Avis n° 116 (2022-2023) de Mme Micheline JACQUES , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 novembre 2022

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N° 116

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances , considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour
2023 ,

TOME IV

OUTRE-MER

(sera publié ultérieurement)

Par Mme Micheline JACQUES,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mme Daphné Ract-Madoux, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285, 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26

Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Le budget de la mission « Outre-mer » est proposé, à périmètre constant et hors fonds de concours, à hauteur de 2,93 milliards d'euros (Md€) en autorisations d'engagement (AE) et 2,76 Md€ en crédits de paiement (CP) pour 2023, en augmentation respectivement de 298 et 285 millions d'euros (M€) en valeur. En raison d'un ajustement de périmètre sans aucun impact sur les bénéficiaires, les crédits réellement inscrits s'élèvent à 2,67Md€ en AE et 2,49Md€ en CP, en légère hausse, mais qui ne sera pas de nature à compenser l'impact de l'inflation attendue en 2023.

La hausse des crédits s'explique pour deux tiers par l'augmentation mécanique des compensations des exonérations de cotisations sociales. Les autres hausses sont modestes, + 1,81 % en AE pour la ligne budgétaire unique (LBU), ou portant sur des actions très ciblées mais essentielles : service militaire adapté (SMA), soutien à la Collectivité de Guyane ou à l'Agence française de développement (AFD).

Malgré un effort de territorialisation de la politique du logement, les résultats observés en termes de logements livrés et réhabilités demeurent en deçà des besoins. Ce constat appelle à la mobilisation de tous les outils et de tous les acteurs, dans le cadre d'états généraux de la construction en outre-mer, pour ensuite définir un troisième plan logement outre-mer (PLOM 3) en 2023, à la mesure de l'urgence.

L'attractivité demeure un enjeu majeur des territoires ultramarins. Cette attractivité passe par un effort renouvelé de formation, à travers l'extension du SMA ainsi qu'une réflexion sur l'amélioration de l'offre d'études supérieures dans les territoires, pour créer de la compétence et de la valeur directement sur place. L'accompagnement des mobilités par l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) en période de forte inflation est également une nécessité, fondée sur des principes d'égalité des droits, de solidarité et d'unité de la République.

La rapporteure formule 10 recommandations pour porter l'action en faveur des territoires ultramarins à la mesure des enjeux auxquels ils font face.

Adoptant une position critique constructive, la commission des affaires économiques du Sénat s'est prononcée en faveur les crédits de la mission outre-mer.

La mission « Outre-mer » est loin de regrouper l'ensemble des crédits budgétaires à destination des outre-mer - et plus loin encore de donner une image fidèle de l'effort global de l'État, en incluant les dépenses fiscales à leur endroit. Avec 2,9 Md€ demandés dans le PLF 2023, à périmètre constant, la mission ne représente que 13 % des montants totaux destinés à l'outre-mer, répartis dans 101 programmes budgétaires issus de 32 missions.

Crédits budgétaires demandés
(en Md€ et en % de l'effort global)

dont mission « Outre-mer »

AE

CP

20,1 (75 %)

21,7 (76 %)

2,9 (11 %)

2,8 (10 %)

Dépenses fiscales en faveur des outre-mer
(en Md€ et en % de l'effort global)

6,8 (entre 24 et 25 %)

Effort global de l'État en faveur des outre-mer (en Md€)

26,9

28,5

Variation avec le PLF 2022

+ 3,9 %

+ 3,3 %

Source : commission des affaires économiques,
d'après le document de politique transversale « Outre-mer ».

I. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS BIENVENUE, À REPLACER DANS UN CONTEXTE FORTEMENT INFLATIONNISTE D'UNE PART, ET DE BESOINS CONSIDÉRABLES D'AUTRE PART

A. LA FIN DE LA CRISE SANITAIRE NE DOIT PAS MASQUER DES SITUATIONS D'INÉGALITÉ ET DE FRAGILITÉ EN OUTRE-MER

Comme pour l'hexagone, les années 2021 et 2022 ont été celles de la reprise progressive pour les outre-mer. À l'issue du premier trimestre 2022, l'outre-mer avait retrouvé son niveau d'activité d'avant crise 1 ( * ). Ce constat globalement positif ne saurait ignorer les spécificités géographiques et de secteur. Si les Antilles et la Guyane sont proches de leur niveau d'avant crise, l'Océan Indien l'a dépassé, quand l'Océan Pacifique peine toujours à l'atteindre.

De même, la plupart des secteurs ont connu un fort rebond, à l'exception du tourisme, qui demeure dans une situation préoccupante. Or, ce secteur exerce un fort effet d'entraînement pour les économies ultramarines, avec à la clef de nombreux emplois directs et indirects. Le secteur de la construction est quant à lui dans une position intermédiaire, proche de son niveau de 2019.

Le taux de chômage poursuit une baisse plus lente que dans l'hexagone, pour atteindre cependant son niveau le plus bas depuis dix ans au premier trimestre 2022 2 ( * ) . Cette bonne performance est à remettre dans le contexte d'un taux de chômage structurellement élevé, à deux chiffres, dans l'ensemble des DROM, ainsi que d'une trajectoire récente à la hausse pour la Réunion.

Source : IEDOM-IEOM.

Passée la crise Covid, la hausse des coûts ainsi que les conséquences de la guerre en Ukraine font désormais figure de principales incertitudes pour les entreprises, notamment dans le BTP et dans le secteur agricole. 80 % des chefs d'entreprise déclaraient, au premier trimestre 2022, devoir faire face à des hausses de coûts, un chiffre supérieur pour les secteurs les plus exposés. À ce moment déjà, la hausse était estimée à 15 %, voire 20 % dans la construction. Les principaux postes de hausse sont l'énergie, les matières premières et le fret. Enfin, on observe assez logiquement que plus la taille de l'entreprise est réduite, plus la hausse de ses coûts est grande et plus le risque de défaillance s'accroît. Ce constat plaide pour un soutien tout particulier en faveur de ces dernières.

Au-delà de ces chiffres, il est essentiel de rappeler que l'écart de niveau de vie entre les Français hexagonaux et les Français ultramarins demeure structurel. La crise sanitaire l'a mis une fois de plus en lumière, tout comme les récents mouvements sociaux qui en découlent.

