B. UNE CONCEPTION LARGE DU DOMMAGE RÉPARABLE, QUI NE TRAITE TOUTEFOIS PAS DE LA PRÉVENTION

1. Une conception large des dommages réparables

La proposition de loi soumise à l'examen de votre commission retient une définition large du dommage qui peut donner lieu à réparation : « un dommage à l'environnement ».

S'agissant d'un texte de portée générale, les auteurs n'ont pas estimé opportun de préciser les types de dommages visés (destruction, dégradation), ou les éléments de l'environnement qui peuvent constituer le siège du dommage, évitant ainsi le risque, si le dispositif n'était pas exhaustif, de le rendre inapplicable 57 ( * ) .

Ils n'ont pas non plus entendu limiter le jeu de la responsabilité aux dommages d'une certaine gravité, comme le fait la loi du 1 er août 2008, l'ajout d'un adjectif caractérisant le dommage risquant de constituer une source d'imprécision quant à la portée exacte de la notion et donner lieux à des divergences jurisprudentielles d'interprétation.

De manière générale, et la jurisprudence civile environnementale n'y fait pas exception, la gravité n'est pas exigée au titre de la réparation des préjudices. Celle-ci repose sur l'exigence de la lésion d'un intérêt. Un intérêt est lésé par une atteinte préjudiciable, c'est-à-dire qui produits des conséquences néfastes pour les intérêts protégés par le droit.

Cette idée ne doit pourtant pas laisser penser que tout dommage, aussi minime soit-il, donnera lieu à réparation . Encore faudra t-il qu'il soit considéré comme présentant le caractère réel et certain requis par la jurisprudence. Seront ensuite exclus du champ de la réparation les dommages peu importants, ce que le juge fait déjà largement à l'heure actuelle, appliquant l'adage « de minimis non curat praetor ».

Le juge devra enfin opérer une conciliation entre les différents intérêts en présence. La création de ce nouveau régime de responsabilité environnementale n'a pas, en effet, pour but de freiner tout développement économique et industriel, par essence porteur de risque pour l'environnement, mais d'assurer la réparation des atteintes à ce dernier.

Si votre commission n'entend pas modifier sur le fond les dispositions relatives à la définition du dommage réparable, elle a cependant adopté un amendement de son rapporteur visant à mettre en cohérence le titre de la proposition de loi avec son contenu. Il propose de remplacer les mots : « préjudice écologique » par les mots : « dommage causé à l'environnement ».

Les deux notions de « dommage » et « préjudice » sont, certes, utilisées indifféremment dans le présent rapport, au sens de « conséquence réparable d'une atteinte à l'environnement » 58 ( * ) . Toutefois, puisque l'article unique de la proposition de loi fait référence au dommage, il est apparu plus cohérent à votre commission d'utiliser le même terme dans l'intitulé de la proposition de loi : « proposition de loi visant à inscrire la notion de dommage causé à l'environnement dans le code civil ». Le terme de « dommage » est d'ailleurs celui retenu dans le code civil en matière de responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle (articles 1382 à 1385), ainsi qu'en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (articles 1386-1 à 1386-18).

Définitions des dommages causés à l'environnement

La convention de Lugano de 1993 sur la responsabilité civile des dommages résultant d'activités dangereuses pour l'environnement 59 ( * ) définit le dommage à l'environnement comme « toute perte ou dommage résultant de l'altération de l'environnement » (article 2-8). « L'environnement comprend les ressources naturelles abiotiques et biotiques, telles que l'air, le sol, la faune et la flore et l'interaction entre les mêmes facteurs, les biens qui composent l'héritage culturel et les aspects caractéristiques du paysage » (article 2-11).

Selon la directive du 21 avril 2004 , le dommage à l'environnement est « une modification négative mesurable d'une ressource naturelle », ou « une détérioration mesurable d'un service lié à des ressources naturelles ».

Dans leur « nomenclature des préjudices environnementaux » 60 ( * ) , MM. Laurent Neyret et Gilles J. Martin adoptent la définition suivante : « par préjudices causés à l'environnement, on entend l'ensemble des atteintes causées aux écosystèmes dans leur composition, leurs structures et/ou aux fonctions des écosystèmes, au-delà et indépendamment de leurs répercussions sur les intérêts humains ». Ces auteurs précisent que « les écosystèmes s'entendent des complexes dynamiques formés de communautés de plantes, d'animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leur interaction, forment des unités fonctionnelles ».

