EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 16 NOVEMBRE 2022

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M. Laurent Lafon , président . - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Jacques Grosperrin sur les crédits consacrés à l'enseignement scolaire dans le projet de loi de finances pour 2023.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis sur les crédits de l'Enseignement scolaire . - Monsieur le président, mes chers collègues, à l'occasion de ce rapport pour avis, j'ai fait le choix cette année de développer plus particulièrement, parmi toutes les thématiques que permet d'aborder la mission « Enseignement scolaire », les questions relatives à l'attractivité du métier d'enseignant. J'ai fait ce choix en lien avec une actualité qui a mis en évidence une crise de recrutement très problématique lors des concours de 2022.

Mon rapport s'inscrit sur ce point dans la continuité des travaux de nos collègues Françoise Laborde et Max Brisson sur le métier d'enseignant, et dans la complémentarité des analyses du rapporteur spécial, Gérard Longuet, sur les rémunérations.

Les crédits de la mission Enseignement scolaire pilotés par le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse (hors enseignement agricole, programme relevant du ministère de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire) s'établiront en 2023, en crédits de paiement et à structure budgétaire courante, à 58 821,416 millions d'euros au lieu de 55 245,271 millions d'euros dans la loi de finances pour 2022 (hors contributions aux pensions de l'État), soit une hausse de 6,5 % (+ 3,57 milliards d'euros).

L'effort financier est donc réel.

J'ai toutefois identifié trois principaux points de vigilances qui devront impliquer de notre part, dans les mois à venir, un suivi attentif - je dirais même sans concession :

Premier point de vigilance : des moyens substantiels sont dédiés à la revalorisation des rémunérations des enseignants (935 millions d'euros entre septembre et décembre 2023). Au total, l'ensemble des mesures de revalorisation représentent dans le budget plus de 1,135 milliard d'euros. Mais suffiront-elles à produire le « choc d'attractivité » nécessaire ? Il faudra poursuivre cet effort pendant de longues années avant que la revalorisation reçoive une traduction concrète. Le ministre nous l'a d'ailleurs confirmé la semaine dernière.

L'objectif est qu'aucun enseignant débutant ne gagne moins de 2 000 euros : c'est un minimum avec ce niveau de diplôme !

Il y a dans ce domaine des marges de progression évidentes : la rémunération moyenne des enseignants équivaut actuellement à celle d'un fonctionnaire de catégorie B de la Police nationale ; le salaire médian est de 2 290 euros, ce qui veut dire que la moitié des enseignants gagne moins ; le déroulement de carrière est lent et aléatoire, les grades supérieurs (hors classe et classe exceptionnelle) sont atteints à un âge avancé et concernent peu d'enseignants (mon rapport détaille les chiffres : je vous y renvoie).

Deuxième point de vigilance : le schéma d'emplois prévoit une diminution de quelque 2 000 postes d'enseignants en 2023.

Les projections démographiques prévoient dans les prochaines années une baisse sensible du nombre d'élèves (environ 100 000 élèves par an). De plus, selon le ministère, les suppressions de postes s'élèveraient à 5 000 si l'on tirait toutes les conséquences de cette évolution.

Toutefois, ces 2 000 postes en moins interrogent, compte tenu des besoins liés à l'amélioration du taux d'encadrement, et des vives tensions sur les moyens humains que connaît l'éducation nationale.

Il n'est pas exclu que ces tensions, que risquent d'aggraver les suppressions de poste, fragilisent les moyens mobilisables pour des remplacements de courte durée, et affectent la participation des enseignants à des sessions de formation continue, alors même qu'il s'agit là d'un besoin essentiel - le Grenelle l'a montré.

Troisième point de vigilance : l'école inclusive.

Voici quelques chiffres pour éclairer la réflexion : il y avait plus de 430 000 élèves en situation de handicap à la rentrée de 2022 ; ce nombre augmente de 6 % par an depuis 2012 ; il a augmenté de de 81 % entre 2012 et 2021 ; malgré la baisse démographique à venir, les projections tablent sur un besoin croissant en ULIS (+ 2 % par an) ; les notifications d'affectation en ULIS progressent chaque année de 8,6 %.

