Rapport n° 21 (2022-2023) de Mme Jocelyne GUIDEZ , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 5 octobre 2022

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N° 21

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 octobre 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi
créant une
aide universelle d' urgence pour les victimes de violences conjugales ,

Par Mme Jocelyne GUIDEZ,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, MM. Abdallah Hassani, Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel .

Voir les numéros :

Sénat :

875 (2021-2022) et 22 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Le texte propose de créer une aide financière aux victimes de violences conjugales. Cette aide prendrait la forme d'un prêt accordé par les caisses d'allocations familiales, déclenché dans un délai porté à trois jours ouvrés par la commission et versé en trois mensualités. Elle serait assortie d'un accompagnement social et professionnel.

La commission a adopté la proposition de loi modifiée.

Proportion des femmes victimes de violences conjugales connues des services de police et de gendarmerie en 2020

Dans l'Hexagone

En outre-mer

En dépit des mesures prises depuis 2019 dans le sillage du Grenelle des violences conjugales, les chiffres du ministère de l'Intérieur rendent compte d'une augmentation des violences conjugales : 145 homicides au sein du couple ont été recensés en 2021 (+ 14 % par rapport à 2020) , dont 122 femmes victimes . Les plaintes pour violences conjugales suivent également une tendance à la hausse (+ 10 % en 2020) atteignant 159 400. En France hexagonale, une enquête statistique du ministère de l'Intérieur estime à 295 000 le nombre annuel de victimes de violences conjugales entre 2011 et 2018, dont 7 % de femmes.

I. SE PROTÉGER DE L'AUTEUR DES VIOLENCES EN QUITTANT LE DOMICILE : UNE ÉTAPE DIFFICILE POUR LES VICTIMES

A. UNE INDÉPENDANCE ÉCONOMIQUE DIFFICILE À RECOUVRER

L'analyse des données issues des appels au « 3919 - Violences Femmes Info » au cours de l'année 2020 montre que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal tandis que 18 % d'entre elles indiquent avoir effectué plusieurs départs du domicile . Il est donc très difficile à la victime de mener à bien cette mise à l'abri.

Il convient de rappeler que le principe premier en droit, tant pénal que civil, demeure l'éviction de l'auteur des violences du domicile conjugal. Les lois récentes des 28 décembre 2019 et 30 juillet 2020 ont renforcé ce principe dans le cas des victimes bénéficiant d'une ordonnance de protection délivrée par le juge des affaires familiales.

des femmes déclarent subir des violences économiques lors de l'appel au « 3919 » en 2020.

Parmi toutes les raisons empêchant les victimes de se protéger, la précarité ou les incertitudes financières qui suivraient une rupture ne sont pas négligeables.

Cette situation de vulnérabilité peut résulter du manque de ressources propres de la victime ou bien souvent provenir de la violence ou de l'emprise économique dont le conjoint violent fait preuve : chantage financier, confiscation des ressources financières ou des moyens de paiement, comportements visant à acculer la victime à des surendettements personnels... La proposition de loi entend répondre à cette problématique, y compris pour les victimes disposant de revenus professionnels ou issus de leur capital mais s'en trouvant momentanément privés.

B. DES INITIATIVES LOCALES POUR VERSER DES AIDES AUX VICTIMES

Une expérimentation en cours de déploiement dans l'arrondissement de Valenciennes (59) est à l'origine de la présente proposition de loi déposée par Mme Valérie Létard, vice-présidente du Sénat (Union centriste, Nord). Le conseil départemental du Nord et la caisse d'allocations familiales (Caf), en partenariat avec de nombreux autres acteurs, comme le parquet, prévoient de proposer aux victimes de violences conjugales un accompagnement global coordonné par les services sociaux du département et un versement sous deux ou trois jours d'une avance monétaire .

Dans le cadre de cette initiative, il est toutefois prévu que l'aide financière ne soit éligible qu'aux bénéficiaires du RSA. Le département du Nord, entendu en audition par la rapporteure, a ainsi fait part d'au moins deux obstacles que la proposition de loi examinée au Sénat devrait permettre de lever : la restriction de l'aide aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) au détriment des autres victimes ainsi que la capacité financière de la Caf limitée par ses enveloppes de dotation au titre de l'action sociale.

D'autres initiatives sont également à noter. La caisse d'allocations familiales du Var et le barreau de Toulon ont ainsi contractualisé pour permettre un signalement rapide des victimes à la Caf, laquelle s'engage à mettre en place sous quarante-huit heures un examen complet des droits aux prestations légales de la personne. De même, en Gironde, une expérimentation est en cours de déploiement afin de permettre un versement réactif par la Caf de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) aux victimes de violences conjugales en situation de handicap.

II. LA SOLUTION D'UN PRÊT D'URGENCE PRÉVUE PAR LA PROPOSITION DE LOI

Partageant l'objectif de donner aux victimes les moyens financiers nécessaires pour s'extirper d'un environnement violent, une autre proposition de loi, déposée par Michelle Gréaume (CRCE, Nord) 1 ( * ) , adaptait le régime existant du revenu de solidarité active pour permettre à la Caf de verser des avances sur droits supposés, financées par le département. La proposition de loi examinée par la commission prévoit un dispositif sui generis sous la forme d'une avance d'urgence débloquée en deux jours et versée par la Caf pendant trois mois.

A. UN PRÊT D'URGENCE POUR FAIRE FACE AUX PREMIÈRES DÉPENSES CONTRAINTES

1. Un prêt s'inspirant des mécanismes extra-légaux d'action sociale de la branche famille

L' article 1 er de la proposition de loi prévoit donc un dispositif d'avance d'urgence sous la forme d'un prêt, à taux zéro , versé en trois mensualités dont la première devra être payée dans un délai de deux jours ouvrés suivant la demande. L'avance serait financée par la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Le prêt ne serait pas soumis à conditions de ressources et son montant serait fixé par décret.

Les caisses d'allocations familiales disposent déjà de la capacité de consentir des aides financières individuelles sous la forme de prêts d'honneur. Les conditions de délivrance sont variées : évènements familiaux, achat d'équipements ménagers, amélioration de l'habitat... Ces aides sont toutefois octroyées aux allocataires des Caf et peuvent être placées sous condition de ressources . Leur financement est assuré par des dotations du fonds national d'action sociale (Fnas) qui sont toutefois des enveloppes limitatives. Le dispositif de la proposition de loi n'est pas sans ressemblance avec ces prêts à la différence que son existence légale ne le soumettrait plus au pouvoir discrétionnaire du conseil d'administration de chaque Caf.

La commission note que le délai de deux jours d'instruction de la demande et de versement de la première mensualité est ambitieux . La Caf du Nord, engagée dans l'expérimentation déjà mentionnée, a fait état à la rapporteure d'une durée trop courte pour verser les sommes avancées. Cependant, au-delà de trois jours, les victimes plongées dans l'incertitude sur les solutions à court terme dont elles disposent retournent le plus souvent chez leur conjoint violent. La commission a donc porté à trois jours ouvrés le délai dans lequel le versement doit intervenir sous peine de perdre l'objectif d'une aide d'urgence. Elle a également adopté un amendement de Victoire Jasmin (SER, Guadeloupe) permettant aux victimes bénéficiaires de l'avance d'élire domicile auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale ou d'un organisme agréé .

L'article 1 er prévoit également que les allocataires de l'avance bénéficient des mêmes droits accessoires à la prestation du RSA. Ces droits sont octroyés aux allocataires du RSA par des dispositions législatives ou règlementaires - comme le bénéfice automatique de la complémentaire santé solidaire (C2S) ou la prime de Noël. Il s'agit également des droits connexes décidés par les collectivités locales au titre de leur politique d'action sociale (tarif réduit pour les transports publics...). Par souci de clarifier toute ambigüité, la commission a précisé que ces droits et aides accessoires comprennent bien un « accompagnement social et professionnel » adapté à leur situation à l'instar de celui délivré aux bénéficiaires du RSA.

La commission a approuvé ce dispositif de prêt d'urgence pour les victimes de violences conjugales en redéfinissant les conditions d'octroi.

2. Les conditions d'octroi de l'avance d'urgence

L'article 1 er ouvre le dispositif d'avance à toutes les personnes victimes de violences conjugales et ne fixe pas de critère pour définir cette situation. Un fait générateur trop large risque toutefois de gêner la mise en oeuvre de la loi soit en induisant un trop grand pouvoir discrétionnaire de la Caf soit en facilitant les fraudes. La commission a donc estimé que des conditions d'octroi devaient être clairement établies par la loi. Elle a retenu trois critères alternatifs permettant de ne pas restreindre excessivement l'accès à la prestation qui sera ainsi versée aux victimes de violences attestées par :

- la délivrance d'une ordonnance de protection par le juge des affaires familiales ;

- un dépôt de plainte pour de tels faits de violence;

- ou un signalement adressé au procureur de la République . Ce critère permettra de ne pas écarter les personnes n'osant pas accomplir d'elles-mêmes des démarches judiciaires

B. UN MÉCANISME DE REMBOURSEMENT METTANT À CONTRIBUTION LES AUTEURS DES VIOLENCES

L' article 1 er prévoit également les modalités de remboursement du prêt qui ont été précisées par la commission. Les règles de recouvrement des créances seront très proches des modalités déjà existantes pour les prêts consentis par les Caf. La dette pourra ainsi être remboursée en une ou plusieurs échéances si le bénéficiaire le souhaite. Sinon, elle sera récupérée par retenues sur les prestations sociales par ailleurs versées par les Caf. Ces dernières pourront toutefois décider de remises ou de réductions de créances en cas de situation de précarité ou de surendettement de la personne.

