EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 25 janvier 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné l'avis de MM. Claude Nougein et Patrice Joly sur le projet de loi n° 350 (2021-2022) portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, déposé à l'Assemblée nationale le 1 er décembre 2021.

M. Claude Raynal , président . - Nous examinons cet après-midi le rapport pour avis de Claude Nougein et Patrice Joly sur le projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.

Nous avons le plaisir d'accueillir Laurent Duplomb, rapporteur de la commission des affaires économiques, saisie au fond.

M. Patrice Joly , rapporteur pour avis . - La commission des finances a en effet souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi, adopté le 12 janvier dernier par l'Assemblée nationale.

Ces dernières années ont été marquées par une augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements climatiques, qui ont mis à l'épreuve l'agriculture française. Le dernier exemple récent est survenu en avril dernier, lorsqu'un épisode de gel tardif est intervenu après un début de printemps doux. Les pertes de récolte qui en ont découlé ont nécessité un plan de soutien de 1 milliard d'euros.

L'augmentation de ces aléas, liée à l'accélération du réchauffement climatique, se traduit par une hausse importante du coût des sinistres, qui a plus que doublé entre 2015 et 2020 par rapport à la période allant de 2010 à 2015.

Or les outils dont nous disposons actuellement en matière de gestion des risques climatiques ne paraissent plus adaptés ni aux besoins des exploitants ni à l'exposition croissante de l'agriculture française aux effets du réchauffement climatique. Le caractère inadapté de nos outils est aussi susceptible de décourager les nouvelles installations ainsi que les soutiens financiers des banques, car il est certain que les pertes de récolte présentent un coût psychologique et financier important pour nos exploitants.

Quels sont les outils dont nous disposons aujourd'hui en matière de gestion des risques climatiques ? Ces outils sont au nombre de trois : en premier lieu, l'assurance contre les pertes de récolte, dite « assurance multirisques climatiques » ou « MRC », pour les cultures assurables ; en deuxième lieu, une assurance dite « monorisque », contre le risque de grêle et de tempête, avec parfois une garantie complémentaire en cas de gel ; enfin - c'est le plus connu - un système d'indemnisation des calamités agricoles reposant sur la solidarité nationale pour les cultures considérées comme non assurables.

La promotion de l'assurance MRC passe par un soutien public au paiement des cotisations d'assurance, qu'il est aujourd'hui question d'amplifier. Les produits d'assurance MRC sont subventionnés à hauteur de 65 % par le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC) pour le premier niveau de garantie, et interviennent lorsque les pertes sont supérieures à 30 % de la production annuelle historique. La subvention représente environ 153 millions d'euros en 2020.

Le régime d'indemnisation des calamités agricoles reposant sur la solidarité nationale permet une prise en charge allant jusqu'à 35 % des pertes, en cas d'événement climatique reconnu comme exceptionnel.

Or ces outils sont arrivés à bout de souffle. D'abord, l'assurance MRC reste peu diffusée et ne couvre qu'une faible part des risques de pertes de récolte. Les contrats MRC couvrent aujourd'hui 18 % seulement de la surface agricole totale en France, avec des différences sensibles d'une production à l'autre, allant de 34 % pour les grandes cultures à 1 % pour les prairies et 3 % pour l'arboriculture, par exemple. Malgré les soutiens publics, entre 2014 et 2020, la progression des surfaces couvertes en MRC n'a été que de 1,5 % en moyenne par année, ce qui s'explique par le niveau élevé des primes et par une articulation avec le régime d'indemnisation des calamités agricoles perfectible, notamment pour l'arboriculture et les prairies. En effet, pour ces deux dernières filières, considérées comme assurables, l'exploitant peut s'assurer avec un contrat MRC, mais, s'il ne s'assure pas, il peut continuer à bénéficier du régime d'indemnisation des calamités agricoles et parfois même d'une indemnisation plus intéressante dans ce cas au regard des franchises agricoles.

Le régime d'indemnisation des calamités agricoles présente également certaines limites. Son champ d'application a été progressivement réduit à mesure de l'augmentation de la couverture assurantielle : par exemple, la viticulture et les grandes cultures, assurables, ne sont plus couvertes par ce régime, et restent donc sans filet de sécurité en cas d'événement climatique majeur. Hors prairies, ce sont donc 96 % des surfaces agricoles qui sont exclues du bénéfice du régime des calamités agricoles, car considérées comme assurables.