2,4 milliards d'euros sont inscrits dans le PLF 2023 au titre du programme 230. Or malgré ces moyens importants, les besoins ne sont pas couverts. D'une part, les élèves ne pouvant être accueillis en établissements médico-sociaux, faute de places disponibles, sont affectés en ULIS, ce qui réduit le nombre de places en ULIS pour les élèves qui, malgré une notification d'affectation en ULIS, doivent être scolarisés en milieu ordinaire. D'autre part, le manque d'AESH est bien connu : 56 % seulement en moyenne des élèves en situation de handicap bénéficient d'un accompagnement humain. Dans l'académie de Versailles, il manquait 700 AESH à la rentrée de 2022.

4 000 postes d'AESH sont créés par le budget, mais il est évident que cette profession, marquée par une vraie précarité, reste peu attractive malgré les efforts récemment entrepris pour revaloriser les rémunérations. Sur ce point, l'amendement adopté par l'Assemblée nationale pour augmenter de 80 millions d'euros les rémunérations des AESH est une bonne chose. Il reste aussi à progresser sur la prise en charge du temps de travail des AESH pendant la pause méridienne et le temps périscolaire, car le temps partiel contraint amplifie la faiblesse des rémunérations de ces personnels. La mission d'information prévue sur ce sujet au sein de notre commission vient donc à point nommé.

Je consacre un passage de mon rapport au bilan de l'accueil des 19 000 élèves ukrainiens en France depuis le début de la guerre. Je me bornerai ce matin à mentionner que, selon le ministre de l'éducation nationale, ces élèves ont un an d'avance sur les nôtres en mathématiques. Ce constat préoccupant confirme l'urgence d'un effort dans ce domaine où le système français excellait autrefois...

J'en viens aux parties du rapport consacrées à l'insuffisante attractivité du métier d'enseignant.

Évoquons tout d'abord les concours de 2022, marqués par une baisse très alarmante du nombre de candidats, surtout dans le premier degré. On compte au total 3 756 postes non pourvus : le nombre a été multiplié par trois entre 2021 et 2022.

Dans le premier degré, les difficultés se sont concentrées sur les académies de Créteil et de Versailles, dans une moindre mesure de Paris. Dans leur majorité, les autres académies semblent avoir réussi à recruter à la hauteur de leurs besoins.

Selon le ministère, le « creux » de 2022 est la conséquence mécanique des nouvelles conditions d'accès aux concours de l'enseignement, qui supposent désormais d'être titulaires d'un master. Les étudiants de master MEEF passent donc les concours en M2 et non plus en M1. L'année 2023 devrait donc, selon cette logique, être plus propice grâce à la reconstitution du vivier de candidats.

Nous devrons donc être vigilants lors des prochains concours. Pour ma part, je crains que la chute observée en 2022 ne soit pas passagère. En effet, le nombre d'inscrits en master MEEF baisse (sauf pour l'option Encadrement éducatif), ce qui traduit une diminution de l'intérêt des jeunes pour l'enseignement, même si tous les candidats aux concours ne sont pas issus de ces formations.

Je passe rapidement sur la problématique du recours aux contractuels, vous renvoyant sur ce point à mon rapport. Par-delà l'emballement médiatique inspiré par les «rendez-vous de recrutement » et les quatre jours de formation organisés en août dernier, le besoin de contractuels risque de perdurer. Nous devrons donc être attentifs à la manière dont ces personnels sont recrutés et formés.

J'en viens aux leviers à mobiliser pour enrayer le déclin de l'attractivité du métier d'enseignant.

Le ministre a parlé d'un « sentiment de déclassement ». Celui-ci a été parfaitement commenté dans le rapport de Max Brisson et de Françoise Laborde en 2018.

Parmi les enjeux de la revalorisation du métier d'enseignant, j'insiste sur la gravité des statistiques relatives aux démissions. Officiellement, on estime que les démissions représentent des proportions « peu significatives » rapportées aux effectifs globaux : 0,34 % seulement des effectifs des premier et second degrés.

En réalité, le phénomène est inquiétant, non seulement parce qu'il augmente régulièrement (la courbe est très nettement ascendante), mais aussi par la forte proportion d'enseignants jeunes et en début de carrière, parfois dès l'année de stage. Le système peine donc non seulement à recruter, mais aussi à fidéliser.

En outre, rapportés aux résultats des concours, les effectifs concernés sont loin d'être anodins. Les 1 499 démissions constatées en 2020-2021 dans le premier degré équivalent à 15 % des admis aux concours de professeur d'école en 2021. Les 912 démissions en 2020-2021 de professeurs du second degré équivalent à 7,5 % des lauréats des concours de 2021.

