proposé une interdiction des exportations de déchets plastiques vers les pays tiers, qui ne figure pas dans le texte initial de la Commission et qui n'a pas été abordée au Conseil ; cette position est notamment soutenue par la France. Cette mesure s'inscrit dans un contexte où de nombreux pays, en particulier en Asie, refusent de plus en plus les importations de déchets plastiques. Force est de noter que cette proposition d'interdiction limiterait encore plus drastiquement les transferts de déchets hors de l'UE et qu'elle pourrait être incompatible avec les règles de l'OMC et la décision de l'OCDE.

· L'introduction d'une dérogation pour les transferts entre une région ultrapériphérique et l'État membre dont elle ressort

Initialement la proposition de la Commission européenne sur la révision du règlement sur les transferts de déchets ne contenait pas de disposition spécifique aux régions ultrapériphériques (RUP) afin d'être adaptées à leurs contraintes, comme le permet l'article 349 du Traitement sur le fonctionnement de l'UE (TFUE).

Le traitement différencié des régions ultrapériphériques, dans le cadre du droit de l'Union, se justifie par plusieurs facteurs comme leur éloignement, leur insularité, leur climat, leur faible superficie et leur dépendance économique. Cependant, ce traitement différencié ne peut être décidé que par le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen. Or, dans la pratique, cet instrument est très peu utilisé comme l'a dénoncé de longue date le Sénat.

Lors des négociations au Conseil et au Parlement européen, les autorités françaises et les eurodéputés français ont respectivement tenté de faire valoir les contraintes très spécifiques des outre-mer français en matière d'exportations de déchets. Force est de reconnaître que la France a été isolée sur ce point qui ne concernait que les RUP françaises du fait de l'éloignement géographique des territoires en question.

L'actualité des derniers mois avait, en effet, alerté sur les difficultés rencontrées par certains départements d'outre-mer en la matière. Ainsi certains États membres, en tant que pays de transit de déchets en provenance des outre-mer, ont été particulièrement pointilleux dans l'instruction des dossiers, y compris sur des aspects qui ne relèvent pas de la réglementation, ce qui a contraint les notifiants à modifier le trajet initialement prévu.

Face à cette situation, les autorités françaises ont défendu la nécessité de faciliter les procédures pour permettre les transferts de déchets entre deux territoires d'un même État membre, même transitant par un autre État membre, dans des délais rapides. Il a donc été demandé que les autorités de transit disposent d'une durée d'instruction plus courte et limitée au champ d'application de la règlementation de l'Union. Dans un premier temps, la France a proposé d'accorder à ces autorités un délai de trois jours, au lieu de trente actuellement, pour leur permettre de s'opposer à un transfert, au-delà duquel l'accord tacite serait réputé. Cette demande de dérogation afin de faciliter l'exportation des déchets depuis les RUP vers l'Hexagone a également été défendue par des eurodéputés français et espagnols. Un amendement reprenant la position française a ainsi été introduit lors du vote en séance plénière au Parlement européen, le 17 janvier 2023, sur la proposition de règlement sur les transferts transfrontières de déchets. Pour sa part, le Conseil, sur proposition de la présidence suédoise, a finalement retenu un délai de sept jours. Cette nouvelle disposition apparaît relativement équilibrée au regard des enjeux et la commission des affaires européennes soutient le maintien de cette adaptation lors des trilogues à venir.

Mandat de négociation sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux transferts de déchets et modifiant les règlements (UE) nº 1257/2013 et (UE) 2020/1056, COM(2021) 709 final

« Article 30 bis - Transferts entre une région ultrapériphérique et son État membre

Par dérogation à l'article 9, paragraphes 1 et 2, pour les transferts de déchets entre une région ultrapériphérique visée à l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'État membre dont elle fait partie, nécessitant un transit par un autre État membre, le consentement tacite de l'État membre concerné peut être présumé si aucune objection n'est formulée dans un délai de sept jours ouvrables à compter de la date à laquelle le notifiant a été informé conformément à l'article 8, paragraphe 5d, que la notification a été dûment complétée. Ce consentement tacite est valable pour la période indiquée dans le consentement écrit, conformément à l'article 9, paragraphe 1, donné par l'autorité compétente de destination. »

Parallèlement, se sont engagées, dans le cadre de la Convention des Bâle, des discussions pour permettre l'ouverture d'un groupe de travail sur le consentement préalable, piloté par la France.

L'Union européenne ne dispose pas de marge de manoeuvre pour agir sur les pays d'importation et de transit hors Union européenne. La Convention de Bâle impose de ne pas exporter de déchets sans l'accord préalable formulé par écrit de l'État d'importation pour ce mouvement spécifique. Les règles actuelles applicables à l'Union et à ses États membres prévoient un délai de trente jours dans lequel le pays importateur est tenu de répondre au notifiant, et un délai de soixante jours pour les pays de transit.

Par ailleurs, l'article 11 de la Convention de Bâle prévoit que « nonobstant les dispositions de l'article 4, paragraphe 5, les Parties peuvent conclure des accords ou arrangements bilatéraux, multilatéraux ou régionaux touchant les mouvements transfrontières de déchets dangereux ou d'autres déchets avec des Parties ou des non Parties, à condition que de tels accords ou arrangements ne dérogent pas à la gestion écologiquement rationnelle des déchets dangereux et d'autres déchets prescrite dans la présente Convention. Ces accords ou arrangements doivent énoncer des dispositions qui ne sont pas moins écologiquement rationnelles que celles prévues dans la présente Convention, compte tenu notamment des intérêts des pays en développement ».


* 9 L'économie verte dans les outre-mer - Études thématiques n° 554 - mars 2019 - Institut d'émission des départements d'outre-mer.

* 10 Règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets.

* 11 Décision C(2001)107/final du Conseil de l'OCDE concernant la révision de la décision C(92)39/final sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets destinés à des opérations de valorisation.

* 12 Règlement (CE) n° 1418/2007 de la Commission du 29 novembre 2007 concernant l'exportation de certains déchets destinés à être valorisés, énumérés à l'annexe III ou IIIA du règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil vers certains pays auxquels la décision de l'OCDE sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets ne s'applique pas.

* 13 Rapport sur le devenir des déchets exportés à l'étranger par la France - Ministère de la transition écologique - Conseil général de l'environnement et du développement durable - Février 2022.

* 14 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux transferts de déchets et modifiant les règlements (UE) nº 1257/2013 et (UE) 2020/1056, COM (2021) 709 final.

* 15 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulé « Un nouveau plan d'action pour une économie circulaire - Pour une Europe plus propre et plus compétitive », COM/2020/98 final