B. LE POIDS CROISSANT DES DÉPENSES SOCIALES DANS LES BUDGETS DÉPARTEMENTAUX

1. Les dépenses d'action sociale pèsent de plus en plus sur l'équilibre financier des départements

a) La décentralisation de l'aide sociale

La loi de décentralisation n° 83-663 du 22 juillet 1983 a procédé à un vaste transfert de compétences de l'État vers le département en matière d'action sociale et de santé. Ce transfert a pris effet au 1er janvier 1984.

L'article 32 de la loi précitée précise que le département a une compétence de principe en matière d'aide sociale. Il prend en charge l'ensemble des prestations légales d'aide sociale, à l'exception des prestations qui demeurent à la charge de l'État et sous réserve de la participation financière des communes prévue à l'article 93 de la loi de décentralisation n° 83-8 du 7 janvier 1983 (les contingents communaux d'aide sociale).

Ultérieurement, la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 a créé une allocation de revenu minimal d'insertion (RMI) dont le financement est à la charge de l'État. Toutefois, les articles 41 et 42 de la loi précitée précisent que le département doit inscrire à son budget les sommes nécessaires au financement des actions destinées à permettre l'insertion des bénéficiaires du RMI. sous peine que le préfet mette en oeuvre la procédure d'inscription d'office applicable aux dépenses obligatoires des collectivités territoriales.

b) L'évolution des dépenses sur les dix dernières années

La lecture des comptes administratifs des départements pour l'exercice 1994 révèle que les dépenses brutes d'aide sociale, avant prise en compte des recettes en atténuation de dépenses et des contingents communaux d'aide sociale, se sont élevées à près de 78 milliards de francs l'an dernier.

Depuis 1990, on constate que les dépenses d'aide sociale ont progressé à un rythme plus de deux fois supérieure au rythme de la seconde moitié des années 1980 : + 3.5 % entre 1985 et 1989 et + 7,6 % ensuite en évolution moyenne annuelle.

En outre, depuis le début de la décennie, cette catégorie de dépenses progresse plus vite que les budgets de fonctionnement. Aussi, leur poids relatif, resté stable un peu au-dessus de 55 % dans les premières années de la décentralisation, frôle aujourd'hui la barre des 60 %.

Parallèlement, le coût net de l'aide sociale est de plus en plus lourd pour les départements.

En effet, les recettes perçues par les départements au titre de l'aide sociale, qui couvraient encore près du tiers des dépenses en 1985, n'en représentaient plus que 26,8 % huit ans plus tard.

Ces recettes sont de deux ordres :

- Les recettes provenant soit de l'État, soit d'organismes sociaux et mutualistes, soit des bénéficiaires des prestations au titre de l'obligation alimentaire et des récupérations sur succession.

Leur montant n'a guère progressé en francs courants, passant de 9,2 milliards de francs en 1985 à 10.3 milliards de francs constatés dans les comptes administratifs pour 1993.

- Les contingents communaux d'aide sociale.

Malgré une légère réduction de leur poids relatif, concentrée sur la seconde moitié des années 1980, ils ont dans l'ensemble progressé parallèlement aux dépenses d'aide sociale conformément à l'esprit des lois de décentralisation.

Ils dépassaient 10,2 milliards de francs et représentaient 15 % des dépenses d'aide sociale nette des récupérations sur succession et de l'obligation alimentaire en 1994 1 ( * )1 .

Si leur poids relatif dans les budgets communaux semble être resté à peu près stable depuis 1985, leur part dans le financement des dépenses d'aide sociale des départements est extrêmement variable autour de la moyenne de 15 % : de 3 % à 28.2 % selon les départements.

Outre l'obligation alimentaire, les récupérations sur succession et les contingents communaux d'aide sociale, les départements perçoivent des transferts de l'État pour la couverture des charges assurées par celui-ci avant le 1er janvier 1984.

L'arrêt interministériel du 27 novembre 1985 fixant les droits à compensation de chaque département avait arrêté, en valeur 1984, le montant global de ces droits à 19.956 millions de francs. Cette somme a été compensée par le transfert d'impôt d'Etat (vignette et une partie des droits de mutation) pour 12.122 millions de francs, le solde étant couvert par la DGD, soit 7.834 millions de francs.