La multiplication des aléas climatiques oblige donc aujourd'hui à repenser collectivement les dispositifs de soutien public aux mesures d'indemnisation, et plus largement les pratiques agricoles elles-mêmes, dans une logique de prévention et d'adaptation - adaptation des modalités de couverture des risques ainsi que des productions, de manière à lisser les évolutions, conformément à l'esprit du « Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique ».

C'est dans ce contexte que le groupe de travail sur la gestion des risques climatiques en agriculture, constitué dans le cadre de ce « Varenne de l'eau », a remis ses propositions au ministre de l'agriculture et de l'alimentation le 27 juillet dernier. Le présent projet de loi en traduit les principales préconisations et procède à une refonte de la gouvernance de la gestion des risques en agriculture, que je vais vous présenter.

La réforme a plusieurs objectifs : généraliser la couverture en assurance MRC et mieux répartir la prise en charge des risques entre les acteurs. L'objectif est que, à l'horizon 2030, le taux de couverture par les contrats MRC soit de 60 % pour les surfaces en viticulture, grandes cultures et légumes d'industrie, et de 30 % en arboriculture, prairies et autres cultures, aujourd'hui peu assurées, ce qui est très ambitieux. Pour ce faire, un système à trois étages est proposé : les risques de faible intensité - en deçà de 20 % à 30 % de pertes selon les filières - demeureraient à la charge de l'exploitant agricole, qui s'auto-assurerait par des investissements en prévention ou équipements de protection ; les risques d'intensité moyenne, mutualisés entre les territoires et les filières, seraient absorbés par l'assurance MRC, dont le subventionnement public serait renforcé, au moins temporairement, afin d'en faciliter le déploiement à plus large échelle ; enfin, l'État prendrait en charge les « risques catastrophiques ».

Les articles 1 er à 4 du projet de loi mettent en oeuvre ce système à trois étages. L'article 2 renforce le système de subvention des contrats MRC pour diminuer le coût global de la couverture assurantielle, via une assiette élargie : à compter de 2023, date d'entrée en vigueur de la prochaine PAC, le plafond maximal de subvention publique des contrats MRC passerait de 65 % à 70 % de la prime ou cotisation d'assurance, et le seuil de pertes à partir duquel les contrats sont éligibles à la subvention pourrait être abaissé de 30 % à 20 %. Cet article déclenche, en réalité, les possibilités offertes par le droit européen depuis le règlement Omnibus de 2017 et que la France n'avait pas encore traduites en droit national. Néanmoins, le relèvement du taux de subvention et l'abaissement de la franchise ne concerneraient que les filières qui en auront le plus besoin, comme le confirme l'étude d'impact du projet de loi. On ne peut être qu'en accord avec ces dispositions, qui renforceront l'attractivité de la couverture assurantielle pour certaines filières aujourd'hui peu assurées.

L'article 3 prévoit, quant à lui, que la troisième section du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) indemnise les pertes de récolte ou de culture résultant d'aléas climatiques : le seuil d'intervention de l'État pour les pertes dites « catastrophiques » varierait selon le type de production et le type de contrat d'assurance, sans pouvoir être inférieur à 30 % de la moyenne de production annuelle de l'exploitant. Surtout, afin de renforcer une nouvelle fois le caractère incitatif de l'assurance MRC, un exploitant n'ayant pas souscrit une telle assurance ne pourrait bénéficier, de la part de l'État, que de 50 % au maximum de l'indemnisation qui serait perçue en moyenne pour les mêmes pertes et cultures assurées. Cette pénalisation peut interroger compte tenu du faible niveau d'assurance existant aujourd'hui pour un certain nombre de productions.

Au final, les indemnisations de l'État viendront en complément des indemnisations issues du contrat MRC, alors qu'aujourd'hui l'intervention publique ne pouvait avoir lieu que pour les cultures non assurables. Cette nouvelle complémentarité des deux dispositifs répond à l'insuffisante articulation actuelle entre l'assurance et le dispositif relatif aux calamités agricoles, qui, du reste, sont parfois en concurrence - les aides accordées au titre de ce dernier ont parfois pu être supérieures à la compensation des pertes garanties par les assurances.

