EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer, en nouvelle lecture, sur le projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines, adopté par l'Assemblée nationale le 20 février dernier, après que la commission mixte paritaire, réunie le 14 février 2012, a échoué à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion.

En nouvelle lecture, les députés ont supprimé les nouveaux articles introduits par le Sénat, à l'exception de l'article 7 ter relatif à la réalisation des expertises psychiatriques par les praticiens hospitaliers, et rétabli le projet de loi dans le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture ainsi que son intitulé.

L'Assemblée nationale et le Sénat défendent deux visions opposées de la politique pénitentiaire : d'un côté, le Gouvernement, soutenu par la majorité des députés, s'inscrit dans la perspective d'une augmentation continue du nombre de personnes détenues et entend accroître les capacités du parc pénitentiaire; de l'autre, le Sénat souhaite, dans le prolongement de la loi pénitentiaire, encourager une politique dynamique d'aménagements de peine -et, partant, la réduction du nombre des incarcérations- afin de favoriser la réinsertion des personnes condamnées et mieux lutter ainsi contre la récidive.

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Le projet de loi de programmation vise pour une large part à donner un « habillage » législatif à l'annonce faite par le Président de la République, le 13 septembre 2011, de porter à 80.000 le nombre de places de prison à l'horizon 2017.

Les raisons avancées pour justifier cet objectif sont, d'une part, la nécessité de résorber le « stock » de peines d'emprisonnement en attente d'exécution et, d'autre part, la progression régulière du nombre des condamnations à des peines privatives de liberté -double motivation qui repose sur des postulats très contestables comme l'a montré votre rapporteure dans le rapport de première lecture 1 ( * ) .

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli, à deux réserves près, le texte qu'elle avait voté en première lecture.

Ainsi, le premier volet du projet de loi - le seul qui ait valeur normative - comporte 16 articles contenant des dispositions très diverses.

Il fixe les modalités de recours au secteur privé pour la réalisation et l'exploitation du parc pénitentiaire (articles 2 et 3).

Le texte rétabli par les députés généralise la réalisation des enquêtes présententielles par le secteur associatif habilité (article 4).

Il précise certaines des modalités d'exécution de la peine . Il définit ainsi le partage des informations entre l'autorité judiciaire et les médecins ou psychologues mettant en oeuvre des soins pénalement ordonnés ainsi que les conditions dans lesquelles le chef d'établissement est informé de la situation pénale d'un élève (articles 4 bis et 4 ter ). Il renforce l'incitation aux soins en milieu fermé (article 5) et ouvre la faculté de recourir à un psychiatre ou à un psychologue pour l'expertise conditionnant la libération conditionnelle des personnes condamnées à un crime pour lequel la rétention de sûreté est possible (article 6).

Les députés ont, de même, rétabli le contrat d'engagement permettant aux internes en psychiatrie d'obtenir leur inscription sur la liste nationale des experts judiciaires (article 7).

Deux dispositions concernant les mineurs délinquants ont de même été réintroduites :

- les dispenses d'appel à projet pour la création d'établissements et de services relevant du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, dans le but de faciliter la transformation de 20 foyers dits « classiques » en centres éducatifs fermés (CEF) (article 8) ;

- la convocation dans les 5 jours par les services de la protection judiciaire de la jeunesse d'un mineur faisant l'objet d'une mesure ou sanction éducative ou d'une peine s'exécutant en milieu ouvert (article 9).

Les députés ont repris les dispositions relatives à la réhabilitation - qu'ils ont néanmoins complétées afin d'assurer une coordination pour permettre l'application de mesures sur les confiscations adoptées en première lecture- (article 9 bis A) ainsi que celles sur le régime de justification mensuelle d'adresse pour les personnes inscrites au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) (article 9 bis C).

Enfin, ils ont rétabli la compétence des personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire pour assurer la protection des bâtiments du ministère de la justice (article 11).

Le second volet du projet de loi comprend l'annexe, divisée elle même en trois parties : l'accroissement et la diversification du parc pénitentiaire ainsi que l'amélioration de l'exécution des décisions de justice ; le renforcement des capacités de prévention de la récidive ; l'amélioration de la prise en charge des mineurs délinquants.

Le Sénat avait, en première lecture, retenu des orientations inverses de celles proposées par le Gouvernement. Il avait ainsi remanié l'annexe en cohérence avec les principes de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.

Il avait également supprimé les articles du projet de loi initial, à l'exception de l'article premier (approbation du rapport annexé et annexe) et de l'article 4 ter (information du chef d'établissement sur la situation pénale d'un élève) qu'il avait modifiés, des dispositions relatives aux saisies et confiscations en matière pénale (articles 9 bis à 9 sexies ) ainsi que de la transposition de deux décisions-cadres (règles concernant la réhabilitation et le casier judiciaire) (article 9 bis B), adoptées conformes.

Le Sénat avait par ailleurs adopté de nouveaux articles tendant en particulier à :

- abroger les dispositions relatives aux peines-plancher (article 4 D) ;

- poser le principe de l' aménagement des peines d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à trois mois (article 4 A) ;

- intégrer la proposition de loi, présentée à l'Assemblée nationale par le député Dominique Raimbourg, instituant un mécanisme destiné à prévenir la surpopulation pénale (article 4 B) ;

- intégrer également la proposition de loi présentée par notre collègue Jean-René Lecerf, adoptée par le Sénat le 25 janvier 2011, sur l' atténuation de la responsabilité pénale des auteurs d'infractions dont le discernement était altéré au moment des faits (article 4 E) ;

- prévoir que le pouvoir réglementaire fixe les conditions dans lesquelles les praticiens hospitaliers peuvent réaliser des expertises judiciaires pendant leur temps de service afin de neutraliser les conséquences négatives d'une disposition de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital relative aux patients, à la santé et aux territoires (article 7 ter ).