La proposition de loi prévoit un mécanisme original de subrogation des Caf dans les droits des victimes de se constituer partie civile pour demander, en leur nom, la réparation du préjudice subi . Il s'avère que les victimes ne font pas souvent valoir leurs droits en tant que partie civile. Ce dispositif permettra donc que des condamnations au titre des dommages et intérêts soient prononcés à l'encontre du conjoint violent. Sauf lorsque le coupable se trouve insolvable, la Caf pourra récupérer la somme avancée à la victime sur ces dommages et intérêts. Ce mécanisme permettra ainsi de faire payer l'auteur des violences pour une situation dont il est responsable.

C. UNE POSSIBILITÉ DE DEMANDER L'AVANCE D'URGENCE À L'OCCASION DU DÉPÔT DE PLAINTE

L' article 2 de la proposition de loi prévoit que l'officier ou l'agent de police judiciaire recevant une plainte pour violences conjugales doit informer la victime de la possibilité de recevoir l'avance d'urgence ainsi qu'enregistrer la demande et la transmettre à la Caf compétente ainsi qu'au conseil départemental, chef de fil de l'action sociale. Cette tâche incombera, s'il est présent, à un intervenant social en commissariat ou unité de gendarmerie (ISCG).

La commission est bien consciente que cette nouvelle mission ne relève pas des compétences naturelles aux policiers et gendarmes. Elle a cependant préservé cette possibilité de demander l'avance à l'occasion du dépôt de plainte . Les victimes, souvent dans des états traumatiques, risquent de ne jamais accomplir les démarches, surtout si elles n'ont pas encore quitté l'auteur des violences. Le texte propose donc un mécanisme nécessaire de liaison entre services de l'Etat et services sociaux qui devra être mis en oeuvre sur le terrain par des coopérations.

Réunie le mercredi 5 octobre 2022 sous la présidence de Catherine Deroche, la commission des affaires sociales a examiné le rapport de Mme Jocelyne Guidez sur la proposition n° 875 (2021-2022) créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales .

La commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi modifiée
par sept amendements.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
Avance d'urgence en faveur des victimes de violences conjugales

Cet article propose de créer une avance d'urgence versée en trois mensualités par les caisses d'allocations familiales aux victimes de violences conjugales afin de les aider à quitter le domicile conjugal.

Les termes de violences conjugales rendent compte de plusieurs infractions commises sur une personne par son conjoint ou ancien conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité (Pacs) ou concubin, y compris en dehors de toute cohabitation. Relèvent notamment de cette qualification les homicides, viols ou agressions sexuelles, violences volontaires, menaces de mort, harcèlements, atteintes à la vie privée ou injures (voir tableau ci-dessous). Selon le ministère de l'intérieur, les plaintes pour violences conjugales suivent une tendance à la hausse depuis quelques années (+ 10 % en 2020) atteignant le nombre de 159 400 2 ( * ) . Le ministère de l'intérieur fait également état d'une augmentation des morts violentes au sein du couple : 145 homicides (+ 14 % par rapport à 2020) ont été recensés en 2021, dont 122 femmes victimes 3 ( * ) . Cette situation est prégnante dans l'Hexagone comme en outre-mer. Une étude de l'Ined de 2018 révèle que près d'une femme interrogée sur cinq se déclare en situation de violences conjugales en Martinique et Guadeloupe 4 ( * ) .

Nombre d'infractions commises au sein du couple connues des services de sécurité en 2020

Infractions

Nombre (femmes et hommes victimes)

Homicides

125

Viols

4 640

Agressions sexuelles

870

Violences volontaires, avec ou sans ITT

113 790

Menaces de mort

15 790

Harcèlements et autres menaces

20 930

Atteintes à la vie privée

1 430

Injures, diffamations

1 900

Total

159 520

Source : Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, Novembre 2021.

I - Le dispositif proposé : un prêt d'urgence aux victimes délivré par les Caf

A. Le droit existant enrichi depuis 2019

1. Un arsenal juridique national récemment renforcé pour lutter contre les violences conjugales

Dans le cadre du Grenelle des violences conjugales débuté en 2019, le Gouvernement a lancé un plan d'action comportant des mesures préventives et répressives. Dans ce sillage, plusieurs lois ont été promulguées pour lutter contre les violences au sein du couple.

• La loi du 28 décembre 2019 5 ( * ) a ainsi prévu des dispositions pour améliorer l'accès au logement des femmes victimes de violences conjugales (voir encadré infra ).

Les expérimentations prévues par la loi du 28 décembre 2019

La loi du 28 décembre 2019 6 ( * ) a mis en place plusieurs expérimentations afin d' améliorer l'accès au logement des femmes victimes de violences conjugales quittant le domicile commun. Une première expérimentation autorise les bailleurs sociaux à louer des logements du parc locatif social à des organismes déclarés afin que ces derniers les sous-louent à titre temporaire aux victimes de violences conjugales attestées par une ordonnance de protection . Ce mécanisme - qui préexistait pour les personnes handicapées ou âgées, les jeunes actifs de moins de trente ans et les jeunes actifs en mobilité professionnelle - reste soumis à conditions de ressources mais permet l'attribution plus rapide d'un logement social.

D'autre part, un dispositif expérimental est prévu pour accompagner le dépôt de garantie, les garanties locatives, le paiement des premiers mois de loyer des victimes de violences attestées par une ordonnance de protection ». Aux termes de l'article 15, « cet accompagnement se déclenche à la demande de la victime, et sous conditions de ressources, au moment où elle cesse, y compris de son propre chef, de jouir effectivement du logement conjugal ou commun. »

Interrogée par la rapporteure, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) n'a pu faire part que d'un bilan encore très partiel de ces expérimentations récentes. Il semblerait toutefois qu'un nombre réduit de territoires se soit saisi des possibilités ouvertes par la loi.

• La loi du 28 décembre 2019 ainsi que la loi du 30 juillet 2020 7 ( * ) qui la complète ont également modifié le régime de l'ordonnance de protection délivrée par le juge des affaires familiales (voir encadré ci-dessous) à la demande de la victime.

Les ordonnances de protection

La loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 8 ( * ) a créé l'ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales au bénéfice d'une victime vraisemblable de violences conjugales 9 ( * ) . Cette mesure de protection judiciaire intervient avant la condamnation pénale de l'auteur des faits. Elle permet de protéger la victime et ses enfants :

- en statuant sur  l'attribution du logement du couple ;

- en statuant sur l'exercice de l'autorité parentale ;

- en interdisant à l'auteur des faits de s'approcher de la victime ou de se rendre dans certains lieux ;

- en interdisant la détention ou le port d'arme par l'auteur des faits ;

- en autorisant à la victime la dissimulation de son domicile.

La délivrance d'une ordonnance de protection n'est pas automatique et les victimes ou le procureur de la République doivent en faire la demande en saisissant le juge aux affaires familiales. Les délivrances d'ordonnances de protection ont connu une montée en progression mais leur nombre, inférieur à 6 000, reste très en deçà des chiffres estimés de victimes annuelles de violences conjugales (environ 295 000).

* Chiffre communiqué à la rapporteure par la DGCS

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après le guide pratique de l'ordonnance de protection du ministère de la justice, août 2020

Dorénavant, l'ordonnance doit être rendue dans un délai de six jours 10 ( * ) et le juge dispose de pouvoirs élargis pour protéger la victime . Le juge doit statuer sur la « résidence séparée des époux » en attribuant au conjoint qui n'est pas l'auteur des violences la jouissance du logement. Il ne peut prendre une décision contraire que sur « ordonnance spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières ». De même, le code civil dans sa rédaction issue des lois du 28 décembre 2019 et du 30 juillet 2020 affirme le principe que la jouissance du logement est attribuée par le juge, même d'office, au concubin ou au partenaire lié par un pacte civil de solidarité (PACS) qui n'est pas l'auteur des infractions. Dans les deux cas, cette attribution peut être décidée y compris si la victime bénéficie d'un hébergement d'urgence et, dans cette hypothèse, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du conjoint, partenaire ou concubin violent.

• La loi du 30 juillet 2020 a en outre assoupli le régime du secret médical ; les médecins peuvent dorénavant alerter le procureur de la République si son patient, y compris majeur, court un danger immédiat ou se trouve sous emprise. La loi prévoit également des poursuites pénales en cas de vol d'un moyen de télécommunication appartenant au conjoint, à un ascendant ou à un descendant au même titre que les documents d'identité ou les moyens de paiement.

2. Des initiatives locales d'aide et d'accompagnement des victimes

a) Une expérimentation menée par le département du Nord contrainte par le droit existant

Une expérimentation en cours de déploiement dans l'arrondissement de Valenciennes est à l'origine de la présente proposition de loi. Entendue par la rapporteure, Valérie Létard, sénatrice et conseillère départementale du Nord, auteure de la proposition de loi, a rappelé que les violences conjugales sont particulièrement prégnantes dans le Nord . La proportion de femmes âgées de 20 ans ou plus victimes de violences conjugales enregistrées par les forces de police et de gendarmerie en 2020 y est la seconde plus élevée de l'Hexagone (6,6 %o) derrière la Seine-Saint-Denis (9,2 %o). En moyenne, mille plaintes sont enregistrées chaque année dans le Valenciennois - pour une population totale de 350 000 habitants.