2. La nécessité de prévoir des mesures de prévention des atteintes à l'environnement

La prévention n'est pas la fonction première du droit de la responsabilité civile, qui a vocation à intervenir une fois le dommage réalisé.

En matière environnementale, le principal objectif poursuivi est pourtant la sauvegarde de l'environnement, c'est-à-dire, l'absence de survenance du dommage. Selon Me Christian Huglo, entendu par votre rapporteur, la prévention représente le « vrai » droit de l'environnement.

Le dispositif prévu par la proposition de loi qui ne traite pas de la question de la prévention des dommages, apparaît dès lors incomplet à votre rapporteur.

Il a donc déposé un premier amendement d'appel , retiré ensuite lors de l'examen du présent texte en commission, le mercredi 17 avril.

Le dispositif proposé par cet amendement, inspiré des travaux menés sous la direction de M. François Terré « pour une réforme du droit de la responsabilité civile » 61 ( * ) , tendait à permettre au juge de « prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite à l'environnement » 62 ( * ) .

Le législateur a déjà prévu ponctuellement ce type de dispositif en matière de protection de la vie privée (article 9 du code civil), de présomption d'innocence (article 9-1) et de protection du corps humain (article 16-2) 63 ( * ) .

Ce nouvel article, inséré dans le code civil, devait permettre de demander au juge du fond la cessation d'une atteinte illicite à l'environnement, comme mesure de réparation, indépendamment de la procédure de référé prévue par l'article 809 du code de procédure civile, qui permet au juge d'ordonner, en urgence, des mesures de conservation.

Estimant que la réflexion sur cette question n'était pas véritablement aboutie et qu'une telle action pouvait être satisfaite par l'application de l'article 809 du code de procédure civile, et risquait de se confondre avec la réparation en nature prévue par le présent texte 64 ( * ) , votre rapporteur a retiré cet amendement .

Il a ensuite déposé un second amendement , adopté par votre commission, qui crée dans le code civil un nouvel article 1386-21. Cette disposition est inspirée des travaux de l'avant projet de réforme du droit des obligations 65 ( * ) et prévoit que « les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d'un dommage, en éviter son aggravation, ou en réduire les conséquences, peuvent donner lieu au versement de dommages et intérêts, dès lors qu'elles ont été utilement engagées . » Cette action serait ouverte à toute personne qui a engagé ces dépenses 66 ( * ) .


* 57 Cf. supra : les causes de l'inapplication de la loi du 1 er août 2008.

* 58 Cf. note de bas de page supra .

* 59 Convention signée le 21 avril 1993, ratifiée par la France mais qui n'est pas entrée en vigueur faute d'un nombre suffisant de ratifications.

* 60 MM. Laurent Neynet et Gilles J. Martin (dir.), Nomenclature des préjudices environnementaux, LGDJ, 2012.

* 61 Article 2 du projet « pour une réforme du droit de la responsabilité civile », sous la direction de François Terré, Dalloz, 2011.

* 62 La cessation de l'illicite désigne toute mesure ayant pour objet ou pour effet de prévenir ou de faire cesser une situation de fait contraire au droit. Elle peut donc être ordonnée par le juge, sur simple constat d'un risque de dommage : Cour de cassation, 3 è chambre civile, 7 décembre 2005 : condamnation d'un industriel à cesser de stocker des déchets radioactifs en infraction à la législation, sur l'unique foi du risque d'atteinte à l'environnement que comportait ce stockage illégal.

* 63 L'article 16-2 du code civil prévoit que : « le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci ».

* 64 En effet, la cessation du trouble ordonnée par le juge, comme la démolition de constructions irrégulières, par exemple, se rapproche d'une remise en état.

* 65 Article 1344 du projet précité.

* 66 Contrairement à l'action en réparation du dommage causé à l'environnement, qui ne pourrait être engagée que par certaines personnes seulement (collectivités territoriales, associations de protection de l'environnement et organismes publics de protection de l'environnement). Cf. infra .

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