COMPTES RENDUS DES AUDITIONS EN COMMISSION

I. AUDITION DE M. JEAN-YVES LE DRIAN, MINISTRE DE L'EUROPE ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

M. Christian Cambon, présiden t. - Nous entendons cet après-midi M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, pour évoquer le projet de loi relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui a connu une genèse difficile : sa présentation a été maintes fois retardée, à tel point que c'est désormais une loi de programmation qui ne programme que sur un an, 2022 !

Ce texte comporte de nombreux aspects positifs, dont certains répondent à des recommandations formulées par notre commission depuis plusieurs années, notamment dans les travaux d'Henri de Raincourt et d'Hélène Conway-Mouret, puis de Jean-Pierre Vial et Marie-Françoise Pérol-Dumont, dont nos deux rapporteurs, Hugues Saury et Rachid Témal, ont pris la relève depuis la fin de l'année dernière.

Les grands principes de cette politique, auxquels nous sommes très attachés, sont réaffirmés. Dans un monde de plus en plus chaotique, où certaines puissances refusent de participer pleinement à la communauté internationale, la France tente de soutenir le multilatéralisme et la lutte contre les inégalités mondiales. Elle est particulièrement attachée à l'aide aux pays les plus pauvres, notamment sur le continent africain. Nourrir, soigner, former : tel est le triptyque prioritaire que ce projet de loi doit mettre au centre de notre action, sans négliger toutefois les défis environnementaux et autres biens publics mondiaux.

Le projet de loi s'efforce également, sans toujours y parvenir, de préciser l'organisation et la gouvernance de cette politique. Celle-ci implique en effet au moins deux ministères, deux agences - l'Agence française de développement (AFD) et Expertise France -, ainsi que de multiples organismes de coordination, du Conseil du développement au Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI), en passant par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) et la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD). Vous avez choisi, monsieur le ministre, de conserver l'ensemble de ces couches de gouvernance, en tentant toutefois d'en clarifier le positionnement et le fonctionnement ; nous ne sommes pas totalement convaincus.

L'autonomie parfois excessive de l'AFD, ainsi que son activité très orientée vers les prêts au bénéfice des pays à revenu intermédiaire, a maintes fois été soulignée ces dernières années. Certaines des mesures avancées par le projet de loi apportent un début de réponse, d'autres nous semblent un peu timorées.

Nous sommes très attachés à l'évaluation de cette politique de développement solidaire et donc favorables à la création d'une commission indépendante. Reste à en définir plus précisément les contours et à s'assurer que le Parlement, autant que le Gouvernement, bénéficiera pleinement de ses analyses.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Enfin ! Cette loi, maintes fois repoussée, était attendue. Les budgets successifs ont certes précédé ce projet de loi, mais il convenait de structurer nos priorités. Je tiens à remercier tous ceux qui, depuis trois ans, ont travaillé à l'aboutissement de ce texte. La convergence de ce projet de loi avec la crise que nous traversons en démontre toute la pertinence.

Nous vivons dans un monde de compétition exacerbée, où l'influence est devenue un enjeu de puissance majeur. L'aide au développement ne fait pas exception : elle est devenue un enjeu d'influence dans la conflictualité des modèles et des valeurs.

La France est revenue dans le jeu : notre aide publique au développement (APD) a dépassé les 10 milliards d'euros par an, atteignant 12,8 milliards d'euros en 2020. Il s'agit d'un véritable changement de braquet, conformément à l'engagement pris par le Président de la République au début de son mandat. Notre aide publique au développement, qui représentait 0,38 % de notre richesse nationale en 2016, s'établit actuellement à 0,48 % du PIB et notre objectif est d'atteindre 0,55 % en 2022. Dans la crise, nous avons tenu à maintenir notre engagement en volume, avec une augmentation de 18 % entre 2019 et 2020 et de 33 % entre 2020 et 2021. Nous devrions dépasser le Royaume-Uni en 2021, pour nous classer au quatrième rang mondial des bailleurs d'APD.

Il fallait faire plus, mais il faut aussi faire mieux. C'est pourquoi ce projet de loi propose un changement de méthode, en profondeur, dans le sillage des efforts de rénovation engagés depuis le Cicid de février 2018.

Nos priorités sont clairement définies, à commencer par nos priorités géographiques, avec une concentration de nos dons sur les pays les plus vulnérables ; il s'agit des dix-neuf pays prioritaires appartenant à la catégorie des pays les moins avancés - Haïti et dix-huit pays d'Afrique subsaharienne. Ces pays seront destinataires de la moitié de l'aide projet mise en oeuvre par mon ministère, soit 70 millions d'euros, et de deux tiers de l'aide projet mise en oeuvre par l'AFD, qui s'élève à 816 millions d'euros en 2021 ; à cela s'ajoute une augmentation de 10 % de notre contribution à l'association internationale de développement de la Banque mondiale.

Nous réaffirmons aussi nos priorités thématiques. Nous voulons investir dans l'avenir et les biens communs mondiaux, selon le triptyque que vous avez rappelé : « nourrir, former, soigner. »

C'est ainsi que nous contribuons au renforcement des systèmes de santé primaire des pays les plus fragiles, au travers notamment de l'initiative « Santé en commun », qui a permis d'améliorer la prise en charge des malades au Sénégal, en Guinée, au Burkina Faso et en République centrafricaine.