C'est dans ce contexte où la reprise côtoie l'incertitude, et où les écarts de niveau de vie sont plus que jamais présents, que doivent s'apprécier les crédits à destination des outre-mer proposés pour 2023. Ce budget se doit d'être considéré comme un budget de transition, qui s'inscrit dans une volonté affichée du ministre chargé des outre-mer d'aller vers plus de contractualisation et vers une meilleure prise en compte des besoins de chaque territoire. La volonté de faire bouger les lignes depuis l'appel de Fort-de-France 3 ( * ) doit se traduire par l'élaboration de contrats de plan territorialisés ayant pour objectif de créer de la valeur sur les territoires ultramarins.

B. UNE AGMENTATION DES CRÉDITS BIENVENUE MAIS À RELATIVISER POUR PLUSIEURS RAISONS

La mission outre-mer se divise en deux programmes.

Le programme 138 « Emploi outre-mer », composé de quatre actions, vise, selon le Projet annuel de performance (PAP) 2023, à « renforcer la compétitivité des entreprises » et « à améliorer la qualification professionnelle des actifs ultramarins ». Ce programme représente 66 % des AE de l'ensemble de la mission. En son sein, l'action 01 « Soutien aux entreprises » représente à elle seule plus de 53 % de l'enveloppe de la mission.

Le programme 123 « Conditions de vie en outre-mer », composé de huit actions, vise, toujours selon le PAP 2023, à financer « le logement social », « l'accompagnement des collectivités territoriales », « l'aide à la mobilité des populations » et « le soutien à la diversification agricole ». Ce programme représente environ 34 % du total des AE de la mission. En son sein, l'action 01 « Logement » est la plus dotée, avec des AE représentant 9 % des crédits de la mission, et 26 % des crédits du programme.

À périmètre constant, le PLF 2023 prévoit d'allouer 2 933M€ en AE et 2 757M€ en CP à la mission outre-mer, soit une hausse respectivement de 11,3 % et 11,5 %. Une telle hausse du budget en faveur des territoires ultra-marins ne peut être que saluée. Encore faut-il que les CP soient bel et bien consommés, et qu'ils traduisent bien une action résolue de l'État dans chaque territoire, au plus près des besoins.

Plusieurs facteurs tendent à nuancer grandement ces augmentations facialement importantes.

Premièrement, une large partie de cette hausse, d'environ deux tiers, à périmètre constant par rapport au PLF pour 2022, est le fait d'une augmentation des prévisions du montant des compensations d'exonérations de cotisations sociales (+ 203M€), sachant que cette seule action représente pour 2023 plus de la moitié de l'enveloppe totale de la mission outre-mer.

Deuxièmement, à l'échelle de l'effort global en faveur des outre-mer, les documents fournis par le Gouvernement permettent de calculer une augmentation de l'enveloppe globale d'environ 3,9 % en AE et 3,3 % en CP, ce qui tend à relativiser la forte hausse de la mission outre-mer.

Troisièmement, le Gouvernement émet une hypothèse d'inflation de 4,2 % pour l'année 2023. Ainsi, l'augmentation en valeur des crédits alloués aux territoires ultra-marins est en réalité une baisse en volume .

Enfin et surtout, l'augmentation des crédits de la mission est à mettre en regard des besoins considérables des territoires ultra-marins, notamment en termes de logement, de conditions de vie ainsi que d'emploi et d'attractivité.

À l'issue de la première lecture du PLF à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a décidé de conserver certains amendements augmentant le total des crédits d'environ 50M€, notamment en faveur des Contrats de redressements Outre-mer (COROM) pour 30M€, des entreprises dont les factures d'énergie augmentent de façon exponentielle en raison du conflit russo-ukrainien, ou bien encore en faveur de la continuité territoriale.

II. LE LOGEMENT EN OUTRE-MER : PRODUCTION TROP FAIBLE ET HAUSSE DES COÛTS, DES ASSISES DE LA CONSTRUCTION SONT NÉCESSAIRES

A. MALGRÉ LE DEUXIÈME PLAN LOGEMENT OUTRE-MER, LE RYTHME DES CONSTRUCTIONS ET DES RÉNOVATIONS DEMEURE EN DEÇÀ DES BESOINS

Les besoins en logement des DROM sont considérables. C'est pour faire face à ces besoins et aux spécificités des territoires ultramarins que l'ensemble des crédits en faveur du logement ont été rassemblés au sein d'une LBU en 1987, pilotée directement par le ministère des outre-mer à travers l'action n° 01 du programme 123. La LBU intervient dans le cadre d'actions diverses et complémentaires 4 ( * ) :

• Estimation des besoins et apport en ingénierie ;

• Logement social et actions foncières ;

• Amélioration de la sécurité du parc social antillais à l'égard du risque sismique ;

• Accession sociale à la propriété et amélioration du parc privé ;

• Accompagnement des politiques urbaines d'aménagement et de rénovation ;

• Résorption de l'habitat insalubre et informel.

Au 1 er janvier 2022, le parc total de logement social dans les cinq DROM comprend 172 966 logements 5 ( * ) . 15 % des ménages des DROM y résident alors que 80 % sont éligibles. Selon le ministère des outre-mer, le besoin annuel en logements sociaux est estimé pour les DROM entre 8 600 et 10 400 logements.

Source : questionnaire budgétaire 2023 au ministère des outre-mer.

Face à ces besoins considérables en logements sociaux (LS) et très sociaux (LTS), et à la suite de l'échec du PLOM 1, qui prévoyait la construction et la rénovation de 10 000 logements sociaux par an, le PLOM 2 entendait territorialiser davantage la politique du logement, pour mieux répondre aux problématiques particulières des territoires. Ce PLOM 2 ne fixe pas d'objectif quantitatif à la production et la rénovation de logements. Cependant, force est de constater que le rythme actuel demeure malheureusement en deçà des besoins exprimés. L'union sociale de l'habitat (USH) estime le déficit actuel de logements sociaux à 110 000 . Or, le nombre de LS et LTS financés demeure depuis 2015 sous la barre des 5000 6 ( * ) . Il la dépasse quelque peu si l'on inclut les logements financés via des prêts locatifs sociaux (PLS) et des prêts locatifs intermédiaires (PLI). Pour 2021, les données du ministère font état de 3 335 LS et LTS financés. Pire encore, le nombre de logements effectivement livrés poursuit sa baisse entamée en 2017, pour s'établir en 2021, selon l'USH, à 3 036 . Ils étaient 5 187 en 2017.

