B. UNE EXIGENCE : AMÉLIORER LA FORMATION INITIALE ET LES DÉBUTS DANS LA CARRIÈRE

La part du « bizutage institutionnel » 73 ( * ) , auquel sont confrontés de nombreux enseignants débutants, dans la crise actuelle de recrutement a été rappelée par notre collègue Max Brisson lors de l'audition de M. Pap Ndiaye, le 8 novembre 2022. Quelque vingt ans après la publication du rapport de Jean-Pierre Obin, alors inspecteur général de l'éducation nationale, les analyses de celui-ci sur les débuts de la carrière enseignante demeurent d'actualité et les débutants restent trop souvent « (placés) dans les conditions d'exercice les plus dures ». En lien avec un système d'affectation par points largement corrélé à l'ancienneté, les jeunes enseignants sont souvent affectés sur les postes délaissés par leurs collègues plus chevronnés ; ils sont surreprésentés dans les territoires et les postes difficiles qui requièrent pourtant de l'expérience.

Les démissions de jeunes enseignants, y compris au cours de l'année de stage, évoquées ci-dessus, s'inscrivent dans cette conception regrettable des premières années d'exercice qui détourne chaque année de l'éducation nationale des enseignants poussés à bout par des conditions de travail ingrates.

Des témoignages de jeunes professeurs d'école ayant fait le choix de démissionner soulignent la solitude des débutants exerçant dans de petites structures à classe unique , les difficultés liées aux affectations sur des postes partagés entre plusieurs écoles - parfois avec un niveau différent chaque jour de la semaine - et la complexité de la prise en charge des besoins éducatifs particuliers à laquelle ils s'estiment mal préparés par une formation jugée trop théorique, voire académique, inadaptée notamment aux besoins concrets liés à l'accueil d'élèves en situation de handicap 74 ( * ) .

Selon une étude récente de la DEPP sur le temps de travail des enseignants, précédemment citée, les débutants consacrent à leur travail un nombre de jours de congé non négligeable, ce qui souligne le « coût d'entrée » dans le métier d'enseignant : « quel que soit le degré d'enseignement, le nombre de jours de préparation durant les vacances scolaires diminue avec l'âge des enseignants » ; « Dans le premier degré, la moitié des enseignants de moins de 35 ans déclarent travailler au moins 41 jours pendant leurs vacances, contre 27 jours pour les 45 ans ou plus . De même, dans le second degré, la moitié des enseignants de moins de 35 ans travaille au moins 39 jours pendant les vacances, contre 31 jours pour les 45 ans et plus » 75 ( * ) .

D'autres témoignages relatifs au second degré confirment que la moyenne d'âge dans les territoires peu attractifs semble basse : comme l'a fait observer l'un des représentants syndicaux rencontrés par le rapporteur pour avis, « En Seine-Saint-Denis, à 35 ans on est le doyen de la salle des profs ».

De fait, la proportion d'enseignants peu chevronnés en REP et REP+ demeure élevée :

- 23 % de néotitulaires en 2021-2022 dans le premier degré ; 22 % dans le second degré 76 ( * ) ;

- 57,2 % des enseignants y avaient moins de cinq ans d'ancienneté en 2020 ; 55,9 en 2021 77 ( * ) .

L'objectif du ministère est, dans ces postes où la rémunération fait l'objet d'un effort particulier, de parvenir en 2025 à une proportion de 50 % d'enseignants ayant au moins cinq ans d'ancienneté en éducation prioritaire : cet objectif semble peu ambitieux par rapport à la situation actuelle. Il ne permettra, une fois atteint, qu'une amélioration très relative .

Les conditions dans lesquelles les enseignants débutent dans le métier posent deux questions :

- leur formation initiale les prépare-t-elle de manière satisfaisante aux difficultés de leur métier, à la diversité des publics accueillis par l'éducation nationale et à la complexité de la prise en compte des besoins particuliers des élèves, qui complique singulièrement la transmission des connaissances ?

