EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat a été saisi, le 5 août 2005, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, d'un projet de décision du Conseil concernant l'amélioration de la coopération policière entre les Etats membres de l'Union européenne, en particulier aux frontières intérieures, et modifiant la Convention d'application de l'accord de Schengen (CAAS) 1 ( * ) .

Cette proposition de la Commission fait notamment suite au programme de La Haye du 5 novembre 2005 dans lequel le Conseil européen invite la Commission à présenter des propositions en vue de développer davantage l'acquis de Schengen en matière de coopération policière transfrontalière opérationnelle.

Cette coopération policière s'est en effet développée, depuis l'entrée en application de la CAAS en 1995, dans un cadre juridique pratiquement inchangé laissant aux Etats membres une grande liberté dans le choix des moyens de sa mise en oeuvre. Les progrès très importants de la coopération policière transfrontalière entre certains Etats membres ainsi que le défi de l'élargissement de l'espace Schengen aux nouveaux Etats membres justifient une remise à plat des règles en la matière.

Transmis au Conseil des ministres et au Parlement européen, ce projet de décision du Conseil n'a pas encore été examiné par ces institutions et est toujours discuté par les groupes de travail du Conseil.

La délégation pour l'Union européenne du Sénat a adopté le 14 novembre 2005 la proposition de résolution présentée par notre collègue M. Robert Del Picchia et renvoyée à votre commission des lois qui fait l'objet du présent rapport.

Bien qu'approuvant l'objectif général de renforcement de la coopération policière opérationnelle dans les zones frontalières, la délégation exprime de nombreuses réticences à l'encontre de la forme choisie et sur le fond du texte de la Commission 2 ( * ) . Elle estime que cette coopération relève avant tout de la seule compétence des Etats membres et s'inquiète d'une possible contrariété entre ce texte et la Constitution.

Après avoir présenté le projet de décision, votre rapporteur exposera la position de la délégation pour l'Union européenne puis celle de votre commission.

I. LE PROJET DE DÉCISION : UN SOCLE COMMUN POUR TOUS LES ETATS MEMBRES ET QUELQUES APPROFONDISSEMENTS DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE

A. BILAN DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE OPÉRATIONNELLE DANS LES ZONES FRONTALIÈRES

1. Un cadre juridique ancien et souple

La coopération policière est organisée par les articles 39 à 47 de la CAAS signé le 20 juin 1990. L'intégration de l'acquis de Schengen dans l'Union européenne par le traité d'Amsterdam n'a pas remis en cause le caractère intergouvernemental de cette coopération. La décision du Conseil du 20 mai 1999 déterminant, conformément aux dispositions pertinentes du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l'Union européenne, la base juridique de chacune des dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen a intégré ces articles dans le troisième pilier. Ils ont pour base juridique les articles 30, paragraphe 1, 32 et 34 du traité sur l'Union européenne. Toute modification de ces règles requiert donc l'unanimité du Conseil et la consultation du Parlement européen, mais non la codécision.

La coopération policière opérationnelle aux frontières intérieures de l'espace Schengen est un des aspects de cette coopération policière. La CAAS favorise l'échange d'informations (articles 39, paragraphe 4, et 46), instaure un droit d'observation transfrontalière c'est-à-dire de filature (article 40) et un droit de poursuite (article 41). Elle permet l'échange d'officiers de liaison (article 47) et prévoit que les parties contractantes mettent en oeuvre, notamment dans les zones frontalières, des liaisons radios, téléphoniques ou autres favorisant le travail en commun.

Le cadre ainsi fixé par la CAAS est en réalité un cadre très souple. Il s'agit de possibilités ouvertes aux Etats membres, notamment pour l'échange d'officiers de liaisons ou d'informations. La définition des modalités concrètes de la coopération policière est laissée aux Etats membres.

La CAAS renvoie la mise en oeuvre de la quasi-totalité des articles à la conclusion d'accords particuliers, bi- ou multilatéraux. De la même manière, la Convention de Schengen incite les Etats membres à étendre ou compléter par la voie de conventions bilatérales le champ d'application de plusieurs dispositions, notamment le droit d'observation ou le droit de poursuite.

2. Le droit d'observation et le droit de poursuite

Les articles 40 et 41 relatifs respectivement au droit d'observation et au droit de poursuite sont sans doute les apports les plus déterminants de la CAAS. D'une part, les dispositions de ces articles s'imposent aux Etats membres même si une certaine marge d'appréciation leur est laissée concernant l'étendue de ces droits ; il ne s'agit pas d'une simple faculté. D'autre part, ces droits portent directement atteinte à la conception classique de la souveraineté nationale.

L'observation transfrontalière consiste à permettre aux officiers de police d'un pays, dans le cadre d'une enquête judiciaire concernant des faits d'une certaine gravité, de continuer sur le territoire d'un autre pays Schengen la surveillance et la filature d'un individu. Cette possibilité est encadrée. En particulier, elle est, sauf urgence, soumise à autorisation préalable de l'Etat sur le territoire duquel elle s'effectue.

La surveillance n'est possible qu'à l'encontre d'une personne présumée avoir participé à une infraction pouvant donner lieu à extradition ou d'une personne à l'égard de laquelle il y a de sérieuses raisons de penser qu'elle peut conduire à l'identification ou à la localisation de la personne susmentionnée 3 ( * ) .