Le département et la caisse d'allocations familiales (Caf) du Nord, en partenariat avec d'autres acteurs, comme le parquet, mettent en place un accompagnement global des victimes coordonné par les services sociaux du département et complété par un versement sous deux ou trois jours d'une avance monétaire . Valérie Létard a ainsi indiqué que l'expérimentation avait d'abord été pensée pour permettre un versement d'avances sur droits supposés au RSA. Cette option fut toutefois écartée en raison des contraintes juridiques du régime existant. D'une part, la neutralisation des revenus du conjoint n'était pas assurée. D'autre part, le RSA étant versé à terme échu, une longue période pouvait s'écouler avant le versement effectif. Enfin, le système d'information de gestion du RSA ne permettait pas de prévoir une récupération adaptée des sommes.

Les avances sur droits supposés au RSA

L'article L. 262-22 du code de l'action sociale et des familles (CASF) permet au président du conseil départemental de « décider de faire procéder au versement d'avances sur droits supposés » au RSA. Il s'agit donc d'un pouvoir discrétionnaire du président du conseil départemental.

Après le versement de l'avance sur droits, le bénéficiaire doit déclarer ses ressources et ainsi voir sa situation se rattacher au régime de droit commun. Si le montant alloué est supérieur à ce que ses ressources lui ouvrent comme droits, les indus sont récupérés sur la première mensualité versée du RSA. C'est pourquoi, dans le cadre de l'expérimentation, la victime aurait pu se trouver rapidement dans un état de vulnérabilité que l'initiative entend précisément éviter .

Il a donc été prévu que cette avance prenne la forme d'un prêt d'honneur dont le montant serait équivalent à celui du RSA et varierait ainsi selon le nombre d'enfants à charge. Elle serait financée par la Caf sur son enveloppe de dotation d'action sociale et serait ouverte aux allocataires du RSA. Le versement effectif des sommes pourra être fait sur le compte du bénéficiaire ou sur le compte d'un tiers identifié et enregistré préalablement, en l'occurrence une association, pour faciliter un paiement rapide.

Les prêts d'honneur versés par les caisses d'allocations familiales

Dans le respect de l'arrêté du 3 octobre 2001 relatif à l'action sociale des caisses d'allocations familiales et dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestions (COG) négociées entre la Cnaf et l'État, les caisses disposent de la capacité de consentir des aides financières individuelles sous la forme de prêts d'honneur. Ces prêts d'action sociale sont financés par la caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) qui gère le fonds national d'action sociale (Fnas) conformément à l'article L. 223-1 du code de la sécurité sociale.

Les conditions de délivrance sont variées : évènements familiaux ou achat d'équipements ménagers. De même, l'article L. 542-9 du code de la sécurité sociale prévoit que les régimes de prestations familiales peuvent accorder à leurs allocataires des prêts à l'amélioration de l'habitat (Pah). Ces aides ne sont toutefois octroyées qu'aux allocataires des régimes de prestations familiales et peuvent être placées sous conditions de ressources.

Le département du Nord, entendu en audition par la rapporteure, a fait part d'au moins deux obstacles pratiques que la proposition de loi examinée au Sénat devrait permettre de lever :

- la restriction de l'aide aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) au détriment des autres victimes ;

- la capacité financière de la Caf limitée par son budget d'action sociale.

Sur ce second point, la proposition de loi aura pour effet d'inscrire l'avance d'urgence au rang des prestations légales de la branche famille . Sans prévoir de ressources supplémentaires affectées à la Cnaf 11 ( * ) , elle devrait permettre à l'avance de ne plus être financée via le Fnas, laquelle est une enveloppe limitative, mais bien au titre des prestations légales à l'instar des autres dépenses dites de guichet.

b) D'autres initiatives

En mars 2021, la Caf du Var et le barreau de Toulon ont contractualisé un partenariat afin d'améliorer le recours aux droits des victimes de violences conjugales. D'une part, les avocats s'engagent à signaler rapidement la situation des victimes à la caisse et à les orienter vers son guichet. D'autre part, la caisse met en oeuvre sous quarante-huit heures un examen complet des droits aux prestations légales de la personne. Cette initiative ne s'appuie donc pas sur une nouvelle prestation mais retient une approche populationnelle en ciblant les victimes de violences conjugales et en accélérant pour elles les procédures de droit commun. La caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) a indiqué à la rapporteure que quatre personnes avaient ainsi été affectées à cette procédure.

De même, en Gironde, une expérimentation est en cours de déploiement afin de permettre un versement réactif par la Caf de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) aux victimes de violences conjugales en situation de handicap.

B. Le dispositif proposé : une avance d'urgence pour rendre la victime indépendante du conjoint violent

L' article 1 er de la proposition de loi n° 875 (2021-2022) crée un nouveau chapitre IV bis au sein du code de l'action sociale et des familles (CASF) « Avance d'urgence aux victimes de violences conjugales », comprenant les nouveaux articles L. 214-8 à L. 214-10 du CASF.

• Les I , II et III de l' article L. 214 - 8 disposent que les victimes de violences commises par leur concubin, conjoint ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité (PACS) bénéficient à leur demande d'une avance d'urgence. Une plainte, une délivrance ou une demande d'ordonnance de protection peut justifier la situation de violences conjugales. La demande est formulée auprès de la Caf ou bien à l'occasion d'un dépôt de plainte. Cette avance prend la forme d'un prêt, sans intérêt, versé en trois mensualités et dont le montant est déterminé par décret. La première mensualité est versée dans un délai de deux jours ouvrés « selon des modalités qui permettent un accès effectif du bénéficiaire aux sommes versées ».

• Le IV prévoit que le refus opposé à la demande doit être motivé et notifié avant l'expiration du délai de deux jours ouvrés. Ce refus ne peut être fondé que sur la méconnaissance des conditions d'octroi, le fait qu'une demande identique est pendante ou sur le caractère manifestement frauduleux ou répétitif de la demande.

• Le V prévoit que la victime à qui est versée l'avance d'urgence peut se prévaloir de la « qualité de bénéficiaire du RSA afin que lui soient reconnus les droits et aides accessoires à cette prestation » pendant une période de six mois. Les prestataires du RSA bénéficient en effet de plusieurs droits connexes reconnus légalement ou règlementairement :

- l e bénéfice automatique de la complémentaire santé solidaire (C2S) en application du deuxième alinéa de l'article L. 861-2 du code de la sécurité sociale ;

- l'accès à un contrat emploi-formation agricole prévu à l'article D. 718-7 du code rural et de la pêche maritime ;

- la possibilité de bénéficier d'un délai de préavis réduit à un mois du congé conformément à l'article15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 12 ( * ) ;

- le versement d'une prime de Noël , dont le montant forfaitaire est prévu annuellement par décret 13 ( * ) ;

- la réduction sociale du tarif téléphonique par l'opérateur Orange ;

En outre, les bénéficiaires du RSA peuvent bénéficier des aides sociales locales décidées librement par les collectivités territoriales (centre communal d'action sociale, département, région) et pouvant prendre différentes formes. Il s'agit par exemple de réductions tarifaires pour les transports publics.

La personne pourrait enfin bénéficier pendant six mois du même « accompagnement social et professionnel », mentionné à l'article L. 262-27 du code de l'action sociale et des familles, que celui complétant le versement de l'allocation du RSA.

• Le VI précise que l'avance d'urgence ne saurait être considérée comme une ressource au sens du code de l'action sociale et des familles. En conséquence, l'avance ne peut être prise en compte dans l'examen des droits aux nombreuses prestations sociales placées sous conditions de ressources.

• L' article L. 214-9 du CASF prévoit que le régime de prescription et de recouvrement des avances suit les modalités de prescription du RSA et de récupération des indus du RSA définies à la section 5 du chapitre II du titre VI du livre II du code de l'action sociale et des familles qui comprend les articles L. 262-45 et suivants. L'article L. 262-45 dispose que l'action en vue du paiement du RSA est prescrite par deux ans. De même, l'action intentée par l'organisme chargé du service du RSA pour récupérer des sommes indûment versées est prescrite par la même période. L'article L. 262-46 prévoit les modalités de récupération des indus du RSA. Il semble donc, au regard des modalités prévues dans cet article, que l a récupération des sommes avancées au titre de l'avance d'urgence peut se faire par remboursement direct ou par retenue sur certaines prestations sociales délivrées par les CAF.

En outre, le nouvel article L. 214-9 du CASF prévoit que « des remises ou réductions de créance peuvent être consenties ».

Le dispositif proposé prévoit que la CAF créancière est subrogée dans les droits de la victime , si elle y renonce, pour se constituer partie civile contre le conjoint ou concubin violent et demander ainsi, en son nom et pour son compte, la réparation du préjudice subi . Elle peut ainsi récupérer les sommes de l'avance sur les dommages et intérêts prononcés en réparation du préjudice et ce quand bien même les sommes ne sont pas encore exigibles auprès de la victime.

• Enfin, le nouvel article L. 224-10 du CASF dispose qu'un décret prévoit les modalités de mise en oeuvre du chapitre ainsi créé.

II - La position de la commission : un dispositif souhaitable

A. Un constat tragique : la difficulté pour les victimes de violences conjugales de quitter l'auteur des faits

La rapporteure souscrit à l'ambition de la proposition de loi d'aider les victimes de violences conjugales à s'extraire du domicile du couple. Néanmoins, elle rappelle tout d'abord que le principe premier en droit demeure l'éviction de l'auteur des violences du domicile conjugal . Sur le volet civil, l'attribution du logement dans le cadre d'une ordonnance de protection est de droit en faveur de la victime et la décision contraire du juge doit être expressément motivée (voir supra ). Sur le volet pénal, le procureur de la République peut à tout moment de l'instruction décider d'une mesure d'éloignement du conjoint 14 ( * ) . En cas de violences conjugales, la juridiction de condamnation ou le juge d'application des peines peuvent également imposer au condamné de « résider hors du domicile ou de la résidence du couple et, le cas échéant, s'abstenir de paraître dans ce domicile ou cette résidence ou aux abords immédiats de celui-ci » 15 ( * ) . Par ailleurs, certains départements développent des solutions d'hébergement pour les conjoints violents, comme les maisons d'auteurs, afin de permettre à la victime qui le souhaite de se maintenir dans le logement du couple.