Quid du coût de cette réforme ? L'étude d'impact du projet de loi indique que, avec ces nouvelles dispositions, les moyens alloués à la gestion des risques climatiques en agriculture doubleraient, pour passer de 300 à 600 millions d'euros par an dès l'année prochaine. Le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) consacrera 185 millions d'euros en moyenne par an aux subventions à l'assurance MRC, qui pourront être complétés par l'État, contre 150 millions d'euros aujourd'hui. Les agriculteurs contribueront davantage au financement du FNGRA, par un doublement - de 5,5 à 11 % - du taux de la contribution additionnelle qu'ils acquittent, soit un montant de 120 à 140 millions, contre 60 millions d'euros aujourd'hui, le reste devant être acquitté par l'État. Néanmoins, le projet de loi ne comporte aucune disposition fiscale ou budgétaire, les arbitrages sur le financement de la réforme étant renvoyés au prochain projet de loi de finances pour 2023, ce que l'on peut regretter, comme l'on peut regretter que ce texte d'habilitation ne fasse que fixer les principes et soit peu consistant sur les données financières, notamment sur ce qui concerne les taux.

Surtout, la détermination des quatre paramètres de la réforme, à savoir le taux de franchise et le taux de subvention pour la MRC par filière, le seuil d'intervention et le taux d'indemnisation par l'État par filière sont renvoyés à la voie réglementaire. Nos marges de manoeuvre sont faibles quant à la fixation de ces taux, assimilable à la création d'une charge publique au titre de l'article 40 de la Constitution.

Or il paraît évident que les paramètres, probablement très attractifs en 2023, seront rapidement ajustés à mesure de l'augmentation de la couverture assurantielle, afin de contenir le coût de la réforme dans l'enveloppe de 600 millions d'euros annoncée. C'est ce que préconise le député Frédéric Descrozaille dans le rapport du groupe de travail précité. Je prendrai un exemple : s'agissant du taux de subvention de la MRC, il pourrait être fixé à 70 % en 2023 pour toutes les filières, mais aurait vocation à diminuer pour les grandes cultures et la viticulture, au fur et à mesure de la hausse attendue du taux de pénétration de la MRC dans ces filières et de la baisse des primes ; il resterait plus élevé pour l'arboriculture et les prairies, pour lesquelles la couverture assurantielle est très faible.

Une telle variabilité des paramétrages d'une année à l'autre n'offre pas de visibilité suffisante aux exploitants agricoles s'agissant de leur régime d'indemnisation. De concert avec Claude Nougein, mais aussi avec le rapporteur au fond, Laurent Duplomb, avec qui j'ai travaillé en plein accord, je vous propose deux amendements visant à sécuriser le dispositif sur les cinq prochaines années.

L'amendement COM-97 élargit les missions de la nouvelle commission chargée de l'orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes, dite « Codar », créée au sein du Comité national de la gestion des risques en agriculture (CNGRA). La Codar formulerait chaque année des recommandations au Gouvernement sur les taux à retenir pour les paramètres, et ce pour les cinq années suivantes, de manière à offrir un peu de visibilité et de sécurité sur les perspectives financières. Les représentants des filières concernées pourraient aussi participer au Codar en fonction de l'ordre du jour, et être associés à la définition des taux.

L'amendement COM-98 précise les conditions de détermination des paramètres par la voie réglementaire. Il prévoit que le décret des ministres chargés de l'agriculture et des finances fixe les taux applicables pour les quatre paramètres pour une période de cinq ans, sur la base des recommandations du CNGRA, par filière. Des modifications annuelles dérogatoires de taux pourront toujours avoir lieu, même si cette faculté a vocation à être peu employée.

J'estime que l'on ne peut que partager l'idée selon laquelle des paramètres plus favorables doivent être consentis là où un soutien public accru est nécessaire, pour inciter à la couverture assurantielle ou limiter le coût des soutiens, mais je suis également convaincu qu'une visibilité reste indispensable pour garantir la pleine adhésion des exploitants à la réforme.

Pour ces raisons, et parce que le Parlement serait dessaisi d'une partie de ses compétences, je veux indiquer que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain auquel j'appartiens s'abstiendra sur l'ensemble du texte.

M. Claude Nougein , rapporteur pour avis . - Je vais pour ma part aborder les articles du projet de loi qui traitent plus directement de la « mécanique » assurantielle, à savoir les articles 7 et 10.

