EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des lois, à l'initiative de son rapporteur, a voulu examiner le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations 1 ( * ) dans un esprit de responsabilité , dès lors que l'ordonnance est entrée en vigueur le 1 er octobre 2016, il y a plus d'un an.

Les praticiens, juristes d'entreprise, rédacteurs de contrats, notaires, avocats et autres professionnels du droit, mais aussi les magistrats et juges consulaires, se forment et doivent s'approprier cette ample réforme, même si elle n'a encore donné lieu à aucune décision juridictionnelle connue, selon les informations mentionnées à votre rapporteur. Cet effort d'appropriation doit être respecté, de sorte que votre rapporteur n'a pas entendu proposer de procéder à la « réforme de la réforme » , quels que soient les critiques ou les regrets que cette réforme peut susciter, à juste titre - ne serait-ce qu'avec la disparition de la cause 2 ( * ) , largement dénoncée au Liban ou en Amérique latine, dont le droit civil est souvent inspiré du droit français...

Cette attitude signifie que votre commission n'a procédé qu'avec précaution à des modifications des dispositions du code civil issues de l'ordonnance , lorsque cela lui paraissait indispensable pour assurer la clarté, la cohérence et la lisibilité du droit applicable ainsi que pour renforcer l'attractivité de notre droit civil sur la scène internationale, en corrigeant des malfaçons et des imperfections objectives, sans revenir sur les choix opérés au stade de la rédaction de l'ordonnance par le Gouvernement.

Votre rapporteur tient cependant à rappeler que le Sénat tout entier s'était opposé à ce que la réforme fondamentale du droit des contrats fût réalisée par ordonnance , en raison de son impact étendu à toute la société, entreprises comme particuliers, nonobstant son caractère prétendument technique . L'attitude responsable de votre commission - laquelle persiste à considérer que le recours à une ordonnance était un mauvais choix - mérite d'autant plus d'être soulignée. À cet égard, votre rapporteur estime qu'il n'est pas satisfaisant de devoir ratifier l'ordonnance plus d'un an après son entrée en vigueur , d'autant que presque huit mois s'étaient déjà écoulés auparavant depuis sa publication, au cours desquels la ratification aurait pu être demandée au Parlement.

Dans le cadre de ses auditions, votre rapporteur a souhaité entendre largement l'opinion de la doctrine, qui s'est abondamment exprimée depuis la publication de l'ordonnance en février 2016.

Au-delà de ses auditions, votre rapporteur a souhaité solliciter l'avis éclairé des praticiens, en consultant par écrit l'ensemble des présidents des tribunaux de grande instance et présidents des tribunaux de commerce, des bâtonniers, des présidents des chambres départementales des notaires et des huissiers de justice et des présidents des conseils régionaux de l'ordre des experts-comptables. Il a reçu 62 contributions écrites, la plupart concluant à ce que la réforme restait trop récente pour soulever des difficultés notables d'application.

En tout état de cause, au-delà de l'effort d'une meilleure lisibilité du droit et des clarifications qui seront apportées au stade de la ratification de l'ordonnance, la réforme du droit des contrats a inévitablement ouvert une longue phase d'incertitude, pour au moins dix ans, dans l'attente de la formation d'une jurisprudence permettant d'en connaître plus clairement les modalités d'application.

Une fois l'ordonnance portant réforme du droit des contrats ratifiée, votre commission attendra du Gouvernement qu'il présente rapidement un projet de loi portant réforme du droit de la responsabilité civile , elle aussi attendue depuis longtemps et pour laquelle un avant-projet a été soumis à consultation publique par le ministère de la justice en avril 2016 et un projet rendu public en mars 2017 3 ( * ) .

I. L'OPPOSITION DU SÉNAT À RÉFORMER PAR ORDONNANCE LE DROIT DES CONTRATS

L'ordonnance dont le présent projet de loi propose la ratification, sans modification, a été prise sur le fondement de l'habilitation accordée par l'article 8 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, rappelée dans l'encadré ci-après. Ce texte avait été examiné en 2014 et 2015 par votre commission, sur le rapport de notre collègue Thani Mohamed Soilihi 4 ( * ) . L'habilitation concernait près de 300 articles, constituant ainsi la réforme la plus ambitieuse du code civil, par son volume, depuis 1804 .