La rénovation du parc social existant est l'autre enjeu de la politique du logement en outre-mer, pour lequel le Sénat porte une attention toute particulière . Sur ce point, les performances bienvenues de l'année 2021 7 ( * ) , sous l'effet du plan de relance, qu'il convient de souligner et de saluer, ne doivent pas venir cacher l'insuffisance chronique du nombre de réhabilitations. Depuis 2016, leur financement oscille entre 1 700 et 2 200, ce qui demeure insuffisant au regard du besoin. De plus, comme pour la construction, il convient de différencier les crédits engagés des rénovations effectivement abouties. Concernant les réhabilitations, la barre des 2 000 logements est systématiquement manquée. Pour 2021, ce sont 1 628 logements sociaux qui ont été réhabilités, la grande majorité en Martinique (1 427).

Enfin, concernant la lutte contre l'habitat insalubre , la rapporteure déplore la stabilité des crédits. Le PAP pour 2023 estime à environ 155 000 le nombre de logements indignes, soit 13 % du total du parc de logements en outre-mer. La rapporteure propose à ce titre un amendement similaire à celui adopté par la commission des finances, visant à abonder le budget du programme 123 de 4M€ en vue d'augmenter les crédits dédiés à la résorption de l'habitat indigne et insalubre en outre-mer.

Ainsi, au total, l'objectif initial de 10 000 logements construits et rénovés chaque année est quasi-systématiquement non atteint, et l'ambition de construction et réhabilitation de 150 000 logements en outre-mer à horizon 2027 issu de la loi EROM 8 ( * ) semble également hors de portée , au regard de la tendance actuelle. Cela même alors que, comme le rappelle le rapport d'information fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la politique du logement dans les outre-mer 9 ( * ) , 80 % des ménages des DROM sont éligibles au logement social et 70 % au logement très social .

À ce titre, le budget proposé pour 2023 ne semble pas être en mesure d'inverser la tendance, l'augmentation timide de l'action logement en AE, + 1,8 %, étant très inférieure à l'inflation anticipée, tout comme l'augmentation de 2022 (+ 1,25 % en CP) s'est avérée inférieure à l'inflation observée (+ 5,3 %). Cette hausse n'est d'ailleurs pas destinée à financer le LS et le LTS, dont les crédits sont en légère diminution, mais, pour une bonne part à augmenter les crédits du fond d'aménagement foncier urbain (FRAFRU), ce qui est au demeurant bienvenu. Concernant les CP, on assiste à une baisse particulièrement marquée, de -10,6 %, traduisant cet écart entre les opérations engagées sur le papier, et les logements effectivement livrés.

B. DES ASSISES DE LA CONSTRUCTION EN OUTRE-MER SONT NÉCESSAIRES

Dans un contexte de multiples freins à la production et la rénovation, la rapporteure renouvelle sa proposition, issue du rapport sénatorial de 2021 susmentionné, d'organiser des assises de la construction en outre-mer , permettant à l'ensemble des acteurs de partager des constats et travailler en commun à des solutions pour enfin répondre à une demande forte de la population ultramarine.

Recommandation 1 : Organiser à l'occasion de la préparation du PLOM 3 des assises de la construction en outre-mer.

Dans la mesure où 70 % des ménages des DROM sont éligibles au logement très social, c'est sur ces derniers que les efforts doivent être particulièrement accentués. L'objectif de 30 % de LTS financés n'est malheureusement pas atteint 10 ( * ) , il doit pourtant être prioritaire pour l'année 2023, et plus généralement dans les réflexions qui s'engageront autour du PLOM 3.

Recommandation 2 : Concentrer les objectifs de construction dans le cadre du PLOM 3 sur les besoins en logements très sociaux.

Bien qu'une amélioration ait pu être observée en 2021, avec une surconsommation des AE de la LBU, les CP ont, eux, fait l'objet d'une nouvelle sous-consommation (147M€ sur les 177 disponibles). La Direction du budget (DB) indique qu'une nouvelle sous-consommation pour 2022 est probable. Les raisons de cette sous-consommation, comme l'indique le rapport sur la politique du logement en outre-mer du Sénat de juillet 2021, sont multiples et appellent une variété de réponses.

L'accès et le coût du foncier constituent de plus en plus des freins à la réalisation des opérations . À ce titre, l'agrément Organisme foncier solidaire (OFS) des Sociétés d'économie mixte (SEM) d'outre-mer pourrait permettre, au travers du bail réel solidaire, de garantir un encadrement du prix de revente des logements, en dissociant le foncier, propriété de l'OFS et le bâti, proposé à l'achat. La rapporteure, co-auteure du rapport sur le logement en outre-mer, invite donc le Gouvernement à avancer sur ce sujet, conformément à la proposition 25 du rapport, tout en étant attentif à ce que le foncier acquis soit bien mobilisé en priorité pour le développement du parc social et très social.

Recommandation 3 : Permettre aux SEM d'outre-mer d'être agréées OFS.

La réalisation des opérations est également ralentie par le coût et la rareté des matériaux de construction, bien souvent importés depuis l'Europe . À ce titre, la rapporteure souligne la difficulté d'établir un constat partagé entre les acteurs du logement social d'une part, et la DGOM de l'autre, pour laquelle la hausse des prix serait modeste, et limitée à certains matériaux. Certains acteurs centraux du logement social en outre-mer ne semblent pas partager cette analyse, faisant le constat d'augmentations fin 2021 de l'ordre de 3 à 5 %, et fin 2022 de 5 à 10 %. Ces augmentations, dans un contexte de plafonnement des loyers, conduisent nécessairement à bouleverser les équilibres précaires nécessaires pour boucler les opérations, notamment dans le cas des logements très sociaux, pour lesquels les loyers d'atterrissage pourraient rapidement ne plus correspondre aux situations de précarité des demandeurs. Symptôme d'une situation qui se tend, l'USH fait état d'une multiplication d'appels d'offre infructueux.