Qu'elles concernent des enseignants chevronnés ou des débutants, les démissions s'apparentent à un véritable gâchis humain et financier, a fortiori dans le contexte actuel de crise de recrutement.

L'amélioration des débuts dans la carrière d'enseignant est donc une urgence pour rendre plus attractif un métier dont on peut comprendre qu'il peine à attirer.

Sur ce point, le « bizutage institutionnel » dénoncé dans un rapport au ministre par Jean-Pierre Obin en 2002 reste d'actualité. Pour faire simple, dans l'enseignement les conditions d'exercice les plus dures sont pour les plus jeunes.

Nous le savons, la mobilité géographique est une contrainte considérable pour les enseignants, surtout en début de carrière puisque l'ancienneté est décisive dans le barème. C'est le deuxième motif de saisine de la médiatrice de l'éducation nationale, qui connaît bien ce sujet. Faute d'avoir obtenu leur exeat , plus de 8 700 enseignants sont en disponibilité pour suivi de conjoint. Les conséquences en termes de rémunération et de retraite sont regrettables. Là encore, c'est un vrai gâchis.

Il est indispensable de travailler dans le sens d'une plus grande souplesse en matière de mutation géographique pour améliorer l'attractivité de l'enseignement. Je ne vois pas comment convaincre les jeunes de faire le choix d'un métier cumulant les inconvénients d'une rémunération relativement faible, de perspectives de carrière limitées et aléatoires, d'un temps de travail important et d'un risque d'enfermement territorial qui affecte considérablement la conciliation vie professionnelle/vie privée.

La démarche contractuelle proposée par Max Brisson et Françoise Laborde dans leur rapport de 2018 est évidemment une piste prometteuse, dont le ministère gagnerait à s'inspirer.

Un mot, pour finir, sur la formation initiale des enseignants, dont la réforme récente - concernant plus particulièrement l'année de stage - est commentée dans mon rapport. Selon des témoignages que j'ai consultés, les enseignants débutants trouvent leur formation trop théorique pour leur permettre des débuts sereins dans la carrière. Ils se sentent insuffisamment préparés aux situations auxquelles ils sont souvent confrontés. Je pense plus particulièrement à l'école inclusive et aux besoins éducatifs particuliers. En outre, je vous mets au défi de trouver sur Éduscol ou Canopé des outils pédagogiques gratuits et concrets répondant à ce besoin. Le rapport donne des exemples précis de cette lacune.

La réforme prévoit un effort en matière d'accompagnement : il était temps ! Là encore, la vigilance s'impose et nous devrons contrôler attentivement sa mise en oeuvre.

En conclusion, malgré les points de vigilance que j'ai exposés, qui devront impliquer de notre part un suivi rigoureux, je vous propose, mes chers collègues, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Enseignement scolaire, eu égard à l'effort réel qu'elle traduit, notamment à l'égard du monde enseignant, et par cohérence avec le vote émis par la commission des finances.

M. Stéphane Piednoir . - Je salue le travail de notre rapporteur, et la connaissance fine de l'éducation nationale dont il est l'écho. Ce travail identifie les difficultés auxquelles se heurte le système éducatif, qu'il s'agisse des conditions de travail des enseignants ou des conditions d'accueil des élèves, et les leviers pour les améliorer. Le PLF 2023 prévoit une hausse significative du premier budget de l'État, hors remboursement de la dette : on peut se féliciter de cet effort, plus particulièrement à l'égard des enseignants. La revalorisation de leur rémunération est juste et bienvenue, mais il faut aussi améliorer leur déroulement de carrière. Ce budget en augmentation est le signe d'une nation qui consacre beaucoup d'argent public - près de 59 milliards d'euros - aux jeunes générations.

Ce constat ne doit toutefois pas nous exonérer de l'examen du service rendu par l'éducation nationale : le compte n'y est pas ! Trop de jeunes sortent du système sans diplôme, le décrochage reste important malgré des efforts dont les effets ne pourront se traduire que dans le temps long - je pense notamment aux réductions d'effectifs dans les classes -. On ne peut se satisfaire non plus du rang médiocre de notre pays dans les classements internationaux, pas seulement en mathématiques... Les moyens massifs injectés dans l'éducation nationale n'ont donc pas l'efficacité attendue.