Or, selon une évaluation réalisée par l'Assemblée des présidents de conseils généraux, en 1993, les recettes transférées et la DGD s'élevaient à 37 milliards de francs et couvraient 69 % des dépenses à la charge des départements contre 98 % en 1990.

c) Un effet d'éviction sur les dépenses d'équipement

Toute augmentation des dépenses d'action sociale, à un moment où les concours de l'État tendent à se stabiliser à un niveau comparable à celui de l'inflation, entraîne deux séries de conséquences :

- une augmentation de la pression fiscale directe.

- une réduction de l'épargne disponible des départements, et donc de leur capacité d'investissement.

Le tableau suivant illustre l'incidence de la dépense d'action sociale sur la dépense d'équipement depuis 1984 : l'inversion de tendance qui s'est traduite par l'accélération de la première au détriment de la seconde date de 1990.

Évolution du ratio

Dépense nette d'aide sociale obligatoire/Dépense d'équipement brute

France métropolitaine hors Paris

1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994

2,62 2.28 2,11 1,90 1.70 1,56 1,55 1,54 1,57 1,68 1,83

Source DGCL Odas

Alors que leur capacité à préparer l'avenir par l'investissement ne cesse de se réduire, les départements tendent à devenir les "assistantes sociales" de la Nation.

2. L'aide aux personnes âgées dépendantes participe à cette pression financière au travers de l'explosion des dépenses de l'allocation compensatrice pour tierce personne

Selon les évaluations de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée 1 ( * ) , la dépense d'aide sociale en direction des personnes âgées a représenté 12,7 milliards de francs en 1994. soit 18,5 % de la dépense nette d'aide sociale contre 21 % en 1989 et 23 % en 1984. Celle-ci se décompose en trois parties : l'aide à domicile (c'est-à-dire essentiellement l'aide ménagère), l'aide sociale à l'hébergement (ASH) et la fraction de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) versée aux personnes âgées de 60 ans et plus.

La progression de 9 % des dépenses d'aide sociale en direction des personnes âgées entre 1992 et 1994 doit être comparée à l'envolée des dépenses totales d'aide sociale prise en charge par les départements au cours de la même période -+ 19,2 %- pour comprendre le recul progressif de leur part relative dans cet ensemble.

En fait, la contraction du poids relatif de l'aide sociale aux personnes âgées résulte des évolutions divergentes des trois postes ci-dessus énumérés :

- L'aide ménagère, dont le montant atteignait 1,8 milliard de francs en 1984, n'a cessé de subir une baisse de ses moyens en francs courants depuis lors. En effet, seules y ont accès les personnes âgées ayant un revenu inférieur ou égal au minimum vieillesse, qui sont de moins en moins nombreuses.

- L'aide sociale à l'hébergement engendre une dépense à peu près stable en volume depuis 1989. La diminution du nombre des bénéficiaires est neutralisée par l'augmentation du prix de journée en établissement, due notamment à une aggravation de l'état de dépendance moyen des résidents, qui nécessite des formes de prise en charge plus coûteuses.

- L'allocation compensatrice pour tierce personne, en revanche, a été l'un des moteurs de la progression des dépenses d'aide sociale jusqu'en 1993. On constate ainsi que le poids total de l'ACTP dans les dépenses d'aide sociale est passé de 11,6 % en 1984 à 13,7 % en 1992 avant de redescendre, il est vrai, à 12,8 % en 1994.

Ce rôle moteur est dû essentiellement à l'afflux des personnes âgées de 60 ans et plus qui perçoivent aujourd'hui plus des deux tiers de l'enveloppe, contre seulement la moitié en 1984.

Le ralentissement final observé - le rythme de progression de la dépense reste tout de même de + 5 % en 1994 pour la part personnes âgées -s'explique par un début de mise en oeuvre dans les départements de contrôles d'effectivité de la prestation.

* 1 Le tableau suivant ne donne pas les chiffres de 1994, les récupérations sur succession et les recettes liées à l'obligation alimentaire n'ayant pas encore été isolées dans les comptes administratifs de l'exercice 1994

* 1 Le recours aux données de l'ODAS, qui proviennent d'extrapolations à partir d'échantillons, est justifié par l'insuffisante exploitation des comptes administratifs de 1994. Celle-ci est. en effet, en cours.

Sur le long terme toutefois, les données de l'Observatoire sont généralement corroborées par celles des comptes administratifs

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