Rapport n° 509 (2021-2022) de Mme Marie-Arlette CARLOTTI , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 16 février 2022

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N° 509

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 février 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, auto risant la ratification de la convention du Conseil de l' Europe contre le trafic d' organes humains ,

Par Mme Marie-Arlette CARLOTTI,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Abdallah Hassani, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4338 , 4708 et T.A. 771

Sénat :

414 et 510 (2021-2022)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du projet de loi n° 414 (2021-2022) autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains.

Le présent projet de loi déposé à l'Assemblée nationale en juillet 2021 a été adopté le 27 janvier 2022 seulement, soit plus de 6 mois après son dépôt. Il a été transmis au Sénat le même jour, et le Gouvernement avait demandé son inscription à l'ordre du jour de la séance publique le 15 février dernier. Il entendait donc laisser au Sénat un peu plus de 15 jours seulement pour examiner ce projet.

Ce n'est que par le fait d'une erreur de procédure du Gouvernement, qui a omis de demander la procédure accélérée sur ce texte, que celui-ci a été retiré de l'ordre du jour de la séance du 15 février.

Le projet de loi sera examiné en séance publique le mardi 19 juillet 2022.

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La transplantation d'organes représente une avancée scientifique considérable qui permet de sauver la vie de nombreux patients, mais ce progrès est limité par un fort décalage entre l'offre et la demande au niveau mondial.

35 000 transplantations par an sont réalisées en Europe alors qu'il y aurait 150 000 patients sur les listes d'attente et que des milliers (6 000 personnes) meurent sans être greffées. Les délais pour obtenir un greffon sont de 3 ans environ et ils augmentent chaque année.

C'est dans ce contexte de pénurie que se développent, depuis les années 80, les trafics et le tourisme de transplantation.

L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que près de 10 000 transplantations illicites sont réalisées chaque année . Ce trafic fait partie des dix activités du crime organisé rapportant le plus de profits. Il génère annuellement près de 1,4 milliard de dollars de profits illicites selon le Conseil de l'Europe.

Les victimes de ce trafic, les donneurs malgré eux, sont les pauvres, les mineurs isolés, les personnes vulnérables, les migrants. Elles sont exposées, comme les receveurs, à des opérations sans garanties médicales dans un marché nuisible pour la santé.

Dans les pays connaissant d'importants flux migratoires, comme l'Égypte, l'Irak ou la Syrie, les victimes de réseaux mafieux sont souvent des migrants, qui espèrent poursuivre leur parcours migratoire grâce aux gains de la vente d'un de leurs organes (le rein en l'occurrence).

Enfin, il y a le cas de la Chine, pour lequel un faisceau d'indices conduisent de nombreuses ONG à dénoncer l'existence d'un trafic institutionnalisé.

Le 25 mars 2015, 14 pays ont signé en Espagne, à Saint-Jacques de Compostelle, le premier traité international de prévention et de lutte contre le trafic d'organes humains, adopté dans le cadre du Conseil de l'Europe. Elle est entrée en vigueur le 1 er mars 2018.

La France ne l'a signée que le 25 novembre 2019, en émettant de nombreuses réserves, qui limitent sa portée.

Signée dans le cadre du Conseil de l'Europe, elle est également ouverte à la signature des États non membres du Conseil de l'Europe, afin de lui donner un caractère « universel », même si parmi les pays non membres du Conseil de l'Europe, seul le Costa Rica l'a signée à ce jour.

La Convention dite « de Compostelle » est le premier instrument juridique international contraignant consacré aux trafics d'organes. Elle constitue à ce titre une avancée.

En revanche, force est de constater que de nombreuses limites risquent d'en limiter les effets.

PREMIERE PARTIE :
LES AVANCÉES DE LA CONVENTION DE COMPOSTELLE

I. UNE PREMIÈRE CONVENTION INTERNATIONALE PORTANT SPÉCIFIQUEMENT SUR LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC D'ORGANES

Si la Convention de Compostelle est le premier instrument juridique contraignant traitant spécifiquement de la question du trafic d'organes sur le plan international, d'autres accords internationaux abordaient déjà le sujet.

1. Des Conventions précédentes qui abordaient le sujet du trafic d'organes

Ces conventions abordent le sujet du trafic d'organes le plus souvent sous l'angle de la traite d'êtres humains et de la bioéthique.

On peut citer notamment, le protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants (2000) et la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (2005).

La Convention sur les droits de l'Homme et la biomédecine de 1997, dite convention d'Oviedo, et son protocole de 2007 relatif à la transplantation d'organes et de tissus d'origine humaine, contiennent aussi des dispositions interdisant le trafic d'organes.

À cet égard, si la France a signé cette Convention en 1997 et l'a ratifiée en 2011, elle a signé mais non ratifié trois de ses protocoles additionnels et l'un d'eux n'a toujours pas été signé.

La Convention de Compostelle, quelles que soient ses insuffisances, notamment liées au fait qu'elle ne concerne au premier chef que des États dans lesquels il y a peu de cas de trafics d'organes, constitue donc une avancée.

2. Une première convention internationale portant spécifiquement sur la lutte contre les trafics d'organes

La Convention de Compostelle résulte d'un long travail, qui a débuté avec l'élaboration d'un rapport conjoint du Conseil de l'Europe et de l'ONU en 2009.

En 2011, les travaux de trois comités directeurs du Conseil de l'Europe 1 ( * ) soulignent que le trafic d'organes, de tissus et de cellules d'origine humaine « est un problème de dimension mondiale qui porte atteinte aux droits élémentaires et aux libertés fondamentales de l'être humain et menace directement la santé publique et individuelle » . Ils ajoutent que, « bien qu'il existe deux instruments juridiques internationaux contraignants, le cadre juridique international présente des lacunes importantes sur certains points » .