Nous agissons également en faveur de la préservation du climat et de la biodiversité. Notre contribution au Fonds vert pour le climat a doublé depuis 2017, pour passer de 750 millions à 1,5 milliard d'euros, ce qui nous permet de renforcer notre crédibilité diplomatique dans les enceintes multilatérales. Cinq ans après les accords de Paris, l'urgence environnementale est une urgence absolue et elle prend un relief particulier en cette année du Congrès de l'union internationale pour la conservation de la nature qui se tiendra à Marseille, de la COP26 qui aura lieu à Glasgow et de la COP15 sur la biodiversité qui est prévue à Kunming. Tous les financements de l'AFD sont bien entendu compatibles avec l'accord de Paris, mais pour moitié d'entre eux ils présentent même un co-bénéfice climat. Le gigantesque projet de la Grande Muraille verte, qui va du Sénégal à Djibouti, a été relancé par le One Planet Summit de janvier dernier qui a permis de mobiliser 14 milliards de dollars pour lutter notamment contre la désertification. Nous menons également des actions en Chine et en Turquie et je tiens à préciser d'emblée qu'il ne s'agit pas de prêts de faveur : ils sont réalisés aux taux de marché.

Nous investissons aussi dans l'éducation. Nous sommes le troisième bailleur mondial dans ce secteur, avec une multiplication par dix de notre contribution au Partenariat mondial pour l'éducation, qui atteint 200 millions d'euros sur 2018-2020. Les résultats en sont significatifs, avec le soutien à la scolarisation de plus de 22 millions d'enfants.

Nous travaillons enfin à la promotion de l'égalité de genre. Nous aborderons ces enjeux lors du Forum Génération Égalité se tiendra dans quelques mois à Paris.

Ces priorités géographiques et thématiques doivent être traitées ensemble et non pas en silo, car la crise de la covid a montré leur enchevêtrement et la nécessité de mettre en oeuvre une approche transversale.

Nous devons également refonder nos partenariats : il ne s'agit plus seulement de faire « pour » nos partenaires du sud, mais « avec » eux, dans une logique de codéveloppement, car nos responsabilités et nos intérêts sont communs. Il faut sortir d'une logique d'assistance ou de charité, pour entrer dans une logique de développement solidaire : en aidant nos partenaires du sud, nous nous aidons nous-mêmes, car les réponses aux grandes questions du XXI e siècle se trouvent à la fois chez nous et chez eux. Pensons seulement au défi de l'immigration irrégulière et aux tragédies humaines qu'elle occasionne. Ce renforcement de la dimension partenariale de notre politique se joue aussi en France : les acteurs de la société civile française se verront reconnaître un droit d'initiative renforcé qui leur permettra de proposer eux-mêmes des projets - avec le doublement des financements prévus - et nous associerons à nos efforts les diasporas africaines en France.

Le pilotage de notre politique d'APD par l'État sera renforcé, avec une chaîne de commandement clarifiée, depuis le Conseil présidentiel du développement, jusqu'au plus près du terrain grâce à une implication renforcée de nos ambassades. C'est le sens de la création des conseils locaux de développement qui seront créés dans chaque poste. Présidés par l'ambassadeur, ils veilleront à la cohérence des efforts de l'ensemble des acteurs, y compris de l'AFD. À chacun de mes déplacements - comme je l'ai fait vendredi dernier à Niamey -, je présiderai moi-même ces conseils et je souhaite qu'y soient associés les autres acteurs du développement, y compris non français, qui sont parties prenantes dans les projets.

Depuis maintenant un an, j'organise désormais une réunion de cadrage avec le directeur général de l'AFD tous les deux mois, afin que les orientations votées par le Parlement soient concrètement mises en oeuvre sur le terrain : cela me permet de piloter l'Agence en temps réel.

Nous devons aussi mieux mesurer l'impact de nos projets avec une commission indépendante d'évaluation, comme il en existe au Royaume-Uni et en Allemagne, et comme l'avait proposé le Sénat. Cette commission devra évaluer les stratégies, les outils et les projets et formuler des recommandations. Elle effectuera une évaluation de l'opportunité et de l'efficacité de la politique menée ; il ne s'agit pas de vérifier les comptes, d'autres organismes existent pour cela ! Je souhaite que cette commission rapporte devant le Parlement, selon ce que l'on appelle désormais la redevabilité. Je suis très ouvert sur sa composition, mais je tiens à ce qu'elle reste indépendante.

Ce projet de loi comporte en outre un volet destiné à attirer en France les fondations et organisations internationales qui jouent un rôle majeur en matière de développement et de promotion des biens publics mondiaux. Les organismes multilatéraux dont nous avons été à l'initiative - Unitaid, le Fonds mondial, la Fondation Aliph, etc. - se sont installés à Genève où les procédures sont plus rapides : je propose donc que nous légiférions par ordonnance sur chaque demande d'implantation. La France doit devenir un carrefour mondial de la coopération internationale et les trois premières éditions du Forum de Paris sur la paix ont montré que nous avions une vraie capacité de mobilisation.

