C. LES ACTIONS EN FAVEUR DES INDUSTRIES CULTURELLES

L'action de l'Etat dans le domaine des industries culturelles vise à garantir les équilibres du marché, du point de vue de la diversité comme de l'accès à l'offre . Cette politique englobe notamment, outre le livre et la presse, les secteurs de la musique, du cinéma, de l'audiovisuel, du jeu vidéo...

Votre rapporteur spécial convient que l'ensemble de ces industries nécessite un soutien particulier des pouvoirs publics. En effet, elles sont confrontées au double défi de la numérisation et de la lutte contre le piratage . Si la première représente une opportunité en termes de diffusion, elle peut conduire à la seconde, qui déprécie les contenus culturels, en particulier sur Internet. A titre d'illustration, dans le domaine de la musique enregistrée, ce secteur a perdu 60 % de sa valeur entre 2003 et 2010 .

Votre rapporteur spécial a souhaité se concentrer plus particulièrement sur deux actions emblématiques : la « Carte Musique » et la lutte contre le téléchargement illégal, à travers une évaluation de la première année d'activité de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI).

1. Des incertitudes sur l'efficacité de la « Carte Musique »

Le ministère de la Culture et de la Communication a créé la « Carte Musique », dont le but est d'encourager le recours au téléchargement légal. Celle-ci consiste à subventionner 50 % des téléchargements de musique effectués par les jeunes de 12 à 25 ans, dans la limite d'un plafond global de 50 euros par personne et par an, soit 25 euros à la charge de l'Etat. Ces jeunes représentent une population de 11,3 millions d'individus.

La carte musique a été instituée par un décret du 25 octobre 2010, qui fixe à deux ans la durée de l'opération. L'enveloppe de l'aide attribuée pour l'opération, sur le budget 2011, est de 25 millions d'euros .

Or, le dispositif présente plusieurs défaillances , telles que l'impossibilité de contrôler effectivement et systématiquement l'âge des bénéficiaires, la possibilité pour une même personne d'obtenir plusieurs cartes en utilisant différentes adresses électroniques, ou le risque que certaines plateformes de téléchargement créent des clients fictifs pour maximiser leur subvention. De surcroît, la « Carte Musique » n'aura pas d'effet sur le dynamisme de la création française , dans la mesure où elle bénéficie à toutes les oeuvres, françaises comme étrangères. Enfin, la plupart des opérateurs de musique se sont installés au Luxembourg, où ils bénéficient d'un taux de TVA à hauteur de 15 %. En conséquence, la « Carte Musique » manque son objectif en aboutissant finalement - paradoxalement - à faire encaisser de la TVA supplémentaire au Luxembourg.

Le ministère prépare le développement d'une version physique du dispositif, qui sera distribué dans les grandes surfaces, ainsi que d'un nouveau site internet fonctionnant sur les terminaux mobiles dits intelligents. Il indique également qu'une campagne de communication sera organisée dans les prochains mois, afin de faire mieux connaître la « Carte Musique ». Il conviendra de s'assurer que ces évolutions contribueront à combler la plupart des défaillances constatées.

En tout état de cause, votre rapporteur spécial regrette que le projet annuel de performances de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ne contienne aucune indication relative à la mise en oeuvre de la « Carte Musique ». Il estime à cet égard qu'il pourrait être intéressant de compléter le dispositif de performance par un indicateur relatif à ce nouvel instrument.

2. Une première année au bilan mitigé pour la HADOPI

La Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) a été créée par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi HADOPI I. En outre, le volet « sanctions » de la loi HADOPI I a fait l'objet d'un complément législatif dans le cadre de la loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009, dite HADOPI II, qui prévoit des mesures répressives contre le téléchargement illégal. Le coeur du dispositif repose sur la réponse graduée.

La réponse graduée

Après saisine par les représentants des ayants droit (sociétés de perception et de répartition des droits, organismes de défense professionnelle, Centre national du cinéma) ou par le procureur de la République, la Commission de  protection des droits de la HADOPI a deux mois pour enclencher la première étape de la réponse graduée. Si elle constate un fait susceptible de constituer un manquement à l'obligation de surveillance de l'accès à internet, elle peut envoyer une recommandation.

Cette première recommandation est envoyée par courrier électronique (mail) au titulaire de l'abonnement et l'avertit qu'il a manqué à son obligation de surveillance de sa connexion à internet. Cette recommandation l'informe de l'existence de moyens de protection et d'offres légales.

En cas de réitération dans un délai de six mois, la Commission de protection des droits peut lancer la seconde étape : l'envoi d'une recommandation par courrier électronique, doublée d'une lettre remise contre signature .

En cas de nouvelle réitération dans un délai d'un an suivant l'envoi de la seconde recommandation, la Commission de protection des droits informe l'abonné par lettre remise contre signature que ces faits sont susceptibles de poursuites pénales.

