B. UNE REFONTE DU CADRE GÉNÉRAL DU SYSTÈME D'INDEMNISATION DES PERTES DE RÉCOLTE

Le projet de loi propose un nouveau partage des risques liés aux aléas climatiques entre l'État, les agriculteurs et les entreprises d'assurance et vise à améliorer l'articulation des dispositifs existant entre eux .

Ainsi, les risques de faible intensité demeureront à la charge de l'exploitant agricole ; les risques d'intensité moyenne, mutualisés entre les territoires et les filières seraient absorbés par l'assurance MRC, dont le subventionnement public serait renforcé afin d'en faciliter le déploiement à plus large échelle ; enfin, l'État prendrait en charge les risques « catastrophiques ».

Les articles 1 à 4 mettent ainsi en oeuvre le nouveau système d'indemnisation des risques à « trois étages », tandis que l'article 5 crée une nouvelle instance de dialogue entre les acteurs s'agissant de l'assurance récolte. Les articles 8 et 9 prévoient quant à eux des dispositions spécifiques concernant les collectivités ultra-marines.

1. La complémentarité de l'indemnisation par l'État et les assureurs pour les mêmes pertes de récolte (article 1er)

L' article 1 er du présent projet de loi précise les conditions d'intervention du FNGRA en les articulant avec l'assurance multirisque climatique. Les agriculteurs pourront ainsi recevoir, en complément des indemnisations liées à des contrats d'assurance subventionnés , des indemnités fondées sur la solidarité nationale , « s'ils n'ont pas souscrit d'autres contrats couvrant ces pertes » (par exemple, un contrat monorisque).

Le principe d'exclusivité des indemnisations issues de l'assurance multirisques climatiques pour certaines cultures listées par décret (vigne et grandes cultures) est donc abandonné.

Ainsi, pour toutes les cultures, l'indemnisation par l'État d'une partie des pertes qualifiées de « catastrophiques » sera complémentaire de celle perçue au titre de l'assurance pour un agriculture assuré en MRC, pour ces mêmes pertes.

2. Une incitation au développement de la couverture assurantielle par une modification des règles de subvention à l'assurance récolte, mais un soutien public renforcé réservé aux filières qui en auront le plus besoin

L' article 2 du projet de loi propose de modifier le fonctionnement de la deuxième section du FNGRA chargé des aides à l'assurance récolte.

Il propose trois modifications :

- premièrement, le plafond du taux de subvention sur les primes des contrats d'assurance MRC serait aligné sur le taux de 70 % prévu par le droit européen (règlement « omnibus ») à compter du 1 er janvier 2023, au lieu d'un plafond de 65 % aujourd'hui (cf. supra ) ; il s'agit d'un plafond applicable au cumul de l'aide versée par le deuxième pilier de la PAC et éventuellement par l'État via la deuxième section du FNGRA ;

- en deuxième lieu, l'éligibilité à ces aides sera réservée aux seuls contrats qui couvrent les pertes causées représentant une part fixée par décret en fonction de la nature de la production et selon le type de contrat, cette part ne pouvant être inférieure à 20 % de la moyenne de production annuelle de l'exploitant calculée selon des modalités déterminées par décret ;

- enfin, les conditions d'accès à la subvention seraient renforcées : la subvention serait forfaitaire et v ariable suivant le risque, la nature de la production et également le type et les modalités de contrat d'assurance souscrit (par groupes de culture ou à l'exploitation) .

Ce faisant, l'article déclenche les possibilités permises par le droit européen depuis le règlement Omnibus (2017/2393) qui avait permis un assouplissement des seuils de déclenchement des assurances climatiques en permettant aux États membres le souhaitant de déclencher l'indemnisation dès 20 % de pertes et non plus de 30 % et de permettre une subvention sur 70 % des primes d'assurance et non plus de 65 %.

Il vise à rendre plus accessible le produit assurantiel MRC pour les agriculteurs, en laissant la possibilité au Gouvernement de relever le taux maximum de subvention, mais, comme le précise l'étude d'impact, « pour les filières qui en auront le plus besoin ».

Cet article entend renforcer l'incitation à contracter une assurance MRC pour les agriculteurs afin de porter à horizon 2030 le taux de couverture des surfaces agricoles de 18 % aujourd'hui à 46 %, avec un objectif de couverture de 60 % des surfaces en viticulture, grandes cultures et légumes et 30 % en arboriculture, horticulture et prairies.