Ces travaux sont poursuivis dans le cadre du comité d'experts sur le trafic d'organes, de tissus et de cellule humains, nouvellement créé et chargé d'élaborer un projet de Convention de droit pénal contre le trafic d'organes humains et, si nécessaire, un projet de Protocole additionnel au projet de Convention de droit pénal précité relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains. Ce Protocole sera finalement abandonné.

Le projet est approuvé par le Conseil de l'Europe en 2012, puis signé à Saint-Jacques-de-Compostelle le 25 mars 2015.

II. LES APPORTS DE LA CONVENTION

La Convention apporte une définition précise du trafic d'organes et poursuit trois objectifs.

1. Une définition du trafic d'organes

La Convention apporte la première définition internationale du trafic d'organes.

Son article 4 le définit comme « le prélèvement d'organes humains de donneurs vivants ou décédés :

a) si le prélèvement est réalisé sans le consentement libre, éclairé et spécifique du donneur vivant ou décédé, ou, dans le cas du donneur décédé, sans que le prélèvement soit autorisé en vertu du droit interne ;

b) si, en échange du prélèvement d'organes, le donneur vivant, ou une tierce personne, s'est vu offrir ou a obtenu un profit ou un avantage comparable ;

c) si, en échange du prélèvement d'organes sur un donneur décédé, une tierce personne s'est vue offrir ou a obtenu un profit ou un avantage comparable. »

2. Les objectifs de la Convention

La Convention de Compostelle poursuit trois objectifs principaux :

- Les États parties doivent ériger en infraction pénale le prélèvement illicite d'organes humains de donneurs vivants ou décédés si le prélèvement est réalisé sans le consentement libre, éclairé et spécifique du donneur ou si en échange du prélèvement d'organes le donneur vivant, ou une tierce personne, se voit obtenir un profit ou un avantage comparable ;

- La Convention requiert également des États partie des mesures de protection et de dédommagement des victimes, ainsi que des mesures de prévention destinées à garantir la transparence et un accès équitable aux services de transplantation ;

- Cette Convention a enfin vocation à protéger les droits des victimes et à faciliter la coopération internationale en matière de lutte contre le trafic d'organes humains.

S'il n'est pas contestable que la Convention est une avancée dans la lutte contre le trafic d'organes, on ne peut que regretter l'existence de limites qui en restreignent la portée.

DEUXIEME PARTIE :
LES LIMITES DE LA CONVENTION DE COMPOSTELLE

L'efficacité du dispositif mis en place par la Convention de Compostelle se heurte à un certain nombre de facteurs, telles les réserves émises par la France, une difficulté à mesurer l'ampleur du trafic, les pays auxquels elles s'appliquent, et le fait que le Protocole additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains n'ait pas été retenu.

I. LES RÉSERVES ÉMISES PAR LA FRANCE

Si la faculté d'émettre des réserves est courante en matière de droit international, il faut constater que celles émises par la France sont d'une très grande portée.

1. Les réserves en droit international

La faculté d'émettre des réserves est reconnue en droit international.

La Convention de Vienne sur le droit des traités définit la réserve comme « une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un État quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État ».

L'objectif de permettre aux États signataires d'émettre des réserves, est de favoriser une acceptation plus large des États à adhérer au traité puisqu'il va pouvoir écarter les dispositions avec lesquelles il ne sera pas en accord. Les réserves peuvent par la suite être retirées.

Généralement, toute convention qui comprend des dispositions en matière de réserves stipule soit les conditions de formulation des réserves soit l'interdiction de réserves. Ainsi, il y a des conventions où ont été introduites dans le texte final des clauses qui précisent l'objet des réserves autorisées.

C'est le cas de la Convention de Compostelle, dont l'article 30 est consacré aux réserves.

2. Les réserves émises par la France

Le cadre français en matière de bioéthique est structuré par trois grands principes : la dignité, la solidarité et la liberté.

Les grands principes pour le don et la transplantation d'organes sont : le respect du corps de la personne vivante et de la personne décédée ; la non-patrimonialité du corps humain ; le consentement libre et éclairé ainsi que l'anonymat du donneur ; et enfin la gratuité du don.

La violation de ces règles éthiques est sanctionnée par 7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende.

La ratification de cette convention n'entraînera aucune modification du droit interne, celui-ci étant globalement conforme aux dispositions de ce texte (cf. annexe 1), d'autant que la France a émis des réserves importantes lors de sa signature.

Sur les 26 États ayant signé à ce jour, seuls cinq ont fait des réserves 2 ( * ) (Croatie, Espagne, France, République tchèque, Royaume-Uni, Portugal), et c'est la France qui en a émis le plus.

Pour la France, les réserves émises portent sur les articles 7, 8 et 10. Elles sont de trois ordres : la tentative de corruption, le respect de nos règles de compétence et le principe de la « double incrimination ».

- La notion de « tentative » de corruption

Le Gouvernement français a déclaré se réserver le droit de ne pas appliquer les règles relatives à la tentative de corruption (article 7 et 8 de la Convention). La tentative de commettre des infractions n'est pas incriminée par le droit pénal français. Cependant, le délit de corruption s'applique de façon très large en droit français ce qui ne rendrait pas nécessaire d'incriminer de façon spécifique la tentative de corruption.

Pour autant, à ce stade, la France n'érigera donc pas en infraction la tentative intentionnelle de corrompre des professionnels de santé, des fonctionnaires ou des personnes du secteur privé dans le but de prélever ou implanter un organe humain de façon illicite. Elle n'érigera pas non plus en infraction pénale la tentative de solliciter de façon illicite des donneurs ou des receveurs d'organes en vue d'un profit ou d'un avantage comparable.