Il n'en demeure pas moins que l'urgence et les circonstances peuvent rendre préférable la mise à l'abri de la victime en dehors du domicile. Ainsi, l'analyse des données issues des appels au « 3919 - Violences Femmes Info » au cours de l'année 2020 révèlent que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal 16 ( * ) .

Le départ réussi de la victime tient pour beaucoup aux solutions d'accueil dont elle dispose. Des places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) , financées par la mission budgétaire de l'Etat n° 34 « Cohésion sociale » 17 ( * ) , sont spécifiquement destinées aux femmes victimes de violences. Dans le cadre du Grenelle , le Gouvernement s'était engagé à accroitre la capacité d'accueil de 2 000 places supplémentaires en 2020 et 2021 pour atteindre un parc de 7 800 places fin 2021.

Cependant, certaines victimes de violences conjugales repoussent leur rupture ou décident de revenir au domicile du couple en raison de la précarité économique dans laquelle elles se trouvent ou des incertitudes financières qu'elles anticipent. 18 % des victimes indiquent avoir effectué plusieurs départs du domicile habituel.

Cette situation peut résulter de leur manque de ressources propres mais également de la violence économique ou de l'emprise qu'elles peuvent subir quand bien même elles disposeraient d'un emploi et de revenus. Ainsi les mêmes données issues de l'appel au numéro « 3919 » montrent que 19 % des victimes disent subir des « violences économiques ». Selon la Fédération nationale solidarité femme (FNSF) et l'association Halte aide aux femmes battues (HAFB), entendues en audition par la rapporteure, ces violences économiques se matérialisent par des procédés très divers : chantage financier, dépossession des ressources financières voire des moyens de paiement, opérations plaçant la victime dans un surendettement personnel...

La proposition de loi répond donc à la nécessité pour les victimes de disposer rapidement de moyens financiers pour faire face aux dépenses contraintes avant d'actionner des mécanismes plus pérennes - comme les prestations sociales de droit commun - ou de pouvoir disposer à nouveau de leurs ressources propres.

B. Un dispositif utile proposé à partir d'une expérimentation

La rapporteure se félicite que la proposition de loi fasse suite aux réflexions menées par le comité de pilotage de l'expérimentation en cours de déploiement dans le Valenciennois. Auditionné par la rapporteure, Nicolas Grivel, directeur général de la caisse nationale des allocations familiales, a néanmoins souligné que la proposition de loi pouvait paraître comme prématurée ; l'expérimentation étant seulement sur le point de débuter. La rapporteure a pleinement conscience que cette proposition de loi est examinée au Sénat alors que l'expérimentation n'a pas révélé tous ses enseignements. Elle constate toutefois que des obstacles légaux à la mise à disposition en urgence de sommes pour les victimes de violences conjugales ont déjà pu être identifiés . La mise en oeuvre effective de l'expérimentation, prévue pour l'automne 2022, pourra utilement renseigner le législateur sur les améliorations à apporter, le cas échéant, en cours de navette parlementaire.

1. L'aide financière : une mesure bienvenue complétant le dispositif de soutien aux victimes

La rapporteure soutient pleinement la mise en place du dispositif proposé d'aide d'urgence aux victimes de violences conjugales . Elle constate cependant que le texte renvoie à un décret le soin de fixer le montant du prêt d'urgence. Valérie Létard, auteure de la proposition de loi, entendue par la rapporteure, a indiqué qu'il était souhaitable que le montant soit équivalent à celui du RSA, à l'instar de l'option retenue dans le cas de l'expérimentation. La rapporteure souscrit à cette solution mais insiste sur la nécessité que le décret fixe des montants majorés dans le cas où la victime assumerait la charge d'un ou de plusieurs enfants comme le régime du RSA le prévoit. Il est en effet fréquent que les victimes fuyant la violence d'un foyer emmènent avec elles les enfants, victimes eux-aussi de ces violences intrafamiliales.

a)Les conditions d'octroi de l'avance d'urgence

La rapporteure note que l'article 1 er ouvre le dispositif d'avance d'urgence à toutes les personnes victimes de violences conjugales sans établir de conditions strictes pour définir cette situation. Le dépôt de plainte ou l'ordonnance de protection ne sont ainsi indiqués qu'à titre illustratif. Un fait générateur trop large risque de gêner la mise en oeuvre de la loi. Il induira soit un trop grand pouvoir discrétionnaire de chaque Caf, avec le risque de contentieux qui en découle, soit une possibilité accrue de fraudes si le prêt était ouvert sur simple déclaration de la situation de victime de violences conjugales. La rapporteure s'est donc interrogée sur les bonnes conditions d'octroi à définir.

• La mesure judiciaire que constitue l'ordonnance de protection est apparue comme un fait générateur solide - choisi d'ailleurs récemment pour ouvrir droit aux dispositifs d'aide au logement exposés plus en amont de ce rapport 18 ( * ) . Néanmoins, le nombre encore limité de demandes et de délivrances d'ordonnance, en raison de la faible connaissance du dispositif, rend trop restrictif l'accès à la prestation si elle ne devait être soumise qu'à cette seule condition.

• Une avance conditionnée à un dépôt de plainte préalable élargirait sensiblement le public bénéficiaire. La plainte constitue une condition qui n'est pas sujette à la discrétion d'un tiers en ce que « les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale , y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service ou une unité de police judiciaire territorialement incompétents » 19 ( * ) . Il n'en demeure pas moins que les risques de fraude à la prestation seraient limités en raison des peines encourues en cas de plainte calomnieuse 20 ( * ) . Toutefois, la rapporteure a bien conscience que de nombreuses victimes n'osent pas porter plainte. Le risque d'écarter les victimes ne souhaitant pas enclencher d'elles-mêmes les procédures pénales - par exemple, par peur de représailles - est donc trop élevé.

• Le signalement porté à la connaissance du procureur de la République est donc apparu comme un troisième critère complétant utilement les deux premiers. En particulier, Valérie Létard a fait part des protocoles qui existaient dans sa circonscription du Nord pour faciliter les signalements au parquet par les professionnels de santé des victimes prises médicalement en charge 21 ( * ) . La rapporteure voit donc dans les unités médicales spécialisées des endroits privilégiés pour atteindre des publics qui peuvent par ailleurs refuser les démarches judiciaires volontaires.

Sur proposition de la rapporteure, la commission a estimé que des conditions d'octroi devaient être clairement établies par la loi. Elle ainsi adopté l'amendement n° COM-2 retenant les trois critères alternatifs ci-dessus présentés que sont :

- la délivrance d'une ordonnance de protection par le juge des affaires familiales ;

- un dépôt de plainte pour de tels faits de violence ;

- ou un signalement adressé au procureur de la République .

b) Le délai d'instruction

La rapporteure constate que le délai de deux jours d'instruction de la demande et de versement de la première mensualité apparait comme ambitieux . Dans le cas de l'expérimentation mentionnée, la Caf du Nord a fait part de la difficulté à tenir ce délai. Dans sa contribution adressée à la rapporteure, la caisse pointe également que si l'avance est ouverte à toute victime de violences conjugales « une des difficultés rencontrées concernera la situation des non allocataires (...) ; cela nécessitera un traitement plus long ».

Cependant, la FNSF et l'association HAFB ont indiqué à la rapporteure qu'après avoir quitté le domicile conjugal, les femmes victimes de violences doivent être rapidement aidées sous risque, après soixante-douze heures d'incertitudes, de retourner auprès de l'auteur de violences. Le département du Nord a également indiqué dans sa contribution à la rapporteure qu'« au-delà de cette durée [de trois jours] et au regard des retours d'expériences des professionnels, le risque de retour au domicile de la victime augmente fortement. » Tenant compte de ces contraintes, la commission a donc adopté un amendement COM-3 de la rapporteure visant à porter de deux à trois jours le délai d'instruction de la demande d'avance.

Par ailleurs, la commission a adopté un amendement n° COM-1 de Victoire Jasmin visant à permettre à la victime de violences conjugales bénéficiaire de l'avance d'urgence de se domicilier de droit auprès du centre communal ou intercommunal d'action sociale ou auprès d'un organisme agréé.

c) Les droits complétant l'avance monétaire

Le présent article prévoit également que les allocataires de l'avance bénéficient des mêmes droits accessoires à l'allocation du RSA . Ces droits sont octroyés aux allocataires du RSA par des dispositions législatives ou règlementaires ou bien décidés par les collectivités territoriales au titre de leur politique d'action sociale. La rapporteure souligne qu'il est important que les victimes de violences conjugales bénéficient d'un accompagnement social adapté à leur situation comme les travailleurs sociaux des départements et les associations spécialisées le font déjà dans beaucoup de départements. Par un amendent de la rapporteure n° COM-5 , la commission a donc précisé que les droits et aides accessoires au RSA comprennent bien un « accompagnement social et professionnel » adapté à leur situation à l'instar de celui délivré aux bénéficiaires du RSA.

