II. LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI

La présente proposition de loi comprend deux articles .

L' article 1 er permet la prolongation de la durée de vie des Agences des cinquante pas géométriques au-delà du 1 er janvier 2014 : leur durée de vie pourra être prolongée par décret pour une durée qui ne peut excéder le 1 er janvier 2016.

L' article 2 repousse au 1 er janvier 2015 la date limite de dépôt des demandes de régularisation des occupants sans titre.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. LE BILAN DE LA LOI DU 30 DÉCEMBRE 1996 EST MITIGÉ MÊME SI LES DISPOSITIONS INTRODUITES PAR LE « GRENELLE II » ONT PERMIS UNE ACCÉLÉRATION DU PROCESSUS DE RÉGULARISATION

? Le bilan mitigé de la loi de 1996 est reconnu par l'ensemble des acteurs .

Lors des débats sur la LODEOM, nos collègues Marc Massion et Éric Doligé soulignaient déjà le bilan mitigé des agences, relevant notamment que « l'acquisition effective des titres de propriété par les particuliers [était] faible comparativement au nombre de demandes d'acquisition de parcelles de terrains déposées » 37 ( * ) .

Le bilan dressé par le Gouvernement à l'occasion de l'examen du projet de loi portant engagement national pour l'environnement était tout aussi décevant. Le Gouvernement estimait alors que « près de 15 ans après [la loi de 1996], le nombre des « cessions-régularisations » reste très faible, les zones aménagées et équipées sont peu nombreuses et les constructions illicites sur les espaces littoraux ont continué de se développer compromettant ainsi la sauvegarde du littoral pour les générations futures » 38 ( * ) . L'Agence des cinquante pas de la Guadeloupe souligne elle-même que la modification législative intervenue à l'occasion du « Grenelle II » « tire les conséquences de l'enlisement du processus de régularisation confié aux administrations déconcentrées » 39 ( * ) .

L'Agence des cinquante pas de la Martinique estime quant à elle que « le bilan [de la loi de 1996] est globalement mitigé si on reste strictement au niveau des chiffres concernant la régularisation c'est-à-dire au niveau des occupants effectivement propriétaires à ce jour » 40 ( * ) .

? Comme indiqué précédemment, les Agences des cinquante pas géométriques sont compétentes sur les secteurs urbanisés et d'urbanisation diffuse de la zone des cinquante pas géométriques 41 ( * ) , soit une partie limitée de cette zone 42 ( * ) .

COMPOSITION DE LA ZONE DES CINQUANTE PAS GÉOMÉTRIQUES
DANS LES DEUX DÉPARTEMENTS ANTILLAIS

Guadeloupe

Martinique

Zone des cinquante pas géométriques
(en hectares)

4 450

3 543

Espaces urbanisés et secteurs d'urbanisation diffuse
(en hectares)

806

992

Part de ces espaces et secteurs dans la zone des cinquante pas géométriques

18,1 %

28,0 %

Source : Agences des cinquante pas géométriques de la Guadeloupe et de la Martinique.

Sur ces zones, on dénombre aujourd'hui , d'après les données transmises à votre rapporteur par les deux agences, environ 17 000 constructions illicites en Guadeloupe et 15 000 en Martinique - l'Agence de Martinique rappelant qu'« il n'y a pas un chiffrage précis des constructions de la bande des 50 pas géométriques » 43 ( * ) .

Les données relatives au processus de régularisation illustrent que si de nombreux dossiers ont été déposés au titre de la loi de 1996 44 ( * ) , peu de terrains ont été effectivement cédés .

BILAN DU PROCESSUS DE RÉGULARISATION AU 31 DÉCEMBRE 2012

Guadeloupe

Martinique

Dossiers déposés

5 111 45 ( * )

5 334

Avis favorable de l'Agence

2 206

1 682

Avis défavorable de l'Agence

1 002

1 700 46 ( * )

Dossiers en cours d'instruction

1 903

1 952

Acceptations des offres de cession

689

1 166

Source : Agences des cinquante pas géométriques de la Guadeloupe et de la Martinique.

Plusieurs facteurs expliquent le bilan mitigé du processus de régularisation :

- des difficultés sociologiques liées à la présence dans ces secteurs d'une population âgée et pauvre . Comme le souligne l'Agence des cinquante pas géométriques de la Guadeloupe, de nombreuses personnes ont des difficultés à acquitter le prix demandé, en dépit de l'aide d'État qui concerne environ 45 % des demandeurs 47 ( * ) . Dès 2004, la mission IGA/CGPC soulignait ainsi que « de nombreuses cessions n'aboutissent pas en raison du prix proposé au regard des ressources réelles des demandeurs » 48 ( * ) . Sur ce point, votre rapporteur juge indispensable de réfléchir à la mise en place d'un dispositif de financement complémentaire qui permettrait à tous les demandeurs ayant obtenu un avis favorable de l'Agence des cinquante pas géométriques d'être régularisés. Par ailleurs, une partie non négligeable des demandeurs ne sont familiarisés ni avec l'écriture ni avec les procédures 49 ( * ) ;

