EXAMEN DES ARTICLES

TITRE IER -
DISPOSITIONS RENFORÇANT LA PROTECTION DES MINEURS CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES

CHAPITRE IER A (NOUVEAU) - DISPOSITIONS RELATIVES AUX ORIENTATIONS DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES

Article 1er A (nouveau) -
Approbation des orientations de la politique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes présentées dans le rapport annexé au projet de loi

Introduit par votre commission, par l'adoption d'un amendement COM-55 de votre rapporteur, l'article 1 er A du projet de loi tend à approuver les orientations de la politique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, figurant dans un rapport annexé.

Ce rapport annexé, qui s'inspire largement du rapport adopté par le Sénat dans le cadre de l'examen de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles n° 293 (2017-2018), présente la stratégie globale de lutte contre les violences sexuelles et sexistes , les moyens à mobiliser et les pratiques administratives à réformer.

Il mentionne en particulier les réformes qui ne relèvent pas de l'intervention du législateur , par exemple le renforcement de la politique de sensibilisation aux violences sexuelles , la création d'outils formalisés et de protocoles pour aider les professionnels à détecter et à signaler les situations de maltraitance , l'affirmation du droit à voir sa plainte enregistrée à tout moment, la généralisation des psychologues et des assistantes sociales dans les unités de police ou de gendarmerie, le renforcement significatif des moyens des juridictions, ou encore la création d'une offre institutionnelle de parcours de résilience pour les victimes d'infractions sexuelles.

Votre commission a également adopté un sous-amendement COM-76 de notre collègue François-Noël Buffet afin d'encourager les recherches scientifiques sur les psycho-traumatismes et les mécanismes mémoriels consécutifs à un fait traumatique.

Votre commission a adopté l'article 1 er A ainsi rédigé .

CHAPITRE IER - DISPOSITIONS RELATIVES À LA PRESCRIPTION

Article 1er
(art. 7 et 9-1 du code de procédure pénale ; art. 434-3 du code pénal)
Allongement du délai de prescription de l'action publique
de certains crimes commis à l'encontre des mineurs

L'article 1 er du projet de loi vise à allonger le délai de prescription de l'action publique de certains crimes, lorsqu'ils sont commis à l'encontre de mineurs.

Initialement limité aux crimes sexuels et violents mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale, cet allongement a été étendu, lors de l'examen du projet de loi en première lecture par l'Assemblée nationale, aux crimes de meurtre et d'assassinat.

• Un régime dérogatoire de prescription de l'action publique pour les crimes commis à l'encontre des mineurs

Les crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs se prescrivent par vingt ans à compter de la majorité de la victime.

Ce report du point de départ de la prescription à la majorité de la victime, également applicable à certains délits, est destiné à prendre en compte la particulière vulnérabilité des mineurs victimes de violences sexuelles et les difficultés, voire l'impossibilité, rencontrées par la victime pour dénoncer les faits commis sur sa personne. Le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter de la majorité des victimes : ces dernières peuvent ainsi engager l'action publique jusqu'à leur 38 ans.

Les modifications du régime de prescription des crimes commis sur les mineurs

La prescription de l'action publique des crimes commis sur les mineurs a été modifiée une première fois en 1989 24 ( * ) afin de reporter le point de départ du délai de prescription au jour de la majorité des victimes lorsque les crimes étaient commis par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime.

En 1995 25 ( * ) , le point de départ du délai de prescription des délits commis sur une victime mineure par un ascendant a été reporté à la majorité de la victime.

Puis, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs a reporté à la majorité de la victime le point de départ du délai de prescription de tous les crimes commis à l'encontre des mineurs.

En 2003 26 ( * ) , puis en 2004 27 ( * ) , la liste des délits commis à l'encontre des mineurs concernés par le délai de prescription dérogatoire de 10 ans a été élargie. Le délai de prescription de certains délits a ensuite été fixé à vingt ans par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

• L'allongement des délais de prescription de l'action publique prévu par l'article 1 er du projet de loi

Depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale , le délai de droit commun de prescription de l'action publique en matière criminelle est désormais de vingt ans. Il n'y a donc plus de délai de prescription spécifique pour les crimes sexuels et violents commis à l'encontre des mineurs définis à l'article 706-47 du code de procédure pénale.

Afin de rétablir une distinction pour ces crimes justifiée par le traumatisme qu'elles ont subi pendant leur minorité, l'article 1 er du projet de loi tend à allonger à trente ans le délai de prescription de l'action publique applicable aux crimes sexuels et violents commis à l'encontre des mineurs, mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale.