- sont-ils correctement accompagnés au cours de leurs premières années d'exercice ?

En 2022, la formation initiale des enseignants s'est adaptée aux nouvelles conditions d'accès aux concours externes, prévus désormais en seconde année du master MEEF. Parallèlement à ces concours, dont les lauréats sont issus de master MEEF ou de masters disciplinaires, de nouvelles voies d'accès au métier d'enseignant ont été mises en place depuis 2019.

Deux parcours destinés depuis 2019 à une préparation progressive,
avant le master, aux métiers de l'éducation :

- les assistants d'éducation (AED) en préprofessionnalisation : un contrat de préprofessionnalisation de trois ans est proposé en L2 et permet une formation pratique en école ou en établissement scolaire du second degré, de manière à favoriser une montée en puissance progressive des temps d'intervention dans les classes, limités à huit heures par semaine afin de ne pas compromettre la réussite universitaire des intéressés ;

- le parcours préparatoire au professorat des écoles (PPPE), adossé à une licence généraliste, et dispensé partie en lycée, partie à l'université, de la L1 à la L3 (3 000 recrutements prévus pour les rentrées 2022 et 2023). Dès la L2, les étudiants en PPPE peuvent également cumuler le dispositif d'AED en préprofessionnalisation .

L'année de stage qui succède à la réussite aux concours a été réorganisée en cohérence avec les nouvelles exigences de diplôme pour concourir , précédemment évoquées. Elle obéit à des logiques différentes selon le parcours antérieur des lauréats 78 ( * ) :

- les lauréats issus d'un master MEEF ou qui ont déjà de l'expérience en matière d'enseignement exercent désormais à temps plein devant les élèves , sous réserve de 10 à 20 jours de formation ;

- les lauréats issus d' autres masters exercent, comme c'était le cas précédemment, à mi- INSPÉ devant les élèves et sont, le reste du temps, en formation au sein d'un INSPÉ.

Avant cette réorganisation :

- l'organisation de l'année de stage était la même pour tous les lauréats des concours, qui alternaient, quel que soit leur parcours antérieur, temps de formation en INSPÉ et temps d'observation ou périodes de responsabilité devant leur classe ;

- en seconde année de master MEEF, les étudiants qui avaient réussi leur concours en fin de M1 cumulaient stage et poursuite de leur scolarité afin de valider leur master. Ils effectuaient leur stage dans les mêmes conditions que leurs collègues issus des autres masters (temps d'observation ou périodes de responsabilité devant les élèves à mi-temps et formation en INSPÉ).

Ainsi, les étudiants de master MEEF ayant réussi un concours pouvaient être titularisés dès la fin de l'année de M2. Désormais le titularisation intervient à la fin de l'année suivante .

La réforme entrée en vigueur en 2022 vise en principe :

- à alléger la charge de travail en seconde année de master MEEF , désormais concentrée sur la préparation du concours et la validation du master, la titularisation étant reportée à une troisième année dédiée au stage ;

- à renforcer le caractère professionnalisant du master MEEF en intégrant au cursus, avant les concours, des périodes de mise en situation professionnelle (stages, parcours en alternance).

Trois aspects de cette réforme ont plus particulièrement attiré l'attention du rapporteur :

- l'augmentation de la part des praticiens parmi les formateurs des futurs enseignants : un tiers au moins du temps de formation en INSPÉ devra être assuré par des personnels d'éducation exerçant en parallèle devant des classes ou en établissement. La contribution d'enseignants de terrain à la formation des futurs professeurs semble relever du bon sens : on ne peut que regretter que cette orientation n'ait pas été mise en oeuvre depuis longtemps. Or, selon les informations transmises au rapporteur, « la constitution des nouvelles équipes pluri catégorielle au sein des INSP É , devant compter un tiers de praticiens, est plus ou moins atteinte selon les académies. La composition mixte des équipes pédagogiques reste donc à élargir et à systématiser ». Cette mixité est pourtant une condition essentielle pour que la formation dispensée en INSPÉ ne soit pas excessivement théorique et réponde aux attentes et aux besoins des futurs enseignants ;