Ce texte a été significativement enrichi lors de son examen par l'Assemblée nationale, qui y a notamment introduit trois dispositions majeures.

Un nouvel article 1erA fixe désormais les grands objectifs de la politique d'APD et rappelle notamment que cette politique est un pilier de la politique étrangère de la France et qu'elle contribue à construire et à assurer la paix et la sécurité. Il y est également précisé que cette politique a pour objectif transversal la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, dans le cadre de la diplomatie féministe de la France.

Avec mon accord, l'année 2025 a été retenue comme date cible pour l'atteinte de l'objectif onusien de 0,7 % : c'est un bon objectif sur lequel nous devons nous mobiliser.

Le dispositif de restitution des produits de cession des biens dits mal acquis - sur lequel votre collègue Jean-Pierre Sueur a mené des travaux - a été amélioré : les produits de cession de ces biens donneront lieu à des ouvertures de crédits au sein d'un nouveau programme budgétaire afin de financer des actions de coopération et de développement. Il s'agit d'une grande innovation qui se fera dans une parfaite transparence à l'égard du Parlement.

L'Assemblée nationale a également apporté des avancées en termes de redevabilité : création d'une base de données ouverte, élargissement du champ du rapport annuel au Parlement relatif à la politique de développement, positionnement de la nouvelle commission d'évaluation auprès de la Cour des comptes et possibilité de saisine par le Parlement.

Elle a également prévu que la France prendrait désormais en compte l'exigence de responsabilité sociétale des acteurs publics et privés sur le devoir de vigilance des entreprises ; elle a renforcé notre exigence d'accès à un état civil fiable ; elle a prévu un rapport au Parlement sur les dispenses de criblage des destinataires finaux ; et elle a réduit les coûts de transaction de certains transferts de fonds et revu notre stratégie s'agissant des volontaires internationaux.

Après un long et très fructueux débat, ce projet de loi a été adopté à l'unanimité, une première depuis le début de ce quinquennat !

M. Christian Cambon, président . - Je vous remercie de cette présentation. Permettez-moi de profiter de cette occasion pour saluer la mémoire de Marielle de Sarnez avec laquelle j'avais beaucoup travaillé dans la perspective de ce texte.

M. Hugues Saury, rapporteur . - Je vous remercie pour votre disponibilité qui a permis un dialogue direct avec vous-même, vos services et votre cabinet.

Après avoir été retardé, le calendrier de ce texte s'est subitement accéléré : il a été présenté en conseil des ministres en décembre et devrait avoir été examiné par les deux chambres d'ici à la fin du mois de mai.

Avec ses treize articles, c'est un texte court, mais le rapport annexé est touffu.

Il prend clairement en compte les remarques qui avaient été formulées, notamment par le Sénat, et comporte de nombreuses avancées : l'augmentation du budget ; la définition claire des pays prioritaires ; la répartition de notre aide entre dons et prêts ; la création d'une commission d'évaluation indépendante ; ou encore la création des conseils locaux de développement.

Quelques points d'amélioration demeurent cependant.

L'APD telle qu'elle est définie par l'OCDE comporte des dépenses comme l'aide pour les réfugiés en France ou les frais des étudiants étrangers. En revanche, l'aide-pays programmable ne comprend que les dons et prêts accordés aux pays aidés. Or la part de cette aide programmable aux pays les moins avancés a stagné, voire régressé : elle était de 20 % en 2014, contre 18 % en 2018, alors qu'elle atteint 39 % au Royaume-Uni, 43 % aux Pays-Bas, 53 % en Suède et 42 % aux États-Unis. Et la part de cette aide programmable destinée aux dix-neuf pays prioritaires n'est que de 13 % : ne devrions-nous pas nous fixer un objectif d'aide programmable atteignable et raisonnable ?

Je regrette également que le projet de loi ne fixe pas d'objectif de rééquilibrage de nos aides entre prêts et dons. Ici aussi, il serait temps de se fixer un objectif atteignable et raisonnable.

Les pays endettés sont de plus en plus nombreux, notamment en Afrique. L'AFD risque donc de devoir diminuer encore ses volumes de prêts sur le continent. En outre, la faiblesse actuelle des taux d'intérêt ne rend pas nos prêts aux pays à revenu intermédiaire très compétitifs. L'Agence ne devrait-elle pas changer de modèle ?

M. Rachid Temal, rapporteur . - Je salue la qualité du texte qui nous est proposé. Il s'inscrit dans le prolongement de la loi adoptée sous le précédent quinquennat et présente de vraies avancées : concentration de notre aide sur les dix-neuf pays prioritaires ; nouvel article 1er ; définition de nos thématiques d'intervention ; création d'une commission d'évaluation ; réforme du pilotage de l'AFD. La France doit conserver ses capacités d'intervention et demeurer un acteur majeur de l'aide au développement.

S'agissant du pilotage de notre politique d'APD, plusieurs rapports - de la Cour des comptes et du Conseil économique, social et environnemental (CESE) - ont souligné les rapports déséquilibrés entre l'AFD et ses multiples tutelles. Or le projet de loi ajoute encore des instances, avec, notamment, le Conseil présidentiel et les conseils locaux de développement. Le texte ne va pas assez loin sur la question du pilotage.