Ce constat est du reste assez similaire concernant les opérations de rénovations / réhabilitations, dont le financement s'avère de plus en plus compliqué pour les programmes situés hors zone Quartier politique de la ville (QPV), et ne bénéficiant donc pas du crédit d'impôt prévu par l'État. Or, la rénovation est une nécessité pour certains territoires faisant face au vieillissement de leur population (Guadeloupe, Martinique) ainsi que pour éviter le déclassement de quartiers entiers souvent situés en centre-ville. De plus, le coût d'une rénovation demeure inférieur à celui d'une destruction / reconstruction à neuf . En moyenne, le prix de revient d'un logement locatif social s'établit à 170 000€ pour les cinq DROM, quand le coût d'une réhabilitation s'établit lui à 41 500€ 11 ( * ) .

Face à cette situation , la rapporteure souligne d'une part la nécessité de travailler sur le prix des matériaux, notamment en avançant sur les équivalences entre les normes européennes (CE) et étrangères , problématique prégnante dans les DROM, particulièrement en Guyane. Des auditionnés soulignaient d'ailleurs que certains matériaux locaux étaient en réalité mieux adaptés aux circonstances climatiques des territoires que des matériaux acheminés à grands frais depuis l'Europe tempérée. À ce titre, il convient de se féliciter du travail mené par le ministère pour établir des référentiels de matériaux biosourcés présents sur les territoires, ainsi que l'introduction prochaine de marquages spécifiques aux DROM, en substitution du marquage CE. Ces processus sont cependant trop lents et doivent s'accélérer pour aboutir dans les prochains mois.

Recommandation 4 : Accélérer les procédures en cours pour permettre l'utilisation de matériaux de production locaux ou provenant de l'environnement régional.

D'autre part, concernant la réhabilitation, la rapporteure invite l'État à soutenir la proposition visant à permettre aux propriétaires modestes de réhabiliter leur logement par le biais de l'investissement fiscal . En effet, à l'heure actuelle, l'Agence nationale pour l'habitat (ANAH), chargée de l'amélioration du parc privé, ne peut, en outre-mer intervenir qu'au bénéfice des propriétaires bailleurs.

Recommandation 5 : Étendre la réduction d'impôt prévue au VI bis de l'article 199 undecies C du code général des impôts aux propriétaires occupants modestes.

III. L'ENJEU DE L'ACTRACTIVITÉ EN OUTRE-MER

A. ASSURER LE DYNAMISME ET L'INCLUSIVITÉ EN OUTRE-MER PAR LA FORMATION

L'enjeu de la formation et de l'accompagnement vers un emploi demeure prégnant en outre-mer , où le chômage, malgré des baisses récentes, reste à un niveau très élevé, surtout pour les jeunes.

Dans ce cadre, la rapporteure se réjouit de la nouvelle montée en puissance du Service militaire adapté (SMA) , et l'augmentation des crédits accompagnant ce dispositif militaire d'insertion socioprofessionnelle créé en 2010 et destiné aux jeunes volontaires les plus éloignés de l'emploi au sein des outre-mer. Ses effectifs se montent désormais à 6 000 jeunes et son ambition est d'inclure d'ici à 2025 des mineurs (16 - 18ans) ainsi que des mères isolées. La création d'une compagnie à Mayotte et en Polynésie française ne peut qu'être saluée, au regard des très bons résultats enregistrés par le dispositif en 2021, avec 81,7 % de taux d'insertion des volontaires stagiaires du SMA en fin de contrat. Ce taux est en revanche inférieur pour les femmes, à 73,7 %, ce qui doit constituer un vrai point de vigilance.

Recommandation 6 : Veiller tout particulièrement à augmenter le taux d'insertion des femmes à l'issue du SMA.

La rapporteure note également que la rémunération du SMA s'alignera sur celle du Contrat d'engagement jeune (CEJ) en 2023, ce qui devrait permettre de maintenir son attractivité. De manière plus générale, il convient de veiller à bien articuler les différentes offres à destination de publics similaires, pour que les dispositifs n'en viennent pas à se faire concurrence.

Il est par ailleurs essentiel que ces dispositifs permettant d'accompagner l'insertion des jeunes en difficulté fournissent des formations adaptées aux besoins des territoires , de nombreuses entreprises déclarant, comme en hexagone, éprouver des difficultés pour recruter de la main d'oeuvre qualifiée. Les entreprises ont, elles, la responsabilité d'ouvrir leurs portes à une variété de publics, parfois en difficultés ou aux parcours atypiques.

Enfin, la formation ne se résume pas à l'insertion, et les outre-mer ont également besoin de formations de haut niveau, sur leur sol. À défaut, l'enjeu de mobilité et de prise en charge des frais de déplacement devient crucial, tant pour aider les jeunes talents à partir se former, qu'à revenir ensuite. La rapporteure s'étonne que perdure la quasi absence d'écoles d'ingénieur 12 ( * ) dans les territoires ultramarin, alors même que la demande en compétence est forte, et que certains étudiants sont contraints d'aller étudier dans l'hexagone, quand d'autres en viennent à renoncer aux études supérieures, faute de moyens. Cela doit questionner l'efficacité des aides mises en place pour ces jeunes, mais aussi l'étendue de l'offre de l'enseignement supérieur. En effet, les territoires ultramarins ne disposent pas non plus d'écoles de commerce en dehors des écoles de gestion et de commerce, pas plus qu'ils ne disposent d'instituts d'études politiques, alors que ces écoles sont nombreuses en hexagone.

La rapporteure se félicite toutefois de l'amendement de l'Assemblée nationale 13 ( * ) retenu par le Gouvernement et visant à financer l'ouverture de centres d'examen aux concours de la fonction publique dans les territoires ultramarins. Disposer d'infrastructures sur les territoires, sans avoir constamment le besoin de se déplacer en hexagone, contribue aussi à l'émergence des talents, à la création de la valeur sur place, conformément à l'ambition déclarée du ministre en charge des outre-mer.

Recommandation 7 : Développer l'offre de l'enseignement supérieur en outre-mer, par bassin géographique, et notamment la création d'écoles d'ingénieur.

