B. LA CRÉATION D'UNE PRESTATION SPÉCIFIQUE PARAÎT SOUHAITABLE

1. La prestation d'autonomie est à l'étude depuis bientôt dix ans

Le constat de l'inadéquation des modes existants de prise en charge de la dépendance a suscité au plus haut niveau une réflexion sur les principes et les modalités d'une "allocation dépendance", préfigurant la prestation d'autonomie qui fait l'objet du présent projet de loi.

a) Les rapports officiels

En mai 1988, le rapport de MM. Théo Braun et Michel Stourm au secrétaire d'État chargé de la Sécurité sociale (à l'époque. M. Adrien Zeller) recommande la mise en place d'une prestation légale en nature, offerte en alternative aux titulaires de l'allocation compensatrice pour tierce Personne, et financée comme celle-ci par les départements.

En juin 1991, le rapport d'information de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale présenté par M. Jean-Claude Boulard 1 ( * ) préconise la création d'une allocation autonomie et dépendance". D'un montant modulé en fonction du degré de dépendance, et au maximum égal à la majoration pour tierce personne, cette allocation est versée en espèces, sous condition de ressources, et donne lieu à récupération sur succession.

Attribuée par une commission départementale dans laquelle les Payeurs sont majoritaires, elle est financée par un "fonds de financement de la dépendance" abondé par les départements et les régimes de retraite à hauteur de ce qu'ils consacrent déjà aux personnes âgées dépendantes, et complété par une fraction de la CSG.

En septembre 1991, le rapport de la commission du Plan présidée Par M. Pierre Schopflin 2 ( * ) préconise l'instauration d'une "prestation dépendance" assez semblable à l'allocation proposée par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Cette Prestation est elle aussi modulée, attribuée en espèces, sous condition de ressources, et recouvrable sur successions.

Elle se distingue toutefois sur un point essentiel : les départements sont seuls responsables de sa gestion et de son financement, les dotations de l'Etat étant ajustées en conséquence.

b) Les projets et propositions de loi

Le projet de loi portant création d'un Fonds de solidarité vieillesse voté en première lecture par l'Assemblée nationale le 10 décembre 1992 prévoit, parmi de nombreuses autres dispositions, la création d'une "allocation autonomie et dépendance" étroitement inspirée des propositions du Plan, c'est-à-dire gérée et financée par les départements.

En compensation, la dotation globale de fonctionnement est majorée, par voie d'amendement gouvernemental, de 1 milliard de francs. Cet ajustement envisagé de la DGF semble notoirement insuffisant au regard de toutes les évaluations disponibles du coût supplémentaire d'une réforme du système de prise en charge des personnes âgées dépendantes. Ce projet de loi n'est jamais venu en discussion devant le Sénat.

La proposition de loi présentée par Mme Bachelot et M. Chamand le 20 avril 1993 institue une "allocation dépendance" et retient pour son financement la solution de "fonds départementaux de la dépendance" regroupant l'ensemble des ressources consacrées aux personnes âgées dépendantes pour les régimes de sécurité sociale et les départements. Ce financement est bouclé par un apport complémentaire de l'État, qui effectue une péréquation entre les départements.

La proposition de loi présentée par MM. Fourcade, Jourdain, Marini et plusieurs de leurs collègues le 5 mai 1993 est sans conteste la préfiguration du présent projet de loi la plus élaborée :

- une "allocation aux personnes âgées dépendantes", attribuée essentiellement en nature, se substitue à l'allocation compensatrice pour tierce personne à partir de 65 ans, sous condition de ressource, avec obligation alimentaire limitée et recouvrement sur succession ;

- une équipe médico-sociale instruit les dossiers, en fonction d'une grille d'évaluation unique au plan national, mais l'allocation est attribuée par le président du conseil général après avis de la commission cantonale d'admission à l'aide sociale ;

- le financement de l'allocation est assuré par le département, qui affecte à un "fonds départemental de la dépendance" les sommes qu'il consacre déjà aux personnes âgées dépendantes au titre de l'aide sociale. Si les dépenses d'allocation dépendance croissent plus vite que l'ensemble des dépenses d'aide sociale du département, les ressources du fonds sont complétées par une dotation de l'État calculée en tenant compte des différences de structures démographiques et de potentiels fiscaux entre les départements ;

- des dispositions complémentaires sont prévues, tendant à coordonner les différents intervenants sous la direction du département.

Comme on le verra plus loin, le dispositif proposé par le présent Projet de loi est très proche des solutions retenues par cette proposition de loi, dont votre rapporteur tient à saluer la qualité.

c) L'expérimentation

L'article 38 de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, qui résulte d'un amendement de la commission des affaires sociales du Sénat, prévoit la mise en oeuvre de dispositifs expérimentaux d'aide aux Personnes âgées dépendantes dans un certain nombre de départements.