- La réserve relative au respect de nos règles de compétence

Le Gouvernement a également déclaré qu'il n'appliquera pas les règles de compétence de l'article 10 de la Convention lorsque l'infraction est commise à l'étranger par une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire.

Dans de telles situations, rien dans notre droit national ne prévoit la compétence de juridictions françaises. La France entend conserver cette approche restrictive de compétence afin de ne pas porter atteinte à la souveraineté des États sur le territoire desquels les faits ont été commis.

Pourtant, lors de faits extrêmement graves (cf. articles 113-13 et 113-14 du code pénal) tels que les actes de terrorisme, les juridictions françaises exercent leurs compétences dans de telles circonstances.

La France qui a signé la Convention en 2019 a depuis refusé de prendre de nouvelles mesures législatives pour modifier son droit interne afin d'intégrer des dispositions dérogatoires en ce qui concerne le trafic d'organes.

- Le principe de la « double incrimination »

La réserve la plus lourde de conséquences porte sur l'article 10 de la Convention.

Le gouvernement français a émis des réserves relatives aux règles de compétence qui visent les délits commis hors du territoire national par l'un de ses ressortissants.

Dans ce cas, elle n'exercera sa compétence que si les faits sont également punis par la législation du pays où ils ont été commis (principe de la double incrimination). Il faut de plus que ces méfaits aient donné lieu, soit à une plainte de la victime, de ses ayants droits ou à une dénonciation officielle des autorités du pays où ils ont été commis. Il est à penser que des victimes ne puissent pas porter plainte auprès des autorités du pays dans lequel le prélèvement illicite a eu lieu, ni que ces dernières envisagent de la dénoncer.

Malgré la gravité des faits liés au trafic d'organes, la France n'entend pas revenir sur ce principe au nom du respect de la souveraineté des États.

Pourtant en matière de délits sexuels impliquant des mineurs, plusieurs lois ont supprimé l'exigence de la double incrimination afin de faire contrepoids à l'inaction des pays de destination. C'est à saluer. Pourquoi ne pas faire de même en matière de trafic d'organe dès lors que le ministre Franck Riester a déclaré, lors du débat à l'Assemblée nationale le 27 janvier dernier que « la lutte contre le trafic d'organe est une priorité pour la France » ?

Ces réserves risquent d'affaiblir la portée de la Convention.

II. UN TRAFIC ENCORE DIFFICILE À MESURER

1. Les limites de l'enquête de l'Agence de biomédecine

L'Agence de la biomédecine est un établissement public à caractère administratif français créée lors de la révision des lois de bioéthique du 6 août 2004.

Elle intervient dans les domaines du prélèvement et de la greffe d'organes et de tissus, du prélèvement et de la greffe de moelle osseuse, de la procréation médicale assistée, de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, du diagnostic prénatal, préimplantatoire et de la génétique humaine.

L'Agence de la biomédecine a pour mission d'encadrer, accompagner, évaluer et informer dans ses domaines de compétence.

En ce qui concerne le don d'organes, l'Agence de la biomédecine gère la liste nationale des malades en attente de greffe et le registre national des refus au prélèvement, recensant toutes les personnes s'opposant au don d'éléments de leur corps après la mort, que les médecins consultent avant tout prélèvement. Elle communique aussi auprès du grand public et organise chaque 22 juin la journée de réflexion sur le don d'organes et la greffe. Elle organise des formations sur l'accueil des familles en deuil à l'hôpital, destinées aux professionnels de santé.

Elle est également chargée de réaliser, tous les 2 ans, une enquête menée sur la base d'un questionnaire (cf. annexe 2) adressé aux équipes médicales de dialyse ainsi qu'aux équipes de greffe rénale afin de recueillir des informations sur d'éventuels cas de greffes pratiquées à l'étranger à partir de donneurs vivants. En effet, tous les patients greffés, dont ceux greffés à l'étranger sont suivis par ces équipes médicales afin d'obtenir les traitements immunosuppresseurs indispensables à la viabilité d'un greffon, ou en cas d'échec de greffe.

L'enquête porte sur toutes les greffes rénales réalisées à l'étranger sur les deux dernières années, que ce soit à partir de donneur décédé ou de donneur vivant apparenté -ou non, et est réalisée sur la base du volontariat en respectant strictement le secret médical (données transmises de manière anonyme).

Les taux de réponses obtenues à ce questionnaire varient, selon les années de 60 à 80% des services de greffe et de 30 à 40% des centres de dialyse.

L'Agence de la biomédecine a conclu à un très faible nombre de personnes résidants en France et greffés à l'étranger. Sur la période 2000-2019, elle n'en dénombre que 81.

Ces cas relèveraient de liens familiaux que ces patients auraient dans leurs pays d'origine. Ces liens permettraient que soient réalisées des greffes à partir de donneurs vivants et apparentés au receveur, en conformité avec les lois du pays.

Ces enquêtes étant anonymes et déclaratives, elles ne peuvent en aucun cas être considérées comme exhaustives.

Il paraît dès lors difficile pour l'Agence de la biomédecine d'affirmer qu'aucun ressortissant français ne s'est fait transplanter au cours des 10 dernières années par l'intermédiaire d'un réseau mafieux. Nous n'avons aucun outil performant d'évaluation et de contrôle.

2. Un mécanisme de suivi prévu par la Convention

L'article 1 er de la Convention prévoit l'instauration d'un mécanisme de suivi : le Comité des parties.

C'est un mécanisme assez fréquent dans les conventions du Conseil de l'Europe. Par exemple, la Convention contre la traite des êtres humains prévoit le même type d'instrument. Il est chargé d'évaluer l'application de la Convention par une approche plurisectorielle et pluridisciplinaire. Il assure la collecte, l'analyse et l'échange d'information, d'expériences et de bonnes pratiques entre les États afin de renforcer leur capacité pour prévenir et lutter contre le trafic d'organes.