- des difficultés administratives : comme l'indique l'Agence de la Guadeloupe 50 ( * ) , la procédure de régularisation comprend 22 étapes mettant en jeu divers services appartenant ou non à la même administration. Cette situation a été en partie résolue depuis que l'agence est devenue un guichet unique et grâce à la dématérialisation réglementaire qui a permis de raccourcir le circuit qui demeure cependant assez long ;

- des difficultés liées au fait que de nombreux locaux sont situés en « zones rouges » inconstructibles au titre des plans de prévention des risques naturels (PPRN) . L'Agence des cinquante pas de la Guadeloupe en dénombre ainsi près de 2 000 51 ( * ) . Les terrains concernés ne sont en effet pas cessibles et la situation des occupants sans titre n'est donc pas régularisable. En Guadeloupe, près de 60 % des avis défavorables s'expliquent par l'inscription des parcelles concernées dans ces « zones rouges » 52 ( * ) .

En raison de ces différents éléments, le ministère des outre-mer estime que « les difficultés rencontrées dans la conduite à terme du processus de régularisation ne remettent pas en cause l'essentiel de la loi de 1996 » 53 ( * ) .

Votre rapporteur souhaite formuler deux dernières observations sur le processus de régularisation des occupants sans titre.

D'une part, le phénomène d'occupation sans titre de la zone des cinquante pas géométriques continue de se développer . La mission IGA/CGPC indiquait déjà en 2004 : « on estime (...) à 1 500 le nombre de constructions irrégulières réalisées en Guadeloupe depuis 1995 54 ( * ) ».

Les deux agences ont confirmé la persistance d'un phénomène de constructions illicites sur la zone . En Martinique, « les constructions illicites continuent d'apparaître dans la bande des 50 pas géométriques, (...) à un rythme plus lent du fait d'une plus forte présence de l'État, de signalements effectués par l'agence et d'une plus grande sensibilisation des maires » 55 ( * ) . Dans ce département, près d'une centaine de nouvelles constructions illicites apparaissent chaque année. En Guadeloupe, « on estime à 20 % le nombre de « constructions spontanées » construites (...) sans autorisation au fil des années. Le littoral guadeloupéen s'inscrit dans ce chiffre global » 56 ( * ) .

La persistance d'un flux de nouvelles constructions illicites s'explique très certainement en partie par l'existence des procédures de régularisation elles-mêmes. Comme le soulignait en 2004 la mission IGA/CGPC, « les dispositifs mis en place pour tenter de régulariser la situation foncière sur la zone des cinquante pas (décrets de 1882 et 1887, décret de 1955, loi de 1986, loi de 1996 ) ont entretenu le sentiment que, de régularisations en régularisations, la zone des cinquante pas restait un territoire ouvert sur lequel il était possible de s'installer dans l'attente d'une nouvelle mesure législative » 57 ( * ) .

Votre rapporteur estime que le processus de régularisation ne peut atteindre ses objectifs que si le flux de nouveaux occupants sans titre se tarit. Des actions volontaristes doivent être menées par les pouvoirs publics, en lien et avec le soutien des maires, pour lutter contre ce phénomène.

Il estime par ailleurs qu' une solution doit être trouvée pour les occupants sans titre non régularisables , c'est-à-dire ceux dont les dossiers ont reçu un avis défavorable ou sont irrecevables . Leur relogement doit être assuré, notamment pour ceux situés en « zones rouges ».

Votre rapporteur relève, d'autre part, que les modifications de la loi de 1996 introduites par la loi « Grenelle II » ont clairement accéléré le processus de régularisation. L'article 32 de cette loi a donc rempli sur ce point ses objectifs. Il convient d'ailleurs de rappeler que la régularisation des occupants sans titre n'est devenue la mission prioritaire des Agences des cinquante pas géométriques que depuis 2010, cette mission étant antérieurement assurée par les services de l'État .

On a assisté depuis 2010 à une augmentation significative du nombre de dossiers de régularisation déposés , comme l'illustre le tableau suivant.

NOMBRE DE DOSSIERS DE RÉGULARISATION DÉPOSÉS ANNUELLEMENT

Guadeloupe

Martinique

2002

590

534

2003

682

340

2004

271

306

2005

128

223

2006

196

288

2007

161

200

2008

96

133

2009

79

132

2010

339

338

2011

1 037

616

2012

1 532

952

Source : Agences des cinquante pas géométriques de la Guadeloupe et de la Martinique.

Les trois dernières années (2010-2012) couvrent ainsi près de 57 % des dossiers déposés depuis 1996 en Guadeloupe et près de 36 % des dossiers déposés en Martinique .