Article 8 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015
relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures
dans les domaines de la justice et des affaires intérieures
(habilitation du Gouvernement à réformer le droit des contrats par ordonnance)

Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil, afin de moderniser, de simplifier, d'améliorer la lisibilité, de renforcer l'accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la norme et, à cette fin :

1° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle ; énumérer et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives au processus de conclusion du contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les dispositions applicables en matière de négociation, d'offre et d'acceptation de contrat, notamment s'agissant de sa date et du lieu de sa formation, de promesse de contrat et de pacte de préférence ;

2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir d'information et la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le comportement d'une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l'autre ;

3° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions, en indiquant les principales règles applicables à la forme du contrat ;

4° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité et de forme du contrat ;

5° Clarifier les dispositions relatives à l'interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres aux contrats d'adhésion ;

6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l'égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d'adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ;

7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ;

8° Regrouper les règles applicables à l'inexécution du contrat et introduire la possibilité d'une résolution unilatérale par notification ;

9° Moderniser les règles applicables à la gestion d'affaires et au paiement de l'indu et consacrer la notion d'enrichissement sans cause ;

10° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en particulier celles relatives aux différentes modalités de l'obligation, en distinguant les obligations conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ; adapter les règles du paiement et expliciter les règles applicables aux autres formes d'extinction de l'obligation résultant de la remise de dette, de la compensation et de la confusion ;

11° Regrouper l'ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d'obligation ; consacrer, dans les principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ; moderniser les règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la cession de dette et la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en cas d'anéantissement du contrat ;

12° Clarifier et simplifier l'ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en conséquence, énoncer d'abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l'autorité de chose jugée, aux conventions sur la preuve et à l'admission de la preuve ; préciser, ensuite, les conditions d'admissibilité des modes de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler, enfin, les régimes applicables aux différents modes de preuve ;

13° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d'assurer la mise en oeuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° à 12°.

A. L'OPPOSITION RÉSOLUE DU SÉNAT TOUT ENTIER À LA MÉTHODE DES ORDONNANCES

En première lecture de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 précitée, soumise en premier lieu au Sénat par le Gouvernement, votre commission unanime, suivie par le Sénat tout entier, avait estimé qu'une réforme d'une telle ampleur de notre droit civil était trop fondamentale pour être conduite par ordonnance et devait être examinée par le Parlement. Ce seul désaccord a conduit à l'échec de la commission mixte paritaire réunie sur ce projet de loi, le Sénat réitérant sa position en nouvelle lecture, après le renouvellement sénatorial de septembre 2014.

Votre commission s'était opposée à la méthode retenue pour réaliser la réforme, sans aucunement contester la nécessité de cette dernière, qu'elle avait au contraire elle aussi soulignée. Votre rapporteur renvoie au rapport de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, qui défendit avec clarté le principe selon lequel « une réforme du droit civil de cette ampleur doit être soumise au Parlement », avec nombre d'arguments à l'appui 5 ( * ) . Notre assemblée en fit une « question de principe », comme l'indique ce rapport.

Saisi de ce seul grief, le Conseil constitutionnel ne contesta pas qu'il pût être procédé à la réforme du droit des contrats par ordonnance, dès lors que l'habilitation ne méconnaissait pas les exigences qui résultaient de l'article 38 de la Constitution 6 ( * ) .

La loi d'habilitation fut promulguée le 16 février 2015 et, dès le 25 février, un avant-projet d'ordonnance fut soumis par le ministère de la justice à la consultation publique 7 ( * ) . Le délai d'habilitation était fixé à douze mois, de sorte que l'ordonnance fut délibérée en conseil des ministres et signée par le Président de la République le 10 février 2016, puis publiée au Journal officiel le lendemain. Le délai prévu pour l'habilitation a donc été respecté et, de même, le projet de loi de ratification a été déposé dans le délai de six mois prévu par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 précitée 8 ( * ) .

Pour anticiper et préparer la ratification de cette ordonnance, votre commission a désigné son rapporteur très tôt, lors de sa réunion du 2 mars 2016, dans les jours suivant la publication de l'ordonnance au Journal officiel .


* 1 Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 6 juillet 2016, ce projet de loi en a été retiré par le Gouvernement le 9 juin 2017 pour être déposé le même jour sur le Bureau du Sénat.

* 2 Si la cause a disparu, les articles 1128 et 1162 du code civil en conservent les éléments distinctifs, en précisant que la validité du contrat est subordonnée à un « contenu licite et certain » et que le contrat « ne peut déroger à l'ordre public (...) par son but ».

* 3 Ces textes sont consultables à l'adresse suivante :

http://www.textes.justice.gouv.fr/textes-soumis-a-concertation-10179/projet-de-reforme-du-droit-de-la-responsabilite-civile-29782.html

* 4 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/l13-288/l13-288.html

* 5 Par exemple, le fait que cette façon de procéder avait pour effet de dissocier la réforme du droit des contrats de celle de la responsabilité contractuelle, examinée dans le cadre de la réforme ultérieure du droit de la responsabilité civile, ou qu'elle nécessitait en réalité plus de temps qu'un projet de loi ordinaire, pour une réforme présentée comme urgente.

* 6 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-710 DC du 12 février 2015, loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

* 7 Cet avant-projet est consultable à l'adresse suivante :

http://www.textes.justice.gouv.fr/textes-soumis-a-concertation-10179/reforme-du-droit-des-contrats-27897.html

* 8 Le projet de loi a d'abord été déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 6 juillet 2016.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page