2. Le remboursement du prêt : un dispositif ad hoc

L' article 1 er prévoit que les modalités de remboursement du prêt suivent les règles de récupération des indus du RSA. La rapporteure constate que ces modalités sont en réalité assez proches de celles de récupération des prêts consentis par les conseils d'administration des Caf 22 ( * ) . Les débiteurs peuvent opter pour un remboursement direct ou bien les caisses procèdent à des retenues sur prestations sociales. Toutefois, certaines dispositions ne semblent pas être applicables dans le cas d'un prêt d'honneur et la rapporteure a donc proposé un amendement n° COM-6 de clarification rédactionnelle que la commission a adopté. Cet amendement a précisé également que dans le cas de fraude ou de prêt indûment versé, la créance serait exigible sans délai.

Dans le cas de prêt dûment accordé, le texte reste silencieux sur la date à partir de laquelle le délai de paiement est arrivé à terme. L'objectif de l'avance d'urgence est toutefois de soutenir dans l'urgence les personnes et d'exiger un remboursement lorsque leur situation est stabilisée . Le recouvrement devra également être étalé de telle sorte à ne pas placer les intéressés dans des situations de surendettement. Les caisses pourront par ailleurs décider de remises ou de réductions de créances en cas de situation de précarité du débiteur.

La rapporteure note enfin que le dispositif proposé prévoit un mécanisme original de subrogation des Caf dans les droits des victimes de se constituer partie civile pour demander, en leur nom, la réparation du préjudice subi . Il est vrai que les victimes ne font pas toujours valoir leurs droits en tant que partie civile. Ce mécanisme permettra donc que des condamnations au titre des dommages et intérêts soient prononcés à l'encontre du conjoint violent. La Caf pourra ainsi récupérer la somme avancée à la victime sur ces dommages et intérêts. Ce mécanisme permettra ainsi de faire payer l'auteur des violences pour une situation dont il est responsable. Pour autant, lors de l'audition menée par la rapporteure, la caisse nationale des allocations familiales a fait remarquer à raison que les auteurs des violences risquent d'être insolvables dans un nombre non négligeable de cas.

Par ailleurs, la commission la commission a adopté un amendement de la rapporteure n° COM-4 d'amélioration rédactionnelle.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2
Possibilité de demander l'avance d'urgence lors d'un dépôt de plainte

Cet article prévoit que l'officier ou l'agent de police judiciaire recevant la plainte informe la victime de violences conjugales de la possibilité de bénéficier d'une avance d'urgence. Il enregistre sa demande le cas échéant et la transmet à la caisse des allocations familiales et au département.

I - Le dispositif proposé : possibilité d'accomplir les premières démarches de demande de l'avance d'urgence à l'occasion du dépôt de plainte

A. Le droit existant : un enrichissement récent des conditions de dépôt de plainte des victimes de violences conjugales

Depuis la loi précitée du 28 décembre 2019, en cas de dépôt de plainte pour violences conjugales, l'officier ou l'agent de police judiciaire doit « inform[er] la victime, oralement et par la remise d'un document, qu'elle peut demander ou consentir à bénéficier du dispositif électronique mobile anti-rapprochement » en application de l'article 15-3-2 du code de procédure pénale 23 ( * ) .

Sans modification législative, des mesures récentes ont enrichi les conditions de dépôts de plainte des victimes de violences conjugales. Une circulaire du 8 mai 2019 24 ( * ) de la ministre de la justice informe les parquets des initiatives locales permettant le dépôt de plainte simplifié à l'hôpital et encourage le déploiement de cette procédure sur l'exemple du centre d'accueil spécialisé pour les agressions (CASA) du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen. Ainsi, lorsque la victime se présente aux urgences hospitalières et indique avoir subi des violences conjugales, elle peut « remplir un formulaire de plainte simplifiée transmis immédiatement par l'hôpital aux services d'enquête, permettant la réalisation de l'examen médico-légal sur réquisitions judiciaires ». Une seconde circulaire du garde des sceaux du 23 septembre 2020 encourage la généralisation des dépôts de plainte simplifiée à l'hôpital 25 ( * ) .

Une troisième circulaire interministérielle du 25 novembre 2021 26 ( * ) dresse l'inventaire des bonnes pratiques à encourager pour « la mise en place d'un continuum de prise en charge, complet et pluridisciplinaire », c'est-à-dire « médicale, psychologique, médico-légale, sociale et juridique », afin de favoriser de dépôt de plainte des victimes . Elle encourage notamment le dépôt de plainte in situ par lequel le service enquêteur se déplace au sein de l'établissement de santé pour recueillir la plainte d'une victime prise en charge. La circulaire indique ainsi que : « le recueil de la plainte de la victime in situ a lieu lorsque l'état de santé de la victime ou les circonstances le justifient : en cas d'atteinte majeure à l'intégrité physique (victime gravement traumatisée, hospitalisée) ou de danger immédiat pour la vie de la victime (...) en cas de crainte de la victime de retourner au domicile conjugal , en l'absence de solution immédiate d'hébergement). »

B. Le dispositif proposé

L' alinéa 2 du présent article insère un nouvel article 15-3-2-1 au sein du code de procédure pénale. Ce dernier prévoit qu'en cas de plainte pour des violences conjugales, l'officier ou l'agent de police judiciaire qui reçoit la plainte doit informer la victime qu'elle peut bénéficier de l'avance d'urgence que l'article 1 er de la présente proposition de loi entend créer.

L' alinéa 3 dispose que l'officier ou l'agent ou le travailleur social présent au sein du commissariat ou de la brigade de gendarmerie, en application de l'article L. 121-1-1 du code de l'action sociale et des familles, enregistre la demande d'avance formulée par la victime et la transmet à la Caf compétent e, selon des modalités prévues par décret, ainsi qu'au président du conseil départemental.

II - La position de la commission : un dispositif singulier mais nécessaire

La rapporteure s'est d'abord interrogée sur le bien-fondé de ces dispositions. L'obligation faite au policier ou gendarme recevant la plainte d'informer la victime de la possibilité de demander une avance d'urgence n'est certes pas si originale compte tenu de leur mission récente d'information de la victime au sujet du bracelet électronique (voir supra ). En revanche, l'obligation d'enregistrer la demande et de la transmettre à la Caf et au département semble à la rapporteure bien éloignée des compétences naturelles des officiers et des agents de police judiciaire.

Ces doutes à première vue sur l'intérêt du dispositif ont toutefois été levés au regard de la nécessité d'accompagner les victimes sans perdre de temps lorsqu'elles prennent la décision courageuse de dénoncer les violences qu'elles subissent. Il est apparu évident à la rapporteure que la simple information du dispositif d'aide et le renvoi de la victime vers la caisse d'allocations familiales comportait un risque élevé que la personne abandonnât les démarches. Cette situation eût été d'autant plus probable que les victimes peuvent être dans des états traumatiques ou bien ne pas être libres d'aller et venir comme elles le souhaitent. Pour ces raisons, la rapporteure a donc souhaité préserver ces dispositions qui concourent au versement de l'avance dans des délais resserrés .

La rapporteure constate qu'aux termes de l'article 2 cette mission doit être naturellement exercée par l'intervenant social en commissariat et unité de gendarmerie (ISCG) lorsque ce dernier est présent. Tous les commissariats ou unités de gendarmerie sont néanmoins loin de disposer d'un tel travailleur social. Leur présence dépend des coopérations et impulsions locales (voir encadré ci-dessous). La rapporteure ne peut donc qu' encourager l'effort de déploiement des ISCG sur tout le territoire.

Les travailleurs sociaux en commissariats et unités de gendarmerie

Après des expérimentations locales, une circulaire interministérielle 27 ( * ) en date du 1 er août 2006 a prévu le cadre d'intervention des intervenants sociaux en commissariats et unités de gendarmerie (ISCG). Ces travailleurs sociaux ont la mission de :

- « évaluer la nature des besoins sociaux qui se révèlent à l'occasion de l'activité policière ;

- réaliser l'intervention de proximité, dans l'urgence si nécessaire : (...) action de soutien, d'information et d'orientation ;

- faciliter l'accès à la personne aux services sociaux et de droit commun concernés. »

L'existence législative des ISCG a été reconnue par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance à l'article L. 121-1-1 du code de l'action sociale et des familles qui dispose qu'« une convention entre l'État, le département et, le cas échéant, la commune peut prévoir les conditions dans lesquelles un ou plusieurs travailleurs sociaux participent, au sein des commissariats de la police nationale et des groupements de la gendarmerie nationale, à une mission de prévention à l'attention des publics en détresse ».

Ainsi que le souligne l'inspection générale de l'administration, « les modalités de financement se décident, au cas par cas, pour chacun des postes en création sur un département » 28 ( * ) . Il s'agit toutefois en principe d'un co-financement impliquant les collectivités territoriales, d'autres acteurs, notamment associatifs, et l'État à travers le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). La circulaire cadre SG-CIPDR du 5 mars 2020 relative à la déclinaison territoriale des politiques de prévention de la délinquance encourage les préfets à renforcer la présence des ISCG dans les commissariats et gendarmeries .

Dans le cadre du Grenelle , le Gouvernement a annoncé le déploiement de 200 ISCP supplémentaires d'ici 2025 pour atteindre un total de 600 29 ( * ) . Leur nombre a déjà augmenté de 270 en 2019 à plus de 400 fin 2021 30 ( * ) .

La rapporteure note enfin que la rédaction du présent article rend applicable ce dernier à toutes les modalités de dépôt de plainte y compris les recueils de plainte au sein d'un établissement de santé mentionnés plus en amont.

Déposé par la rapporteure, un amendement n° COM-7 de modification rédactionnelle a été adopté par la commission.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 3
Gage financier de la proposition de loi

Cet article gage les conséquences financières de l'adoption de la présente proposition de loi sur une augmentation de la fiscalité sur les produits du tabac.