Le Comité des parties assure, selon l'article 25 al. 2, trois principales fonctions : il formule des propositions concrètes selon les déclarations et réserves émises, favorise les échanges d'information, donne des avis consultatifs et adresse des recommandations.

La réunion constitutive s'est tenue, à l'initiative du Secrétaire général du Conseil de l'Europe, le 31 janvier et le 1 er février 2022. Elle devrait se réunir à nouveau en octobre prochain.

Il est donc à ce stade trop tôt pour savoir quelle sera son efficacité.

III. LES PAYS LES PLUS CONCERNÉS HORS DE PORTÉE DE LA CONVENTION

1. État des lieux des ratifications

Si la Convention a été adoptée dans le cadre du Conseil de l'Europe, elle est également ouverte à la signature des États non membres du Conseil de l'Europe, afin de lui donner un caractère « universel ».

Or on constate que non seulement un seul État n'appartenant pas au Conseil l'a signée 3 ( * ) , mais surtout, trop peu de pays appartenant au Conseil de l'Europe sont allés au bout de leur procédure de ratification 4 ( * ) .

À ce jour, vingt-cinq pays ont signé la Convention, il s'agit de l'Albanie, l'Arménie, l'Autriche, la Belgique, la Croatie, l'Espagne, la Fédération de Russie, la France, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, la Lettonie, le Luxembourg, Malte, le Monténégro, la Norvège, la Pologne, le Portugal, la République de Moldavie, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Slovénie, Suisse, la Turquie et l'Ukraine.

Seuls dix pays appartenant au Conseil de l'Europe ont ratifié la Convention, il s'agit de l'Albanie, la Croatie, l'Espagne, la Lettonie, Malte, le Monténégro, la Norvège, le Portugal, la République de Moldavie, la République Tchèque et la Suisse.

On constate donc qu'alors que les trafics se pratiquent aux portes de l'Europe, plusieurs pays importants n'ont pour le moment, ni signé, ni ratifié la Convention comme l'Allemagne, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas....

Il est à souhaiter que la présidence française de l'Union Européenne en fasse une de ses priorités.

2. Le cas particulier de la Chine

Selon certaines enquêtes indépendantes et témoignages, en Chine, ces actes ne seraient pas le fait d'organisations criminelles mais seraient directement organisés par l'État.

Le Parlement européen en 2013 manifestait déjà sa profonde inquiétude quant aux prélèvements d'organes sur les prisonniers d'opinion en Chine. Il recommandait notamment à l'Union Européenne et aux États membres « de condamner fermement les abus en matière de transplantations d'organes ayant lieu en Chine et d'y sensibiliser leurs citoyens voyageant dans ce pays ».

Ce n'est qu'en 2015 qu'une loi interdit les prélèvements d'organes sur les mineurs et sur des prisonniers exécutés. Il reste difficile d'avoir des précisions sur l'application de cette loi.

Les premières victimes seraient les pratiquants du Falun Gong et les Ouïgours emprisonnés dans les camps du Xinjiang. Il est également suspecté que des prélèvements d'organes soient réalisés sur des condamnés à mort non consentants.

La France doit se soucier de ce fléau afin de ne pas en être la complice indirecte, notamment lorsqu'elle conclut des conventions de coopération avec la République Populaire de Chine dans le domaine scientifique et médical.

On peut ainsi se réjouir de la décision du CHU de Grenoble de refuser de coopérer avec l'un des hôpitaux de la ville chinoise d'Hangzhou en matière de chirurgie hépatique, du fait des liens possibles avec la transplantation de foie.

La proposition de loi de Mme la députée Frédérique Dumas 5 ( * ) , qui été récemment discutée, proposait de mettre en place des outils d'évaluation et de contrôle du respect des principes éthiques du don d'organes, a priori et a posteriori , lors de la mise en oeuvre d'actions de coopération par les établissements de santé et de recherche français avec des partenaires non européens. Elle n'a pas été adoptée à l'Assemblée nationale.

IV. LA NÉCESSITÉ D'UN PROTOCOLE ADDITIONNEL CONSACRÉ AU TRAFIC DE TISSUS ET DE CELLULES HUMAINS

Si les travaux de trois comités directeurs du Conseil de l'Europe avaient conclu en 2011 à l'intérêt d'un Protocole additionnel à la Convention de Compostelle, consacré au trafic de tissus et de cellules humains, celui-ci sera finalement abandonné.

Or, comme le relève une proposition de résolution portée par des délégations de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe 6 ( * ) :

« Face à l'augmentation spectaculaire de la demande de tissus humains, notamment d'os, de peau et de valves cardiaques, généralement prélevés sur des cadavres et principalement destinés à la recherche, le commerce de tissus humains se développe, les infractions aux règles se multiplient et les milieux criminels commencent à être impliqués. Les tissus humains destinés à la recherche seraient plus chers que les diamants, de l'ordre de 500 dollars US le gramme.

De manière analogue, le développement des traitements contre la stérilité fait augmenter la demande de cellules humaines, en particulier de gamètes (à la fois d'ovules et de spermatozoïdes), ce qui conduit des parties prenantes peu scrupuleuses à en tirer profit. Or, les donneuses d'ovocytes risquent de souffrir du syndrome de l'hyperstimulation ovarienne, qui peut être mortelle sous ses formes les plus graves. »

Il est donc regrettable de ne pas se doter d'un dispositif international identique à celui de la Convention de Compostelle, pour lutter contre le trafic de tissus et de cellules d'origine humaine, problème qui s'aggrave depuis l'époque de l'élaboration de la Convention.

