2. La compétence des juridictions ordinaires assortie d'une suspension de la prescription pour la Cour de cassation

Dans une décision du 29 juin 2001, la cour d'appel de Paris a confirmé l'incompétence des juges d'instruction pour procéder à l'audition du chef de l'Etat. A l'occasion de l'examen du pourvoi formé par M. Breisacher contre cette décision, la Cour de cassation, dans son arrêt d'assemblée du 10 octobre 2001, retient une lecture de l'article 68 de la Constitution peu compatible avec celle du Conseil constitutionnel.

Au préalable, la Cour présente son interprétation de l'autorité des décisions du juge constitutionnel. En effet, l'article 62, deuxième alinéa, de la Constitution, dispose que les décisions de ce dernier « s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

La Cour estime pour sa part que « ces décisions ne s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles qu'en ce qui concerne le texte soumis à l'examen du Conseil ». Aussi juge-t-elle que la décision du 22 janvier 1999 n'a statué que sur la possibilité de déférer le Président de la République à la Cour pénale internationale, pour y répondre des crimes de la compétence de cette Cour, et qu'il « appartient, dès lors, aux juridictions de l'ordre judiciaire de déterminer si le Président de la République peut être entendu en qualité de témoin ou être poursuivi devant elles pour y répondre de toute autre infraction commise en dehors de l'exercice de ses fonctions ».

Après avoir ainsi affirmé sa compétence pour statuer sur la responsabilité du chef de l'Etat, la Cour délivre une interprétation de l'article 68 de la Constitution contredisant celle du Conseil constitutionnel.

En effet, elle juge que la Haute Cour de justice n'est compétente « que pour connaître des actes de haute trahison du Président de la République commis dans l'exercice de ses fonctions ». En conséquence, pour tous les autres actes, les juridictions pénales de droit commun sont compétentes. La Cour considère ainsi que les deux phrases de l'article 68 doivent être lues « à la suite ».

La Cour de cassation récuse donc l'idée d'un privilège de juridiction au profit du chef de l'Etat. Cependant, elle précise que les poursuites pour les actes commis en dehors de l'exercice des fonctions « ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l'action publique étant alors suspendue ».

Ce régime dérogatoire au droit commun est fondé sur une analyse « rapprochée » de l'article 3 et du titre II de la Constitution. L'article 3 dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants [...] », tandis que le titre II, consacré au Président de la République, précise notamment que ce dernier est « élu pour cinq ans au suffrage universel direct » (art. 6) et « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat » (art. 5).

Se référant à ces dispositions, qui donnent au Président de la République une place éminente dans nos institutions, la Cour de cassation juge qu'il ne peut « pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ». Elle précise en outre qu'il n'est pas soumis à l'obligation de comparaître en tant que témoin, définie à l'article 101 du code de procédure pénale, car cette obligation est assortie d'une mesure de contrainte par la force publique (art. 109 du même code) et peut faire l'objet de sanctions pénales.

Ayant ainsi conclu à l'inviolabilité du chef de l'Etat pendant la durée de son mandat pour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions, il était logique et nécessaire que la Cour établisse en contrepartie la suspension des délais de prescription.

Le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis, reprenant la solution définie par la Cour de cassation, cherche à concilier la protection de la fonction présidentielle et la possibilité pour la représentation nationale de mettre fin au mandat du Président s'il commet un manquement manifestement incompatible avec ce dernier.

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