B. LA NÉCESSITÉ D'ACCOMPAGNER LES MOBILITÉS DEPUIS, VERS ET ENTRE LES TERRITOIRES ULTRAMARINS

L'agence pour la mobilité outre-mer (LADOM) est un opérateur du ministère des outre-mer, chargé d'accompagner les mobilités des résidents des outre-mer, contribuant ainsi à la continuité territoriale du pays. Son action repose sur des principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République. LADOM est actuellement dans une phase de redéfinition profonde de ses missions, notamment suite au rapprochement avec Pôle emploi.

De manière générale, et tout en saluant la réforme des dispositifs d'aide de 2021, la rapporteure regrette que les effets de l'inflation ne soient pas pris en compte dans les crédits dédiés à la continuité territoriale , stables en AE et en CP. En effet, l'inflation vient rogner progressivement l'efficacité de certaines aides proposées par l'agence, dont les montants sont essentiellement fixés en valeur absolue. Un recalibrage s'impose.

Ainsi de l'allocation complémentaire de mobilité (ACM) , destinée à compléter les revenus des bénéficiaires d'une formation, jusqu'à un plafond mensuel de ressources de toute nature confondues établi depuis 2018 à 700€ 14 ( * ) . Au-delà, l'ACM ne peut abonder. Or, le coût de la vie ayant beaucoup augmenté, les bénéficiaires perçoivent souvent d'ores et déjà des revenus supérieurs à 700€, que LADOM ne peut donc règlementairement plus abonder.

De même, les aides à la continuité territoriale (ACT) sont censées couvrir 40 % du prix d'un billet d'avion . Or, ce n'est pas un taux mais un montant qui a été règlementairement défini 15 ( * ) . Faute de revalorisation, et dans un contexte d'augmentation brutale du prix des billets d'avion 16 ( * ) , le taux de couverture de l'aide diminue mécaniquement, bien en deçà de 40 %. Pour cette raison, la rapporteure salue l'amendement 17 ( * ) de l'Assemblée nationale conservé par le Gouvernement venant augmenter de 5M€ les crédits de l'action « Continuité territoriale ». Un amendement sera déposé pour amplifier l'effort, obtenir du ministre la confirmation de l'augmentation des crédits et surtout un engagement en vue d'une actualisation rapide de l'arrêté fixant les montants forfaitaires des aides.

La problématique se pose également pour le passeport pour la mobilité des études (PME). Le seuil de ressources par part fiscale pour ce dispositif a été établi 26 631€ 18 ( * ) . Ce seuil doit désormais être revalorisé. De manière générale, face aux cas d'abandon de poursuites d'études pour raisons financières, mais aussi aux aspirations grandissantes à ne pas nécessairement étudier venir en hexagone, une réflexion devrait être menée sur les modalités d'accompagnement des jeunes ultramarins dans la poursuite de leur formation post-baccalauréat , que ce soit sur leur territoire, vers l'hexagone ou bien dans leur environnement régional.

Concernant l'aide au transport de corps , au-delà du montant trop faible (progressif jusqu'à 2 000 € 19 ( * ) ) versé a posteriori, c'est bien l'architecture générale du dispositif qui n'est pas adaptée à une demande pourtant bien réelle. Le critère le plus bloquant est relatif à l'obligation que la destination du corps transporté doit être le lieu de résidence habituelle du défunt. Or, de très nombreux disparus avaient exprimé la volonté d'être inhumés sur leur terre d'origine, qui n'est souvent pas leur lieu de résidence habituelle. Des lenteurs dans le traitement des dossiers ont également été soulevées pour justifier, en fin de compte, un nombre d'aides versées epsilonesque, neuf en 2021 et quatre jusqu'à présent en 2022.

Enfin, la rapporteure regrette que LADOM ne puisse pas, à de rares exceptions près 20 ( * ) , aider au financement des mobilités internes à certaines collectivités ou inter-DROM , rendues parfois nécessaires par des impératifs comme la formation. LADOM ne peut ainsi pas, par exemple, contribuer au financement de la mobilité des étudiants en médecine de Guadeloupe effectuant un stage en Guyane. Ces mobilités sont accompagnées par les collectivités de façon inégale, et il ne serait pas illogique, dans le cadre des réflexions sur l'évolution des missions de LADOM, d'interroger la possibilité d'apporter un soutien financier à ces mobilités, lorsqu'elles sont justifiées.

Recommandation 8 : Modifier l'arrêté du 18 novembre 2010 21 ( * ) en vue de recalibrer les prestations de LADOM au moins pour tenir compte de l'inflation.

Recommandation 9 : Procéder à la refonte globale de l'aide au transport de corps en partant des besoins exprimés et en veillant à verser une aide en amont, sur le modèle des bons ACT.

Recommandation 10 : Réfléchir, dans le cadre de l'évolution des missions de LADOM, à sa participation au financement des mobilités intérieures nécessaires.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 22 novembre 2022, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits relatifs à la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2023.

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous passons à l'examen du rapport pour avis de la mission « Outre-mer ».

Mme Micheline Jacques , rapporteur pour avis . - Malgré une hausse annoncée de plus de 11 %, il sera difficile de faire face aux nombreux défis des territoires, comme l'ont rappelé les maires ultramarins hier au congrès des maires, particulièrement dans un contexte d'inflation. « - ». Mais je vous invite à regarder le budget qui nous est soumis cette année comme un budget de transition, une transition vers une méthode renouvelée, comme annoncé par le ministre chargé des outre-mer à plusieurs reprises cette année, notamment à la suite de l'appel de Fort-de-France, en mai dernier.

À périmètre constant, les crédits de la mission sont en augmentation de plus de 11 % en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP). Cependant, les deux tiers de cette augmentation sont mécaniques, dus aux prévisions du montant des compensations d'exonérations sociales. Une importante mesure de périmètre vient ensuite grever les crédits de la mission, sans toutefois, il est vrai, emporter de conséquences sur les financements déployés. Enfin, ajoutez à cela l'inflation de 4,2 % anticipée pour 2023, et, comme les rapporteurs spéciaux M. Patient et M. Rohfritsch l'ont souligné dans leur rapport pour la commission des finances, nous aboutissons à une baisse, en volume, des crédits pour l'outre-mer.