Cette augmentation du nombre de dossiers déposés s'explique par la confiance limitée dans le dispositif de régularisation conduit jusqu'alors par l'État 58 ( * ) mais aussi par la communication importante et dynamique des agences ainsi que par le travail de proximité important réalisé par leurs équipes en lien avec les élus locaux.

? En matière de travaux, le bilan de l'action des agences est là aussi mitigé, notamment en Guadeloupe , alors qu'il s'agit d'un enjeu majeur, nombre d'occupants de cette zone n'ayant pas accès aux équipements publics essentiels, tels que l'assainissement.

En Martinique, près de 30 millions d'euros de travaux ont été réalisés depuis 2006 , permettant la réalisation de voiries et de réseaux divers, d'aires de jeu, mais aussi, depuis trois ans, d'équipements plus lourds, tels que les stations d'épuration 59 ( * ) . L'Agence dispose aujourd'hui d'une véritable expertise qui est reconnue par les maires . Elle estime d'ailleurs qu'elle constitue « le seul acteur public en mesure de fournir du foncier équipé pour la réalisation de logements sociaux » 60 ( * ) . Le ministère des outre-mer relève cependant que, si 60 % des études ont été réalisées, « les besoins financiers estimés étant de l'ordre de 280-300 millions d'euros sur le rythme actuel, il faudrait entre 10 et 15 ans pour mener à bien les travaux à leur terme » 61 ( * ) .

En Guadeloupe, seuls 11 chantiers d'équipement d'importance inégale ont été menés à terme , ce bilan limité s'expliquant notamment, selon l'agence, par les divergences qui ont existé pendant plusieurs années entre les services de l'État et ceux de l'agence sur le rôle et la nature des missions de cette dernière. Ces chantiers correspondent à un montant de travaux de 12 millions d'euros. D'après les services du conseil régional de la Guadeloupe, « les actions d'aménagement menées restent très marginales et n'ont eu qu'un faible impact sur le littoral guadeloupéen » 62 ( * ) .


* 37 Rapport n° 232 (2008-2009), Ibid., p. 154.

* 38 Exposé sommaire de l'amendement n° 1648 du Gouvernement sur le projet de loi portant engagement national pour l'environnement déposé lors de l'examen du texte par l'Assemblée nationale.

* 39 Contribution écrite transmise à votre rapporteur.

* 40 Contribution écrite transmise à votre rapporteur.

* 41 La loi de 1996 a confié, comme indiqué précédemment, la gestion des espaces naturels au Conservatoire du littoral. Par ailleurs, l'État a retiré de son domaine public de vastes parties de la zone pour constituer la forêt domaniale littorale (FDL) qui dépend du domaine privé et a été confiée en gestion à l'office national des forêts (ONF).

* 42 Il convient de rappeler que la quasi-totalité des communes (31 sur 32 en Guadeloupe, 27 sur 34 en Martinique) sont concernées par la zone des cinquante pas géométriques.

* 43 Contribution écrite transmise à votre rapporteur.

* 44 Comme l'a indiqué à votre rapporteur l'Agence des cinquante pas géométriques de la Martinique, « le dispositif de régularisation de 1996 n'a pas supprimé le dispositif de 1986 ce qui pose parfois des difficultés d'interprétation ».

* 45 Sur ces 5 111 demandes, 4 215 concernent des habitations principales, 577 des résidences secondaires, 305 des locaux professionnels et 42 des terrains libres de toute occupation.

* 46 Outre les avis défavorables, sont répertoriés notamment les dossiers jugés irrecevables ou en sursis.

* 47 Cf. Contribution écrite transmise à votre rapporteur.

* 48 « Rapport sur les cinquante pas géométriques en Guadeloupe et en Martinique », Ibid., p. 13.

* 49 Cf. Contribution écrite de l'Agence des cinquante pas géométriques de la Guadeloupe transmise à votre rapporteur.

* 50 Cf. Ibid.

* 51 Cf. Ibid.

* 52 Cf. Ibid.

* 53 Réponse au questionnaire transmis par votre rapporteur.

* 54 « Rapport sur les cinquante pas géométriques en Guadeloupe et en Martinique », Ibid., p. 34.

* 55 Contribution écrite de l'Agence des cinquante pas géométriques de la Martinique transmise à votre rapporteur.

* 56 Contribution écrite de l'Agence des cinquante pas géométriques de la Guadeloupe transmise à votre rapporteur.

* 57 « Rapport sur les cinquante pas géométriques en Guadeloupe et en Martinique », Ibid., p. 34.

* 58 Cf. Contribution écrite de l'Agence des cinquante pas géométriques de la Martinique transmise à votre rapporteur.

* 59 Cf. Ibid.

* 60 Contribution écrite transmise à votre rapporteur.

* 61 Réponse au questionnaire transmis par votre rapporteur.

* 62 Contribution écrite transmise à votre rapporteur.

Page mise à jour le

Partager cette page