- la volonté d'éviter « Les affectations (des stagiaires) dans les écoles et les EPLE dans lesquelles les conditions d'enseignement sont les plus complexes (...) , notamment en éducation prioritaire, et plus particulièrement dans les écoles et les collèges classés réseau d'éducation prioritaire renforcé (REP+) ». Cet engagement, qui aurait dû être pris beaucoup plus tôt, semble primordial pour fidéliser les nouveaux enseignants et prévenir les démissions précoces que l'on déplore chaque année. Il montre a contrario que des affectations de stagiaires en REP ou REP+ ont été effectives encore tout récemment, ce qui est alarmant ;

- l'accompagnement de chaque stagiaire par un tuteur désigné de préférence au sein de l'école ou de l'EPLE au sein duquel se déroule la mise en situation professionnelle : il s'agit, là encore, d'une mesure de bon sens pour assurer l'intégration d'un débutant dont on peut s'étonner qu'elle ne soit pas en vigueur depuis longtemps.

Cette réforme devra donc faire l'objet d'un suivi rigoureux :

- contrairement à l'objectif affiché, la deuxième année de master MEEF semble devoir impliquer une charge de travail intense, entre préparation du concours, validation du master (supposant notamment la rédaction d'un mémoire) et réalisation de stages ou d'alternance ;

- l'organisation des parcours de formation individualisés paraît un défi pour les INSPÉ compte tenu de la grande diversité des profils des lauréats ;

- de même, on peut craindre une grande complexité d'organisation des stages et alternances , pour des publics très différents (étudiants en master MEEF, lauréats aux concours, AED en préprofessionalisation, étudiants en PPPE), ce qui pose notamment la question de la disponibilité de tuteurs en nombre suffisant de sorte que l'accompagnement humain de ces futurs enseignants soit à la hauteur.

Le rapporteur pour avis s'est par ailleurs intéressé à un aspect important de l'accompagnement des jeunes enseignants, parallèlement à l'accompagnement humain : les ressources pédagogiques dont disposent les enseignants débutants, plus particulièrement dans le premier degré . Certains ressentent en effet le besoin d'outils « clé en main » : selon une professeure à l'INSPÉ de Bourgogne, ces outils, quand ils existent, permettent aux enseignants inexpérimentés de « faire en toute sécurité leurs premières armes pour maîtriser à la fois le contenu didactique et la gestion de groupe » ; « Lorsque cette possibilité leur est donnée, les expériences qu'ils réalisent sont bien plus gratifiantes » 79 ( * ) .

La mise à disposition d'outils pédagogiques gratuits susceptibles de mieux accompagner les enseignants peu chevronnés et de rendre leur début dans la profession moins complexe est d'autant plus nécessaire que de nombreux enseignants (40 % des professeurs d'école et 50 % des professeurs du second degré) ne sont pas issus des masters MEEF et se retrouvent devant leur classe à mi-temps dès la rentrée scolaire suivant le concours.

Des progrès ont certes été accomplis dans ce domaine depuis 2020 et l'on trouve désormais en ligne, sur le site Éduscol édité par la DGESCO, des guides fondamentaux comprenant des exemples concrets de séquences susceptibles d'aider des professeurs d'école débutants ou souhaitant se familiariser avec un cycle dans lequel ils n'ont pas encore exercé. Ces ouvrages, qui ne concernent à ce jour, s'agissant du premier degré , que le français et les mathématiques , se concentrent sur la maternelle ( Pour enseigner le vocabulaire à l'école maternelle , Pour préparer l'apprentissage de la lecture et de l'écriture à l'école maternelle ) et le CP ( Pour enseigner la lecture et l'écriture au CP, Pour enseigner les nombres, le calcul et la résolution de problèmes au CP ) 80 ( * ) .