Nous le savons, les conditions de travail des enseignants tiennent aussi à des difficultés telles que les effectifs trop nombreux et, surtout, le manque de discipline. La bienpensance à l'oeuvre pendant des années a empêché les élèves de progresser et les enseignants de travailler. Il faut revenir à l'autorité et aux devoirs à la maison.

Les démissions d'enseignants augmentent - ne nous arrêtons pas aux pourcentages, qui masquent la gravité du processus - et le nombre de candidats aux concours diminue : autant de signes préoccupants d'une baisse d'attractivité de ce beau métier ! Sur les enseignants pèse aujourd'hui une diversité de missions - respect du principe de laïcité, école inclusive... - qui me semble déraisonnable. Il faut y réfléchir. L'enseignement moral et civique, comme l'a montré la mission commune d'information sur la culture citoyenne que j'ai présidée l'an dernier, le confirme : la dilution et l'extension de son contenu illustrent cette tendance à élargir sans cesse les missions des enseignants.

L'intervention du rapporteur me conduit à m'interroger sur l'annonce récente du ministre de l'éducation nationale relative à l'introduction des mathématiques dans le tronc commun, à raison d'une heure trente obligatoire pas semaine. Comment sera mise en oeuvre cette décision et avec quels moyens, compte tenu du manque de professeurs de mathématiques, cette matière étant « en tension » ?

De plus, en ces temps de sobriété énergétique, du fait de l'importance de l'immobilier public (500 000 mètres carré), dont une part importante concerne les collèges et les lycées qui appartiennent aux collectivités territoriales, quelles sont les préconisations du ministère en matière de chauffage ? Les élèves devront-ils investir cet hiver dans des cols roulés ? Quelle sera la charge pour les collectivités territoriales ? Quant aux expériences de chimie, seront-elles ajournées sauf si l'origine locale et le caractère renouvelable du gaz consommé par les becs bunsen sont garantis ? Et y aura-t-il un plan de soutien aux collectivités territoriales pour les aider à financer la rénovation des bâtiments, dont nous savons qu'elle est indispensable ?

Je m'associe par ailleurs à la vigilance du rapporteur sur l'école inclusive et à ses autres constats, qui auraient pu justifier un avis réservé sur les crédits de cette mission. Je prends acte comme lui de l'effort dont font l'objet ces crédits, tout en rappelant que ce budget est adossé à un déficit annuel de 160 milliards d'euros ! Notre groupe suivra son avis.

Mme Annick Billon . - Au cours du précédent quinquennat, les crédits destinés à l'enseignement scolaire ont connu une hausse régulière. Je salue donc la nouvelle augmentation inscrite dans ce PLF, même si une part non négligeable de cet effort tient de manière mécanique à l'augmentation du point d'indice.

Toutefois, de nombreuses difficultés persistent, à commencer par la baisse de l'attractivité du métier enseignant, qui ne date pas d'aujourd'hui. Autre sujet d'inquiétude : la médecine scolaire. En 2011, un rapport tirait déjà la sonnette d'alarme, notant une forte proportion de postes vacants - environ un tiers - et d'importantes disparités entre les territoires. C'est un problème structurel, selon le ministre : que le gouvernement s'en saisisse ! En onze ans, nous n'avons pas avancé en la matière.

S'agissant de l'école inclusive, malgré les efforts destinés à la rémunération des AESH, cette profession reste marquée par une forte précarité, aggravée par le temps partiel contraint. Elle suscite donc peu de vocations. J'insiste aussi sur l'importance de la formation de ces personnels, largement perfectible.

Quant à l'éducation à la sexualité, c'est une priorité si nous ne voulons pas que la pornographie fasse l'éducation sexuelle de nos enfants. Le rapport de la délégation aux droits des femmes l'a clairement montré. Un tiers des moins de 12 ans ont été exposés à des images pornographiques ; deux tiers des moins de 15 ans. Or seulement 10 % des établissements respectent les trois séances par an et par niveau prévues par la loi. Stéphane Piednoir a raison de dire que l'on demande beaucoup aux enseignants ; précisément, l'éducation à la sexualité pourrait être confiée à d'autres intervenants.

Enfin, s'agissant de la réintégration des mathématiques dans le tronc commun, comment cette heure trente va-t-elle pouvoir tenir dans des agendas déjà surchargés ?

Le groupe Union centriste suivra l'avis du rapporteur avec des points de vigilance majeurs : malgré un budget en hausse, l'école reste inégalitaire.

