B. DES SITUATIONS PRÉJUDICIABLES, AUJOURD'HUI PONCTUELLES MAIS SUSCEPTIBLES DE SE MULTIPLIER

Dans un contexte de démissions croissantes des élus locaux et de désaffection du mandat intercommunal par les élus locaux, les exemples de vacance durable de siège en conseil communautaire se sont récemment multipliés 6 ( * ) et ont été relayés par plusieurs parlementaires 7 ( * ) .

Les règles actuelles ont pu, dans les faits, constituer un frein supplémentaire à la représentation juste et continue des communes au sein de leur EPCI à fiscalité propre , ce qui apparait préjudiciable à trois principaux égards.

En premier lieu, cela aboutit à un amoindrissement de la représentation des communes au sein du conseil communautaire alors même que les EPCI à fiscalité propre sont désormais titulaires de nombreuses compétences, qu'ils exercent souvent sur l'ensemble de leur périmètre. Le rapport d'Elodie Jacquier-Laforge et de Raphael Schellenberger précité soulignait, à cet égard, que « dans son application, [une telle règle] est susceptible de nuire à la représentation de la commune concernée par la vacance au sein du conseil communautaire » 8 ( * ) ;

En deuxième lieu, dans certains cas, une telle vacance conduit à un amoindrissement des droits de l'opposition, celle-ci pouvant se retrouver sans représentation au sein du conseil communautaire, faute d'un réservoir de candidats de même sexe, fléchés ou non, suffisant.

En effet, puisqu'en application du I de l'article L. 273-5 du code électoral, ne peuvent être désignés conseillers communautaires que les seuls conseillers municipaux ou d'arrondissement, le vivier des conseillers municipaux de même sexe susceptibles d'être désignés en remplacement d'un conseiller communautaire démissionnaire élu sur une liste d'opposition peut être très faible, voire inexistant, alors même que le pluralisme des courants d'idées et d'opinions a acquis valeur constitutionnelle 9 ( * ) et doit trouver à s'appliquer à tout moment d'un mandat .

En dernier lieu, une telle situation apparait tout autant préjudiciable pour les communes que pour les EPCI à fiscalité propre eux-mêmes, dont les décisions pourraient être considérées comme entachées d'un défaut de représentativité et de légitimité, en particulier s'agissant des équilibres fragiles de la pondération de la représentation de la ville-centre et de l'ensemble des communes de plus petite taille.

Comme l'a fait valoir Intercommunalités de France lors de son audition par la rapporteure, il n'est pas souhaitable « qu'une commune ne puisse plus bénéficier complètement du nombre de conseillers communautaires qui est le sien en application de l'arrêté de répartition des sièges de conseiller communautaire entre les communes ».

Les conséquences sur l'intercommunalité et sur la commune
d'une vacance durable d'un siège : l'exemple de la commune de Reuilly

La commune de Reuilly (Indre, 2 056 habitants) illustre, parmi d'autres, l'ensemble des conséquences préjudiciables à une commune, aux équilibres politiques locaux et à un EPCI à fiscalité propre susceptibles d'être occasionnées par l'application des dispositions actuelles de l'article L. 273-10 du code électoral.

Cette commune dispose de quatre sièges au sein du conseil communautaire de la communauté de communes du Pays d'Issoudun, composé de 38 sièges, dont elle est membre. La répartition des sièges dans ce conseil communautaire conduit à attribuer à la ville-centre d'Issoudun la moitié des sièges, soit 18 sièges, et aux autres communes de plus petite taille, le reste des sièges , chacune disposant entre un et quatre sièges en fonction de son poids démographique.

Nombre de sièges accordés à chaque commune au conseil communautaire
de la communauté de communes du Pays d'Issoudun

Source : commission des lois du Sénat

Dès lors, si une vacance se produisait parmi les sièges attribués aux autres communes que la ville-centre, un déséquilibre naitrait automatiquement au profit de la ville-centre qui se retrouverait, dans sa représentation au conseil communautaire , en majorité à elle-seule et non plus à égalité avec l'ensemble des autres communes additionnées.

À la suite du renouvellement général de 2020, la liste de la majorité sortante a obtenu, à Reuilly, quinze sièges au conseil municipal contre quatre pour la liste d'opposition . Parallèlement, les quatre sièges de la commune de Reuilly au conseil communautaire ont été pourvus comme suit : trois conseillers municipaux (deux femmes et un homme) de la liste ayant obtenu la majorité de suffrages ont été désignés au conseil communautaire et une conseillère municipale de la liste d'opposition y a été désignée .

Ainsi, si la seule élue municipale d'opposition siégeant au conseil communautaire démissionne de son mandat, il n'existe qu'une autre candidate de même sexe sur la liste communautaire comme sur la liste municipale ayant été élue au conseil communautaire pour la remplacer . Si celle-ci ne se portait pas candidate, le siège de l'opposition serait donc vacant, faute de « réserves » de conseillères municipales et faute de pouvoir désigner un conseiller municipal élu sur la même liste de sexe opposé.

Bien que ces situations restent aujourd'hui ponctuelles , les tendances de fond de crise de l'engagement local, en particulier intercommunal, ne sauraient être ignorées tant elles illustrent le risque d'une multiplication de ces cas de vacance et ce, d'un constat unanime des acteurs auditionnés par la rapporteure. Il en résulte la nécessité d'une évolution législative, qui semble partagée par le Gouvernement, Joël Giraud, alors ministre chargé des collectivités territoriales, énonçant, en réponse à la question écrite de Françoise Gatel précitée, que « ces situations, qui sont exceptionnelles, pourraient faire l'objet d'une attention particulière à l'occasion d'un prochain vecteur législatif » 10 ( * ) .


* 6 Exemple topique, en 2021 dans le département de la Nièvre : la délibération par laquelle un conseil communautaire a procédé au remplacement d'un conseiller de sexe masculin démissionnaire de son mandat municipal par une conseillère municipale de sexe féminin, faute de candidats masculins, a fait l'objet d'un recours par le préfet, dans le cadre du contrôle de légalité et a été, logiquement, annulée, aboutissant à une vacance durable du siège.

* 7 Questions écrites n° 20598 de Stéphane Demilly publiée dans le JO du Sénat du 11 février 2021, p. 882, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210220598.html ; n° 24815 de Hugues Saury publiée dans le JO du Sénat du 14 octobre 2021, p. 5859, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ211024815.html ; n° 17433 de Jean Louis Masson publiée dans le JO du Sénat du 23 juillet 2020, p. 3303, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/questions/base/2020/qSEQ200717433.html ; n° 40561 de Lionel Causse publié dans la JO de l'Assemblée nationale du 3 août 2021, p. 6116, consultable à l'adresse suivante : https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-40561QE.htm ; n° 42555 de Xavier Batut publié dans la JO de l'Assemblée nationale du 16 novembre 2021, p. 8248, consultable à l'adresse suivante : https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-42555QE.htm .

* 8 Mission flash précitée, p. 20.

* 9 La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a complété l'article 8 de la Constitution pour consacrer explicitement le principe, précédemment dégagé par la jurisprudence du juge constitutionnel, du pluralisme des courants d'idées et d'opinions.

* 10 Réponse à la question écrite de Françoise Gatel par le ministère de la cohésion des territoires, n° 7233, publiée dans le JO du Sénat du 17 mars 2022, p. 1408, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220327233.html .

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