Faute de documents susceptibles de les accompagner, les enseignants peu chevronnés peuvent être tentés de chercher en ligne des ressources pédagogiques gratuites dont la pertinence n'est pas nécessairement garantie 81 ( * ) . De plus, celles que propose le réseau Canopé, dépendant du ministère de l'éducation nationale, présentent l'inconvénient d'être souvent payantes .

Il est donc nécessaire que le ministère poursuive l'effort de publication de guides et outils pour aider les enseignants inexpérimentés à trouver des réponses concrètes à leurs questions et les accompagner dans l'élaboration de leurs séquences pédagogiques. Cet effort est complémentaire de la dynamique déployée en matière de formation initiale et d'accompagnement des jeunes enseignants. Le rapporteur pour avis y sera attentif .

Deux exemples de ressources à compléter :
la différenciation pédagogique et l'éducation prioritaire

Parallèlement aux guides fondamentaux , le site Éduscol propose une fiche sur la notion de différenciation pédagogique 82 ( * ) , qui paraît extrêmement générale ; une vidéo de quelque six minutes montrant une « situation d'apprentissage sur la conscience phonologique » en CP (éducation prioritaire) ne parvient qu'à mettre en évidence l'extrême complexité de la notion, sans paraître de nature à donner à un enseignant peu chevronné les outils pour y procéder, malgré l'engagement certain et l'expérience indéniable de l'enseignante filmée.

Dans le même esprit, la fiche « Refonder l'éducation prioritaire - un référentiel pour l'éducation prioritaire » 83 ( * ) , qui fait partie des « ressources d'accompagnement du programme de cycle 2 », se borne à des considérations très générales et théoriques (telles que « Dans les différentes matières, le travail en groupe des élèves s'organise dans des groupes hétérogènes pour favoriser les confrontations des démarches intellectuelles » ; « Les projets collectifs et des devoirs communs, organisés en équipes, sont mis en oeuvre sur des disciplines et/ou des niveaux jugés pertinents par le réseau »). Ce document ne comporte pas a priori d'indication concrète mobilisable par un enseignant qui rencontrerait des difficultés en REP.


* 73 Jean-Pierre Obin, Enseigner, un métier pour demain, rapport au ministre de l'éducation nationale, avril 2002.

* 74 Par exemple : « J'ai eu un cours intitulé « adaptation à la diversité » en M2. C'était un topo historique sur la prise en compte du handicap ! » (Cité dans « Quitter l'enseignement : un révélateur des transformations du métier dans le premier degré », Éducation et société , 2019/1, n° 43).

* 75 DEPP, « La moitié des enseignants déclare travailler au moins 43 heures par semaine », note 22.30, octobre 2022.

* 76 DEPP, Panorama statistique des personnels de l'enseignement scolaire - 2021-2022 , octobre 2022.

* 77 Projet annuel de performance annexé au PLF 2023, p. 55.

* 78 Arrêté du 4 février 2022.

* 79 Sandrine Garcia, « Quand les enseignants claquent la porte », laviedesidees.fr , 29 juin 2021.

* 80 On trouve également un guide fondamental relatif à la lecture au cours moyen ( La compréhension au cours moyen ) ainsi qu'un guide de français de niveau CE1 ( Pour enseigner la lecture et l'écriture au CE1 ).

* 81 Voir par exemple Caroline Beyer, « Des "pédagogies inacceptables"toujours à l'oeuvre en classe de CP », 1 er novembre 2022, Lefigaro.fr (Le Conseil scientifique de l'éducation nationale déplore le recours à des méthodes de lecture mixtes ; les enseignants concernés « expliquent n'avoir pas reçu de formation préalable à l'entrée en classe de CP et avoir choisi cette méthode en raison de sa gratuité sur internet »).

* 82 https://eduscol.education.fr/document/14 206/download , « Mise en oeuvre de la différenciation pédagogique ».

* 83 https://eduscol.education.fr/document/14 248/download

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