Mme Marie-Pierre Monier . - Quel beau rapport ! Ce réquisitoire à charge me conviendrait tout à fait si le rapporteur en tirait les conséquences en proposant un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission. Vous évoquez l'augmentation substantielle des crédits : mais compte tenu du niveau d'inflation, heureusement que ce budget augmente de 6 % ! Cet effort doit être relativisé. Je rejoins le rapporteur sur la crise d'attractivité du métier enseignant. Les chiffres inquiétants concernant les candidats aux concours et les postes non pourvus ont rythmé l'année 2022. Je doute que les choses s'améliorent lors des concours de 2023 : le report de la date limite d'inscription, faute de candidats en nombre suffisant, montre que les problèmes de recrutement de 2022 risquent de perdurer. Cette crise du recrutement s'explique en partie par le faible niveau des rémunérations. Le gouvernement nous promet un choc d'attractivité, cristallisé autour de trois chiffres clé : la promesse d'un salaire minimum de 2 000 euros en début de carrière, une hausse moyenne des rémunérations de 10 %, et 935 millions d'euros de revalorisations, qui doivent toutefois être rapportés à des effectifs considérables (856 500). Le gouvernement a fait le choix de cibler les vingt premières années d'exercice. Quid des autres enseignants ? Nous assisterons très certainement à un nouvel « effet de plateau ». Ils pourront, nous dit-on, accéder plus facilement aux grades, hors classe et classe exceptionnelle, assortis de rémunérations plus élevées. Mais nous savons, le rapporteur l'a indiqué, que ces promotions sont très tardives concernent une proportion très faible des enseignants... On leur propose aussi les revalorisations conditionnelles inscrites dans le « pacte » : il s'agit de travailler plus pour gagner plus, alors que leur charge de travail est déjà bien lourde. Nous sommes très fermement opposés à cette part conditionnelle de la revalorisation.

Je ne suis pas sûre que le gouvernement ait pris la mesure de la désaffection profonde qui frappe aujourd'hui le métier d'enseignant. Elle tient aussi à leurs conditions d'exercice, cela a été dit. À cet égard aussi, le projet de loi de finances interroge. Je pense aux suppressions de poste, qui sont dans le premier degré sont en décalage complet, à mon avis, avec les objectifs d'amélioration du taux d'encadrement. Nous nous sommes interrogés, avec Annick Billon et Max Brisson, dans notre rapport sur le bilan du dernier quinquennat en matière éducative publié au cours de la précédente session, sur les besoins suscités par ces mesures de dédoublement et de plafonnement des effectifs. 7 500 postes ont été supprimés entre 2018 et 2021. Dans certains établissements, la situation est très dégradée, comme je l'ai constaté dans mon département de la Drôme. Ces suppressions peuvent compromettre l'existence de l'association sportive ou la poursuite de l'éducation au développement durable, ou se traduire par des fermetures de classes qui impliquent des effectifs accrus et de moins bonnes conditions de travail et d'études.

S'agissant de l'école inclusive, on peut saluer la création de 4 000 postes d'AESH et la revalorisation de leur rémunération à partir de la rentrée de 2023. Mais leur situation précaire demeure une vraie préoccupation. Nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen de la proposition de loi relative à la rémunération des AESH et des assistants d'éducation, dont je suis rapporteure.

Quant au fonds d'innovation pédagogique (FIP), inscrit dans les crédits de la mission « Investir pour la France 2030 », il sera doté de 150 millions d'euros en 2023, dans le sillage de l'expérimentation conduite à Marseille. Cette logique d'appel à projet me paraît très contestable : on répond à la demande au lieu de répondre aux besoins ! Cette méthode pose la question des établissements qui ne seront pas en mesure, faute de temps par exemple, de présenter un projet. Elle est potentiellement créatrice d'inégalités. Nous avons constaté à Marseille que des établissements prioritaires étaient laissés au bord du chemin. Pour ma part, je préfère la logique de l'équité à celle du marché. Nous devons offrir à tous les enfants les mêmes chances. Mon groupe votera contre les crédits de cette mission.

Mme Céline Brulin . - Nous partageons les constats du rapporteur, mais cela va nous conduire à un vote différent du sien.