La taxe sur les transactions financières (TTF) a été créée pour financer l'APD, mais seulement un tiers de son produit - il s'établit à 1,7 milliard d'euros - alimente le Fonds de solidarité pour le développement (FSD). Il est question d'y ajouter 100 millions d'euros, mais ne faudrait-il pas envisager un accroissement véritablement significatif pour passer à 40 %, voire à 50 % du produit de la taxe affecté au Fonds ?

La création d'une commission d'évaluation indépendante est un vieux combat du président Cambon. Comment envisagez-vous son fonctionnement et sa composition ? Quel sera le rôle des parlementaires ?

Cette loi de programmation court jusqu'en 2025, mais ses données chiffrées s'arrêtent dès 2022. Une clause de revoyure est certes prévue en 2022, mais aucune donnée n'est prévue pour 2023, 2024 et 2025 : c'est dommage.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial de la commission des finances. -Ce projet de loi était devenu une arlésienne... Nous sommes très heureux qu'il soit enfin finalisé.

Quelles sont vos ambitions budgétaires au-delà de 2022 ? Quels montants faudrait-il inscrire pour atteindre vos objectifs ?

M. Michel Canevet, rapporteur spécial de la commission des finances . - Comment le Fonds de solidarité pour le développement sera-t-il financé, à l'heure où les difficultés actuelles du transport aérien fragilisent son financement ?

Le transfert d'Expertise France ne devrait-il pas être réalisé directement au profit de l'AFD ?

Pourquoi ne pas déconcentrer les décisions de l'AFD lorsqu'un consensus local existe ?

Les frais administratifs de l'AFD, qui étaient de 400 millions d'euros en 2020, augmenteront de 10 % d'ici à 2022 : cela correspond-il à un véritable besoin ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Les critères de l'APD sont établis par l'OCDE. C'est ainsi que les frais d'écolage des étudiants chinois relèvent de l'APD : la Chine est donc toujours considérée comme un pays en développement...

La part dans l'APD liée à l'écolage des étudiants chinois signifie deux choses. Premièrement, la Chine est toujours considérée comme un pays en développement ; deuxièmement, de nombreux étudiants chinois viennent en France et nous les aidons avec des bourses et de l'accueil. Cela paraît peut-être une contradiction, mais explique une partie de cette interprétation.

L'aide pilotable a augmenté de manière significative ces dernières années ; elle correspond actuellement à un tiers de l'aide globale et devrait atteindre 40 % en 2022. C'est un indice pour apprécier notre véritable aide au développement.

L'aide bilatérale ne cesse de croître ; nous sommes passés de 57 % en 2015 à 61 % en 2019 et, en 2020, nous devrions frôler les 70 %. J'ai toujours dit que l'aide bilatérale devait se renforcer par rapport à l'aide multilatérale.

L'APD est constituée à 81 % de dons, auxquels s'ajoutent 14 % de prêts et 5 % d'appuis au secteur privé. Depuis mon arrivée aux responsabilités, la part de l'activité de l'AFD liée aux dons est passée de 4 % à 13 %.

Si votre interrogation porte sur les référentiels qui nous permettraient de juger les parts pilotable et non pilotable, je suis prêt à examiner des amendements sur le sujet. Ce n'est pas facile de fixer des critères, car, dans la part non pilotable, des éléments demeurent variables.

On peut se poser la question de la relation entre les prêts et les dons au sein de l'AFD. La part des dons dans l'APD, comme je l'ai dit précédemment, s'élève à 81 %. Une part importante de ces dons est extérieure à l'AFD, mais nous avons souhaité que celle-ci oeuvre également en ce sens, et il importe que cela se poursuive. En 2021, la somme des dons de l'AFD représente 878 millions d'euros.

Dans beaucoup de cas, notamment dans les 19 pays concernés, il s'agit d'articuler à la fois les dons et les prêts. Les prêts, en général, sont dédiés aux infrastructures, et les dons s'orientent plutôt vers le fonctionnement ; mais nous sommes souvent amenés à lier les deux. Je pense à l'exemple de l'Institut Pasteur à Dakar, soutenu par l'AFD, qui combine les subventions - à hauteur de 2,7 millions d'euros - et les prêts pour aider à financer la construction d'une unité permettant de doubler la capacité de production des vaccins.

Il est désormais inscrit dans la loi que l'AFD soit sous la tutelle de l'État. Concernant le pilotage, le conseil présidentiel a pour vocation de se réunir une fois par an, avec les ministres concernés et le Premier ministre, afin de donner les orientations. La création de cette instance démontre que la politique de développement est un élément central de la politique étrangère de la France. Loin d'être un encombrement supplémentaire, cela donne l'impulsion nécessaire et contribue à l'accélération pour la mise en oeuvre de ce texte de loi.

Le Cicid a pour vocation, une fois par an, de définir les enjeux de la politique de développement, et ensuite il m'incombe de les mettre en oeuvre. Un rattachement théorique est prévu avec deux ministères, mais, de fait, j'assume la fonction de ministre du développement. Les responsabilités ne sont pas peut-être pas suffisamment clarifiées, mais, je vous rassure, cela n'entraîne aucune difficulté avec Bruno Le Maire sur ces sujets.