I - Le dispositif proposé

L' article 3 gage au I l'incidence de la proposition de loi sur les finances des collectivités territoriales par une majoration de la dotation globale de fonctionnement, elle-même compensée pour l'État par une augmentation de la fiscalité sur les produits du tabac au II . Enfin, le III gage les conséquences financières résultant du texte pour les organismes de sécurité sociale également par une augmentation de la fiscalité sur les produits du tabac.

II - La position de la commission

Entendus en audition par la rapporteure, Nicolas Grivel, directeur général, et Guillaume George, directeur du département insertion et cadre de vie de la Cnaf ont souligné l' impossibilité d'estimer le coût budgétaire de cette proposition de loi en raison du manque de connaissance sur le public potentiellement éligible au dispositif. En tout état de cause, il s'agirait principalement de dépenses de trésorerie compte tenu de la nature du prêt. Un coût à long terme serait tout de même constaté en raison des remises et réductions de créances consenties ainsi que des non-remboursements.

La commission a adopté cet article sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 5 octobre 2022, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport de Mme Jocelyne Guidez, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 875, 2021-2022) créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales.

Mme Jocelyne Guidez , rapporteure . - Permettez-moi d'abord d'évoquer le contexte tragique dans lequel cette proposition de loi a été écrite. En dépit de la mobilisation des pouvoirs publics dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, les violences commises au sein du couple ne diminuent pas. Les chiffres du ministère de l'intérieur rendent compte d'une augmentation des cas : en 2021, 122 femmes ont été tuées par un conjoint ou un ancien conjoint, soit une hausse de 20 % par rapport à 2020. La violence au sein du couple est particulièrement prégnante dans nos territoires d'outre-mer : une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined) de 2018 révèle que près d'une femme interrogée sur cinq se déclare en situation de violences conjugales en Martinique et en Guadeloupe. En France hexagonale, une enquête statistique du ministère estime à 295 000 le nombre annuel de victimes de violences conjugales entre 2011 et 2018, dont 72 % de femmes. La semaine dernière encore, tandis que je menais les auditions préparatoires à ce rapport, nous avons appris qu'une femme avait été tuée par son conjoint dans mon département de l'Essonne.

Pour répondre à cet enjeu, le texte que nous examinons a pour but d'aider les victimes à quitter définitivement leur partenaire violent et à se protéger ainsi de lui. Les données issues des appels au numéro 3919 Violences Femmes Info montrent que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal, tandis que 18 % des victimes indiquent avoir effectué plusieurs départs du domicile. Il est donc très difficile à la femme de réussir à couper définitivement les ponts avec son tortionnaire.

Parmi toutes les raisons qui empêchent les victimes de se protéger, la précarité économique ou les incertitudes financières se retrouvent en bonne place. Cette situation de vulnérabilité provient bien souvent de la violence ou de l'emprise économique dont le conjoint violent fait preuve. Les associations aidant les femmes victimes de violences conjugales, que j'ai entendues en audition, m'ont exposé les nombreux moyens employés par les auteurs des violences pour placer leur victime dans une dépendance économique : chantage financier, confiscation des ressources financières ou des moyens de paiement, comportements visant à acculer la victime à des surendettements personnels...

Le texte que nous examinons répond donc à cet enjeu : donner les moyens financiers aux victimes pour qu'elles puissent s'extirper d'un environnement violent et ne plus y revenir. La proposition de loi choisit d'accorder une aide d'urgence débloquée en deux jours, versée par la caisse d'allocations familiales pendant trois mois.

Une proposition de loi similaire, déposée par Mme Gréaume, adaptait le régime existant du revenu de solidarité active pour permettre aux caisses d'allocations familiales (CAF) de verser des avances sur droits supposés au revenu de solidarité active (RSA), financées par le département. La proposition de loi de Mme Létard prévoit un dispositif sui generis sous la forme d'un prêt. Ce texte s'appuie sur le retour d'expérience d'une initiative menée dans le Valenciennois par le département du Nord, la CAF, le parquet et les autres acteurs, notamment associatifs. La CAF du Nord comme le département m'ont indiqué avoir envisagé puis écarté l'idée d'une avance sur droits supposés pour retenir celle d'une aide se rapprochant des prêts d'honneur que les conseils d'administration des CAF peuvent librement consentir au titre de leur politique d'action sociale.

L'article 1 er de la proposition de loi prévoit donc un dispositif d'avances d'urgence octroyées par les CAF et financées par la branche famille. Ce prêt, à taux zéro, serait versé en trois mensualités dont la première devra être payée en deux jours ouvrés. Le montant du prêt sera fixé par décret. Il reviendra au pouvoir réglementaire de prévoir, et j'insiste sur cette nécessité, des montants majorés lorsque la victime quitte le domicile avec ses enfants. Le texte reste en effet silencieux sur ce point ; pourtant, les enfants sont directement des victimes des violences conjugales et les avancées récentes en matière de droit pénal l'ont expressément reconnu. Dans la majeure partie des cas, les femmes ne quittent pas le domicile en abandonnant leurs enfants et le dispositif proposé devra répondre à cet enjeu.

S'agissant du délai de deux jours, les retours de l'expérimentation menée dans le Nord font état d'une durée trop courte pour débloquer les sommes et les verser. Cependant, les associations comme le département du Nord m'ont indiqué qu'au-delà de soixante-douze heures sans solution, les victimes retournent le plus souvent chez leur conjoint violent. Je vous proposerai donc de porter de deux à trois jours le délai d'instruction de la demande.

Se pose ensuite la question des conditions permettant aux victimes de violences conjugales de faire valoir leur droit. Le texte n'évoque le dépôt de plainte ou l'ordonnance de protection délivrée par un juge qu'à titre illustratif. Un fait générateur trop souple risque toutefois de gêner la mise en oeuvre de la loi. Je vous proposerai donc par amendement de retenir des conditions d'octroi plus précises et clairement établies. À l'instar du texte de Mme Gréaume, mon amendement vous proposera de conditionner la délivrance de l'avance à une ordonnance de protection ou à un dépôt de plainte attestant de violences conjugales. Cependant, nous savons bien que beaucoup de femmes n'osent pas pousser la porte de la gendarmerie ou de la police et dénoncer les faits qu'elles subissent. De même, seules 5 800 ordonnances de protection ont été délivrées en 2021. C'est pourquoi, afin de ne pas trop restreindre l'accès à ce prêt d'urgence, l'amendement retient également les violences attestées par un signalement adressé au procureur de la République comme critère d'octroi. Certains hôpitaux ont contractualisé avec le parquet afin de faciliter, avec l'accord de la personne, les signalements des victimes prises en charge médicalement. L'avance d'urgence pourra ainsi s'appliquer à cette situation.

L'article 1 er prévoit également que les allocataires de l'avance bénéficient des droits accessoires à la prestation du RSA. À côté du dispositif financier, la victime doit pouvoir être aidée, comme c'est déjà souvent le cas, par les associations ou les travailleurs sociaux des collectivités locales. Je vous proposerai par amendement de bien préciser que ces droits accessoires comprennent également un accompagnement social et professionnel adapté à leur situation, à l'instar de celui délivré aux bénéficiaires du RSA.

L'article 1 er prévoit enfin les modalités de remboursement du prêt. Je vous proposerai de bien préciser par amendement ces règles qui seraient très proches des modalités déjà existantes pour les prêts consentis par les CAF. La dette pourra ainsi être remboursée en une ou plusieurs échéances si le bénéficiaire le souhaite. Sinon, elle sera récupérée par retenues sur les prestations sociales par ailleurs versées par les CAF. Ces dernières pourront décider de remises ou de réductions de créances. Les auditions nous l'ont confirmé, cette possibilité n'est pas hypothétique, et il faudra que les conseils d'administration des caisses fassent preuve de discernement pour ne pas ajouter une dette à des situations de précarité ou de surendettement.

La proposition de loi prévoit également un mécanisme original de subrogation des CAF dans les droits des victimes de se constituer partie civile pour demander, en leur nom, la réparation du préjudice subi. La récupération de la créance pourra alors se faire sur les dommages et intérêts prononcés, ce qui permettra de faire payer l'auteur des violences en lieu et place de la victime.

L'article 2 de la proposition de loi dispose que la victime déposant plainte pour des faits de violences conjugales devra être informée par l'officier ou l'agent de police judiciaire de la possibilité de demander l'avance. Plus encore, le gendarme ou policier plaintier devra enregistrer la demande de la victime et la transmettre à la CAF compétente ainsi qu'au conseil départemental, chef de file de l'action sociale. Toutefois, lorsqu'un travailleur social sera présent dans le commissariat ou la gendarmerie, cette mission lui sera naturellement assignée.

Je me suis beaucoup interrogée sur le bien-fondé de ce dispositif : ce ne sont pas des compétences naturelles pour les policiers et gendarmes. Je vous proposerai pourtant de préserver cette possibilité. Nous savons tous qu'une simple information aux victimes sur leurs droits ne sera pas suffisante - quand elle ne sera pas simplement inappliquée. Les victimes, souvent dans des états traumatiques, ne seront pas si nombreuses à aller d'elles-mêmes vers la CAF. Le texte propose donc un mécanisme nécessaire de liaison entre services de l'État et services sociaux et devra être mis en oeuvre sur le terrain par des aménagements et des coordinations.

Le troisième et dernier article de la proposition de loi gage financièrement le dispositif.