Je suis d'accord, l'effort de revalorisation des rémunérations porté par ce budget est réel, mais pas au point de produire le « choc d'attractivité » dont l'enseignement a besoin. Pour mémoire, les effectifs hospitaliers sont dans une certaine mesure comparables à ceux de l'éducation nationale. Or les 8,2 milliards d'euros consacrés à l'issue du Ségur de la santé n'ont pas produit les améliorations escomptées à l'hôpital. De ce fait, que peut-on attendre des 935 millions d'euros destinés aux enseignants ? Le déclassement et le décrochage actuels des enseignants sont le résultat d'un long gel du point d'indice. Ils confirment qu'il est plus sage de revaloriser régulièrement les personnels. Faute d'un tel choix, nous sommes aujourd'hui confrontés à des besoins considérables que nous peinons à financer.

Je considère par ailleurs que la baisse de la démographie scolaire ne devrait pas se traduire par des suppressions de postes, mais devrait être consacrée à l'amélioration du taux d'encadrement. Or, en la matière, les objectifs du précédent quinquennat ne sont pas atteints...

Je remercie le rapporteur pour les statistiques éclairantes qu'il nous a présentées, notamment en matière de démissions. Nous devrons être vigilants sur le nombre d'abandons précoces de nouveaux contractuels et sur la capacité du système à fidéliser ces personnels, et sur les moyens qui seront consacrés à la mise en oeuvre des dernières annonces sur le retour des mathématiques dans le tronc commun. Le FIP me semble par ailleurs poser plus de questions que nous n'avons de réponses, notamment sur le plan juridique et sur les critères de sélection des projets. Quant à la santé des jeunes, je rejoins l'analyse d'Annick Billon. Je crains un fâcheux manque d'ambition dans ce domaine de la part du gouvernement.

M. Julien Bargeton . - Comme dans les fables de La Fontaine, la morale par laquelle Jacques Grosperrin conclut son rapport est très importante. Bien sûr, tout ne va pas bien à l'éducation nationale, mais ce budget est en hausse de 6,5 %. L'augmentation des salaires des enseignants, à hauteur de 10 % en moyenne, est à saluer. 635 millions d'euros permettront une revalorisation inconditionnelle des rémunérations des enseignants. La hausse du point d'indice, très attendue, représente 1,7 milliard d'euros. S'agissant du FIP, 500 millions d'euros permettront d'ici 2027 de financer des projets locaux. Le Sénat ne peut que s'en réjouir, me semble-t-il. J'aimerais par ailleurs savoir quels autres vecteurs d'amélioration de la situation des enseignants, mis à part les salaires, pourraient être privilégiés pour lutter contre la crise d'attractivité de la profession.

Mme Monique de Marco . - Je remercie le rapporteur pour son analyse claire et précise. Les priorités du ministère de l'éducation nationale sont la revalorisation des rémunérations des personnels, la réussite de tous les élèves, l'école inclusive... De fait, le budget augmente de manière sensible, mais à hauteur de l'inflation. En comparaison, l'effort budgétaire effectué entre 2016 et 2017 (+4,8 %) était supérieur. De plus, je ne suis pas convaincue par la promesse de revalorisation de 10 %, qui vaut en réalité pour le quinquennat. Attendons la suite ! Quant au choc d'attractivité, je doute qu'il soit effectif. Une autre grille salariale semble en préparation, en réalité. Je m'inquiète du message que renvoie la création de 4 000 postes d'AESH alors que 2 000 postes d'enseignants sont supprimés. Je m'associe également aux remarques précédentes sur la médecine scolaire. Le ministre n'a pas apporté de réponse précise, la semaine dernière, à nos interrogations sur ce sujet. Enfin, nous devrons être vigilants à l'égard de la réforme annoncée de l'enseignement professionnel, après le débat qui a eu lieu cette semaine dans notre hémicycle.

Mon groupe votera contre l'adoption des crédits de cette mission.

M. Bernard Fialaire . - En matière d'enseignement, nous avons déjà touché le fond ; nous sommes donc en train de remonter ! L'état de la médecine scolaire reflète celui de la médecine en général et rejoint le problème des déserts médicaux. Plus que de médecins, qui sont de toute façon trop peu nombreux, on a besoin d'infirmières, de psychologues et d'assistants sociaux dans les établissements. Dans le cadre de partenariats avec les départements, les PMI et, de manière générale, les services médico-sociaux des départements pourraient être mis à contribution. Cela pourrait être plus efficace que la médecine scolaire, qui n'a pas les moyens d'aller vers les familles, mais demeure au sein des établissements.