En cas d'urgence, l'autorisation préalable n'est pas requise mais cela ne dispense pas les agents observateurs d'informer le plus rapidement possible les autorités de l'Etat membre sur le territoire duquel se déroule la filature afin d'obtenir l'autorisation de cet Etat. De plus, la filature n'est autorisée en cas d'urgence que pour certaines des infractions les plus graves pouvant donner lieu à extradition. L'article 40, paragraphe 7, les énumère.

Au cours d'une observation, les agents ne peuvent ni interpeller ni arrêter la personne observée. Ils ne peuvent entrer dans les domiciles ou tout lieu non accessible au public. Toutefois, ils peuvent emporter leur arme de service et l'utiliser en cas de légitime défense.

Le droit de poursuite est encore plus novateur. Dans le cadre d'un flagrant délit ou d'une évasion, les officiers de police d'un Etat membre peuvent, sans autorisation préalable, poursuivre un individu sur le territoire d'un autre Etat Schengen soit parce que les autorités de l'Etat sur le territoire duquel la poursuite a lieu n'ont pu se rendre sur place à temps pour reprendre la poursuite, soit parce que les autorités n'ont pu être averties préalablement en raison de l'urgence particulière.

Toutefois, la CAAS laisse une latitude assez large aux Etats pour déterminer les contours précis de ce droit. Chaque Etat membre définit dans une déclaration les modalités d'exercice de la poursuite sur son territoire pour chacune des parties contractantes avec laquelle il a une frontière commune.

Cette déclaration détermine :

- le type d'infractions autorisant la poursuite. Les Etats peuvent soit étendre ce droit à toutes les infractions pouvant donner lieu à extradition, soit le limiter à une liste de douze infractions particulièrement graves ;

- la zone géographique sur laquelle ce droit peut s'exercer et sa durée ;

- le droit d'interpeller ou non.

Enfin, la poursuite s'exerce dans les conditions suivantes :

- elle se fait uniquement par les frontières terrestres ;

- l'entrée dans les lieux non accessibles au public est interdite ;

- les agents poursuivants doivent être aisément identifiables ;

- l'utilisation de l'arme de service est interdite sauf en cas de légitime défense.

3. Des évolutions nécessaires

La coopération policière s'est donc développée dans ce cadre très souple mais aussi très lâche, chaque Etat choisissant ou non d'exploiter toutes les potentialités contenues dans la CAAS. Il en résulte une efficacité limitée.

Comme le permet cette convention, la France a ainsi conclu des accords bilatéraux avec chacun des Etats partageant une frontière intérieure commune avec elle 4 ( * ) . Sur la base de ces accords, dix centres de coopération policière et douanière (CCPD) ont été créés à proximité des frontières. Les CCPD prolongent les anciens commissariats communs. Ils regroupent dans un même lieu des fonctionnaires de la PAF, d'autres policiers, des gendarmes et des douaniers français, tous bilingues ainsi que leurs homologues de l'autre pays. Ils jouent un rôle d'échange de l'information, de coordination des mesures d'intervention et d'assistance. Les premiers résultats obtenus semblent probants.

Cette latitude laissée aux Etats membres a pu conduire, comme le relève la Commission, à des disparités assez importantes entre les différentes frontières communes. Cet approfondissement inégal de la coopération policière peut devenir préjudiciable au niveau général de sécurité dans l'ensemble de l'espace Schengen.

Rappelons que la coopération policière a été imaginée pour compenser la suppression des contrôles aux frontières intérieures. C'est pour cette même raison qu'a été développée la coopération judiciaire en matière pénale ou qu'a été créé le système d'information Schengen 5 ( * ) .

En conséquence, dans la perspective de l'intégration complète des dix nouveaux Etats membres dans l'espace Schengen, c'est-à-dire de la levée des contrôles aux frontières intérieures de ces pays, la coopération policière opérationnelle transfrontalière prend une nouvelle importance.

La Commission a estimé les bases juridiques de la coopération policière en retrait par rapport à l'état réel de cette coopération plus de quinze ans après la signature de la CAAS et insuffisamment contraignante eu égard au défi de l'élargissement.

Elle a donc souhaité actualiser les règles qui la fondent.

* 1 Document E2932. COM (2005) 317 final.

* 2 La délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale a adopté le 29 novembre 2005 sur ce texte une communication exprimant des réserves assez proches, en particulier sur la forme choisie et sur la constitutionnalité de certaines dispositions.

* 3 La possibilité de suivre un proche ou une personne en relation avec la personne suspectée n'existait pas dans la CAAS à l'origine. C'est la décision 2003/725/JAI du Conseil du 2 octobre 2003 qui a étendu le champ d'application du droit d'observation.

* 4 A titre d'exemple : l'accord de Mondorff conclu avec l'Allemagne le 9 octobre 1997 et ratifié le 1 er avril 2000, l'accord de Chambéry conclu avec l'Italie le 3 octobre 1997 et ratifié le 18 septembre 2000 ou l'accord de Blois conclu avec l'Espagne le 7 juillet 1998 et ratifié le 26 juin 2003.

* 5 Voir notamment le rapport n° 174 (2005-2006) de M. Richard Yung au nom de la commission des lois sur la proposition de résolution européenne n° 132 (2005-2006).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page