Données actuelles et objectifs cibles s'agissant des surfaces assurées en multirisque climatique (MRC) par groupe de cultures

(en %)

Source : commission des finances d'après les éléments de l'évaluation préalable du présent projet de loi

Un consensus conduit en effet à reconnaître que la gestion des aléas de faible ampleur fait partie intrinsèque de l'activité agricole, et que les outils de mutualisation des risques apparaissent par contre nécessaires dès que l'on atteint 20 à 30 % de pertes de récolte minimum . Le rapporteur pour avis Patrice Joly considère ainsi que la diminution du taux de franchise à 20 % sera particulièrement bienvenue pour certaines filières.

Il s'agit par cette incitation renforcée à la couverture assurantielle, d'augmenter la part de l'intervention privée sur ces niveaux de pertes de récoltes et de réduire la part de l'intervention publique.

Le rapporteur pour avis relève que l'option qui a pu être évoquée d'une assurance récolte obligatoire pour les agriculteurs n'a pas été retenue. Une telle souscription obligatoire aurait conduit à la fin du subventionnement public à l'assurance récolte, conformément aux règles européennes, et aurait fait porter le coût de l'assurance entièrement sur les exploitants agricoles, ce qui n'est pas souhaitable. En outre, il importe de laisser aux exploitants agricoles le libre choix de leur stratégie de gestion du risque.

3. L'application systématique d'un principe de solidarité nationale via une indemnisation par l'État des risques catastrophiques, variable selon la souscription ou non d'une assurance MRC par l'exploitant (article 3)

L'article 3 prévoit que la troisième section du FNGRA pourra intervenir sur le « troisième étage » du dispositif, soit les pertes résultant des aléas climatiques « catastrophiques ».

Le nouvel article L. 351-4-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que cette troisième section participe à l'indemnisation des pertes de récoltes ou de cultures résultant d'aléas climatiques, lorsque ces pertes sont supérieures à un seuil fixé par décret en fonction de la nature des productions et, s'il y a lieu, du type de contrat d'assurance souscrit . Le seuil ne peut être inférieur à 30 % de la moyenne de la production annuelle de l'exploitant , calculée selon des modalités fixées par décret. Ainsi, le seuil de pertes dites « catastrophiques » varierait donc selon le type de production et le type de contrat d'assurance.

Au surplus, l'indemnisation versée par l'État dépend du statut de l'exploitant agricole, selon qu'il dispose ou non d'une couverture assurantielle MRC subventionnée.

Ainsi, pour les exploitants agricoles assurés au titre de contrats subventionnés, l'indemnisation serait versée en complément des indemnités assurantielles pour les mêmes pertes.

Pour les exploitants agricoles n'ayant pas souscrit d'assurance couvrant ces pertes (c'est-à-dire sans assurance ou non couverts pour le risque survenant), l'indemnisation représente au maximum 50 % de celle qui serait perçue en moyenne par les exploitants agricoles subissant les mêmes pertes pour les mêmes cultures et assurés à ce titre . Cette moindre indemnisation par l'État des exploitants non assurés MRC vise à renforcer le caractère incitatif de l'assurance subventionnée. Il s'agit là encore d'un outil visant à inciter les exploitants agricoles à s'assurer, déjà prévu dans la réglementation européenne mais non encore mis en oeuvre dans le droit national.

Enfin, les agriculteurs pourront demander cette indemnisation fondée sur la solidarité nationale via un interlocuteur unique, qui peut être l'État ou un réseau d'interlocuteurs agréés par l'État, versant les indemnisations du FNGRA au nom de l'État. L'évaluation préalable indique que ces interlocuteurs pourront être des personnes publiques ou privées, choisies après une procédure d'appel à candidatures. Elle ajoute que ce réseau d'interlocuteurs agréés sera responsable « de l'estimation des pertes, du calcul des dommages et du versement des indemnisations ».

Il faut ajouter que les agriculteurs assurés au titre d'un contrat dit « monorisque », ne couvrant que le risque grêle voire tempête avec parfois une garantie complémentaire en cas de gel, ne bénéficieront pas de l'indemnisation versée au titre de la solidarité nationale, lorsque l'aléa qui survient est couvert par ce contrat monorisque. Il s'agit par-là d'inciter au déploiement de l'assurance MRC, davantage susceptible d'accompagner les exploitants face à des aléas divers dans un contexte de réchauffement climatique .

