EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Par sa géographie, son histoire, ses institutions, la Polynésie française occupe une place singulière parmi les territoires de notre pays.

Composée de 118 îles dispersées dans l'Océan Pacifique sur une superficie de 2 500 000 kilomètres carrés, équivalente à celle de l'Europe, la Polynésie française est, parmi les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution, celle qui dispose du plus haut degré d'autonomie. Définie par son statut organique comme un « pays d'outre-mer au sein de la République », elle exerce de larges compétences ailleurs dévolues à l'État, et ses institutions s'apparentent à celles d'un régime parlementaire.

L'histoire récente de la Polynésie française a également été marquée par les trente années d'expérimentations nucléaires menées par l'État dans les atolls de Mururoa et Fangataufa, qui ont permis à la France de se doter d'une force de dissuasion nucléaire. La Polynésie française a ainsi apporté une contribution exceptionnelle à la défense de la Nation et au maintien de son indépendance stratégique. Le territoire et ses habitants y ont payé un lourd tribut : les dommages sanitaires et environnementaux causés par les essais nucléaires menés en Polynésie française, longtemps minimisés, ont enfin été reconnus par les autorités de la République, et des progrès sensibles ont été faits au cours des dernières années pour qu'ils fassent l'objet d'une juste réparation. L'État s'efforce également d'accompagner l'économie polynésienne dans sa nécessaire reconversion à la suite de la fermeture des sites d'expérimentation.

Le projet de loi organique n° 198 (2018-2019) portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française dont le Sénat est saisi en première lecture, et qui s'accompagne d'un projet de loi ordinaire n° 198 (2018-2019) portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française , a d'abord pour objet d'exprimer solennellement la reconnaissance de la République à l'égard de la Polynésie française pour sa contribution à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire française, et de consacrer les engagements pris par l'État pour en assumer toutes les conséquences.

Ces deux textes visent aussi à moderniser le statut de la Polynésie française et la législation applicable sur son territoire, afin de faciliter l'exercice de leurs compétences par le pays et les communes polynésiennes et de garantir leur stabilité institutionnelle. Cet ensemble de mesures ne constitue certes pas une révolution, mais bel et bien une série d'ajustements nécessaires à la bonne marche des administrations locales, au service de nos concitoyens polynésiens.

Votre commission, qui appelait de ses voeux depuis plusieurs années une semblable mise à jour statutaire, a donc accueilli favorablement les projets de loi organique et ordinaire, qu'elle s'est efforcée d'améliorer et de compléter, en réponse notamment aux demandes formulées par les autorités polynésiennes, avec lesquelles le dialogue est resté constant.

Dans leur ensemble, les deux textes adoptés par votre commission sont à la fois consensuels et porteurs de véritables avancées pour la Polynésie française et ses habitants. Votre rapporteur salue le sens de l'écoute et l'esprit de responsabilité dont ont fait preuve l'ensemble de ses interlocuteurs, au sein des institutions polynésiennes comme du ministère des outre-mer, et qui ont permis de parvenir à ce résultat.

I. LA POLYNÉSIE FRANÇAISE, UN PAYS D'OUTRE-MER AU SEIN DE LA RÉPUBLIQUE

A. RAPPELS HISTORIQUES

Les archipels polynésiens et la métropole partagent une histoire commune de plusieurs siècles 1 ( * ) .

Après les premières visites de navigateurs européens au XVI e siècle, la découverte des archipels polynésiens par les Européens eut lieu principalement dans la seconde moitié du XVIII e siècle : Samuel Wallis débarqua à Tahiti en 1767, suivi par Louis-Antoine de Bougainville en 1768. Le capitaine James Cook visita Tahiti à trois reprises de 1769 à 1777, ainsi que les îles Sous-le-Vent, les Marquises et les Australes.