L'abonné peut alors présenter ses observations dans un délai de 15 jours. Il peut également solliciter une audition auprès de la Commission de la protection des droits ou être convoqué par cette dernière.

Source : site internet de la HADOPI

La HADOPI disposera en 2012 d'un budget de 11 millions d'euros , en diminution de 1 million d'euros par rapport à l'an dernier.

a) Un bilan qualitatif encourageant, qui doit être confirmé

D'après les données du premier rapport d'activité de la HADOPI qui rend compte de son action depuis dix-huit mois, la réponse graduée semble fonctionner correctement, même si son dispositif technique est encore en rodage . La HADOPI a réalisé un certain nombre d'enquêtes auprès d'internautes afin d'évaluer l'efficacité et la perception de son action.

Il en ressort qu' une proportion non négligeable d'internautes exprime des inquiétudes sur la HADOPI , notamment du point de vue de la protection de la vie privée. De surcroît, si les données montrent une baisse des échanges français de fichiers non-autorisés sur les réseaux de peer-to-peer , il ne faut pas pour autant sous-estimer les comportements tels que la dissimulation ou le déplacement des usages non-autorisés vers d'autres pratiques (streaming, direct download par exemple), qui peuvent fausser les résultats . En effet, le champ d'action de la réponse graduée est très restreint, puisque la HADOPI ne peut intervenir que sur la pratique du peer-to-peer , qui est loin d'être la seule pratique de téléchargement illégal.

Au total, la réponse graduée ne saurait à elle seule remplir la mission de protection des droits sur Internet. De surcroît, le dispositif gagnerait sans doute à être renforcé afin de mieux couvrir l'étendue des infractions et mieux répondre aux attentes de certains créateurs qui n'y ont pas encore accès.

b) Un bilan quantitatif satisfaisant

Sur les 38 millions d'internautes français, 650 000 ont reçu un premier mail d'avertissement pour avoir échangé des fichiers sur des sites de peer-to-peer , seule pratique illégale contre laquelle l'instance est chargée d'intervenir. Sur ces 650 000 personnes, 44 000 ont reçu un deuxième message d'avertissement accompagné d'une lettre remise contre signature, après la constatation d'une deuxième infraction.

Aujourd'hui, la Commission de la protection des droits entre dans la troisième phase de la réponse graduée, celle de la possible transmission des dossiers au tribunal en cas de réitération des faits. Une soixantaine de dossiers sont en cours d'instruction à ce titre.

c) Une action encore timide en faveur du développement de l'offre légale

Concernant le deuxième volet de son activité, la HADOPI a seulement posé les jalons de l'encouragement au développement de l'offre légale, à travers la labellisation d'une trentaine de services .

La situation des offres légales est profondément disparate selon qu'il s'agit de musique, de films, de séries, de livres ou de photos. Chaque catalogue répond ainsi à des règles de droit et de diffusion différentes. Leur mise à disposition est plus ou moins avancée selon le type d'oeuvres. Pratiquement achevée pour la musique, elle en est encore au stade embryonnaire pour d'autres oeuvres.

L'un des enjeux consiste à accroître la visibilité de ces offres , sans pour autant interférer avec le paysage concurrentiel. Dans cette perspective, la HADOPI a passé en début d'année un marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour un projet de portail internet de référencement des oeuvres légales . La HADOPI a souhaité qu'il soit conçu comme un « outil internet » orienté vers les utilisateurs et non comme un simple catalogue d'enseignes, mais elle admet elle-même que le dispositif pourrait être amélioré.

3. Le soutien dans le domaine de la musique enregistrée

La sous-action 1, dédiée au soutien dans le domaine de la musique enregistrée, bénéficiera de 681 000 euros en AE = CP en 2012. Cette dotation, similaire à celle de l'an dernier, financera différentes manifestations telles que les Victoires de la musique, dont le but est notamment de promouvoir de nouveaux talents.

4. Vers la création d'un centre national de la musique (CNM)?

Au printemps 2011, le ministre de la culture et de la communication a chargé notre collègue député Franck Riester ainsi que plusieurs acteurs du monde musical d'une mission relative au financement de la diversité musicale à l'ère du numérique. La principale proposition des auteurs du rapport 8 ( * ) est la création d'un Centre national de la musique (CNM), sur le modèle du Centre national du cinéma (CNC), organe structurant pour l'audiovisuel et le cinéma, qui devrait permettre une réelle structuration de la filière musicale, ainsi que la pérennisation des aides . En effet, les aides à la filière se caractérisent aujourd'hui par leur manque de cohérence et leur saupoudrage sans ligne directrice. Le CNM regrouperait les différents organismes qui soutiennent actuellement le secteur de la musique. Néanmoins, de fortes interrogations subsistent quant au financement d'un éventuel CNM, dans un contexte budgétaire particulièrement tendu .


* 8 Amélioration de la relation numérique à l'usager, groupe experts numériques, septembre 2011.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page