CONCLUSION

Malgré ses imperfections, cette Convention constitue une avancée certaine puisqu'elle comble un vide juridique concernant la lutte contre le trafic d'organes, qui constitue la face sombre de cette avancée scientifique qu'est la transplantation d'organes.

En matière de sciences, et plus encore de transplantation d'organes, nous devons rester vigilants quant au respect de nos principes d'éthique.

Les avancées scientifiques en matière de xénotransplantations 7 ( * ) ne manqueront pas de susciter de nouvelles questions.

En décembre 2020, dans son rapport d'information au Parlement et au Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques, l'Agence de la biomédecine a anticipé les évolutions actuelles :

« Avec la production des porcs spécifiques, la xénogreffe a sans doute franchi un cap et on observe aujourd'hui des survies de greffes porc/babouins pouvant aller jusqu'à 9 mois. Des chercheurs chinois ont affirmé être en capacité de passer a` l'étape humaine si les autorités leur permettaient. Des essais cliniques avec utilisation de cellules porcines se profilent ainsi d'ores et déjà à court terme pour des îlots de Langerhans chez des patients diabétiques, ou en greffe de cornée. »

Présentée comme un moyen de contrer la pénurie d'organes humains, la xénotransplantation soulève donc des enjeux éthiques tels que la limitation des maladies génétiques transmissibles de l'animal à l'homme, le franchissement de la barrière inter-espèce et l'adhésion sociale à la pratique. Son développement ne manquera pas de rendre nécessaire des modifications significatives sur le plan juridique, notamment en matière de réglementation relative à la recherche ou d'accès au don d'organe.

Après un examen attentif des stipulations de cet accord, la commission a adopté ce projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 16 février 2022, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Marie-Arlette Carlotti sur le projet de loi n° 414 (2021-2022) autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - Nous sommes saisis du projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains.

Ce texte, déposé à l'Assemblée nationale en juillet 2021, a été examiné le 27 janvier 2022 seulement, soit 6 mois après. Il a été déposé le jour même au Sénat et le gouvernement avait demandé son inscription à la séance du 15 février dernier, entendant donc ne laisser au Sénat que 15 jours pour l'examiner. Le Gouvernement ayant omis d'engager la procédure accélérée, le texte a été retiré de l'ordre du jour de la séance, et nous ne savons pas aujourd'hui quand il sera examiné.

Nous avons travaillé dans des conditions extrêmement difficiles, mais il ne pourra pas être reproché à la commission d'avoir fait prendre du retard à la ratification de la Convention.

La transplantation d'organes représente une avancée scientifique considérable qui permet de sauver la vie de nombreux patients.

Mais, au niveau mondial, il existe un fort décalage entre les besoins et les organes disponibles. Ce sont 35 000 transplantations par an qui sont réalisées en Europe alors que 150 000 personnes seraient dans l'attente d'une transplantation et que des milliers de personnes meurent sans être greffées. Les délais pour obtenir un greffon sont de trois ans environ et augmentent chaque année.

C'est dans ce contexte de pénurie que se développent, depuis les années 80, les trafics et le tourisme de transplantation. L'Organisation Mondiale de la Santé estime que près de 10 000 transplantations illicites sont réalisées chaque année. Ce trafic fait partie des dix activités les plus profitables générant près de 1,4 milliard de dollars de profits par an, selon le Conseil de l'Europe.

Les victimes de ce trafic, ces donneurs malgré-eux, sont les pauvres, les mineurs isolés, les personnes vulnérables, les migrants. Tous sont exposés, comme les receveurs, à des opérations sans garantie médicale. Le plus souvent les points de trafics suivent le trajet des migrations, notamment dans les pays de transit (Égypte, Irak, Syrie) où le migrant est prêt à vendre son rein pour quelques milliers d'euros afin de continuer sa route.

Le 25 mars 2015, 14 pays ont signé en Espagne, à Saint-Jacques de Compostelle, le premier traité international de prévention et de lutte contre le trafic d'organes humains. La France l'a signé le 25 novembre 2019. Ce texte crée un délit pénal de prélèvement d'organes humains sur les donneurs vivants ou décédés, sans le consentement libre, éclairé et spécifique du donneur.

La Convention requiert l'accès équitable aux services de transplantation, des mesures de prévention et de transparence et des mesures de protection et de dédommagement des victimes. L'article 26 prévoit un mécanisme de suivi de la Convention au travers du « Comité des parties » chargé de la mise en oeuvre de la Convention et de la collecte, l'analyse et l'échange d'informations, d'expériences et de bonnes pratiques entre les États, qui doit être mis en place prochainement.

Mais cette Convention porte en elle plusieurs caractères restrictifs à cause des réserves que les États ont émises. En effet, l'article 30 donne la possibilité aux États de formuler des réserves ainsi que la possibilité à tout moment de les retirer. Sur les 26 États ayant signé la Convention à ce jour, seuls 6 ont posé des réserves, celles émises par la France sont les plus étendues. Elles sont de trois ordres et il convient de s'interroger sur leurs portées.

La première porte sur la notion de « tentative » de corruption (des articles 7 et 8 de la Convention), que le gouvernement français se réserve le droit de ne pas appliquer car la tentative de commission d'infractions n'est pas incriminée en droit pénal français. Les deux autres réserves portent sur les règles de compétence. La première ne permet pas la compétence juridictionnelle française lorsqu'une infraction est commise à l'étranger par une personne ayant sa résidence habituelle sur le territoire français. La deuxième, et plus importante réserve de compétence concerne les délits commis hors du territoire national par l'un de ses ressortissants. Dans ce cas, la France n'exercera sa compétence que si les faits sont également punis par la législation du pays où ils ont été commis et que ces méfaits ont donné lieu soit à une plainte de la victime ou de ses ayants droits, soit à une dénonciation officielle des autorités du pays où ils ont été commis. Il s'agit du principe de « double incrimination ». On peut aisément concevoir qu'il ne soit pas facile pour une victime de se plaindre auprès de ceux qui ont commis le délit. Malgré la gravité des faits, la France entend conserver cette approche restrictive, en ne souhaitant pas modifier sa législation, pour ne pas porter atteinte à la souveraineté des États. Il me semble évident que les réserves émises par la France affaiblissent la portée de la Convention.