Ce délai de prescription serait identique à celui prévu pour les crimes de guerre, d'eugénisme, de clonage reproductif, de disparition forcée, de trafic de stupéfiants, de nature terroriste, ou encore ceux relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive.

Lors de l'examen du projet de loi, l'Assemblée nationale a adopté, en séance publique, un amendement de notre collègue députée et rapporteure, Alexandra Louis, visant à appliquer l'allongement de ce délai de prescription à tous les crimes de meurtre et d'assassinat, y compris lorsqu'ils ne sont pas précédés ou accompagnés d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ou lorsqu'ils ne sont pas commis en état de récidive légale 28 ( * ) .

• La position de votre commission : accepter l'allongement du délai de prescription tout en soulignant la faible portée de cette disposition

Votre rapporteur ne surestime pas les effets de cet allongement à trente ans du délai de prescription de l'action publique applicable aux crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs : en raison de la très grande difficulté qui existe à prouver des faits commis plusieurs décennies avant le début d'une enquête, il n'est pas certain que l'allongement du délai de prescription soit de nature à augmenter les condamnations en matière de crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs.

Néanmoins, votre rapporteur a pu constater les très grandes difficultés rencontrées par les victimes pour dénoncer les violences sexuelles subies 29 ( * ) , qui peuvent justifier un allongement du délai de prescription. De plus, elle estime que l'allongement de vingt à trente ans du délai de prescription de l'action publique pour les faits de viol commis à l'encontre des mineurs est une exigence symbolique pour les victimes. Tout en approuvant cette évolution, elle incite néanmoins le Gouvernement à ne pas se satisfaire de cette mesure mais de l'accompagner par une campagne de sensibilisation auprès des victimes et de leurs proches sur la nécessité de signaler ces faits à la justice le plus tôt possible et sur l'obligation pour les institutions policières, judiciaires mais également médicales de mieux recueillir la parole des victimes.

En revanche, votre rapporteur s'est interrogée sur la pertinence de l'allongement à 30 ans du délai de prescription de l'action publique pour les crimes de meurtre et d'assassinat .

Une telle disposition aurait à nouveau pour effet d'effacer la spécificité des crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs.

De surcroît, contrairement aux crimes sexuels, aucun phénomène particulier n'empêche la dénonciation de ces infractions qui sont, très majoritairement, révélés très rapidement après les faits dans des conditions permettant la mise en mouvement de l'action publique.

Enfin, cet allongement de la prescription pour les crimes de meurtre pourrait avoir un effet contre-productif sur la célérité des enquêtes : en effet, la prescription a pour fonction de sanctionner « la négligence » des autorités de poursuite, traduisant ainsi le droit à être jugé dans un délai raisonnable. Or chaque acte d'enquête est « interruptif de la prescription », c'est-à-dire que chaque acte efface le délai de prescription écoulé et fait courir un nouveau délai identique au délai initial. En allongeant à trente ans le délai de prescription, un seul acte d'enquête ou d'instruction réalisé tous les 30 ans suffirait à maintenir la possibilité d'une mise en mouvement de l'action publique. Par l'adoption de l' amendement COM-56 de votre rapporteur, votre commission a considéré que, pour des faits révélés à la justice généralement très rapidement, une telle disposition présentait davantage d'effets négatifs que d'intérêt et l'a, en conséquence, supprimée .

Par le même amendement, votre commission est également revenue sur certaines modifications apportées par l'Assemblée nationale. En effet, il ne paraît pas opportun de déplacer de l'article 9-1 vers l'article 7 du code de procédure pénale les dispositions selon lesquelles le délai de prescription de l'action publique du crime de clonage reproductif, prévu à l'article 214-2 du code pénal, court à compter de la majorité de l'enfant né du clonage car l'article 7 du code de procédure pénale traite de la durée du délai de prescription pour les crimes alors que l'article 9-1 rassemble les dispositions concernant les points de départs dérogatoires des délais de prescription.

Enfin, votre commission a également souhaité modifier le régime de prescription de l'infraction de non-dénonciation des agressions et atteintes sexuelles commises à l'encontre des mineurs afin de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où la situation illicite prend fin.

Ainsi la prescription ne court pas tant que la personne elle-même n'a pas dénoncé les faits, par exemple d'agressions sexuelles, aux autorités administratives ou judiciaires (voir schéma ci-dessous).