La prise de possession de la Polynésie par la France débuta en 1791, aux îles Marquises, où l'amiral Marchand s'opposa avec succès, au nom du roi de France, aux initiatives britanniques. La lutte d'influence des missionnaires protestants pro-anglais et catholiques pro-français fut plus rude à Tahiti. La France s'imposa finalement à Tahiti en 1842, avec l'établissement d'un protectorat qui comprenait les îles du Vent et une partie des îles Tuamotu et des îles Australes. La reine Pomare IV, aux sentiments plutôt anglophiles, signa sans grand enthousiasme ce traité 2 ( * ) , tandis que son successeur à compter de 1877, Pomare V, mieux disposé à l'égard des Français, permit la ratification du traité d'annexion le 30 décembre 1880. Les îles Sous-le-Vent et les îles Australes furent définitivement annexées entre la fin du XIX e et le début du XX e siècle. La royauté tahitienne étant révolue, l'ensemble de ces archipels constituait alors les Établissements français de l'Océanie.

La Polynésie française resta éloignée du théâtre des opérations de la Première Guerre mondiale, à l'exception de Papeete qui fut bombardée par la marine allemande le 22 septembre 1914. Elle se rallia, lors de la Seconde Guerre mondiale, à la France Libre, avec l'envoi des volontaires du Bataillon du Pacifique.

Après la Libération du territoire métropolitain, et conformément aux orientations de la Conférence de Brazzaville de 1944, il fut officiellement mis fin au régime colonial dans les territoires français ultramarins. Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 déclarant notamment que « La France forme avec les peuples d'outre-mer une Union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion », les Établissements français de l'Océanie devinrent un territoire d'outre-mer , régi par le principe de spécialité législative et doté d'un statut particulier tenant compte de ses intérêts propres dans la République. Le territoire fut doté par la loi n° 46-2152 du 7 octobre 1946 d'une assemblée représentative chargée de délibérer sur le budget du territoire 3 ( * ) .

Le décret n° 57-812 du 22 juillet 1957, pris en application de la loi-cadre « Deferre », élargit les pouvoirs de l'assemblée territoriale et la chargea de désigner un gouvernement 4 ( * ) . Au motif de l'instabilité politique, l'ordonnance n° 58-1337 du 23 décembre 1958 restitua la maîtrise de l'exécutif local au représentant de l'État 5 ( * ) .

Il fallut donc attendre la loi n° 77-772 du 12 juillet 1977 pour que la Polynésie française se vît doter d'un statut consacrant un certain degré d'autonomie . L'assemblée territoriale recevait une compétence de droit commun, les attributions du conseil de gouvernement étaient renforcées alors que celles de l'État, limitativement énumérées, se trouvaient réduites à due concurrence. Le haut-commissaire, représentant de l'État sur le territoire, restait cependant le chef de l'exécutif du territoire.

Depuis lors, le statut de la Polynésie française a connu une évolution constante dans le sens d'une d'autonomie accrue en 1984 6 ( * ) , en 1996 7 ( * ) puis en 2004, date de l'adoption du statut actuel.


* 1 Le peuplement initial de la Polynésie française serait originaire d'Asie du Sud-Est et remonterait à 6 000 ans.

* 2 Des traités de protectorat comparables furent signés avec les rois des îles Marquises et des îles Gambier.

* 3 Loi n° 46-2152 du 7 octobre 1946 relative aux assemblées locales dans les territoires d'outre-mer .

* 4 Décret n° 57-812 du 22 juillet 1957 portant institution d'un conseil de gouvernement et extension des attributions de l'assemblée territoriale dans les établissements français de l'Océanie , pris en application de la loi n° 56-619 du 23 juin 1956 autorisant le gouvernement à mettre en oeuvre les réformes et à prendre les mesures propres à assurer l'évolution des territoires relevant du ministère de la France d'outre-mer .

* 5 Ordonnance n° 58-1337 du 23 décembre 1958 relative au conseil de gouvernement et à l'assemblée de la Polynésie française .

* 6 Loi n° 84-820 du 6 septembre 1984 portant statut du territoire de la Polynésie française .

* 7 Loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française . Depuis la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, le statut des territoires d'outre-mer devait être défini par une loi organique.

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