L'article 7 du projet de loi constitue un élément central de la réforme de la gouvernance que vient de vous exposer Patrice Joly. En effet, il habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour mettre en place une structure de coopération entre les assureurs qui distribueront des contrats d'assurance multirisques climatiques.

Pourquoi un tel rapprochement des assureurs est-il envisagé ? L'objectif de cette structure est de rendre le marché de l'assurance multirisque climatique plus attractif pour les assureurs, afin d'étendre la couverture assurantielle, tout en la rendant plus abordable pour les exploitants agricoles. En effet, ce groupement est justifié par le constat que la connaissance limitée du risque et la faible capacité des assureurs à le mutualiser nuisent à la rentabilité de ce marché, conduisant à une offre limitée pour les exploitants - actuellement, deux assureurs se partagent le marché. D'une part, la connaissance limitée du risque s'explique notamment par le manque de prévisibilité des aléas climatiques et le coût très variable des sinistres pour les différents types de cultures. D'autre part, la faible mutualisation des risques tient au nombre restreint d'assurés. L'absence de mutualisation possible est particulièrement préjudiciable en matière de risques agricoles, car les aléas climatiques sont des risques systémiques, c'est-à-dire qu'ils touchent beaucoup d'exploitants agricoles en même temps.

Dans cette perspective, le regroupement d'assureurs au sein d'une même structure présente deux avantages majeurs. Premièrement, il permet une meilleure connaissance du risque, puisque les assureurs peuvent partager leurs données relatives à la sinistralité, donc élaborer une tarification des contrats plus adaptée aux risques des exploitants. Deuxièmement, il permet aux assureurs de mutualiser leurs risques, ce qui réduit la contrainte du caractère systémique de ceux-ci. Le principe du groupement d'assureurs, couramment appelé « pool », n'est pas inédit pour la couverture de risques mal appréhendés par le marché. Par exemple, le groupement Gestion de l'assurance et de la réassurance des risques attentats et actes de terrorisme (Gareat) permet aux assureurs de mutualiser leurs risques contre ces derniers.

Cela étant, plusieurs schémas de gouvernance peuvent être envisagés, avec un degré plus ou moins fort de mutualisation des activités des assureurs. L'Autorité de la concurrence, que nous avons auditionnée avec beaucoup d'intérêt, a d'ailleurs été saisie pour avis par le Gouvernement sur trois dispositifs de coopération entre assureurs.

Le premier scénario est celui d'une coopération se limitant à un partage de données individuelles de sinistralité pour permettre une meilleure connaissance des risques. Il est évident que ces données devront être rendues anonymes et agrégées. Les auditions que nous avons menées ont laissé entendre que ces données pourraient être transmises à la Caisse centrale de réassurance (CCR), en tant que « tiers de confiance » qui les restituerait ensuite aux assureurs, sans que cette piste soit encore totalement arrêtée. Le partage des données pourrait aussi s'effectuer au sein du groupement.

Le deuxième scénario est celui d'un groupement permettant à la fois de partager les données de sinistralité et de mutualiser les risques, c'est-à-dire qu'une partie des risques assurés par un assureur est couverte par le groupement. Ce modèle est celui d'une « co-réassurance ». Dans ce dispositif, les assureurs y participant restent toutefois libres de fixer leurs propres primes commerciales.

Le troisième scénario est celui qui permet la coopération la plus aboutie entre les assureurs, selon le modèle de « co-assurance ». Outre la mutualisation des données et des risques, le groupement vient encadrer les relations entre les assureurs membres du groupement et leurs clients. Ce modèle pourrait donc se traduire par une harmonisation des caractéristiques des contrats commercialisés, des expertises, des modalités de collecte des primes et d'indemnisation.

Bien entendu, de fortes contraintes juridiques pèsent sur la constitution de ce groupement, quel que soit le schéma retenu. Outre la nécessaire protection des données personnelles des assurés, qui fera l'objet d'un amendement, ce groupement doit être conforme au droit de la concurrence français, mais également européen, pour ne pas être qualifié d'entente illicite. Le troisième scénario, celui d'une co-assurance, est celui sur lequel l'Autorité de la concurrence a d'ailleurs exprimé le plus de réserves.