Une autre limite à la lutte contre le trafic d'organes tient à ce que nous n'avons pas d'outil performant d'évaluation et de contrôle. L'Agence de la biomédecine gère la liste nationale des malades en attente de greffe et le registre national des refus au prélèvement. Elle est chargée de réaliser une enquête tous les deux ans auprès des services de dialyses et les centres de greffe pour évaluer le recours des patients résidant en France à des greffes à l'étranger, le plus souvent pour le rein. Entre 2000-2019, l'agence de la biomédecine a recensé 81 personnes dans ce cas. Or, ces enquêtes étant anonymes et déclaratives, elles ne peuvent en aucun cas être considérées comme exhaustives.

Il est donc impossible pour l'Agence de la biomédecine d'affirmer qu'aucun ressortissant français ne se soit fait transplanter au cours des 10 dernières années par l'intermédiaire d'un réseau mafieux.

La Convention de Compostelle a un autre caractère restrictif : elle n'apporte pas de réponse à la situation singulière de la Chine. Si dans la plupart des pays touchés par le trafic d'organes, c'est le crime organisé qui structure le trafic, certaines enquêtes indépendantes et témoignages soutiennent qu'en République populaire de Chine, ces actes ne seraient pas le fait d'organisations criminelles mais seraient directement organisés par l'État. Tout cela est difficile à vérifier car il est impossible de mener des enquêtes sur place. Les autorités chinoises invoquent la « non-ingérence » pour refuser toute évaluation et tout contrôle.

Enfin, cette Convention ne porte que sur les organes et exclut la transplantation de cellules, de cornées, de moelle osseuse et autres tissus humains. Nous préconisons que ces questions fassent l'objet d'un protocole additionnel.

La Convention de Compostelle du 25 mars 2015 a une large dimension internationale car elle n'est pas limitée aux États membres du Conseil de l'Europe mais ouverte à tous les pays.

De nombreux pays l'ont déjà signé :

• 26 pays ont signé la Convention ;

• Seuls 12 États l'ont ratifiée (dont le Costa-Rica qui n'est pas membre du Conseil de l'Europe).

Alors que les trafics sont aux portes de l'Europe, plusieurs pays importants n'ont pour le moment, ni signé, ni ratifié la Convention comme l'Allemagne, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas... Il est à souhaiter que la présidence française de l'Union Européenne en fasse une de ses priorités.

Mais surtout, la non-adhésion des principaux États à l'origine des trafics d'organes risque d'affaiblir considérablement sa portée.

Pour conclure, même si nous en avons souligné les limites, la Convention de Compostelle représente une avancée et marque le début d'une mobilisation de la communauté internationale contre un trafic innommable. Je propose donc à la commission d'adopter le projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes.

M. André Gattolin. - Je présente toutes mes félicitations à Mme Carlotti. Ce sujet me passionne. Au sein du Conseil de l'Europe, j'ai demandé au gouvernement qu'il signe au plus vite cette convention.

On a toujours dit que le système de transplantation est un des meilleurs au monde car il repose sur des principes fondamentaux, mais il ne répond pas au problème du décalage entre « l'offre et la demande ».

Vous avez évoqué la question des 81 personnes qui sont identifiée par l'Agence de biomédecine pour être sorties des listes d'attente. Or, des ONG avec lesquelles je travaille sur ce sujet, estiment que c'est 300 personnes qui, malades, sont en attente de greffe, qui ne décèdent pas, qui n'ont pas officiellement été opérés et qui quittent ces listes. On peut considérer que c'est l'ampleur des malades qui vont se faire transplanter à l'étranger et effectivement, la Chine serait le principal pays.

Je regrette que le Gouvernement ait posé trois réserves, surtout sur la compétence territoriale de nos juridictions et sur le principe de « double incrimination ». Il faudrait procéder à une réforme de notre droit pénal, et nous devrons, à un moment, y réfléchir.

En effet, certains États dotés de régimes autoritaires, n'incrimineront probablement pas leurs propres hôpitaux, rendant inopérante la double incrimination.

On estime, selon les enquêtes indépendantes citées par la presse, qu'en Chine, le transfert d'organes représenterait un profit de plus de cinq milliards de dollars par an. On sort du domaine sanitaire pour aller vers une industrie.

Je ne peux qu'adhérer à ce qui a été dit. Il faut ratifier cette convention. Mais je rappelle que ce n'est pas la seule convention. Il y en a d'autres du Conseil de l'Europe qui sont en attente de ratification par la France.

Au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, nous veillons à ce que la France soit en cohérence avec ses engagements, et nous incitons nos pays partenaires à se mobiliser.

La ratification de cette convention est un premier pas, qui ne résout toutefois pas le fond du problème de ces trafics d'organes internationaux, même si l'on peut comprendre une victime qui n'a pas d'autres solutions que d'accepter de se faire opérer dans un pays tiers, à des prix astronomique. Notre groupe votera le texte, en souscrivant aux réserves formulées par notre rapporteure.

M. Olivier Cadic. - Je me suis moi aussi beaucoup intéressé à la question des transplantations en Chine. Au vu du volume de transplantations réalisées, il semble qu'il n'y ait malheureusement pas d'autre explication que des transplantations indues.

