B. UNE CONTREPARTIE DÉSÉQUILIBRÉE EN RAISON DU ROLE LIMITÉ DES COURS D'APPEL EN MATIÈRE COMMERCIALE

En France, le fonctionnement de la justice commerciale est profondément marqué par une tradition historique remontant au Moyen Age 14 ( * ) .

De ce fait, l'organisation des juridictions compétentes en matière commerciale est très spécifique 15 ( * ) par rapport à celle des juridictions de droit commun appelées à statuer dans la plupart des matières régies par le droit civil.

Rappelons brièvement l'hétérogénéité de la carte des juridictions spécialisées statuant en première instance en matière commerciale. Elle compte 191 tribunaux de commerce 16 ( * ) , 23 tribunaux de grande instance statuant en matière commerciale, 7 chambres commerciales des tribunaux de grande instance situés en Alsace-Moselle, 7 tribunaux mixtes de commerce situés dans les départements et les territoires d'outre-mer et 3 tribunaux de première instance statuant en matière commerciale.

En revanche, les juridictions commerciales du second degré ne présentent aucune spécificité quant à leur organisation et se caractérisent par une grande uniformité , puisque à l'instar des autres contentieux en matière civile, cette compétence est attribuée aux 35 cours d'appels qui sont les juridictions de droit commun du second degré. Il convient de reconnaître en outre que la place des cours d'appel paraît secondaire par rapport à celle des juridictions du premier degré, qui jouent un rôle pivot en matière commerciale.

1. Des cours d'appel aux compétences limitées en matière commerciale

Les cours d'appel statuent sur les appels formés contre les jugements (y compris les ordonnances 17 ( * ) ) rendus en première instance dans les matières relevant de la compétence des tribunaux de commerce. Cette compétence s'étend :

- au contentieux général qui constitue un premier bloc de compétence dont le champ d'application est défini par les articles L. 411-4 à L. 411-7 du code de l'organisation judiciaire 18 ( * ) .

Il s'agit notamment des litiges relatifs aux contentieux entre commerçants, entre établissements de crédit ou entre commerçants et établissements de crédit, aux contestations relatives aux sociétés commerciales (dissolution d'une société commerciale), ainsi qu'à celles relatives aux actes de commerce (signature d'une lettre de change) ;

- au contentieux défini par certaines lois particulières . A cet égard, le domaine des procédures collectives constitue le deuxième grand bloc de compétence des juridictions commerciales, qui sont appelées à statuer si le débiteur est artisan ou commerçant (ces dispositions étant issues de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires et étant désormais codifiées au livre VI du code de commerce 19 ( * ) ).

En relèvent également le contentieux relatif aux litiges opposant l'exploitant d'un aéronef au commandant de bord, à l'occasion des actes accomplis par ce dernier dans l'exécution de son mandat (article L. 422-4 du code de l'aviation civile) ou encore le contentieux relatif aux litiges concernant les gérants non salariés (article L. 782-5 du code du travail).

Le champ de compétence des cours d'appel est toutefois plus limité que celui des juridictions du premier degré, puisque ne relèvent pas de la compétence des cours d'appel les appels formés contre :

- les mesures d'administration judiciaire 20 ( * ) ;

- les jugements portant sur un litige dont le principal n'excède pas la valeur de 13.000 francs (soit 2.000 euros), la juridiction commerciale de première instance étant compétente en dernier ressort pour tous les litiges inférieurs à cette somme ;

Notons que cette règle n'a plus de base légale. En effet, elle résultait de l'article 639 du code de commerce, malencontreusement abrogé à la suite de la publication de la partie législative du code de commerce par l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000. Il est toutefois prévu qu'un décret en Conseil d'Etat soit publié prochainement afin de réparer cette erreur matérielle. En outre, le taux de ressort actuellement fixé à 13.000 francs 21 ( * ) serait porté à 25.000 francs (soit 3.750 euros) ;

- les ordonnances rendues par le juge-commissaire, dont le recours doit être formé devant le tribunal de commerce 22 ( * ) (article 25 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985), dont le jugement est insusceptible d'appel (article L. 623-4 du code de commerce) 23 ( * ) ;

- les jugements relatifs à la nomination ou au remplacement d'un juge-commissaire (article L. 623-4 du code de commerce).