Pour rappel, la mission « Outre-mer » se divise en deux programmes. Le premier, qui représente les deux tiers des crédits, vise à encourager l'emploi, les qualifications et la compétitivité des entreprises. Il comporte notamment, pour plus de 50 % du total des crédits de la mission, les compensations d'exonérations de cotisations sociales. Le second programme vise à améliorer les conditions de vie outre-mer et traite notamment du logement.

Je ne m'étendrai pas sur les crédits de chaque action de chaque programme, car je souhaite plutôt articuler mon propos autour des trois thématiques que sont le logement, la formation des jeunes et la mobilité des ultramarins.

Au préalable, permettez-moi de revenir rapidement sur la situation des outre-mer.

Cette situation est variable puisque nous observons, comme dans l'Hexagone, une reprise en 2021 et 2022, à la suite de la crise covid et des mouvements sociaux qui ont secoué certains territoires. Le chômage baisse dans quatre des cinq départements et régions d'outre-mer (Drom), même si, de manière générale, il demeure à un niveau très élevé. L'activité économique tend à retrouver un niveau d'avant-crise, même si la reprise est plus difficile dans les territoires du Pacifique, de même que dans certains secteurs, comme le tourisme, qui reste dans une situation préoccupante. Qui plus est, l'inflation va sans doute venir compliquer encore un peu plus la situation.

Plus généralement, je tiens à rappeler ici que l'écart de niveau de vie entre nos compatriotes hexagonaux et les ultramarins demeure structurel, justifiant des investissements particuliers des pouvoirs publics, liés à la spécificité de chaque territoire ; la politique du logement, par exemple, ne saurait être la même à Mayotte et en Martinique, et ne saurait être pilotée depuis un bureau de Paris.

Pour revenir plus spécifiquement au projet de budget pour 2023, je commencerai par formuler quelques remarques sur le logement.

La politique du logement dans les Drom est directement pilotée par le ministère des outre-mer au moyen de la ligne budgétaire unique (LBU). Ce pilotage trouve son origine dans les besoins importants et spécifiques des territoires ultramarins, puisque le déficit de logements locatifs sociaux dans les Drom est estimé à 110 000, avec un besoin annuel estimé allant de 8 600 à 10 400 logements. Or, en 2021, ce sont 3 036 logements sociaux qui ont été livrés.

Pourtant, les insuffisances de la politique en matière de logement ont été identifiées depuis plusieurs années maintenant. Je pense au rapport, en 2020, de la Cour des comptes relatif au logement en outre-mer qui dresse le constat d'échec sans appel du premier Plan logement outre-mer (Plom) et bien sûr au rapport d'information sur la politique du logement dans les outre-mer, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, dont j'ai été rapporteur avec mes collègues Guillaume Gontard et Victorien Lurel. Certaines recommandations de ce rapport ont été suivies, il est important de le souligner. J'observe aussi un réel engagement de la part des services du ministère et du ministre lui-même sur cette problématique difficile et multifactorielle. Cependant, force est de constater que le compte n'y est toujours pas et, ai-je envie de dire, de moins en moins.

En effet, même si le Plom 2 ne fixe pas d'objectif quantitatif, le Plom 1 visait, lui, la construction et la rénovation de 10 000 logements par an, quand la loi de 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (Érom) traçait une trajectoire de 150 000 logements construits et réhabilités à l'horizon de 2027. Or, le nombre de logements sociaux et très sociaux financés demeure, depuis 2015, sous la barre des 5 000. Lorsqu'on s'intéresse aux logements effectivement livrés - plus de 5 000 annuels avant 2017 -, nous sommes aujourd'hui à environ 3 000.

Ces chiffres seraient-ils alors compensés par une augmentation drastique des réhabilitations, dont certains de nos territoires - je pense à la Martinique et à la Guadeloupe - ont tant besoin ? Pas vraiment, puisque le nombre de réhabilitations effectivement abouties est systématiquement inférieur à 2 000. Il s'élevait à 1 628 en 2021.

Enfin, que dire de la lutte contre l'habitat insalubre ? Le Gouvernement lui-même estime à 155 000 le nombre de logements indignes en outre-mer, quand d'autres estimations sont encore plus hautes. Pourtant, les crédits dédiés demeurent stables, traduisant une ambition qui n'est pas à la hauteur de l'urgence dans certains territoires, comme à Mayotte, par exemple.

Je propose ainsi à notre commission d'adopter un amendement visant à augmenter les crédits dédiés à la résorption de l'habitat indigne, pour être au rendez-vous de la promesse républicaine de dignité et d'égalité des citoyens. Cet amendement a également été déposé et adopté par nos collègues de la commission des finances.

Au total, le budget proposé en matière de logement, en très faible augmentation, n'est pas de nature à inverser la tendance observée. Aussi, le rapport que je vous présente formule cinq propositions pour contribuer à la relance de la politique du logement en outre-mer.

Premièrement, il invite le Gouvernement à organiser, à l'occasion des réflexions sur le Plom 3, des assises de la construction en outre-mer, afin de mettre tous les acteurs autour de la table, conformément à la recommandation du rapport d'information de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Deuxièmement, il recommande de concentrer les objectifs de construction sur les besoins en logements très sociaux, pour lesquels 70 % de la population ultramarine est éligible.

Troisièmement, il plaide pour que les sociétés d'économie mixte d'outre-mer puissent obtenir l'agrément « organisme de foncier solidaire » (OFS), ce qui pourrait, in fine , contribuer à l'encadrement des prix de revente des logements en dissociant le foncier du bâti. Il s'agit là encore d'une recommandation du rapport d'information de la délégation.

Quatrièmement, il exhorte le Gouvernement à accélérer les procédures en cours pour permettre l'utilisation de matériaux de production locaux ou provenant de l'environnement régional, ce qui diminuerait grandement les coûts d'achat de matériaux, trop souvent importés à grands frais d'Europe.

Enfin, cinquièmement, il se positionne pour accorder aux propriétaires modestes la possibilité de réhabiliter leur logement par le biais de l'investissement fiscal. En effet, à l'heure actuelle, l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), chargée de l'amélioration du parc privé, ne peut intervenir en outre-mer qu'au bénéfice des propriétaires bailleurs. Un amendement identique à celui que j'avais moi-même déposé a d'ailleurs été adopté en séance en ce sens. Je forme le voeu que cette disposition nouvelle en faveur de la réhabilitation du parc privé, pour les propriétaires modestes, prospère.

