Rapport n° 895 (2021-2022) de M. Gilbert BOUCHET , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 27 septembre 2022

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N° 895

SÉNAT

2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 septembre 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée ,

Par M. Gilbert BOUCHET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) :

12 , 152 et T.A. 10

Sénat :

847 et 896 (2021-2022)

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 27 septembre 2022, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Gilbert Bouchet sur le projet de loi n° 847 (2021-2022) autorisant la ratification du Traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée.

M. Christian Cambon, président . - Nous examinons maintenant le projet de loi autorisant la ratification du Traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée, sur le rapport de notre collègue Gilbert Bouchet.

M. Gilbert Bouchet, rapporteur . - Ce traité, plus connu sous le nom de traité du Quirinal, a été signé le 26 novembre 2021 au palais du Quirinal, résidence officielle du président italien, par le président de la République française, M. Emmanuel Macron, et le chef du Gouvernement italien, M. Mario Draghi, en présence du président italien, M. Sergio Mattarella. Il faut souligner le rôle déterminant que ce dernier a joué au plus fort des tensions diplomatiques que nos deux pays ont connues, ainsi que celui nos ambassadeurs respectifs, M. Christian Masset et Mme Teresa Castaldo.

Les tensions ont été nombreuses au cours des dernières années. Pour ne parler que des plus récentes, au printemps 2018, l'arrivée au pouvoir de l'alliance entre la Ligue, parti d'extrême droite, et le Mouvement 5 étoiles, a fait naître des narratifs antiélites et antieuropéens, voire antifrançais. Le summum de la crise a été atteint lorsque, en janvier 2019, le vice-président du Conseil, M. Luigi Di Maio, du Mouvement 5 étoiles, a apporté son appui au mouvement des gilets jaunes. L'ambassadeur français, M. Christian Masset, a été rappelé en France le 7 février 2019. Ce n'était pas arrivé depuis 1940, lorsque Mussolini a déclaré la guerre à la France !

Encore récemment, l'avis de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, rendu le 29 juin 2022, défavorable à la mise à exécution des demandes d'extradition de dix anciens militants d'extrême gauche pour fait de terrorisme, a fortement ému l'opinion publique italienne. Les propos tenus par le Président de la République française et l'annonce d'un pourvoi en cassation par le Parquet ont eu un fort effet d'apaisement en Italie, à quelques jours seulement de la ratification du présent traité par le Sénat italien.

À l'été 2019, la constitution d'une nouvelle coalition, composée du Mouvement 5 étoiles et du Parti démocrate, puis l'arrivée de Mario Draghi à la présidence du Conseil en février 2021, ont permis de relancer le processus du traité du Quirinal.

Les excellentes collaborations bilatérales entre la France et l'Italie, soutenues par différents secteurs de la société civile, ont également contribué au rapprochement, aboutissant à la signature du traité le 26 novembre 2021.

Les domaines de coopération prévus par le traité sont particulièrement étendus. Ils concernent les affaires étrangères, la sécurité et la défense, les affaires européennes, les politiques migratoires, de justice et les affaires intérieures, la coopération économique, industrielle et numérique, les droits sociaux, le développement durable, l'espace, l'enseignement et la recherche, la culture et la jeunesse et, enfin, la coopération transfrontalière.

Les objectifs de coopération sont précisés et déclinés de manière plus opérationnelle dans une feuille de route révisable chaque année en fonction de l'évolution des priorités et de l'environnement international et européen. La première version de cette feuille de route a été signée en même temps que le traité.

Plusieurs mécanismes de consultation et de coopération sont prévus par le traité afin de développer une culture administrative commune et des habitudes de consultation qui favoriseront l'émergence d'un réflexe franco-italien. Ce rapprochement sera favorisé par les formats de consultation réguliers inscrits dans le traité pour tous les domaines.

La mise en oeuvre du traité est assurée par un comité stratégique paritaire à l'échelon des secrétaires généraux des ministères des affaires étrangères. Le traité prévoit un certain nombre d'espaces d'échanges, au niveau interministériel et administratif.

Par exemple, à l'échelon gouvernemental, il est prévu la relance du Conseil franco-italien de défense et de sécurité, un forum de concertation économique, des réunions bilatérales annuelles entre différents ministres, un dialogue sur les transports. De plus, chaque trimestre, un membre du gouvernement de l'un des deux États prendra part au conseil des ministres de l'autre État.

À l'échelon administratif, plusieurs instances de concertation thématiques sont prévues, par exemple en matière de migration et d'asile ou de sécurité intérieure, ainsi que l'échange de fonctionnaires.

Pour les sociétés civiles, le texte prévoit notamment la création d'un Conseil franco-italien de la jeunesse et la mise en place d'un service civique franco-italien.

Ce réflexe franco-italien trouvera également une traduction à l'échelon européen.