Concernant l'engagement de consacrer 0,7 % de la richesse nationale à l'aide au développement d'ici à 2025, je m'interroge aujourd'hui sur la pertinence de présenter des chiffres. Quand on fixe un pourcentage, on ne tient pas compte de l'ensemble des facteurs, notamment le volume de financement auquel cela correspond. En 2021, nous allons atteindre 0,69 % - soit un pourcentage supérieur à l'objectif fixé de 0,55 % - pour une double raison : d'une part, avec la crise, le PIB baissant, cela favorise la hausse du pourcentage ; d'autre part, nous allons régler cette année la question de la dette soudanaise.

Mais, en 2022, ce pourcentage risque de baisser. Il serait opportun d'attendre la sortie de crise pour évaluer les engagements financiers permettant d'atteindre 0,7 %. Malgré un PIB en récession, j'ai obtenu que l'on maintienne les engagements financiers de progression de nos dépenses de développement, ce qui n'est pas le cas de tous les pays ; je pense, notamment, au Royaume-Uni.

Au sujet de la TTF, le projet de loi prévoit 100 millions d'euros supplémentaires. Il ne faut surtout pas toucher au taux ni à l'assiette, mais je suis ouvert à vos propositions pour aller plus loin concernant la réaffectation d'une partie de la recette au développement.

De même, au sujet de la commission d'évaluation, je suis très ouvert à vos propositions. De manière générale, comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, il s'agit d'un texte de loi majeur pour la présence de la France dans le monde, et nous devons prendre en considération toutes les contributions pertinentes. Au préalable, je soumets trois principes de fond : premier principe, l'indépendance ; deuxième principe, cette commission devra rendre compte au Parlement ; troisième principe, elle pourra également être saisie par les parlementaires.

Le rattachement de cette commission à la Cour des comptes a été acté, ce qui me paraît un gage d'indépendance. Cette commission ne vérifie pas la justesse des comptes, mais celle de la politique menée. Faut-il y associer des parlementaires ? Est-ce un critère d'indépendance ? Lorsque la question m'a été posée à l'Assemblée, j'ai émis quelques réserves...

M. Christian Cambon, président . - C'est un point très important pour nous. Dans de nombreux organismes - la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), le Comité national d'éthique (CNE) ou encore la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) -, la présence de parlementaires ne rompt pas le lien d'objectivité, bien au contraire. Avec Hervé Berville, rapporteur du projet de loi devant l'Assemblée nationale, nous sommes en accord sur cette idée, y compris en prévision de la commission mixte paritaire (CMP).

On ne demande pas que les parlementaires dirigent la commission, mais il nous semble que la présence de deux sénateurs et de deux députés, par exemple, est précisément un gage d'indépendance. La nomination d'experts indépendants - on le voit sur d'autres sujets, en matière sanitaire notamment - est sujette à débat. Les parlementaires qui viennent siéger dans ces organismes, à commencer par l'AFD, ont toujours tenu leur rôle ; il est important que vous n'y soyez déjà pas totalement hostile...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Cela se discute...

M. Christian Cambon, prés ident. - Le président de la Cour des comptes y est lui-même très favorable. Il trouve légitime que le Parlement, dont la mission est de contrôler l'action du Gouvernement, puisse siéger dans un organisme évaluant la justesse des opérations menées.

M. Jacques Le Nay . - Monsieur le ministre, le rôle des ambassadeurs se trouve renforcé par le projet de loi, avec la réunion annuelle du conseil local de développement (CLD). Cette relocalisation d'une partie de la gouvernance de notre APD doit être saluée. Cependant, les retours et les conclusions de ces conseils locaux doivent être examinés et pris en compte. Comment notre réseau de développement va-t-il se restructurer autour de cette nouveauté à l'échelle locale, afin de peser sur le choix des projets et d'en effectuer le suivi ?

Le modèle d'aide au développement multilatéral proposé par la France peut-il concurrencer les aides chinoises, notamment sur le continent africain ? Alors que les aides chinoises sont connues et reconnues au niveau international, les aides françaises passent trop souvent inaperçues. N'y a-t-il pas un déficit de communication autour des projets financés par la France ?

Mme Marie-Arlette Carlotti . - Monsieur le ministre, ce texte était très attendu. J'y vois des avancées certaines, comme le droit d'initiative des associations, le devoir de vigilance, les biens mal acquis - même si des dispositions restent à mettre en oeuvre pour rendre cela applicable.

Je m'interroge sur la trajectoire financière. Cela aurait nécessité, malgré la clause de revoyure, que l'on se projette jusqu'en 2025.

Je constate une dispersion des fonds. La priorité affichée est de favoriser les 19 pays prioritaires ; ce n'est pas le cas, puisque seulement 15 % de l'APD va aujourd'hui vers les pays prioritaires. Et si l'on fait des projections sur la fin de l'année 2021, ce pourcentage pourrait descendre à 5 %. Comment comptez-vous redresser le tir ? On sait, notamment, qu'il convient de mettre l'accent sur l'Afrique et le G5 Sahel, car, si l'on veut installer la paix dans la région, il faudra aussi lutter contre la misère.

