B. UNE VOLONTE LOUABLE DE LIBÉRER LES ÉNERGIES DANS NOS ENTREPRISES MAIS QUI PÂTIT D'UN CALENDRIER GOUVERNEMENTAL À CONTRETEMPS ET D'UN MANQUE DE CONCERTATION DES PARTENAIRES SOCIAUX

1. Une volonté louable du Gouvernement de libérer les énergies dans les entreprises

Vos rapporteurs constatent avec satisfaction que le projet de loi s'inscrit dans la continuité des réformes menées par la précédente majorité.

L'idée même d'une refondation du code du travail, prévue à l'article 1 er , trouve ses sources dans sa recodification opérée en 2007 13 ( * ) . Cette dernière, certes à droit constant, avait montré la nécessité de simplifier des normes qui s'empilaient depuis plusieurs années sans cohérence, au détriment des salariés comme des employeurs.

Le primat des accords d'entreprise en matière de durée du travail, prévu à l'article 2, poursuit une dynamique initiée par la loi du 4 mai 2004 14 ( * ) , qui les autorisent à déroger à l'accord de branche , sauf dans quatre domaines spécifiques ou si ce dernier en stipule autrement. En outre, depuis la loi du 20 août 2008 15 ( * ) , l'accord d'entreprise prime sur l'accord de branche en matière de durée du travail, qu'il s'agisse de la fixation du contingent d'heures supplémentaires, du recours aux conventions de forfait ou encore de la modulation des horaires sur l'année.

Enfin, les accords de préservation ou de développement de l'emploi prévus à l'article 11, à l'instar des accords de maintien de l'emploi créés par la loi du 14 juin 2013 précitée, sont inspirés des accords de compétitivité que la précédente majorité avait cherché à initier sur le modèle allemand.

2. Un calendrier de réformes à contretemps

La méthode et le calendrier suivis par le Gouvernement sont pour le moins sujets à caution.

Tout d'abord, cette réforme intervient tardivement, après quatre années d'exercice du pouvoir qui ont altéré la confiance de nos concitoyens sur la capacité du Gouvernement à inverser la courbe du chômage et à relancer la croissance économique.

Ensuite, une telle réforme du marché du travail , compte tenu des craintes qu'elle peut susciter chez un grand nombre de nos concitoyens, doit être précédée de réformes structurelles majeures , en matière d'éducation, de formation professionnelle ou encore de fiscalité.

Par ailleurs, un projet de loi visant à renforcer la place du dialogue social ne doit pas comporter d'autres dispositions étrangères à cet objectif initial . Jacques Barthélémy et Gilbert Cette plaident depuis de nombreuses années pour une réforme globale du fonctionnement du marché du travail qui ne se résume pas à une « approche thématique (IRP, seuils sociaux, AME, durée du travail...) qui se heurte au risque « d'agiter des chiffons rouges », risque amplifié si les propositions ne sont pas adossées à un ANI », car « chaque proposition sera alors soupçonnée de chercher à réduire les protections des travailleurs » 16 ( * ) .

Enfin, il convient de rappeler que les effets bénéfiques du présent projet de loi sur le marché du travail ne se feront sentir que dans plusieurs années . Les mesures proposées en 2002 par la commission Hartz pour la modernisation du marché du travail ont tardé à se concrétiser mais leur impact sur la compétitivité des entreprises allemandes demeure aujourd'hui encore perceptible 17 ( * ) .

3. Une concertation inaboutie avec les partenaires sociaux

L' article L. 1 du code du travail oblige le Gouvernement, lorsqu'il envisage de mettre en oeuvre un projet de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle, à organiser, sauf en cas d'urgence, une concertation préalable avec les partenaires sociaux représentatifs au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation.

Dans cette perspective, le Gouvernement doit leur communiquer un document d'orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options.

Or la très grande majorité des partenaires sociaux représentatifs auditionnés par vos rapporteurs ont déploré le manque de concertation sur le présent projet de loi. Entendu le 25 mai dernier par votre commission, M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale (UPA) a ainsi estimé que « la méthode utilisée est l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire », et rappelant le contenu de l'article L. 1 du code du travail, a conclu que le Gouvernement s'était « assis dessus ». En outre, le syndicat FO a déposé le 9 mai un recours en référé devant le juge administratif au motif que l'article L. 1 n'aurait pas été respecté par le Gouvernement.

La ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, lors de son audition devant votre commission le 17 mai dernier, a répliqué que « le reproche fait au Gouvernement sur le non-respect de l'article L. 1 est particulièrement infondé », dans la mesure où elle avait transmis dès le 16 septembre 2015 à tous les partenaires sociaux représentatifs au niveau national et interprofessionnel le rapport sur « La négociation collective, le travail et l'emploi » de Jean-Denis Combrexelle en les invitant à négocier sur ses propositions 18 ( * ) . Tous les syndicats auraient refusé, pour des raisons diverses, d'ouvrir une négociation nationale interprofessionnelle sur les sujets traités dans le rapport. Se sont alors succédé, entre septembre et janvier, des entretiens bilatéraux entre le cabinet de la ministre et chaque organisation syndicale ou patronale représentative.

La ministre a toutefois reconnu que le 17 février dernier, jour de l'arbitrage du Président de la République et du Premier ministre sur l'article relatif au licenciement économique, un texte préparatoire avait fuité dans la presse. Face à l'hostilité des organisations syndicales, une période de consultation des partenaires sociaux de quinze jours a alors été ouverte, repoussant ainsi au 24 mars la présentation du projet de loi en conseil des ministres.

Le Conseil d'État , dans son avis sur le projet de loi, a admis que « les dispositions de l'article L. 1 avaient été respectées dans les circonstances propres aux conditions d'élaboration du projet ».

Si vos rapporteurs n'ont pas été en mesure de disposer de tous les documents nécessaires pour trancher cette question, ils estiment que l'esprit de l'article L. 1 a été respecté mais pas sa lettre .

Ils ne peuvent que rappeler la proposition n° 44 du rapport de Jean-Denis Combrexelle qui invitait le Gouvernement à mettre en oeuvre une large concertation avec les partenaires sociaux sur la base de ses propositions 19 ( * ) .

Beaucoup s'interrogent désormais sur la nécessité de faire évoluer les règles de l'article L. 1, rappelant l'échec l'an passé de la négociation nationale interprofessionnelle sur la modernisation du dialogue social et l'absence de concertation préalable des partenaires sociaux avant la présentation en conseil des ministres du projet de loi pour la croissance et l'activité, qui comportait pourtant des réformes importantes en matière de droit du travail.


* 13 Ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).

* 14 Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

* 15 Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

* 16 Jacques Barthélémy, Gilbert Cette, « Réformer le droit du travail », Odile Jacob, 2015, p. 39.

* 17 Lettre Trésor-Eco, « Réforme Hartz : quels effets sur le marché du travail allemand ? », n° 110, mars 2013.

* 18 Jean-Denis Combrexelle, « La négociation collective, le travail et l'emploi », rapport au Premier ministre, France Stratégie, septembre 2015.

* 19 Ibid., p. 106.

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