On sait bien que des pratiquants du Falun Gong évoquent ce sujet. Ceci étant, que pensez-vous des coopérations qui visent à former des Chinois en matière de transplantation ? Pensez-vous qu'un jour on puisse poursuivre des gens qui ont acquis illégalement des organes à l'étranger ? On a pu changer notre droit en matière de pédophiles qui commettent leurs actes condamnables à l'étranger. Une telle approche pourrait-elle être envisagée ?

Mme Michelle Gréaume. - Malgré les réserves de la France et le caractère incomplet de cette convention, elle reste intéressante car elle vise à prévenir, en développant une offre de soin et de transplantation légale et transparente. Elle vise également à réprimer, en créant un certain nombre d'infractions pénales sur les prélèvements réalisés par la contrainte ou dans des conditions de consentement non libre et éclairé. Elle prévoit aussi la prise en charge des victimes juridiquement et psychologiquement.

Il est certain que, la misère, alimentée par les flux migratoires, favorise la vente d'organes pour obtenir de l'argent, dans le cadre d'un marché noir lucratif et condamnable. Je pense que cela mériterait une attention particulière.

Le groupe communiste ne prendra pas part au vote.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - J'ai lu votre remarquable tribune, cher collègue, dans laquelle vous faites état des travaux d'une ONG qui conclut à ce que 300 personnes sortent des listes des personnes en attente de transplantation en France. Je n'ai pas voulu reprendre ces chiffres dans le rapport, car nous manquons de références précises. On sait qu'il y a une sorte d' « évaporation » que l'on ne sait pas mesurer en France. De gros progrès sont à réaliser pour savoir où vont ces personnes et pourquoi elles partent, même si l'on comprend que c'est une question de survie pour elles.

En ce qui concerne les efforts de ratifications des autres conventions, je souscris à vos propos. Je pense en particulier à la convention dite d'Oviedo, ratifiée par la France, à l'exception notable de ses protocoles additionnels. Nos gouvernements doivent aller plus vite, même si notre droit interne est assez abouti en la matière.

J'avais en effet relevé que certaines enquêtes d'investigation de journalistes ou des témoignages concluent à un décalage entre le nombre de greffes annoncées par les autorités chinoises et celles qui seraient effectivement réalisées.

En ce qui concerne les coopérations médicales et scientifiques entre la France et la Chine qui se sont développées en raison de nos compétences en la matière, s'il est bien entendu hors de question d'y mettre fin, je regrette que l'on n'ait pas les moyens de les contrôler davantage. Je relève que l'hôpital de Grenoble, au nom du « doute certain » a freiné une coopération avec un hôpital chinois. C'est un sujet qui mériterait que l'on s'y intéresse. Je ne l'ai pas inscrit dans mon rapport, car je ne souhaite pas incriminer les hôpitaux français, même si des doutes sérieux existent. De plus, ce n'est pas directement l'objet de ce rapport.

Enfin, c'est en effet terrible de voir ce qu'il se passe, notamment avec les migrants, les précaires, les enfants sans identités. On sait par exemple, que les migrants en Libye qui ne peuvent pas payer leurs traversées, sont livrés aux gangs de trafics illégaux. En Égypte, les migrants sont harcelés pour vendre leurs organes. Tout cela est intolérable.

Même si la convention a des limites, je propose de la ratifier, car c'est un pas en avant.

M. Christian Cambon, président. - Merci pour ce rapport, à la fois bien renseigné et équilibré.

Concernant le trafic d'organes, qu'il soit originaire d'un pays ou d'un autre, le plus important est d'être sûrs qu'il n'y a pas d'importation par les hôpitaux français d'organes prélevés illégalement. Ceci est totalement exclu vu notre système de suivi.

La commission a adopté le rapport et le projet de loi précité, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne prenant pas part au vote.

ANNEXES

Annexe 1 : Tableau de correspondances entre les stipulations de la convention et : les dispositions du droit français permettant d'y répondre

(source : ministère de l'Europe et des Affaires étrangères)

Convention CoE

Code pénal

Article 4 - Prélèvement illicite d'organes humains

Articles 511-2 , 511-3 et 511-5-1

Article 5 - Utilisation d'organes prélevés de manière illicite

Article 321-1 : Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit.

Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit.

Le recel est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.

Article 8 - Préparation, préservation, stockage, transport, transfert, réception, importation et exportation d'organes prélevés de manière illicite

Article 7 - Sollicitation et recrutement illicites, offre et demande d'avantages indus

Articles 433-1 , 433-2 , 435-3 , 445-1 : corruption active

Articles 432-11 , 433-2 , 445-2 , 435-1 : corruption passive

Article 9 - Complicité et tentative

Article 121-6 : Sera puni comme auteur le complice de l'infraction, au sens de l'article 121-7.

Article 121-4 : Est auteur de l'infraction la personne qui :

1° Commet les faits incriminés ;

2° Tente de commettre un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit.

Article 10 - Compétence (des juridictions)

Article 113-2 : La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République.

L'infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire.

Article 113-4 : La loi pénale française est applicable aux infractions commises à bord des aéronefs immatriculés en France, ou à l'encontre de tels aéronefs ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu'ils se trouvent. Elle est seule applicable aux infractions commises à bord des aéronefs militaires français, ou à l'encontre de tels aéronefs ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu'ils se trouvent.

Article 113-6 : La loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République.

Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis.

Elle est applicable aux infractions aux dispositions du règlement (CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, commises dans un autre Etat membre de l'Union européenne et constatées en France, sous réserve des dispositions de l'article 692 du code de procédure pénale ou de la justification d'une sanction administrative qui a été exécutée ou ne peut plus être mise à exécution.