Ma deuxième question concerne le pilotage. Il y a des points positifs dans ce texte ; vous confortez le CNDSI, créé en 2014 ; vous donnez naissance aux CLD, et tout le monde se satisfait de voir le rôle de nos ambassadeurs renforcer, d'autant que ces conseils favoriseront le développement de projets précis, en lien avec les populations.

Pour le reste, monsieur le ministre, je ne suis pas d'accord avec vous. Précédemment, vous avez évoqué une chaîne de décisions clarifiée ; je la trouve, au contraire, extrêmement complexe et peu lisible. Le Conseil autour du Président de la République, une fois par an, va recadrer ou revalider les orientations. Je ne comprends pas, cela crée un système pyramidal. Par ailleurs, vous assumez la fonction du ministre du développement. Ma question est la suivante : qui commande en fin de compte ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - C'est moi !

M. Philippe Folliot . - Monsieur le ministre, vous avez insisté sur les enjeux relatifs à l'éducation. Une stratégie de développement, pour être efficace, doit être associée à une stratégie d'éducation, et plus particulièrement dans les 19 pays qui bénéficient de cette aide au développement.

Je souhaite vous alerter sur la nécessité de mettre en cohérence cette stratégie avec la promotion et la défense de la francophonie. Au travers de la langue française, nous promouvons une certaine idée de nos valeurs. Aurons-nous un engagement fort pour favoriser l'apprentissage du français ? Les pays francophones pourront-ils aussi bénéficier d'une forme d'aide spécifique, au regard de nos liens historiques avec eux ?

M. Richard Yung . - Vous n'avez pas évoqué Expertise France dans votre propos liminaire. Le rapprochement entre Expertise France et l'AFD me paraît une excellente chose. Mais pourquoi la mécanique mise en place est-elle aussi compliquée ? Pourquoi n'avons-nous pas intégré directement Expertise France au sein de l'AFD ?

Un point m'a semblé faible dans ce projet de loi, concernant le rôle des collectivités d'outre-mer. Celles-ci peuvent jouer un rôle important dans les actions de développement. Il faudra, dans la discussion, sans doute ajouter quelques références.

Au sujet de la commission d'évaluation, il serait utile d'y associer des représentants de pays recevant l'aide, qui pourraient juger des actions. Il serait intéressant, par exemple, de connaître l'avis du président de la Cour des comptes du Sénégal ou de la Côte d'Ivoire.

M. Olivier Cadic . - Monsieur le ministre, j'ai particulièrement apprécié votre remarque sur la Chine, pays en voie de développement... L'ambassadeur du Japon, reçu ici même ce matin, observait que la Chine était un pays en voie de développement militaire en mer de Chine méridionale.

L'un des objectifs poursuivis avec ce projet de loi est de promouvoir la gouvernance démocratique, économique et financière. Je vous cite : « La gouvernance démocratique et l'État de droit sont des conditions essentielles de l'efficacité de l'aide au développement. » Il est toujours sain de rappeler cela et nous sommes nombreux à vous soutenir dans cette démarche.

D'autres pays n'ont pas la même démarche et nous font concurrence. Ils rejettent la gouvernance démocratique, au prétexte que le développement passe avant les droits humains. Comment faire en sorte que des acteurs économiques venant de pays qui ne partagent pas notre vision des droits humains ne puissent pas gagner des marchés financés par l'APD de la France ? Pouvons-nous envisager d'établir une liste noire de pays qui ne respectent pas les droits humains, afin que les entreprises de ces pays soient automatiquement exclues des marchés bénéficiant de l'AFD ?

M. Christian Cambon, président . - Cela va éclaircir le paysage...

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Monsieur le ministre, je souhaite vous remercier pour l'intégration des femmes dans le développement. Je suis membre de cette commission depuis 2004, et j'ai plaidé pendant des années pour un « fléchage » envers les femmes. Dans tous les rapports présentés depuis des années, les femmes n'étaient même pas mentionnées. Elles sont pourtant les premiers acteurs et les premiers moteurs du développement. À ce titre, concernant le remboursement des microcrédits, la différence de taux entre les hommes et les femmes est très instructive.

Vous avez évoqué les CDL. C'est une excellente initiative d'inviter d'autres partenaires, d'autres États. Il serait important, me semble-t-il, que soient associés les représentants élus des Français de l'étranger. Beaucoup de Français, établis depuis longtemps dans ces pays, ont été exclus pendant des années de l'AFD ou de Proparco, alors qu'ils ont beaucoup de choses à apporter.

Concernant la francophonie, je souhaite évoquer l'audiovisuel extérieur, très important pour le développement de l'information sanitaire par exemple et, plus globalement, pour l'éducation et l'enseignement.