Si la personne dénonce les faits dont elle a connaissance, ce qui constitue une cause exonératoire de responsabilité, l'infraction cesse d'exister et elle n'encourt aucune sanction.

En revanche, tant qu'elle n'a pas dénoncée les faits visés aux autorités, la personne est susceptible de poursuites.

En conséquence, un tel régime constitue une incitation forte à dénoncer les faits de mauvais traitements et d'atteintes sexuelles sur mineurs .

Personne ayant dénoncé les faits de mauvais traitements dont elle avait connaissance

Personne n'ayant pas dénoncé les faits de mauvais traitements
dont elle avait connaissance

Infraction instantanée et infraction continue

Les règles de détermination du point de départ du délai de prescription d'une infraction dépendent de son caractère : la prescription d'une infraction instantanée commence à courir au jour de la commission des faits alors que la prescription d'une infraction continue commence à courir à partir du jour où l'infraction a cessé, où l'état délictueux a pris fin dans ses actes constitutifs et dans ses effets.

Selon la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, une infraction continue se caractérise par la prolongation des effets de l'infraction dans le temps, par un « renouvellement constant de la volonté de leur auteur ». Les délits de recel, de défaut de permis de construire ou de participation à une association de malfaiteurs sont des infractions continues 30 ( * ) .

D'autres infractions d'omission sont considérées par la jurisprudence comme des infractions continues : c'est notamment le cas pour le délit d'altération de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité 31 ( * ) (article 434-3 du code pénal), qui constitue comme le délit de non-dénonciation une infraction d'entrave à la saisine de la justice (section 1 du chapitre IV du titre III du livre IV du code pénal).

Votre commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié .

Article 1er bis (nouveau) (art. 706-48 du code de procédure pénale) - Expertise médico-psychologique pour apprécier l'existence d'un obstacle de fait insurmontable

Introduit par votre commission, par l'adoption de trois amendements identiques COM-17, COM-22 et COM-25 de nos collègues Annick Billon, François-Noel Buffet, Françoise Laborde, l'article 1 er bis du projet de loi a pour objet de faciliter la constatation d'un « obstacle de fait insurmontable » qui a pour effet de suspendre le cours de la prescription de l'action publique en matière pénale.

Depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, l'article 9-3 du code de procédure pénale dispose que la prescription de l'action publique est suspendue par « tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique ». Cette disposition consacre ainsi explicitement l'adage civiliste « contra non valentem agere non currit praescriptio 32 ( * ) », selon lequel la prescription ne peut courir contre celui qui ne peut valablement agir 33 ( * ) . La suspension a pour effet d'arrêter temporairement le cours du délai de prescription , qui reprend dès lors que disparaît l'obstacle qui s'y opposait.

Il est possible d'envisager que certaines maladies ou symptômes puissent, sur ce fondement, être considérés comme des obstacles de fait qui empêchent manifestement la victime de révéler les faits à la justice.

Afin de faciliter l'application de l'article 9-3, l'article 1 er bis du projet de loi vise à compléter l'article 706-48 du code de procédure pénale, qui prévoit actuellement la possibilité d'une expertise médico-psychologique pour apprécier la nature et l'importance du préjudice subi par les mineurs victimes d'une infraction mentionnée à l'article 706-47 du code de procédure pénale, afin de permettre aux juridictions d'ordonner une telle expertise pour apprécier, non un préjudice, mais l'existence éventuelle d'un « obstacle de fait insurmontable » ayant pour conséquence la suspension du délai de prescription de l'action publique en matière pénale.

Votre commission a adopté l'article 1 er bis ainsi rédigé .


* 24 Loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance.

* 25 Loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social.

* 26 Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

* 27 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 28 Seules ces hypothèses de meurtre et d'assassinat sont mentionnées à l'article 706-47 du code de procédure pénale.

* 29 Sur ce point, votre rapporteur renvoie au rapport d'information précité page 64.

* 30 Cass. crim. 16 juillet 1964, n/ 63-91.919, bull. crim., 241; Cass. crim., 6 octobre 1987, n/ 86-96.174, bull. crim., 340 ; Cass. crim., 16 octobre 1979, n/ 79-90-762, bull. crim., 285.

* 31 Cass, crim., 17 décembre 2002, Bull. crim. n° 223.

* 32 Ce principe se traduisait partiellement dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui admettait depuis longtemps des obstacles de droit, mais qui n'a admis l'existence d'un obstacle de fait qu'en 2014 (Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 novembre 2014, n° 14-83.739).

* 33 Traduit par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l'article 2234 du code civil prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement relevant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

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