La proposition de loi que nous examinons est une opportunité de combler les déficits des dispositifs d'aide aux victimes de violences conjugales. C'est pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de loi de Valérie Létard modifiée par les amendements qui vous sont soumis. L'expérimentation en cours dans le Nord et les autres initiatives locales - comme celle qui est menée par la CAF du Var et le barreau de Toulon visant à accélérer l'examen des droits à prestations légales des victimes de violences conjugales - apporteront peut-être des voies d'amélioration et lèveront sans doute les réserves institutionnelles que j'ai pu entendre en audition.

Bien sûr, cette aide monétaire légale devra aussi s'inscrire dans les environnements locaux formés par les acteurs de l'action sociale. Des conventions signées entre parties prenantes, comme celles qui fleurissent déjà sur le territoire, favoriseront l'identification, puis l'orientation des victimes vers le bon interlocuteur et éviteront les dispositifs redondants.

Je dois enfin vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Il comprendrait les dispositions relatives aux dispositifs d'aide et d'action sociale et d'information en faveur des victimes de violences conjugales, mais exclurait des amendements relatifs à la répression pénale des auteurs de violences conjugales, à l'office du juge lors de la délivrance d'ordonnance de protection, à l'exercice de l'autorité parentale en cas de violences intrafamiliales, au droit commun des prestations familiales légales et aux aides d'action sociale délivrées par les caisses d'allocations familiales et au droit commun du revenu de solidarité active et des autres prestations sociales.

Il en est ainsi décidé.

Mme Christine Bonfanti-Dossat . - Il est prévu à l'article 2 que l'officier de police judiciaire qui reçoit une plainte pour violences conjugales informe la victime qu'elle peut bénéficier d'une aide d'urgence. C'est essentiel, mais comment nous assurer que ce sera bien fait ? Ne faudrait-il pas pour cela un travail spécifique dans les gendarmeries et les commissariats, comme celui qui a été mené pour l'accueil des enfants ?

Mme Colette Mélot . - La victime de violences conjugales a souvent les mêmes sources de revenus que son bourreau, ce qui l'empêche de quitter le domicile, ou la conduit à revenir quelques jours après être partie.

Pourquoi se limiter aux violences conjugales ? Il peut y avoir de violences au sein du couple même sans partage du domicile.

Le prêt doit être débloqué rapidement, c'est certain ; mais comment sera-t-il remboursé ? Nous ne le savons pas. Que se passe-t-il si la personne qui a obtenu un prêt n'est finalement pas reconnue comme victime ? Et si le titulaire du compte bancaire sur lequel la CAF verse ses aides est le conjoint violent ? Risquerait-on de verser une avance au coupable ? Quid en cas de fraude ? Un couple de fraudeurs pourrait déposer une plainte, puis la retirer...

Comme je l'ai rappelé dans mon rapport sur le harcèlement, il ne faut pas sous-estimer la responsabilité collective dans les problèmes de violences. Il est ainsi indispensable d'accompagner les auteurs et les témoins passifs, pour éviter qu'ils ne reproduisent ces comportements.

M. Olivier Henno . - La proposition de loi de Valérie Létard porte sur un sujet grave. Il est rassurant que le Sénat l'aborde avec sérénité, à l'abri du tourbillon de l'actualité.

C'est aujourd'hui le cinquième anniversaire de #MeToo. Notre vote revêt dès lors une dimension symbolique. C'est aussi la condition d'homme qui est interrogée, il faut le dire avec humilité.

Nous ne pouvons pas régler tous les problèmes d'un seul coup de baguette magique. Nous sommes tous concernés : cela peut toucher une amie, une voisine, une fille, une soeur. Tout ce qui aide les victimes à se libérer de l'emprise va dans le bon sens. Celle-ci est construite sur des aspects concrets, tels que le logement et l'argent. Les victimes sont parfois dépendantes de leur bourreau. Cette proposition de loi est, de ce point de vue, une avancée concrète.

Mme Laurence Cohen . - #MeToo date en effet de cinq ans, comme en témoigne le numéro spécial de L'Humanité d'aujourd'hui, si l'on me permet cette petite publicité... ( Sourires )

Cette proposition de loi s'inspire d'une expérimentation menée dans le Nord et a suivi une première proposition de loi d'une autre sénatrice de ce département, Michelle Gréaume - rendons à César, ou plutôt à Cléopâtre, ce qui lui revient !

Je reste dubitative sur ce sujet. La lutte contre les violences faites aux femmes a été consacrée grande cause nationale. Les témoignages affluent. Souvent, du fait de l'emprise, il faut un temps très long aux victimes pour mettre des mots sur cette violence. Même si cette expérimentation apporte un plus - cela nous pousse à voter ce texte -, nous sommes loin du compte, au regard de ce fléau qui touche tous les milieux sociaux et n'épargne personne. On sous-estime les dégâts qu'il inflige et le fait qu'il aboutit à des dizaines de féminicides.

Écoutons la parole des associations féministes lorsqu'elles nous disent que, pour les éradiquer ces violences, il faut un milliard d'euros.

Mme Laurence Rossignol . - Nous voterons cette proposition de loi. Elle montre que la société avance, notamment dans la compréhension des difficultés psychiques, mais aussi matérielles rencontrées par les femmes victimes de violences lorsqu'elles veulent les fuir.

Ce texte prend en compte une réalité : une femme peut partir sans un sou en poche, soit qu'elle n'ait pas de compte bancaire autre que le compte commun, soit que les comptes aient été vidés par le conjoint violent.

Des logements d'urgence sont mis à disposition, mais pas suffisamment, comme en témoigne un rapport de la délégation aux droits des femmes.

Il y a un décalage entre l'ampleur des violences, le fait qu'on en ait fait une grande cause nationale, et cette avancée progressive, proposition de loi après proposition de loi. Si celle-ci utilise les crédits de la CAF, c'est qu'il n'y en avait pas ailleurs.

Mme Mélot parle des cas particuliers...

Mme Colette Mélot . - Il faut bien y penser...

Mme Laurence Rossignol . - Il faut surtout penser à aider les femmes.

Ce qui m'inquiète, moi, ce sont les femmes qui ne sont pas allocataires de la CAF. Comment faire en sorte qu'elles ne soient pas exclues ?

Mme Mélanie Vogel . - Nous aussi, même si nous mesurons le long chemin qui restera à parcourir après l'adoption de ce texte, nous le voterons.

Que prévoyez-vous pour les allocataires qui ont un compte bancaire commun avec l'auteur des violences ?

La question financière peut constituer un obstacle pour des personnes non-allocataires de la CAF ; pourront-elles avoir recours au dispositif ?

Sachant que 90 % des plaintes pour violences sont classées sans suite, que se passe-t-il pour le paiement des frais d'avocats ? Notre système judiciaire n'est malheureusement pas équipé pour répondre convenablement aux violences...

M. Daniel Chasseing . - Je félicite aussi Mme Guidez. Dans nos départements, nous constatons une augmentation des violences, malgré nos efforts pour inciter les victimes à porter plainte. Cette proposition de loi aidera les victimes à partir, alors qu'elles sont souvent dépendantes de l'auteur des violences à travers le logement et le salaire.

Il s'agit donc d'un complément utile à ce que font les associations, qui manquent de moyens. C'est également une bonne idée d'y associer les départements pour qu'ils apportent un accompagnement social et professionnel. Toutefois, certains bénéficiaires du RSA reçoivent leurs aides par la Mutualité sociale agricole (MSA) à travers son réseau de caisses. La MSA est-elle mobilisée ?

M. Alain Duffourg . - Je voterai cette proposition de loi qui porte sur un thème à la mode,...

Mme Laurence Rossignol . - Comme les suicides, en leur temps, à France Télécom ?

M. Alain Duffourg . - ... que certains instrumentalisent politiquement.

C'est un problème très important, mais il y a aussi des violences dans d'autres domaines - je pense aux faits liés au trafic de drogue.

Dans les affaires de violences conjugales, des dommages et intérêts peuvent être prononcés, une provision pouvant même être obtenue en référé. Mais je ne suis pas contre l'idée de verser des avances d'urgence.

Concernant les frais de justice, rassurons notre collègue : l'aide juridictionnelle fonctionne dans ce cas et les victimes peuvent en bénéficier.

Mme Jocelyne Guidez , rapporteure . - Je ne sais pas si ce thème est à la mode, mais ce que je sais, c'est que les violences conjugales n'ont pas de parti.

L'information des victimes dans les commissariats et gendarmeries demande effectivement que le ministère de l'intérieur mène un travail dans ce sens, et mobilise les travailleurs sociaux présents en gendarmeries et commissariats. Il y a eu une avancée dans la prise en charge des violences conjugales ; je le constate notamment dans les gendarmeries de l'Essonne : chacune compte une personne particulièrement chargée de ces sujets.

Madame Mélot, toutes les violences de couple sont couvertes, y compris en l'absence de cohabitation. Une plainte diffamatoire étant une infraction réprimée par le code pénal, cela devrait dissuader les fraudeurs éventuels. Le remboursement du prêt a lieu selon les mêmes modalités, qu'il y ait ou non des suites judiciaires à la plainte. Le temps judiciaire étant plus long, il n'aurait pas été possible de conditionner l'aide aux plaintes aboutissant à une condamnation pénale.

Madame Cohen, je suis tout à fait d'accord avec vous ; les deux propositions de loi ont un objectif similaire, mais leur dispositif diffère.

Madame Rossignol, toutes les victimes sont concernées, y compris celles qui ne seraient pas déjà allocataires de la CAF - la CAF du Nord n'a en revanche indiqué que le traitement sera un peu plus long pour les non-allocataires compte tenu des démarches d'enregistrement.