Le traité prévoit dans son article 3 que les deux États présenteront des positions communes à l'échelon européen, notamment sur le recours à la majorité qualifiée étendue ou l'adoption de nouvelles règles budgétaires. La feuille de route fait d'ailleurs expressément mention de la révision du pacte de stabilité.

Le sujet de la réforme de la politique européenne migratoire et d'asile a fait l'objet de négociations plus soutenues. Un compromis a été trouvé en faisant référence à une « réforme en profondeur et une mise en oeuvre efficace de la politique migratoire et d'asile européenne ».

En outre, le traité prévoit un volet parlementaire. Dans son préambule, le texte reconnaît « l'importance et la vitalité de la coopération entre leurs Parlements respectifs, et le rôle que la diplomatie parlementaire joue dans les liens entre leurs pays ». Les deux États souhaitent « la renforcer à travers des formes de coopérations permanentes, notamment entre leurs commissions respectives ». L'Assemblée nationale et la Chambre des députés ont d'ailleurs déjà conclu un protocole de coopération le 29 novembre 2021.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a pour sa part effectué un déplacement en Italie, du 1 er au 4 décembre 2021, mené par le président Christian Cambon, au cours duquel la conclusion d'un accord de coopération avec le Sénat italien a été évoquée.

Il faut souligner qu'un traité comme celui du Quirinal est très rare en Europe : il s'agit seulement du second traité signé par la France après celui de l'Élysée, paraphé en 1963, complété par celui d'Aix-la-Chapelle en 2019, avec l'Allemagne.

Le traité du Quirinal a été ratifié en Italie : par la Chambre des députés le 25 mai et par le Sénat le 5 juillet, à chaque fois à une très large majorité. Au Sénat, seuls les sénateurs d'opposition, Fratelli d'Italia et quelques non-inscrits antieuropéens dissidents du Mouvement 5 étoiles, ont voté contre, par 21 voix, ou se sont abstenus, par 5 voix. En France, l'Assemblée nationale s'est prononcée à l'unanimité des suffrages exprimés pour sa ratification, le 28 juillet 2022. Le Sénat est donc la dernière chambre à être saisie du projet de loi, qui devrait être examiné en séance publique le jeudi 27 octobre 2022, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

En réalité, la principale incertitude est liée aux résultats des élections anticipées de dimanche, qui ont vu la victoire de la coalition regroupant les partis d'extrême droite Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni et la Ligue du Nord de Matteo Salvini, ainsi que le parti de droite Forza Italia de Silvio Berlusconi. Or le parti Fratelli d'Italia a critiqué le traité du Quirinal, jugeant qu'il n'était pas démocratique et qu'il servait avant tout les intérêts français. Il s'est même prononcé contre lors de sa ratification par le Parlement italien. Dès lors, qu'adviendra-t-il de la mise en application du traité ?

Pariant sur la victoire du réalisme sur l'idéologie, je préconise l'adoption de ce projet de loi.

M. Christian Cambon, président . - L'avenir de ce traité est en effet incertain, de même que la concrétisation de l'accord de coopération évoqué lors de notre visite officielle à Rome. Peut-être faut-il laisser la situation politique italienne se stabiliser et attendre la formation d'un gouvernement avant d'envoyer des signes négatifs ? Il ne faut pas confondre l'Italie et son gouvernement, quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur ce dernier.

Mme Michelle Gréaume . - La ratification de ce traité intervient après les élections législatives en Italie, qui ont vu la coalition d'extrême droite post-fasciste arriver en tête. Ce traité, qui avait été annoncé en 2017, avait été gelé après la formation en 2018 d'un gouvernement populiste conduit par le Mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord. À titre personnel - je n'ai pas consulté mon groupe -, je me demande s'il faut aujourd'hui ratifier ce traité.

M. Christian Cambon, président . - Pour ma part, je pense qu'il faut le ratifier et ne pas envoyer de signal négatif à l'Italie, car ce traité est très important.

M. Jean-Marc Todeschini . - Nous sommes d'accord avec le président et le rapporteur. Nous voterons la ratification.

M. Guillaume Gontard . - Je m'abstiendrai sur ce texte. Un débat me semblant nécessaire, ne faudrait-il pas examiner ce texte en séance selon la procédure normale ?

M. Christian Cambon, président . - Je ne suis pas favorable à un tel examen en ce moment. Les élections sont très récentes. Le rôle du Sénat n'est pas de remettre en cause un traité.

M. Gilbert Bouchet, rapporteur . - Je suis tout à fait d'accord avec le président. Il ne faut pas jeter de l'huile sur le feu actuellement.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport et le projet de loi précité.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

LUNDI 12 SEPTEMBRE 2022

Ambassade d'Italie en France

- Mme Teresa Castaldo, Ambassadrice d'Italie en France

- M. Antonino Cascio  Ministre pour les affaires Politiques

- M. Andrea Domeniconi, Premier Conseiller économique

(EN VISIOCONFÉRENCE)

Ambassade de France en Italie

M. Christian Masset, Ambassadeur de France en Italie

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