Quelle est l'option privilégiée par le projet de loi ? A ce stade, nous n'en savons rien. En réalité, l'article 7 ne tranche pas la question, et prévoit une habilitation à légiférer par ordonnance suffisamment large pour couvrir tous les scénarios possibles. La forme juridique même du groupement n'est pas non plus arrêtée, même si un groupement d'intérêt économique (GIE) serait privilégié. Sur ce sujet, les discussions se poursuivent, et les auditions que nous avons menées ont témoigné du long chemin qu'il reste à parcourir avant de parvenir à définir une solution robuste. Le principe même d'un groupement d'assureurs ne fait pas l'unanimité. Il faut reconnaître que les nombreuses inconnues de cette équation peuvent alimenter la réticence de certains...

Toutefois, je regrette vivement que ce sujet crucial pour la mise en oeuvre de cette réforme soit traité par ordonnance, privant le Parlement d'un réel débat sur les caractéristiques de ce groupement. Certes, le sujet est technique, mais il procède aussi de choix politiques : quel degré de concurrence entre les assureurs faut-il instaurer sur ce marché ? Comment rendre celui-ci attractif pour permettre l'arrivée de nouveaux acteurs et étoffer l'offre pour les exploitants agricoles ? Il ne faut pas abuser des ordonnances. Seules l'urgence d'une crise ou la mise en oeuvre d'un programme de réformes très précis, après une élection présidentielle par exemple, justifient le recours à ces dernières. Je m'étonne d'ailleurs que le Gouvernement ne soit pas en capacité de proposer un texte plus abouti, eu égard aux travaux de réflexion conduits avant le dépôt du projet de loi. Voilà dix-huit mois que l'on en parle ! Je n'oserais penser qu'il y a un rapport entre l'urgence apparente et l'échéance électorale du mois d'avril...

Néanmoins, compte tenu de l'importance de ce dispositif pour la réussite de la réforme qui nous est proposée, et le principe d'un groupement me semblant justifié, je ne proposerai pas une suppression sèche de cet article - il faut penser à l'intérêt des agriculteurs. En accord avec le rapporteur au fond, Laurent Duplomb, je vous proposerai plusieurs amendements visant à resserrer le champ de l'habilitation à légiférer par ordonnance.

J'en viens désormais à l'article 10 du projet de loi. Celui-ci modifie l'application de la garantie tempête des contrats d'assurance pour les biens professionnels. Le principe d'extension obligatoire de la garantie incendie est maintenu, mais l'article prévoit que les indemnisations résultant de la garantie tempête sont attribuées en tenant compte de critères - franchise, coefficient de vétusté, plafond, etc. - qui peuvent être différents de la garantie incendie. L'objectif de cet article est de faire échec à une jurisprudence de la Cour de cassation, qui aligne les conditions d'indemnisation des risques tempête et incendie. Or la fréquence et la gravité de ces deux risques sont très différentes.

Je souscris à l'objectif de ce dispositif, même s'il convient de s'interroger sur le lien de cet article avec le reste du projet de loi. Certes, les agriculteurs sont particulièrement concernés par le risque tempête ; ils représentent d'ailleurs 12 % des cotisations versées au titre de cette garantie. Toutefois, la portée du dispositif est plus large, puisqu'il s'agit de l'assurance des biens professionnels.

M. Laurent Duplomb , rapporteur de la commission des affaires économiques . - Je veux tout d'abord féliciter Patrice Joly et Claude Nougein pour le travail qu'ils ont réalisé. Je n'ai pas grand-chose à ajouter sur les points de détail. J'apporterai simplement un peu d'eau à leur moulin.

Ce qui frappe à la lecture du projet de loi, c'est l'incertitude totale dans laquelle nous sommes : c'est comme si l'on nous demandait de traverser un tunnel dans le noir... Au-delà des mots, rien n'est fait pour apporter la confiance nécessaire à ce que les agriculteurs souscrivent au texte. Un sondage réalisé la semaine dernière par Terre-net le démontre : 53 % des agriculteurs considèrent que ce projet de loi ne fera qu'enrichir les assureurs. Il me semble donc que notre travail consiste, sur ce texte, à essayer de trouver tous les artifices pour contraindre le Gouvernement à nous fournir des éléments permettant d'apporter cette confiance.

Le projet de loi soulève plusieurs enjeux.