Monsieur Chasseing, la proposition de loi prévoit une application uniquement par le réseau des CAF. Il faudra l'étendre à l'avenir au réseau de la MSA, mais un amendement dans ce sens serait susceptible d'être irrecevable financièrement.

Madame Vogel, il existe plusieurs possibilités, que j'ai découvertes à cette occasion, dans le cas où la victime ne disposerait pas d'un compte à son nom : on peut désormais ouvrir un compte bancaire dans un délai très court ; la CAF du Nord utilise le compte pré-enregistré d'une association qui reversera les fonds ; on peut enfin utiliser les mandats postaux ou les cartes prépayées sans banque.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

Mme Jocelyne Guidez , rapporteure . - L'article 1 er du texte ne comporte qu'une liste illustrative de critères permettant d'obtenir un prêt d'urgence. Cette absence de précision peut compromettre la mise en oeuvre du dispositif.

Mon amendement COM-2 vise donc à inscrire dans le texte des critères clairement définis. L'avance serait ainsi octroyée dans trois situations : si une ordonnance de protection a été délivrée par le juge ; si la victime a déposé une plainte ; ou si un signalement a été adressé au procureur, notamment par un professionnel de santé. En effet, certains hôpitaux, comme ceux de Lille ou de Valenciennes, ont déjà contractualisé avec le parquet pour faciliter le signalement des victimes, avec le consentement de celles-ci.

Ces critères permettront de prendre en compte la diversité des situations, donc de ne pas trop restreindre l'octroi de l'avance.

L'amendement COM-2 est adopté.

Mme Jocelyne Guidez , rapporteure . - L'amendement COM-1 rectifié permet aux victimes de violences conjugales bénéficiaires de l'avance d'urgence d'élire domicile auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale ou d'un autre organisme agréé. Aujourd'hui, ces victimes peuvent déjà bénéficier de cette faculté si elles sont sans résidence stable, mais cette condition ne peut s'appliquer à toutes les situations que l'on envisage au travers de cette proposition de loi, par exemple lorsque la victime n'a pas encore décidé de quitter son conjoint. La disposition proposée me semble utile. Avis favorable.

L'amendement COM-1 rectifié est adopté.

Mme Jocelyne Guidez , rapporteure . - Mon amendement COM-3 vise à porter de deux à trois jours ouvrés le délai d'instruction de la demande d'avance d'urgence.

Les premiers enseignements de l'expérimentation menée par la CAF du Nord montrent qu'un délai de deux jours est trop court pour débloquer les sommes du prêt. Toutefois, au-delà de trois jours dans l'incertitude, la victime risque de retourner vivre au domicile conjugal.

L'amendement COM-3 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-4 .

Mme Jocelyne Guidez , rapporteure . - Mon amendement COM-5 vise à clarifier les droits et aides accessoires au RSA accordés aux bénéficiaires de l'avance.

L'amendement COM-5 est adopté.

Mme Jocelyne Guidez , rapporteure . - Mon amendement COM-6 tend à clarifier les modalités de récupération du prêt.

L'amendement COM-6 est adopté.

L'article 1 er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'amendement rédactionnel COM-7 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

L'article 3 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er
Avance d'urgence en faveur des victimes de violences conjugales

Mme GUIDEZ, rapporteure

2

Définition des critères d'octroi de l'avance d'urgence

Adopté

Mme JASMIN

1 rect.

Domiciliation de droit des victimes de violences conjugales bénéficiaires de l'avance auprès des centres communaux ou intercommunaux d'action sociale ou d'autres organismes

Adopté

Mme GUIDEZ, rapporteure

3

Extension du délai de versement de l'avance d'urgence

Adopté

Mme GUIDEZ, rapporteure

4

Amendement rédactionnel

Adopté

Mme GUIDEZ, rapporteure

5

Clarification des droits et aides accessoires au RSA accordés aux bénéficiaires de l'avance

Adopté

Mme GUIDEZ, rapporteure

6

Clarification rédactionnelle des modalités de récupération du prêt

Adopté

Article 2
Possibilité de demander l'avance d'urgence lors d'un dépôt de plainte

Mme GUIDEZ, rapporteure

7

Amendement rédactionnel

Adopté

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

PROPOSITION DE LOI CRÉANT UNE AIDE UNIVERSELLE D'URGENCE POUR LES VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES N° 875 (2021-2022)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 31 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 32 ( * ) .
Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 33 ( * ) .

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 5 octobre 2022, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 875 (2021-2022) créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales.

Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives aux dispositifs d'aide et d'action sociale et d'information en faveur des victimes de violences conjugales.

En revanche, la commission a estimé que ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé , des amendements relatifs :

- à la répression pénale des auteurs de violences conjugales ;

- à l'office du juge lors de la délivrance d'ordonnance de protection ;

- à l'exercice de l'autorité parentale en cas de violences intrafamiliales ;

- au droit commun des prestations familiales légales et aux aides d'action sociale délivrées par les caisses d'allocations familiales ;

- au droit commun du revenu de solidarité active et des autres prestations sociales

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

___________

• Mme Valérie Létard, sénatrice du Nord, vice-présidente du Sénat, auteure de la proposition de loi

• Conseil départemental du Nord

Anne-Sophie Boisseaux , conseillère déléguée à la lutte contre les violences intrafamiliales pour le département du Nord

Cécile Douai , agent du département, cheffe de projet sur l'expérimentation d'une avance d'urgence et d'un accompagnement global

• Fédération nationale solidarité Femmes (FNSF)

Françoise Brié , directrice générale

• Halte aide aux femmes battues (HAFB)

Colette Barnay , présidente

Véronique Delepouve , directrice

• Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

Denis Darnand, sous-directeur de l'inclusion sociale, insertion, lutte contre la pauvreté

Isabelle Susset , cheffe de bureau des minimas sociaux

Charlotte Kunstmann , chargée de mission RSA

• Caisse nationale d'allocations familiales

Nicolas Grivel , directeur général

Guillaume George , directeur du département insertion et cadre de vie

Damien Ranger-Martinez , directeur en charge des relations avec le Parlement et les élus

• Caisse d'allocations familiales du Nord

Audrey Mathon-Debetencourt, directrice par intérim de la caisse d'allocations familiales du Nord

Jérôme Duval, directeur comptable et financier

LA LOI EN CONSTRUCTION

___________

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/leg/ppl21-875.html


* 1 Proposition de loi n° 333 (2020-2021) de Mme Michelle GRÉAUME et plusieurs de ses collègues, relative à une aide financière d'urgence en direction des victimes de violences conjugales.

* 2 SSMI, Info rapide, novembre 2021.

* 3 Ministère de l'Intérieur, étude nationale sur les morts violentes au sein du couple en 2021, 26 août 2022.

* 4 Enquête Violences et rapports de genre (Virage) conduite par l'Ined dont les premiers résultats ont été présentés en novembre 2019.

* 5 Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.

* 6 Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.

* 7 Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

* 8 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants

* 9 Aux articles 515-9 et suivants du code civil.

* 10 Article 515-11 du code civil.

* 11 Ce qui pourrait être nécessaire si les dépenses budgétaires induites modifiaient l'équilibre des comptes de la branche.

* 12 Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986

* 13 Décret n° 2021-1657 du 15 décembre 2021 portant attribution d'une aide exceptionnelle de fin d'année aux bénéficiaires du revenu de solidarité active et aux bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique, de la prime forfaitaire pour reprise d'activité et de l'allocation équivalent retraite.

* 14 En application du 6° de l'article 41-1 du code de procédure pénale.

* 15 En application du 18° de l'article 132-45 du code pénal.

* 16 Fédération Nationale Solidarité Femmes, extrait de l'analyse globale des données issues des appels au « 3919 - Violences Femmes Info » - Année 2020, Novembre 2021.

* 17 Les crédits sont budgétés au sein du programme n° 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ».

* 18 Expérimentations sur le fondement de l'article 15 de la loi du 28 décembre 2019.

* 19 Aux termes de l'article 15-3 du code de procédure pénale.

* 20 Article 226-10 du code pénal.

* 21 Cette possibilité de lever le secret médical, y compris sans accord de la victime, mais après s'être efforcé de recueillir ce consentement, est prévue à l'article 226-14 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi du 30 juillet 2020.

* 22 Prévues à l'article L. 553-2 du code de la sécurité sociale.

* 23 Aux termes de l'article 138-3 du code de procédure pénale, le port du bracelet électronique décidé par le juge, à la demande ou avec le consentement de la victime, permet « à tout moment de déterminer à distance [la] localisation [de l'auteur] sur l'ensemble du territoire national et si elle s'approche de la victime à qui a été attribué un dispositif électronique permettant également sa localisation ».

* 24 Circulaire n° JUSD1913750C à l'amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes.

* 25 Circulaire n° JUSD2025172 C relative à la politique pénale en matière de lutte contre les violences conjugales.

* 26 Circulaire n° JUSD2135042 C du ministre de l'intérieur, du garde des sceaux et du ministre des solidarités et de la santé relative au déploiement des dispositifs d'accueil et d'accompagnement des victimes de violences conjugales, intrafamiliales et/ou sexuelles au sein des établissements de santé.

* 27 Numéro NOR/INT/K/06/30043/J.

* 28 IGA, Rapport d'évaluation du dispositif des intervenants sociaux en commissariats et unités de gendarmerie, 11 octobre 2021.

* 29 Ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, communiqué de presse à l'issue de la réunion du comité de suivi du Grenelle des violences conjugales, 11 janvier 2022.

* 30 Ministère de l'Intérieur, communiqué de presse, 7 octobre 2021.

* 31 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 32 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 33 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

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