Il est fait application du présent article lors même que le prévenu aurait acquis la nationalité française postérieurement au fait qui lui est imputé.

Article 11 - Responsabilité des personnes morales

Article 121-2 : Les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public.

La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3.

Article 12 - Sanctions et mesures

Les infractions précédemment mentionnées permettent, pour les personnes physiques, le prononcé d'une peine d'emprisonnement, et, pour les personnes morales, le prononcé, outre une peine d'amende, de peines complémentaires.

Article 13 - Circonstances aggravantes

Article 225-4-2 : circonstances aggravantes pour le délit de traite d'êtres humains.

Articles 132-8 et 132-16-5 : articles relatifs à la récidive permettant d'augmenter la peine encourue.

Annexe 2 : Questionnaire de l'enquête de l'Agence de biomédecine

(source : Agence de biomédecine)

Enquête portant sur l'année 2019-2020

Patients greffés d'un rein à l'étranger

Identification de l'équipe de greffe rénale ou équipe médicale de dialyse

Service (pré rempli)

Hôpital (pré rempli)

Mail du service

Téléphone du service

En 2017 et 2018, avez-vous eu connaissance de patients suivis dans votre équipe qui ont été greffés à l'étranger ? ? Oui ? Non

Si oui,

• Ces patients ont été greffés dans un pays de l'Union Européenne * ? Oui ? Non

Si oui, nombre :

• Ces patients ont été greffés dans un pays hors de l'Union Européenne * ? Oui ? Non

Si oui,

o nombre : .....

o remplir le tableau suivant : (1 colonne apparaît par patient déclaré)

Patient 1

Patient 2

Patient 3

Pays de résidence du patient

? France

? Autre : préciser......

? France

? Autre : préciser......

? France

? Autre : préciser......

Pays de greffe

...................

...................

...................

Année de greffe

...................

...................

...................

Type de donneur

? Décédé

? Vivant apparenté **

? Vivant non apparenté ***

? Je ne sais pas

? Décédé

? Vivant apparenté**

? Vivant non apparenté***

? Je ne sais pas

? Décédé

? Vivant apparenté**

? Vivant non apparenté***

? Je ne sais pas

Ce patient a été suivi dans votre équipe :

? Avant la greffe à l'étranger

? Après la greffe à l'étranger

? Avant et après la greffe à l'étranger

? Avant la greffe à l'étranger

? Après la greffe à l'étranger

? Avant et après la greffe à l'étranger

? Avant la greffe à l'étranger

? Après la greffe à l'étranger

? Avant et après la greffe à l'étranger

Avez-vous eu accès au dossier médical de la greffe à l'étranger

? Oui, au dossier complet

? Oui, mais au dossier incomplet

? Non

? Oui, au dossier complet

? Oui, mais au dossier incomplet

? Non

? Oui, au dossier complet

? Oui, mais au dossier incomplet

? Non

Ce patient a-t-il été inscrit sur liste d'attente en France avant la greffe à l'étranger?

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

Le greffon était-il fonctionnel après la greffe à l'étranger?

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

Ce patient a-t-il été inscrit sur liste d'attente en France après la greffe à l'étranger?

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

Ce patient est-il toujours vivant à ce jour?

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

? Oui

? Non

? Je ne sais pas

• Observations :

En aucun cas, l'identité des patients ne vous est demandée.

Suivi du dossier Christelle Cantrelle

Direction médicale et scientifique - Agence de la biomédecine

1 avenue du stade de France 93212 Saint-Denis La Plaine cedex

Tél. : 33.1.55.93.65.11 Fax : 33.1.55.93.69.30 Mail : christelle.cantrelle@biomedecine.fr

1 liste des pays de l'Union Européenne : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, le Danemark,

l'Espagne, l'Estonie, la Finlande, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, la Lituanie, la Lettonie, le Luxembourg, Malte, les

Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie et la

Suède

** Donneur apparenté : donneur lié au receveur que ce soit génétiquement (parent, fratrie...) ou émotionnellement (époux, ami...)

*** Donneur non apparenté : donneur non lié au receveur que ce soit génétiquement ou émotionnellement

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- Mme Frédérique DUMAS, députée des Hauts-de-Seine (13e circonscription).

Pour le Ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

- M. Kamyar ASSARI, consultant juridique, sous-direction des droits de l'homme, direction des affaires juridiques ;

- Mme Charline THIÉRY, consultante juridique, mission des accords et traités, direction des affaires juridiques.

Pour le Ministère de la santé et des solidarités :

- Mme Muriel COHEN, adjointe au chef de bureau de la bioéthique et des éléments et produits du corps humain ;

- Mme Alix LEMARIE, chargée de mission au sein du bureau ;

- Mme Lucie BOZEC, chargée de mission au sein du bureau ;

- Mme Émilie BESEGAI, membre de la direction juridique de l'Agence de la biomédecine ;

- M. Samuel ARRABAL, chef du pôle en charge des affaires européennes à l'Agence de la biomédecine.


* 1 Le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC), le Comité directeur pour la bioéthique (CDBI) et le Comité européen sur la transplantation d'organes (CD-P-TO).

* 2 https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list?module=declarations-by-treaty&numSte=216&codeNature=0

* 3 Le Costa Rica l'a signée en 2018 et ratifiée en 2021.

* 4 https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list?module=signatures-by-treaty&treatynum=216

* 5 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/ethique_don_organes

* 6 http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-fr.asp?fileid=23929&lang=fr

* 7 https://www.medschool.umaryland.edu/news/2022/University-of-Maryland-School-of-Medicine-Faculty-Scientists-and-Clinicians-Perform-Historic-First-Successful-Transplant-of-Porcine-Heart-into-Adult-Human-with-End-Stage-Heart-Disease.html

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