Le premier est le nerf de la guerre : il s'agit du montant annoncé de 600 millions d'euros pour mettre en oeuvre la réforme proposée. Je rappelle que le Président de la République avait annoncé un doublement de l'aide globale. Comme Patrice Joly l'a indiqué, celle-ci se compose aujourd'hui de 150 millions d'euros d'aides européennes, de 60 millions d'euros de participation des agriculteurs via la contribution additionnelle qu'ils acquittent et de 150 millions d'euros, en moyenne, d'aides de la part de l'État. Elle sera désormais constituée de 186 millions d'euros d'aides européennes au titre du plan stratégique national (PSN), de 140 millions d'euros de contribution additionnelle des agriculteurs - nous espérons que ce montant ne sera pas ramené à 120 millions d'euros, car, comme l'a expliqué Patrice Joly, seuls 60 des 70 millions d'euros étaient jusqu'à présent effectivement affectés au FNGRA, le reste étant reversé au budget général de l'État - et, par conséquent, d'une participation de l'État de 274 millions d'euros.

Je pense que, en n'annonçant pas les différents taux dans le projet de loi, le Gouvernement cherche une variable d'ajustement pour ne pas avoir à dépenser plus de 600 millions d'euros. Or, en agissant de la sorte, le Gouvernement ne rassure pas les agriculteurs, comme ils nous l'ont tous dit en audition. Lorsque l'on veut inciter les agriculteurs à adhérer à un système assurantiel, il convient de leur communiquer des éléments précis, pour les rassurer et pour qu'ils s'assurent avec confiance.

Les taux d'intervention de l'État pour les grandes cultures, la viticulture, l'arboriculture et les prairies ne sont pas connus, alors qu'ils sont extrêmement importants. Qui voudrait s'assurer sans connaître le taux de franchise, le pourcentage de subvention sur sa police d'assurance, le taux d'intervention de l'État ? Du reste, on est en train de faire disparaître le fonds des calamités, qui existe depuis 1964 et qui avait prouvé sa capacité à résister dans le temps, si ce n'est depuis 2010, avec l'élimination des différentes cultures assurables. Pas plus que nous ne connaissons les quatre taux, nous ne savons comment l'État interviendra en remplacement de ce fonds... Enfin, le taux d'indemnisation est aussi des plus importants : s'il s'élève à zéro, l'adhésion n'a absolument aucun sens.

Comme l'ont indiqué les rapporteurs pour avis, notre travail consistera donc, sur ce texte, à essayer d'apporter le plus d'éléments qui instaureront la confiance, en encadrant les choses. Tel est le sens de l'amendement qui vous a été présenté. Nous y avons travaillé ensemble pour contraindre le Gouvernement à privilégier, plutôt qu'une fluctuation chaque année, un « tunnel » qui garantisse une stabilité des taux sur cinq ans. De fait, si le nombre d'assurés augmente, conformément à l'objectif du projet de loi, la captation du taux de subvention des primes d'assurance sera plus importante, et le montant qui restera sur les 600 millions d'euros pour participer à l'indemnisation des dégâts et des calamités sera nécessairement plus faible.

Durant l'examen du texte, nous essaierons également de mettre en évidence le fait que le Gouvernement passe à côté d'un élément essentiel : l'évolution de la moyenne olympique, qui nous est imposée par l'Europe et par les accords mondiaux de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Un système assurantiel ne peut avoir de sens que si ce que l'on assure a une valeur. Or, si les aléas climatiques font baisser les rendements année après année, il arrivera un moment où la moyenne olympique ne garantira plus l'intérêt de s'assurer. Il nous faudra donc réfléchir à modifier cette évolution de la moyenne olympique. Nous avons déposé un amendement qui permettra à l'agriculteur de choisir entre faire ses calculs sur la base d'une moyenne olympique ou les faire sur la base d'une moyenne arithmétique et triennale.

Je partage tout ce qui a été dit par les deux rapporteurs pour avis de la commission des finances. Nous ferons tout en séance pour que ce texte puisse apporter beaucoup plus de confiance aux agriculteurs que ce que permettait la version de l'Assemblée nationale.

M. Claude Raynal , président . - Merci de vos mots élogieux pour les travaux de nos rapporteurs. J'ouvre maintenant le débat.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je remercie nos deux rapporteurs ainsi que le rapporteur de la commission des affaires économiques, même si je ne partage malheureusement pas le même optimisme. Un besoin de confiance s'exprime effectivement. Toutefois, la façon dont le texte soumis à notre examen est parvenu au Sénat ne crée pas nécessairement un climat favorable en la matière.