Je souhaite conclure mon intervention sur l'enjeu de l'attractivité en outre-mer, à travers deux prismes que ce sont la formation et la mobilité.

La formation est l'une des clefs de la création de valeur sur les territoires, mais c'est aussi un vecteur puissant d'inclusion socioéconomique pour nos jeunes. À ce titre, je souhaite saluer l'augmentation des crédits dédiés à la nouvelle montée en puissance du service militaire adapté (SMA). Ses effectifs se montent désormais à 6 000 jeunes, avec l'ambition d'inclure désormais des mineurs de 16 à 18 ans, ce que je ne peux qu'approuver, et la volonté d'ouvrir le dispositif aux mères célibataires. Les résultats sont là : en 2021, le taux d'insertion des volontaires stagiaires était de 81,7 %. Mon rapport recommande toutefois de veiller à la bonne insertion des femmes, puisque leur taux d'insertion s'établissait, quant à lui, à 73,7 %.

Cependant, la formation ne se résume pas à l'insertion sociale. Des écoles supérieures pour nos jeunes diplômés du baccalauréat ou sortant de classes préparatoires ambitionnent de faire rayonner leur territoire. Les outre-mer ont besoin de formations de haut niveau sur leur sol. À ce titre, je m'étonne toujours que les territoires ultramarins ne disposent ni d'écoles d'ingénieur - à une exception près -, ni d'écoles de commerce, ni d'instituts d'études politiques.

La France d'outre-mer représente presque 2,8 millions d'habitants : pourquoi les jeunes devraient-ils systématiquement aller étudier dans l'Hexagone ? Allons plus loin : pourquoi des jeunes hexagonaux ne pourraient-ils pas poursuivre leurs études supérieures en suivant des formations d'excellence dans les territoires ultramarins ?

Nos étudiants ont des ambitions variées, qu'il nous faut entendre. Certains veulent aller étudier à Paris, il faut leur en donner les moyens ; or trop de jeunes abandonnent encore l'idée de poursuivre des études supérieures pour des raisons financières. D'autres veulent étudier sur leur territoire, quand d'autres encore souhaitent se former dans leur environnement régional. Le rapport recommande ainsi de développer l'offre de l'enseignement supérieur en outre-mer, par bassin géographique.

Enfin, l'attractivité passe aussi par l'accompagnement des mobilités depuis, vers et entre les territoires ultramarins. Sur ce point, je dirai au Gouvernement qu'il peut mieux faire, puisque les crédits dédiés à l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) demeurent stables pour 2023, alors même qu'elle a déjà dû puiser dans sa trésorerie en 2022 face à l'inflation, et que l'inflation anticipée pour 2023 est de 4,2 %. Pourtant, les missions de Ladom sont loin d'être anecdotiques dans la mesure où il s'agit bien de la continuité territoriale de la France, reposant sur des principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République.

Selon l'agence, l'augmentation du prix des billets d'avion est d'ores et déjà de 23 % ; et chacun sait que les tendances ne sont pas à la baisse. Or l'aide à la continuité territoriale (ACT) est censée couvrir 40 % du prix du billet. L'arrêté relatif à ces aides n'établit pourtant pas de taux de prise en charge, mais des montants en valeur absolue. L'inflation vient donc petit à petit rogner ces aides, si bien que le taux de 40 % n'est plus qu'un lointain souvenir. Je vous proposerai, à ce titre, d'adopter un amendement visant à confirmer et à amplifier l'augmentation des crédits concédée par le Gouvernement à l'occasion du débat parlementaire à l'Assemblée nationale.

En réalité, cette problématique se pose pour l'essentiel des aides versées, comme le souligne mon rapport : allocation complémentaire à la mobilité, passeport pour la mobilité des études, aide au transport de corps, pour laquelle une refonte globale est par ailleurs nécessaire tant le nombre d'aides versées est epsilonesque.

De ces constats découlent trois dernières recommandations.

La première est de modifier au plus vite l'arrêté du 18 novembre 2010 en vue de recalibrer les prestations de Ladom, au moins pour tenir compte de l'inflation. La deuxième invite à la refonte globale de l'aide au transport de corps, en partant des besoins des familles et en prenant pour modèles les bons ACT. La troisième invite, dans le cadre de l'évolution à venir des missions de Ladom, à réfléchir à l'opportunité pour l'agence de participer au financement des mobilités intérieures, rendues parfois nécessaires par des impératifs comme la formation.

Au total, voici un budget qui ne va pas révolutionner le quotidien des ultramarins, certes, mais qui traduit des engagements réels du Gouvernement - je pense au SMA, au soutien à la collectivité de Guyane, à l'augmentation des crédits pour l'Agence française de développement (AFD). Il est loin d'être exempt de lacunes, notamment en matière de logement et de mobilité.

J'invite donc notre commission à adopter une position constructive en votant ces crédits, enrichis des deux amendements que je vous propose et en donnant rendez-vous au Gouvernement, fin 2023, pour apprécier la tenue ou non des promesses formulées par le ministre, que ce soit sur la méthode ou sur les crédits.

Je voudrais, pour terminer, attirer votre attention sur la difficulté des déplacements en Polynésie, un territoire grand comme l'Hexagone. Des îles Marquises à Tahiti, ce sont 1 400 kilomètres que doivent faire les étudiants qui souhaitent poursuivre leurs études. Or leurs billets d'avion ne sont pas pris en compte dans le cadre de la continuité territoriale. Il en est de même dans tous les territoires archipélagiques.

Mme Viviane Artigalas . - Je partage le constat de Micheline Jacques : l'augmentation des budgets n'est qu'apparente. Ce budget apparaît finalement comme un budget de transition ne permettant d'apporter aucune perspective vers un changement politique pour l'outre-mer.

Par ailleurs, ce budget ne propose ni mesure visant à protéger le pouvoir d'achat ni moyens pour l'aide aux frais, alors que le prix des billets d'avion est un problème systémique qui reste sans réponse : comment peut-on continuer à parler de continuité territoriale dans ces conditions ? De même l'initiative d'un Oudinot du pouvoir d'achat n'a rien d'une nouveauté, celle-ci est conduite en réalité chaque année par les préfets - il ne s'agit que d'un effet de communication.