Une limitation supplémentaire s'impose aux cours d'appel en matière de procédures collectives, la loi du 25 janvier 1985 précitée ayant restreint les voies de recours en réservant l'appel de certaines décisions au seul ministère public . En effet, l'article L. 623-6 du code de commerce  attribue un monopole au parquet s'agissant de tout recours formé contre les décisions d'un tribunal de première instance statuant sur la durée de la période d'observation, sur la poursuite ou la cessation de l'activité 24 ( * ) , ainsi que les jugements relatifs à la nomination, au remplacement des organes de contrôle de la procédure de redressement (administrateur, liquidateur, représentant des créanciers).

En outre, l'activité des cours d'appel en matière commerciale est plus limitée que celle des juridictions de première instance. Si la limitation du champ de compétence attribué aux cours d'appel explique partiellement ce phénomène, il apparaît également que les parties et le ministère public utilisent peu cette voie de recours contre les décisions rendues en première instance par les juridictions commerciales et particulièrement par les tribunaux de commerce.

Ainsi, d'après les informations statistiques fournies par la Chancellerie à votre rapporteur, le taux d'appel des décisions des juridictions commerciales rendues en première instance est faible .

En 2000, les tribunaux de commerce ont rendu 152. 137 25 ( * ) jugements au fond en matière contentieuse, dont seulement 20. 268 ont fait l'objet d'une décision en appel, portant ainsi le taux d'appel 26 ( * ) des décisions rendues en premier ressort par ces juridictions à 13,3 % 27 ( * ) , soit un chiffre très inférieur aux appels formés contre les jugements des conseils des prud'hommes (taux d'appel 57,4 %) 28 ( * ) ou encore contre ceux prononcés par les tribunaux de grande instance (15,6 %).

Les statistiques relatives au contentieux de l'impayé 29 ( * ) réglé par les tribunaux de commerce confirment cette tendance, le nombre d'affaires terminées en 1999 s'étant élevé à 117. 938, et le nombre de recours en appel contre les jugements de ces tribunaux à 6. 120.

* 14 Dès 1563, la juridiction consulaire devint permanente, d'abord à Paris, à la suite d'un édit de Charles IX établissant des juges consuls, pris à l'initiative de Michel de l'Hospital avant d'être généralisée à l'ensemble du territoire.

* 15 A l'instar des conseils des prud'hommes, dont l'organisation se rapproche sensiblement de celle des juridictions commerciales.

* 16 Il s'agit des juridictions les plus anciennes de l'organisation judiciaire.

* 17 Le terme « jugement » entendu comme toute décision juridictionnelle de première instance vise notamment les ordonnances de référé et les ordonnances sur requête prises par le président du tribunal de commerce.

* 18 Rappelons que la compétence matérielle des tribunaux de commerce en matière de contentieux général était auparavant régie par l'article 631 de l'ancien code de commerce, malencontreusement abrogé par la loi n °91-1258 du 17 décembre 1991 modifiant le code de l'organisation judiciaire, abrogation confirmée par l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 ayant établi le nouveau code de commerce duquel ces dispositions étaient absentes. La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques a toutefois repris intégralement les dispositions de l'article 631 abrogées de l'ancien code de commerce en les transférant dans le code de l'organisation judiciaire ( articles L. 411-4 à L.411-7).

* 19 L'article 7 de la loi du 25 janvier 1985, codifié à l'article L.621-5 du code de commerce donne compétence aux tribunaux de commerce en matière de redressement et de liquidation judiciaires à l'égard des artisans.

* 20 Il s'agit des mesures d'ordre intérieur comme les radiations, les renvois et les remises.

* 21 Aux termes du décret n° 88-216 du 4 mars 1988.

* 22 Notons toutefois qu'il existe des exceptions à cette règle, la cour d'appel pouvant statuer directement sur un recours contre une décision rendue par le juge-commissaire statuant sur un relevé de forclusion.

* 23 A l'exception de l'appel d'un jugement statuant sur un recours formé contre une ordonnance rendue par le juge-commissaire en matière de revendication.

* 24 Notons que dans la plupart des cas, cet appel du parquet est suspensif.

* 25 Notons que ce chiffre ne prend en compte que les décisions des tribunaux de commerce rendues en premier ressort et donc susceptibles d'appel.

* 26 Il s'agit des appels interjetés en 1999 et en 2000 contre les décisions au fond prononcées en 1999 ( sources : Chancellerie).

* 27 Notons que le taux d'appel en 1999 est en baisse puisqu'en 1998, il s'établissait à 14 %.

* 28 Il s'agit des jugements rendus en premier ressort.

* 29 Qui comprend les procédures au fond, les référés et les injonctions de payer.

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