En ce qui concerne Parcoursup, dont nous avons débattu lundi soir en séance publique, on note des inégalités dans l'accès aux informations sur l'orientation. Selon moi, les régions doivent être associées : là encore, une logique de partenariat pourrait apporter des solutions.

J'ai par ailleurs appris avec étonnement que le fonds de soutien aux activités périscolaires diminuait en raison d'une baisse de la consommation effective de ces crédits par les communes. Enfin, mon attention a été attirée sur la participation de celles-ci aux dépenses de fonctionnement des établissements privés sous contrat. Il semble qu'actuellement ces charges augmentent, en lien probablement avec le prix de l'énergie. Il semble aussi que l'augmentation du nombre d'élèves scolarisés dans le privé contribue à accroître cette charge financière. La désaffection pour l'école publique est une dimension importante de cette question. On le constate notamment au niveau des lycées et des CPGE. En outre, je me réjouis de la création de 100 postes de CPE dans le projet de budget pour 2023, ainsi que de l'augmentation des heures de décharge pour les directeurs d'école.

Mon groupe suivra l'avis de notre rapporteur.

M. Max Brisson . - Je salue l'expertise de notre rapporteur. Cette analyse aurait pu justifier un vote défavorable, en dépit de l'augmentation des crédits et de la revalorisation des rémunérations des personnels, qui plaident quant à elles pour son approbation. Mais les rémunérations ne sont pas la seule solution à la crise actuelle. Je ne vois pas, dans ce budget, la réforme de fond qu'exige la situation des enseignants, à commencer par la fin du « bizutage institutionnel » qui caractérise les débuts dans le métier. Les néotitulaires ont besoin d'un vrai accompagnement, notamment dans les établissements difficiles où ils sont envoyés comme les « Marie-Louise » du premier Empire : qu'en est-il concrètement ? On ne voit aucun signe d'une intention d'améliorer leur accompagnement dans ce budget. De même, l'approche des ressources humaines doit être plus individualisée. Si cette orientation était mise en oeuvre, cela aurait une traduction dans le budget !

Nous connaissons la désaffection dramatique pour les concours d'enseignants qui résulte de cette situation, avec pour conséquence un recours accru aux contractuels dont l'effectif peut atteindre 20 % des professeurs devant les élèves.

L'entrée dans le métier relève du pilotage à vue. La même réflexion vaut pour l'accompagnement des nouveaux contractuels.

Nous devrons, dans l'hémicycle, exprimer clairement nos protestations et critiques. Depuis juin 2022, ce ministère vit dans un flou parfaitement entretenu. L'objectif est de calmer la colère des professeurs, qui était très forte au moment du départ de Jean-Michel Blanquer. De fait, l'objectif est atteint, mais au prix d'un pilotage à vue très perceptible...

Quoi qu'il en soit, comme l'a indiqué Stéphane Piednoir, notre groupe suivra les conclusions du rapporteur mais nous ne manquerons pas de critiques dans l'hémicycle lorsque la mission sera examinée.

M. Laurent Lafon , président . - En judo, on dit : « Il faut choisir entre avoir raison et réussir »...

M. Pierre Ouzoulias . - Le président a raison, la sagesse japonaise devrait inspirer notre réflexion.

La réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer est un échec total. Il faudra y revenir. Le Parlement n'y a aucunement été associé, ce qui est très regrettable. Certes, ces mesures relevaient du domaine règlementaire, mais un débat aurait permis de nourrir notre réflexion. Il semble que le nouveau ministre ait pour objectif de défaire ce qui a été fait par son prédécesseur - cette méthode n'est pas sans précédent depuis 2017. Selon moi l'effondrement de l'éducation nationale n'est pas loin : il y a urgence.

M. Jacques Grosperrin , rapporteur pour avis . - Comme l'a relevé Max Brisson, on ne voit pas où va ce ministère.

Je vous rejoins, mes chers collègues, sur le FIP : c'est à croire que les écoles et les établissements n'ont pas de projet. Or ils en ont, nous le voyons bien sur le terrain ! Pour l'heure, nous devons nous prononcer sur le budget, en tant que commission saisie pour avis. Comment expliquer à un enseignant débutant, dont nous connaissons la faible rémunération, que l'on ne vote pas un budget comportant des mesures de revalorisation qui lui sont destinées ? Au-delà des questions budgétaires, je ne suis pas certain que la feuille de route du ministre actuel soit très claire, notamment dans le domaine de la laïcité. Or ce ministère a besoin d'une vision claire sur l'avenir de l'éducation nationale. Nous attendons du ministre des réponses concrètes. Nous serons particulièrement vigilants en séance publique sur ce point et peut-être ferons-nous évoluer notre position à ce moment-là.