M. André Guiol . - Vous avez précisé qu'il existe des critères pour mesurer les résultats de nos actions de solidarité, dans les domaines aussi importants que l'éducation et la protection de l'environnement. Existe-t-il des indicateurs qui mesurent la manière dont la France est perçue par les populations de tous ces pays ? Je pense à la tristesse que j'ai pu ressentir en voyant des manifestations hostiles à la France durant l'épisode des caricatures, qui gomment injustement la solidarité insufflée par notre pays.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Concernant le pilotage, madame Carlotti, je ne vois pas en quoi il est compliqué. Le Président de la République est dans son rôle de réunir une fois par an les ministres directement concernés pour préciser ses orientations ; il l'a fait, par exemple, au mois de décembre, et cela a permis de débloquer beaucoup de choses. Il ne s'agit pas d'un organisme d'action, mais d'un lieu d'orientation stratégique. Le Cicid, de son côté, est le lieu de la mise en oeuvre de l'ensemble des politiques de développement, et je suis ensuite chargé de l'exécution. À côté de cela, le CNDSI et le CNCD formulent des conseils. Et enfin, il y a l'opérateur au niveau de chacun des pays concernés. Cela me paraît simple.

L'AFD est désormais tenue de répondre à un contrat d'objectifs et de moyens (COM). Dans ce contrat, je fixe 48 cibles à l'AFD - dont la question de l'égalité femmes/hommes -, qui me permettent de vérifier si, dans la globalité, l'organisme remplit bien son rôle. Je souhaite que ce contrat soit présenté aux deux assemblées. En revanche, je trouve prématurée l'idée d'une gestion décentralisée de l'AFD ; il convient d'abord de mettre en place les outils locaux.

M. Christian Cambon, président . - Monsieur le ministre, au sujet de tous ces conseils, l'important est que cela ne ralentisse pas les opérations. Au Fonds européen de développement (FED), un euro décidé l'après-midi arrive quatre ou cinq ans plus tard dans le village en question. C'est cela le sujet, et il ne s'agit pas de discuter la compétence des personnes... Inspirons-nous de la situation sanitaire pour en tirer des leçons sur le fonctionnement des administrations.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Il y a trois sujets concernant l'intervention. J'ai souhaité renforcer l'aide humanitaire et l'intervention en situation de crise ; cela va aboutir, en 2022, à 500 millions d'euros de mobilisation financière immédiate par le centre de crise du Quai d'Orsay - dont, par exemple, 50 millions d'euros pour le Nord-Ouest syrien.

Avec le développement, c'est obligatoirement plus long. Quand on lance des projets comme celui de l'Institut Pasteur à Dakar, cela suppose un certain temps ; il faut identifier les acteurs, respecter des normes, faire des études... Je souhaite que l'on accélère les procédures afin qu'un projet n'attende pas quatre ou cinq ans avant d'être mis en oeuvre ; cela vaut pour l'AFD comme pour les différents fonds, auquel vous avez fait référence, au niveau européen.

Et, pour moi, le sujet central est la phase intermédiaire, que l'on appelle également phase de stabilisation. Les acteurs du développement doivent être beaucoup plus réactifs dans cette phase qui, en général, intervient après des crises, des conflits, voire des guerres civiles. Nous avons donc décidé de mettre en place, dans ces pays, un outil d'accélération pour être au rendez-vous. Cela est valable pour l'ensemble des acteurs.

Concernant la trajectoire financière, nous avons fait une loi de programmation a posteriori. Elle a permis une mobilisation progressive des financements, qui se compte en milliards d'euros supplémentaires ; tous les acteurs du développement le reconnaissent.

Dans les pays les moins avancés parmi les 19 prioritaires, nous avons engagé 1 milliard d'euros supplémentaires en 2019 par rapport aux trois années précédentes. En faisant la comparaison au sein de l'ensemble de l'aide publique au développement, certains pourcentages, même en progression, ne sont pas satisfaisants. Mais, dans cette aide, il faut compter l'écolage des étudiants chinois, d'autres dimensions encore...

M. Christian Cambon, président . - De tous les pays destinataires, la Turquie était en tête en 2019...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Il y avait des raisons à cela. Par exemple, le financement des fonds permettant de soutenir les réfugiés - qui sont en Turquie - rentre dans ce budget. Nous devons clarifier ces chiffres, identifier ce qui relève directement de l'APD.

Monsieur Folliot, la francophonie est essentielle. Dans le projet de loi, il est rappelé, avec le contrat de partenariat, l'importance de la francophonie. Sur les 19 pays prioritaires, la grande majorité est francophone. Les fonds affectés dans les pays francophones pour le développement de l'éducation contribuent indirectement au développement de la francophonie. Il est essentiel de se battre pour la langue française ; c'est un élément d'influence considérable. Cette année, si la situation sanitaire et politique le permet, un sommet de la francophonie se tiendra en Tunisie.

Une des conséquences de ces orientations, c'est de revaloriser la filière développement au Quai d'Orsay. Je souhaite qu'elle soit mieux prise en compte et considérée, par les agents, comme une filière noble.

Cela implique que l'on renforce la formation des conseillers de coopération et d'action culturelle (Cocac) dans les postes. Il faut valoriser l'action de développement de notre pays et faire en sorte qu'elle soit conçue comme un élément de la diplomatie française. Auparavant, il n'avait jamais été dit que la politique de développement était un élément de la politique étrangère. Au reste, cette évolution peut présenter des inconvénients : elle implique une direction. La bataille d'influence est permanente.