En outre, l'urgence de l'accès à l'eau potable dans les territoires ultramarins n'a pas été mentionnée ; or cet enjeu majeur devrait être mentionné dans le projet de budget.

Enfin, si le service militaire adapté permet effectivement de favoriser l'insertion professionnelle des jeunes, on peut regretter qu'il ne s'agisse de la seule réponse à l'échec scolaire et aux difficultés d'insertion. Il faudrait travailler davantage sur la formation et les dispositifs éducatifs.

Mme Sophie Primas , présidente . -Le premier amendement, qui a été adopté par la commission des finances, vise à abonder de 4 millions d'euros les crédits en autorisations d'engament et en crédits de paiement dédiés à la résorption de l'habitat insalubre.

L'amendement est adopté.

Mme Sophie Primas , présidente . - Le second amendement entend amplifier l'effort budgétaire en portant à hauteur de 1 million d'euros les crédits du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » pour accroître les moyens de l'action « Continuité territoriale ».

Mme Micheline Jacques , rapporteur pour avis . - Il s'agit d'un amendement d'appel.

L'amendement est adopté.

Mme Sophie Primas , présidente . - Quel est votre avis sur les crédits la mission « Outre-mer » ?

Mme Micheline Jacques , rapporteur pour avis . -Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer » ainsi modifiés.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Vendredi 21 octobre 2022

- Caisse des dépôts et consignations Habitat : M. Philippe POURCEL , directeur général adjoint en charge des SIDOM, Mme Anne FREMONT , directrice des affaires publiques.

- L'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) : Mme Florence SVETECZ , directrice générale.

- Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom) : MM. Hervé MARITON , président, Laurent RENOUF , délégué général.

- Cabinet du ministre délégué chargé des outre-mer : Mmes Gwenaëlle CHAPUIS , adjointe au sous-directeur, Lou LE NABASQUE , conseillère parlementaire, MM. Guillaume VAILLE , conseiller budgétaire, Stanislas ALFONSI, adjoint à la sous-directrice des politiques publiques.

Lundi 24 octobre 2022

- Action Logement Groupe : MM. Bruno ARCADIPANE , président, Philippe LENGRAND , vice-président, M. Nadia BOUYER , directrice générale.

- Union sociale pour l'habitat (USH) : Mme Marianne LOUIS , directrice générale, MM. Mahieddine HEDLI , directeur de l'outre-mer, Brayen SOORANNA , directeur adjoint à l'outre-mer, Mme Moveda ABBED , chargée de mission à l'outre-mer.

- Direction du budget : M. Jean-Marc OLÉRON , sous-directeur de la 8 è sous-direction, Mmes Alexie LALANNE-PELERIN, cheffe du bureau de l'économie, des finances et de l'outre-mer, Philippine DAUTEUIL , adjointe à la cheffe du bureau de l'économie, des finances et de l'outre-mer.

- Union sociale pour l'habitat outre-mer (Ushom) : Mme Sabrina MATHIOT , directrice.

Vendredi 28 octobre 2022

- Association des Chambres de Commerce et d'Industrie des outre-mer (Acciom) : MM. Pierrick ROBERT , président, Pierre DUPUY , directeur général.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2023.html


* 1 IEDOM-IEOM, « Les entreprises ultramarines face à la crise sanitaire. », n° 719, août 2022.

* 2 De plus, le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A inscrits à Pôle emploi au troisième trimestre 2022 s'établit pour les quatre DROM à 218 080, au plus bas depuis 10 ans.

* 3 Appel des présidents de la Guadeloupe, de Guyane, de La Réunion, de Saint-Martin, de Mayotte et de la Martinique demandant un « changement profond de la politique outre-mer de l'État ».

* 4 Les crédits de la LBU sont complétés par des dispositions fiscales visant à équilibrer les opérations des bailleurs sociaux.

* 5 Réponse au questionnaire budgétaire sur le projet de loi de finance pour 2023.

* 6 Sauf pour l'année 2016. 2015 : 4 729 ; 2016 : 5 413 ; 2017 : 4 844 ; 2018 : 4 366 ; 2019 : 4 894 ; 2020 : 4 185

* 7 5 205 réhabilitations du parc social financées selon l'USH.

* 8 Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer.

* 9 Rapport d'information fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur la politique du logement dans les outre-mer, par M. Guillaume GONTARD, Mme Micheline JACQUES et M. Victorin LUREL.

* 10 Dans sa contribution, l'USH indique que près de 80 % des demandeurs de logement social attendent un LTS.

* 11 Réponse au questionnaire budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2023.

* 12 A l'exception notable de l'école d'ingénieurs de Saint-Denis. L'université des Antilles dispense par ailleurs quelques formations d'ingénieur.

* 13 Amendement II-768 déposé par le député Jean-Hugues Ratenon et plusieurs de ses collègues.

* 14 Arrêté du 18 novembre 2010 pris en application de l'article 13 du décret n° 2010-1424 du 18 novembre 2010 fixant les conditions d'application des II, III, IV et V de l'article 50 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer et les limites apportées au cumul des aides au cours d'une même année.

* 15 Ibid .

* 16 Ladom, dans sa contribution écrite, chiffre cette augmentation à d'ores et déjà 23 %.

* 17 Amendement II-1582 déposé par le député Frédéric Maillot et plusieurs de ses collègues.

* 18 Arrêté du 18 novembre 2010 susmentionné.

* 19 Ibid.

* 20 L'article 1308-4 du code des transports offre quelques possibilités puisqu'il dispose en son troisième alinéa que « L'aide à la continuité territoriale peut aussi financer une partie des titres de transport entre les collectivités mentionnées à l'article L. 1803-2 à l'intérieur d'une même zone géographique ou à l'intérieur d'une même collectivité, en raison des difficultés particulières d'accès à une partie de son territoire ». Hormis pour la Guyane, les textes règlementaires d'application ne semblent pas tirer pleinement partie des possibilités ainsi ouvertes.

* 21 Arrêté du 18 novembre 2010 pris en application de l'article 13 du décret n° 2010-1424 du 18 novembre 2010 fixant les conditions d'application des II, III, IV et V de l'article 50 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer et les limites apportées au cumul des aides au cours d'une même année.

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