Or ce projet de loi vise à répondre à une préoccupation importante. Le régime des calamités agricoles a, certes, fait ses preuves, mais il a aussi montré ses limites.

Nous pouvons, en outre, nous interroger sur l'opportunité de l'arrivée de ce texte à cette période de l'année, si près d'une échéance électorale, d'autant qu'une réflexion engagée par le Gouvernement sur la possibilité de répondre, en lien avec le secteur assurantiel, aux épisodes épidémiques avait déjà été balayée d'un revers de main.

Ce projet de loi est présenté comme un grand pas en avant. Or le « flou » de l'article 7 doit interpeller le Parlement sur la place qui lui est réservée dans l'élaboration d'un dispositif de cette importance. Un texte législatif de cette envergure, porteur d'une grande réforme, ne doit pas être un miroir aux alouettes.

Je m'inscris dans la ligne de nos deux rapporteurs pour avis. Je regrette la manière de procéder que je viens de décrire, qui soulève de sérieuses interrogations. Nous essaierons néanmoins de faire au mieux.

M. Christian Bilhac . - Il semblerait que le niveau d'indemnisation des non-assurés ait été équivalent à celui des assurés après le gel du mois d'avril. Tant que cette situation perdurera, certains continueront à se demander s'il est utile de prendre une assurance.

Le quasi-monopole des compagnies d'assurance mérite par ailleurs d'être souligné.

Il faut tenir compte, en outre, de l'impact croissant des aléas climatiques sur les cultures, dû à la limitation des traitements et à l'essor de l'agriculture biologique. Le mildiou touche ainsi particulièrement les exploitations biologiques. Ce problème risque de s'aggraver.

Enfin, il faut effectivement revoir la base de calcul, le système actuel n'étant pas satisfaisant. Cependant, de nombreuses exploitations reposant sur un équilibre fragile, il conviendrait de réfléchir à une indemnisation minimale pour éviter qu'elles ne disparaissent - en passant, par exemple, de l'expertise du dégât à celle de la conduite de l'exploitation, pour éviter qu'il n'en résulte des négligences. De nombreux agriculteurs souhaiteraient, en effet, disposer de la garantie d'un revenu mensuel minimum.

M. Vincent Segouin . - La question de l'assurance agricole est abordée chaque année à l'occasion de l'examen du rapport spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » du projet de loi de finances. Le nombre de jeunes agriculteurs diminue, notamment en raison des incertitudes liées à l'impact des aléas climatiques sur les récoltes et à sa prise en charge par les assurances.

Le texte a le mérite de redéfinir les rôles respectifs de l'État, des assureurs et des agriculteurs. Je m'inquiète néanmoins beaucoup de la coquille vide de l'article 7 et de l'absence de discussion qu'elle présuppose au sein du Parlement, tout devant se faire par ordonnances.

Ce point est particulièrement gênant, y compris du point de vue du budget de l'État. Le besoin en subventions risque, en effet, d'augmenter, car la fréquence du risque augmentera probablement.

Or ces éléments ont été complètement occultés dans le projet de loi, qui ne comporte, à ce sujet, aucune prévision de calcul. Nous ne connaissons pas le budget que l'État devra mobiliser pour couvrir les sinistres. Le Gouvernement n'en poursuit pas moins la gestion par ordonnances - dans laquelle le rôle du Parlement est réduit, comme toujours, au minimum -, ainsi que la politique du « quoi qu'il en coûte », du fait de son incapacité à établir des prévisions sérieuses.

M. Patrice Joly , rapporteur pour avis . - La question de l'assurance agricole est effectivement un sujet important. Nous devons y trouver des solutions en tenant compte des contraintes financières qui ont été rappelées.

Il existe, en la matière, un duopole. Cependant, dans l'ensemble, les indemnités versées représentent 110 % des cotisations perçues. Cette activité n'est donc pas rentable à l'heure actuelle, ce qui soulève d'ailleurs des difficultés pour l'avenir, car il n'est pas certain que les assurances continueront à proposer des offres. Il est d'ailleurs prévu dans le texte que les compagnies d'assurance devront faire des propositions sur l'ensemble des risques.

En élargissant la base éligible ainsi que le montant des indemnisations potentielles, l'enjeu est de trouver des équilibres économiques dans ce domaine - à travers notamment la constitution d'un « pool » d'assureurs.