M. Le Nay m'a interrogé sur la concurrence. Oui, nous sommes trop timides. Nous ne sommes pas assez visibles. Ce n'est pas parce que l'on met quelques milliers de vaccins sur un tarmac en Afrique que l'on règle la question vaccinale africaine ! Cette question se réglera par l'initiative Covax, qui permettra de mobiliser 2 milliards de doses d'ici à la fin de l'année et de diffuser les vaccins dans les pays concernés - 100 pays en ont d'ores et déjà bénéficié. Il est indispensable de considérer que l'immunité sera globale ou ne sera pas.

À cet égard, donner l'illusion que les vaccins Sinopharm ou Spoutnik régleront la question vaccinale dans ces pays est une opération de propagande. C'est par une politique d'échantillons que certains mènent leur politique d'influence. Ce n'est pas notre manière de faire. Cela dit, nous ne savons sans doute pas communiquer suffisamment sur notre présence... L'ensemble de l'aide au développement souffre d'un problème de lisibilité globale, y compris au plan européen. Nous devons, sur ce plan, agir bien davantage.

Monsieur Yung, il est indispensable que nous puissions répondre à la demande d'un pays par une offre globale, associant une offre de prêt, une offre de don et une offre d'expertise, comme le font les acteurs dont a parlé Jacques Le Nay. C'est ce qui explique qu'Expertise France rejoigne le groupe AFD. Cependant, ce ne sera pas une filiale de l'AFD comme peut l'être Proparco, qui travaille avec les entreprises privées. Nous voulons qu'Expertise France garde une forme d'autonomie, de manière que l'on puisse lui passer des commandes directes sans passer automatiquement par l'AFD. Le dispositif proposé permet l'autonomie d'Expertise France dans le champ d'action de l'AFD, ce qui permettra de répondre très rapidement à des demandes ou d'identifier les projets réalisables en apportant la garantie technique nécessaire. C'est ce que nous faisons déjà, mais nous le ferons plus efficacement avec Expertise France.

J'ajoute que nous avons décidé de doubler le nombre d'experts techniques internationaux, qui sont aujourd'hui au nombre de 140, pour être en mesure de répondre à une demande immédiate entraînant la mobilisation de l'AFD. C'est une bonne manière de répondre à la pénétration d'autres acteurs, en particulier sur le territoire africain.

Monsieur Cadic, il y a dans le texte un dispositif qui consacre un devoir de vigilance des entreprises et de leurs filiales à l'égard d'acteurs qui ne respecteraient pas les principes fondamentaux des droits humains. Cette conditionnalité est prise en compte dans les orientations de notre politique de développement, en particulier pour éviter que des entreprises qui ne respectent pas ces principes fondamentaux ne puissent bénéficier de prêts que nous aurions consentis à des pays. Ce point est très important. Le fait qu'il y ait désormais un comité ad hoc par site autour des ambassadeurs, associant non seulement le responsable de l'AFD, le Cocac, mais aussi le responsable des services économiques, permettra aussi d'être vigilant sur cette question.

Madame Garriaud-Maylam, nous avons pris en considération les femmes dans le texte. Les enfants ont également fait l'objet d'une attention particulière.

La présence des conseillers des Français de l'étranger est prévue au sein du conseil local du développement.

Je n'ai pas bien compris la question de M. Guiol.

M. André Guiol . - Nous avons vu, lors de l'affaire des caricatures, que la perception de notre pays tranchait avec son action de solidarité. Les populations sont-elles conscientes ce que nous faisons ? Pouvons-nous mesurer leur « taux de satisfaction » ? La France touche-t-elle des dividendes de son action ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre . - Cela dépasse largement la question du développement. Nous avons un combat permanent à mener face à des acteurs très spécialisés, en particulier en Afrique, qui utilisent des fake news ou les réseaux sociaux pour détruire notre image. Nous avons mis en place des dispositifs de contre-influence, notamment sur les réseaux sociaux, pour éviter ces dérives. Certains affirment que les anciens colonialistes ne peuvent prétendre à être les acteurs du développement d'aujourd'hui. Un certain nombre de puissances qui veulent s'installer dans les pays où nous avons de l'influence reprennent parfois ce refrain.

Comme je l'ai affirmé tout à l'heure, l'influence est un outil de puissance, mais le développement est aussi un outil de développement des valeurs. Nous sommes aujourd'hui confrontés à une conflictualité des modèles dans le monde entier.

M. Christian Cambon, président . - Je vous remercie, monsieur le ministre, de l'ensemble de ces précisions.

Le travail n'est pas terminé. Nous essaierons de faire en sorte que la commission mixte paritaire soit conclusive, mais le débat sera important.

Le décrochage entre l'action militaire au Sahel et l'action de développement, qu'a évoqué Marie-Arlette Carlotti, a été confirmé dans le bureau du président du Sénat au début de la semaine par le chef d'état-major des armées. Il faut progresser sur ce plan. Je pense que nous évoquerons ce point dans la discussion. Vous devez peser de tout votre poids pour le faire comprendre. On aura beau positionner 50 000 soldats au Sahel, si l'on ne mène pas, en parallèle, des actions de développement en faveur des trois priorités que nous avons évoquées - nourrir, soigner, former -, la situation ne changera pas.

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