Mme Sylvie Robert . - C'est donc un avis de sagesse ?

M. Bruno Retailleau . - C'est la conviction qui fait l'honneur de la politique. Notre rapporteur est partagé entre ses constats critiques et le vote favorable de la commission des finances. À titre personnel, je pense qu'un avis de sagesse pourrait peut-être concilier ces exigences. Mais je m'en remettrai naturellement à l'avis du rapporteur et à l'appréciation de la commission.

M. Laurent Lafon , président . - Un avis de sagesse serait peut-être une façon de ne pas s'exprimer : est-ce cohérent quand on est saisi pour avis ?

M. Max Brisson . - Nous devrons être attentifs au message que nous enverrons par notre vote aux enseignants - je pense plus particulièrement aux enseignants débutants, qui sont dans certaines métropole en situation de pauvreté - alors que leurs rémunérations sont enfin revalorisées. Mais ne nous leurrons pas : l'argent n'a jamais suffi à réparer des systèmes en panne. Une réforme ambitieuse, systémique, s'impose : nous sommes d'accord sur les constats, même si nous ne nous rejoindrons pas nécessairement sur les conséquences qui doivent en être tirées.

M. Pierre Ouzoulias . - Je vous rassure, mon cher collègue, notre groupe va voter contre ce budget, comme c'est le cas depuis des années, et nous n'aurons aucune difficulté à nous en expliquer auprès des enseignants ! Pour nous, la revalorisation prévue par le PLF est insuffisante.

M. Julien Bargeton . - Nous sommes confrontés à une divergence de vues entre le rapporteur spécial et le rapporteur pour avis, pourtant membres du même groupe...

M. Jacques Grosperrin , rapporteur pour avis . - Avant que nous nous prononcions, je souhaiterais apporter très brièvement quelques éléments de réponse.

La revalorisation des rémunérations est bienvenue, ce qui n'empêche pas un regard critique sur ce budget. Le temps de travail des enseignants est considérable : selon une étude récente, ils déclarent entre 35 et 60 heures par semaine dans le premier degré ; entre 33 et 65 heures dans le second degré. Stéphane Piednoir a évoqué le décrochage et les médiocres performances de la France dans les classements internationaux : l'héritage est là ! Dans cette logique, le renforcement des horaires de maths obligatoire va dans le bon sens. Le budget traduit des efforts certains en matière d'investissement immobilier, notamment dans les outre-mer. La médecine scolaire subit un manque d'attractivité évident, en lien probablement avec des rémunérations trop faibles. La proposition de loi que Marie-Pierre Monier va rapporter permettra une réflexion utile et éclairera le débat. S'agissant du FIP, je le répète, les établissements avaient des projets avant cette annonce ! La baisse de la démographie scolaire aurait pu justifier une diminution plus brutale du nombre de postes d'enseignants. Ces 2 000 postes supprimés auraient pu néanmoins permettre d'améliorer le taux d'encadrement. Les postes non pourvus s'élèvent à 1 686 dans le premier degré ; 2 070 dans le second degré, soit au total 3 756. Les démissions concernent malheureusement les enseignants les plus jeunes : les moins de 40 ans représentent 51 % des démissionnaires dans le premier degré ; 45 % dans le second degré. On comptait 1 499 démissions en 2020-2021 dans le premier degré ; 912 dans le second degré. L'augmentation des crédits de la mission ne doit pas, à mon avis, s'apprécier uniquement à l'aune de l'inflation. Quant au « bizutage institutionnel », il appelle une réforme de fond, je suis d'accord avec Max Brisson.

M. Laurent Lafon . - Mes chers collègues, je vous propose de suspendre brièvement notre réunion avant de passer au vote.

(La réunion est suspendue)

M. Laurent Lafon , président . - Mes chers collèges, nous reprenons nos échanges.

M. Jacques Grosperrin , rapporteur pour avis . - Entre réussir et avoir raison, nous choisissons la réussite du système éducatif pour les prochaines années et, à ce titre, je propose que nous nous abstenions sur le vote de ces crédits.

La commission a décidé de s'abstenir sur l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2023 et s'en remettra, dans ces conditions, à la sagesse du Sénat.

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