En vue de l'examen du texte en séance, il serait bon de réunir des éléments sur le sujet des maladies touchant les cultures, évoqué par Christian Bilhac, qui n'a pas été abordé durant nos auditions car il ne figure pas dans le projet de loi.

La possibilité d'introduire une indemnisation garantissant un revenu minimum pour les exploitations fragiles, quel que soit le niveau de perte subie, pourrait par ailleurs être étudiée. Cela renvoie à l'articulation avec le revenu de solidarité active (RSA).

M. Claude Nougein , rapporteur pour avis . - Les compagnies d'assurance Groupama et Pacifica sont en situation d'oligopole. Le but de ce projet de loi est de faire entrer un maximum d'assureurs sur le marché de l'assurance agricole. Or l'appétence des assureurs pour ce domaine est faible. Selon France Assureurs, sur les trente prochaines années, le coût, pour les assureurs, des sinistres liés au changement climatique devrait représenter le double de celui représenté par les sinistres des trente dernières années.

Le texte comporte une obligation d'assurer pour les assureurs, mais pas d'obligation de s'assurer pour les assurés.

J'en viens au problème de la gestion par ordonnances. Le projet de loi initial prévoyait une prise d'ordonnances neuf mois après la promulgation de la loi. Ce délai a été ramené à six mois par l'Assemblée nationale. Ces délais sont un peu courts, car il faudra remplir la coquille vide que j'ai évoquée.

L'objectif était de faire entrer le texte en application au 1 er janvier 2023. Je pense plutôt qu'il entrera en application au 1 er janvier 2024. Nous devrons nous montrer aussi vigilants que possible sur ce point.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 5

M. Patrice Joly , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-97 vise à donner une certaine visibilité aux exploitants, en faisant en sorte que la nouvelle commission chargée de l'orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes, dite « Codar », puisse faire des recommandations sur les taux, pour une période de cinq ans.

L'amendement COM-97 est adopté.

Après l'article 5

M. Patrice Joly , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-98 prévoit qu'un décret des ministres chargés de l'agriculture et des finances fixe les taux applicables pour les quatre paramètres pour une période de cinq ans, sur la base des recommandations du CNGRA, par filière. Des modifications annuelles dérogatoires de taux pourront toujours avoir lieu

L'amendement COM-98 est adopté.

Article 7

M. Claude Nougein , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-99 précise que les données partagées par les assureurs sont anonymes.

L'amendement COM-100 précise que les assureurs restent libres de définir leurs primes commerciales, pour assurer un degré de concurrence suffisant.

L'amendement COM-101 supprime les mots « à exercer en commun certaines activités liées à ces produits » de l'article 7, compte tenu de l'imprécision de cette formule.

L'amendement COM-102 précise que l'offre présentée aux exploitants faisant la demande de souscription d'un contrat multirisque climatique doit être fixée dans des conditions raisonnables.

L'amendement COM-103 précise qu'il reviendra à l'ordonnance d'encadrer les procédures d'évaluation et d'indemnisation des sinistres, et non pas aux assureurs eux-mêmes.

Enfin, l'objet de l'amendement COM-104 est de préciser la nature des missions confiées à la Caisse centrale de réassurance.

M. Laurent Duplomb , rapporteur de la commission des affaires économiques . - Les non-assurés ne bénéficieront plus d'une « indemnité calamités » à 100 % : ils n'en percevront plus que la moitié. Il en résultera une économie substantielle pour l'État.

Plus le système s'éloignera des réalités du terrain, plus les agriculteurs non assurés seront nombreux, et plus les agriculteurs assurés sortiront du système d'assurance faute de voir ce dernier évoluer.

Par ailleurs, une fois le nouveau dispositif en vigueur, une même question se posera à chaque réforme de la PAC : combien de fois faudra-t-il faire basculer des fonds du premier pilier de celle-ci dans le deuxième, pour assurer la cohérence des subventions relatives aux contrats d'assurance ? Une fois encore, les mesures de soutien économique du premier pilier, censées compenser les prix bas payés aux agriculteurs, seront remplacées par le deuxième pilier, qui se substituera ainsi au vrai rôle de solidarité de l'État.

Les amendements COM-99 , COM-100 , COM-101 , COM-102 , COM-103 et COM-104 sont adoptés.

La commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page