Afin d'illustrer ces principes, l'étude d'impact mentionne un cas de figure : un agriculteur exploitant des vignes et des grandes cultures et ayant souscrit un contrat monorisque contre la grêle uniquement sur sa vigne sera considéré comme non assuré pour les aléas climatiques non couverts dans son contrat (comme la sécheresse), ainsi que pour tous les aléas pour les cultures non couvertes dans le contrat (ici, les grandes cultures). En outre, pour l'aléa « grêle » s'agissant des vignes, l'exploitant ne bénéficierait pas du troisième étage d'indemnisation par l'État, mais serait indemnisé par son assurance.

Par ailleurs, les conditions d'application de cet article 3 sont renvoyées à un décret, notamment l'indemnisation selon la nature de la production, en tenant compte le cas échéant de l'insuffisance de développement de l'assurance MRC et s'il y a lieu du type de contrat souscrit.

L'Assemblée nationale a adopté un amendement visant à ce que le décret fixe également les conditions dans lesquelles un exploitant peut demander une nouvelle expertise en cas de désaccord sur l'évaluation de sa perte.

Par conséquent, le système reposera sur trois principes :

- des seuils de déclenchement de l'indemnisation nationale en fonction de la perte induite appréciés selon la nature des productions et le type de contrats souscrits - ce seuil ne pourra être inférieur à 30 % comme le prévoit le droit européen ;

- les indemnisations de l'État viendront en complément des indemnisations issues du contrat MRC . Par comparaison, aujourd'hui l'intervention publique ne pouvait avoir lieu que pour les cultures non assurables ;

- les exploitants agricoles non-assurés au titre de la MRC seront moins indemnisés que les exploitants agricoles assurés , mais bénéficieront de l'intervention publique à partir du même seuil de déclenchement et pour les mêmes dommages.

Fonctionnement du dispositif proposé pour les agriculteurs
assurés en MRC et les agriculteurs non assurés

Source : évaluation préalable du présent projet de loi

Il faut également mentionner l' article 4 , qui tire les conséquences de de la création de ce nouveau régime d'indemnisation réservé aux pertes de cultures et de récoltes résultant d'aléas climatiques sur le régime actuel des calamités agricoles. Ce nouveau régime sera complémentaire du régime des calamités agricoles : ce dernier n'est maintenu que pour les pertes non assurables de l'exploitation, c'est-à-dire les dommages affectant les moyens de production. Ainsi, deux régimes seront gérés par la troisième section du FNGRA :

- l'indemnisation des pertes de récolte fondée sur la solidarité nationale (nouvel article L. 361-4-1 du code rural et de la pêche maritime) ;

- l'indemnisation des calamités agricoles, limitée aux pertes de moyens de production (nouvel article L. 361-5 du même code).

4. Une nouvelle commission au sein du Comité national de la gestion des risques en agriculture en charge de l'orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes (article 5)

L' article 5 du présent projet de loi modifie l'article L. 361-8 du code rural et de la pêche maritime, qui régit le Comité national de la gestion des risques en agriculture (CNGRA), compétent en matière de gestion des aléas climatique, sanitaire, phytosanitaire et environnemental. Ce comité peut être consulté par le ministre de l'agriculture et d'autres ministres lorsqu'ils sont compétents à des fins d'expertise sur la connaissance des risque précités mais également sur les conditions de développement des produits d'assurance contre les dommages causés aux exploitations agricoles, notamment l'impact des seuils de franchise et de perte sur ce développement et sur l'attractivité de l'assurance, et l'adéquation entre le niveau des primes de ces produits et le niveau de risque encouru. La composition du CNGRA est fixée par décret, ainsi que celle de ses comités départementaux d'expertise.

L'article 5 prévoit que le comité comprenne désormais en son sein une commission chargée de l'orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes (« CODAR ») .

Il précise qu'un décret déterminera la composition de cette commission, ses missions et modalités de fonctionnement . L'Assemblée nationale a adopté un amendement visant à ce que la composition de cette nouvelle commission garantisse la représentation des organisations syndicales représentatives, des entreprises d'assurance et de l'État, et à ce que le décret précité précise les déclinaisons locales de la commission et leur fonctionnement.