Ces dispositifs expérimentaux obéissent à un cahier des charges qui en précise les caractéristiques essentielles, arrêté par le ministère des Affaires sociales en concertation avec la CNAVTS et l'APCG. I ls s'insèrent dans le cadre législatif existant : les droits des bénéficiaires restent inchangés, de même que les obligations financières des différentes collectivités concernées. Au plan national, les conditions de l'engagement financier de la CNAVTS ont été formalisées par une convention conclue le 14 novembre 1994 avec l'État : la Caisse nationale devrait y consacrer 250 millions de francs en 1995.

En pratique, la "prestation expérimentale dépendance" (PED) est constituée par l'allocation compensatrice pour tierce personne financée par les départements, à laquelle vient s'ajouter, le cas échéant, une "prestation supplémentaire dépendance" (PSD), à la charge des caisses de retraite. La PSD, comme l'allocation compensatrice, est attribuée sur décision des COTOREP.

L'expérimentation s'est engagée dans les douze départements candidats finalement retenus (Ain. Charente. Haute-Vienne, Haute-Garonne, Ille et Vilaine. Indre. Haute-Loire. Moselle, Oise, Savoie, Val d'Oise. Yonne), après la signature, aux mois de février et mars 1995, de conventions locales entre ces départements et les CRAM de leur ressort.

Certes, on pourrait s'étonner que la discussion du présent projet de loi intervienne avant qu'il ait été possible de tirer des conclusions de ces dispositifs expérimentaux. Un bilan devrait être fait au cours du premier semestre 1996 par un Comité national d'évaluation de l'expérimentation sur la Prise en charge de la dépendance des personnes âgées, composé de Parlementaires ainsi que de représentants des régimes de retraite et des collectivités locales associées.

Toutefois, votre rapporteur estime que la demande très forte des Français et le caractère approfondi de la réflexion antérieure justifient amplement que l'on n'ait pas différé plus longtemps la création de la prestation d'autonomie.

2. Le couronnement de notre dispositif de protection sociale ?

La création d'une prestation d'autonomie en faveur des personnes âgées dépendantes mérite d'être mise en perspective. En effet, elle se présente comme le point d'aboutissement (provisoire ?) d'un mouvement de perfectionnement continu du système français de protection sociale, dont les principaux axes sont les suivants :

- l'amélioration du niveau des retraites, avec l'arrivée à maturité des mécanismes d'assurance vieillesse, et le développement des avantages non contributifs. En 1992, les bénéficiaires du minimum vieillesse n'étaient plus que 1,1 million (soit 11.8 % des personnes âgées de plus de 65 ans) et le niveau de vie des retraités avait rattrapé celui des actifs ;

- l'extension de la couverture maladie, avec les lois du 2 janvier 1978 sur l'assurance personnelle et du 29 juillet 1992 sur l'aide médicale. En 1994, l'assurance personnelle bénéficiait à 500.000 personnes, dont 63 % d'allocataires du RMI. pour un coût total de 8,6 milliards de francs. Il est aujourd'hui possible de considérer que la généralisation de l'assurance maladie est en droit réalisée, même si les mécanismes de l'aide médicale mériteraient d'être simplifiés ;

- le développement de l'indemnisation du chômage, depuis la création en 1974 de l'allocation supplémentaire d'attente (ASA), qui garantissait aux salariés licenciés pour motifs économiques 90 % de leur salaire brut pendant douze mois. Face à la montée du chômage, les taux de remplacement ont dû être abaissés à compter de 1983, puis les durées d'indemnisation réduites depuis 1992. En dépit de cette érosion des niveaux de prestation, l'indemnisation du chômage a pris des proportions considérables
• en 1994, les dépenses correspondantes se sont élevées à 101.9 milliards de francs au titre de l'assurance et à 12.2 milliards de francs au titre de la solidarité nationale ;

- la mise en place d'un "filet de sécurité" universel, avec la création du Revenu Minimum d'Insertion par la loi du 1er décembre 1988. Le nombre des bénéficiaires du RMI, qui était de 427.000 en 1989, est passe à 900.000 au 31 décembre 1994 pour un coût total de 32 milliards de francs.

La prestation d'autonomie vient ainsi compléter un système de protection sociale qui s'est déjà beaucoup développé au cours des trois dernières décennies, selon une double logique d'assurance et de solidarité. Il convient ici de s'interroger sur la nature de cette nouvelle prestation.

Très clairement, il ne s'agit pas d'une prestation de sécurité sociale. La solution d'une cinquième branche de sécurité sociale couvrant le risque dépendance, préconisée notamment par les gestionnaires de la CNAVTS et par le Conseil économique et social, n'a pas été retenue. Comme on le verra plus loin, les caractéristiques de la prestation d'autonomie la rattachent sans ambiguïté à l'aide sociale.

* 1 Assemblée nationale - "Vivre ensemble" Rapport d'information n° 2135 - Neuvième législature.

Assemblée nationale - Proposition de loi n° 90 - Dixième législature

* 2 "dépendance et solidarités - Mieux aider les personnes âgées" - Rapport de la commission présidée par M. Pierre Schopflin - Commissariat général au Plan - 1991.

Sénat - Proposition de loi n° 295 (1992-1993)

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