Cette disposition, seule, a été maintenue par les députés.

Votre rapporteure regrette vivement que plusieurs des dispositions adoptées par le Sénat susceptibles de faire l'objet d'un compromis entre les deux assemblées aient été rejetées à l'issue d'un examen souvent expéditif de la part de la majorité de l'Assemblée nationale. Il en est ainsi notamment des modalités d'information du chef d'établissement sur les antécédents judiciaires d'un élève (article 4 ter ) qui, dans la version adoptée par le Sénat, permettaient de préserver la présomption d'innocence et de limiter, de manière plus précise, le nombre de personnes destinataires de l'information. Ainsi le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Jean-Paul Garraud, se borne à indiquer que « si le texte adopté par le Sénat ne rejetait pas l'idée d'un partage d'informations qui aujourd'hui n'est pas prévu par le code de procédure pénale, il apparaissait toutefois en deçà de l'enjeu de la prévention du renouvellement d'infractions particulièrement graves ».

De même, les dispositions relatives à l'atténuation de la responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental au moment des faits (article 4 E), issues d'une proposition de loi adoptée à une très large majorité par le Sénat, ont été écartées au motif que le rapporteur de l'Assemblée nationale ne disposait pas d' « éléments d'information sur la prétendue aggravation des peines prononcées à l'encontre des personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement ». La position du Sénat s'appuie pourtant sur les témoignages concordants des acteurs de la chaîne pénale que les députés auraient pu prendre le temps d'entendre sur ce sujet. Faut-il se résigner à la présence toujours plus importante de personnes atteintes de troubles mentaux dans nos prisons ? Votre commission ne le croit pas.

Votre rapporteure observe que l'esprit de polémique a parfois prévalu sur les arguments de fond. Ainsi sur différents points, ses positions ont été malheureusement déformées notamment lorsqu'il lui est prêté une « véritable indifférence pour le sort des personnes incarcérées dans des établissements surpeuplés » [sic] 2 ( * ) , alors même que le rapport du Sénat souligne la nécessité « d'augmenter le nombre de cellules individuelles et d'améliorer les conditions matérielles de détention » 3 ( * ) .

Compte tenu du rétablissement du texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, votre rapporteure ne peut que réitérer les principales objections que soulève ce texte :

- la réalisation d'un parc pénitentiaire de 80.000 places traduit une priorité donnée sur l'incarcération par rapport aux aménagements de peine : elle n'est pas conforme à la volonté affirmée par le législateur en 2009. Elle préjuge des législations et politiques pénales qui seront menées d'ici 2017. Elle n'aura, au surplus, aucun effet sur le délai d'exécution des peines dont l'accélération dépend d'autres facteurs ;

- la mise en place de structures spécifiques pour les courtes peines n'est pas compatible avec le principe de l'aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d'emprisonnement posé par la loi pénitentiaire ;

- le choix de mener le programme de construction en partenariat public-privé, dont l'intérêt n'est pas démontré par rapport au recours à la maîtrise d'ouvrage publique, reporte le poids de la dépense sur le moyen terme. Il conduit au paiement obligé de loyers sur de longues périodes, rigidifiant de manière structurelle le budget du ministère de la Justice, notamment au détriment des dépenses de fonctionnement ;

- la lutte contre la récidive risque de demeurer sans effet faute d'une politique de réinsertion active dont les acteurs sont les conseillers d'insertion et de probation (CIP). Les effectifs des CIP demeurent inchangés alors que leurs missions n'ont cessé de croître. La priorité donnée à la construction de nouveaux établissements dans un cadre budgétaire contraint conduit à concentrer l'effort sur les seuls emplois de surveillants ;

- l'accroissement du nombre de centres éducatifs fermés (CEF) au détriment des autres structures d'hébergement risque de diminuer significativement l'éventail de solutions dont disposent les juges des enfants pour adapter la réponse pénale à la personnalité de chaque mineur délinquant ;

- enfin, la volonté gouvernementale d'imposer au Parlement l'examen de ce texte en procédure accélérée , à la veille d'échéances électorales majeures, ne laisse guère de place à un débat approfondi sur des orientations pourtant susceptibles d'engager durablement notre pays.

Votre commission constate pour le déplorer que la majorité des députés, en rejetant systématiquement (à l'exception d'un article) les dispositions votées par le Sénat, n'a pas souhaité s'engager dans la logique d'un débat constructif avec notre assemblée.

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Dans ces conditions, elle vous propose d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi adopté par l'Assemblée nationale.


* 1 Rapport au nom de la commission des lois sur le projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines, par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, n°302, Sénat, 2011-2012. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l11-302/l11-3021.pdf .

* 2 Rapport au nom de la commission des lois sur le projet de loi de programmation relatif aux moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, par M. Jean-Paul Garraud, n°4352, Assemblée nationale, 2011-2012, p13. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r4352.asp .

* 3 Rapport au nom de la commission des lois sur le projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines, par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, n°302, Sénat, 2011-2012, p12. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l11-302/l11-3021.pdf .

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