La gouvernance proposée pour ce nouveau comité « CODAR » au sein du CNGRA repose sur un schéma tripartite « État - entreprises d'assurance - agriculteurs » devant permettre de suivre la mise en oeuvre du dispositif, et d'ajuster régulièrement les paramètres du dispositif en vigueur pour atteindre les objectifs de pénétration de l'assurance récolte. D'après l'évaluation préalable du projet de loi, il permettra de partager « des analyses sur l'évolution et les sous-jacents de la tarification des contrats d'assurance, le suivi de l'évolution de la diffusion de l'assurance MRC, les éventuels besoins d'ajustement, y compris budgétaires, de mise en place de nouvelles offres expérimentales ».

5. Des dispositions spécifiques sont prévues pour les collectivités ultra-marines (articles 8 et 9)

Le régime de gestion des risques climatiques en outre-mer diffère de celui applicable en métropole, pour deux raisons principales : les filières agricoles sont spécifiques et les risques climatiques différents dans les territoires ultra-marins. Les agriculteurs ne cotisent donc pas au FNGRA et ne sont pas soumis au régime de calamités agricoles. Trois dispositifs se superposent en l'absence d'offre assurantielle :

- un fonds de secours pour l'Outre-mer (FSOM) mis en place pour indemniser les pertes de récolte dues aux aléas climatiques, qui ne semble plus adapté aux besoins de certaines filières. Il dispose en effet d'une enveloppe de 10 millions d'euros par an pour tous les dégâts, l'enveloppe étant consommée à 70 % par le secteur agricole. Les dépenses du volet agricole du FSOM ont d'ailleurs crû de 13 % sur la période de 2011 à 2021 ;

- le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), aide européenne qui permet de maintenir le niveau d'aides comme si le cas de force majeure n'avait pas existé ;

- le FEADER régional qui peut intervenir pour reconstituer le potentiel de production dans le cadre de l'indemnisation des pertes de fonds.

Comme l'indique l'évaluation préalable du projet de loi, le calendrier de la réforme - une entrée en vigueur dans le cadre de la prochaine PAC soit au 1 er janvier 2023 - ne permet pas d'envisager son application immédiation en outre-mer, d'autant plus que les travaux de concertation sont en cours.

L' article 8 du projet de loi précise donc que les dispositions du projet de loi relatives à l'assurance récolte ne s'appliquent pas en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à la Réunion et à Mayotte, mais prévoit des dispositions afin de mettre en cohérence le régime actuel avec la réforme proposée. Il en va de même pour les collectivités de l'article 74 de la Constitution (Saint Martin, Saint Barthélémy et Saint-Pierre-et-Miquelon) pour lesquelles des dispositions de coordination avec le régime proposé sont également prévues.

Le Gouvernement prévoit une amélioration du dispositif actuel du fonds de secours pour l'outre-mer (FSOM). L' article 9 confère ainsi au Gouvernement une habilitation à légiférer par ordonnance, dans un délai de 24 mois, pour préciser les principes d'organisation et d'intervention FSOM ainsi que les conditions dans lesquelles les exploitants ultramarins peuvent accéder au FNGRA , une fois que les travaux de concertation auront été finalisés.

6. Des dispositions transitoires (article 12)

L'Assemblée nationale a complété l'article 12 afin de garantir la cohérence entre la mise en oeuvre du nouveau régime de solidarité nationale et le régime actuel des calamités agricoles pour les pertes de récolte.

Ainsi, l'indemnisation des pertes de récoltes ou de cultures résultants d'aléas climatiques débutant avant le 1 er janvier 2023 » demeure soumise aux dispositions actuellement en vigueur.

Pour les contrats assurantiels en cours - soit ceux couvrant les pertes touchant les cycles de production débutant en 2022 -, les agriculteurs auront le choix de rester soumis au régime d'indemnisation actuel ou de basculer dans le nouveau dispositif. Dans tous les cas, les contrats seront mis en conformité avec les dispositions du présent projet de loi au plus tard un an après l'entrée en vigueur de la loi.

En outre, l'Assemblée nationale a prévu un « filet de sécurité », en ajoutant que si les conditions d'entrée en vigueur ne sont pas réunies, et après concertation avec les parties prenantes, un décret peut reporter au 1 er août 2023 la date d'entrée en vigueur de la réforme et prolonger de sept mois les dispositions transitoires précitées.

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