B. LE POINT DE RUPTURE POUR LES ETP EST ATTEINT, PORTANT PRÉJUDICE AU DYNAMISME DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE

1. Les ETP poursuivent leur chute telle que prévue par le schéma pluriannuel d'emploi

Malgré le rebond constaté du nombre d'élèves et étudiants de l'enseignement technique agricole en 2019-2020 - une première depuis 10 ans -, le schéma pluriannuel des emplois continue à s'appliquer sans aucun aménagement . Ce sont ainsi 80 ETP qui sont supprimés en 2021, alors même que l'enseignement technique agricole a déjà été fortement touché les années précédentes.

LF2019

LF2020

PLF2021

2022 (prévision)

Nombre d'ETP supprimés

- 50 ETP

- 60 ETP

- 80 ETP

- 110 ETP

Afin de pallier cette diminution des ETP au moment où l'objectif de 200 000 d'élèves et étudiants pour 2022 a été fixé 3 ( * ) , le Gouvernement a mis en place à la rentrée 2019 une double réforme :

- l'augmentation des seuils de dédoublement des classes de 24 à 27 élèves 4 ( * ) qui deviennent désormais indicatifs et plus obligatoires ;

- une plus grande autonomie des chefs d'établissement en augmentant le nombre d'heures de la dotation globale horaire (DGH) qu'ils peuvent librement répartir au sein de leur établissement. Ces heures peuvent être utilisées pour financer des dédoublements de classe, proposer des enseignements optionnels ou mettre en oeuvre des projets pédagogiques locaux.

De l'aveu même de l'inspection de l'enseignement agricole (IEA) et du conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), cette double réforme doit permettre de participer de façon significative aux économies d'emplois programmées (entre 200 et 350 ETP) .

Toutefois, l'augmentation du nombre d'élèves par classe remet en cause une des spécificités de l'enseignement agricole : des classes aux effectifs restreints permettant un accompagnement plus personnalisé de chaque élève.

La rapporteure pour avis souligne également que la baisse des ETP touche les emplois administratifs et techniques des établissements d'enseignement agricole publics et des services déconcentrés (- 22 ETP). Or ceux-ci avaient déjà été très fortement rationnalisés lors de la révision générale des politiques publiques. Là encore, les marges de manoeuvre sont aujourd'hui quasi inexistantes.

Diminution du nombre d'ETP inscrite au PLF 2021 par catégorie d'emplois

Catégorie d'emplois

Schéma d'emploi (en ETP)

A administratifs

- 4

A techniques

- 3

B et C administratifs

- 13

B et C techniques

- 2

Enseignants

- 58

Total

- 80

Source : PAP 2021

2. La concomitance de la baisse des ETP et de la réforme du baccalauréat, vecteur de perte d'attractivité pour l'enseignement agricole

Comme les lycées relevant de l'éducation nationale, les lycées agricoles sont concernés par la réforme du baccalauréat général et technologique. En 2020, 22 767 élèves poursuivaient leur formation en voie générale ou technologique dans l'enseignement agricole.

En voie générale les élèves doivent choisir trois enseignements de spécialité. Dans les lycées agricoles, les élèves prennent systématiquement mathématiques, physique-chimie et biologie-écologie - enseignement spécifique à l'enseignement agricole -, dans la mesure où ce sont les trois seuls enseignements de spécialité proposés 5 ( * ) .

En terminale, les élèves ne conservent que deux enseignements de spécialité. Dans les lycées agricoles, les élèves ont théoriquement le choix entre trois « doublettes » : physique-chimie / biologie-écologie, mathématiques / biologie-écologie, physique-chimie / mathématiques.

Or, selon le rapport du conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux 6 ( * ) (CGAAER) sur l'orientation des élèves vers l'enseignement agricole et son attractivité de juin 2020, par manque de moyens et une dotation globale horaire insuffisante, les établissements ne peuvent souvent proposer qu'une seule « doublette ». Certains établissements font le choix de proposer deux doublettes de spécialité en terminale, au détriment des enseignements optionnels qui ne sont alors plus financés 7 ( * ) .

Ce constat dressé par le CGAAER et les arbitrages que doivent faire les chefs d'établissement dans le choix des enseignements bénéficiant d'heures dans le cadre de la dotation horaire globale se retrouve dans les propos tenus par une des personnes auditionnées : « actuellement pour ouvrir une nouvelle filière dans un établissement d'enseignement agricole, il faut en fermer une autre » .

Alors même que la crise de la covid-19 a montré l'importance de la résilience alimentaire et que le ministère de l'agriculture et de l'alimentation appelle à produire et transformer autrement, l'enseignement agricole éprouve aujourd'hui toutes les difficultés, par manque de moyens humains, à répondre à cette injonction .

L'exemple des lycées d'enseignement général et technologique agricoles (LEGTA)

de la région Centre-Val de Loire

La décision du directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de la région Centre-Val de Loire, en date du 7 février 2019 témoigne de cette limitation dans le choix des « doublettes ».

Classe de première (applicable à la rentrée 2019)

Enseignements de spécialité

LEGTA Bourges

LEGTA Chartes

LEGTA Châteauroux

LEGTA Tours

LEGTA Vendôme

LEGTA

Le Chesnoy

Biologie-écologie

Mathématiques

Physique-chimie

Classe de terminale (applicable à la rentrée 2020)

Enseignements
de spécialité

LEGTA Bourges

LEGTA Chartes

LEGTA Châteauroux

LEGTA Tours

LEGTA Vendôme

LEGTA

Le Chesnoy

Biologie-écologie/
physique-chimie

Physique-chimie/

mathématiques

Biologie-écologie/

Mathématiques

Source : site internet de la DRAAF du Centre-Val-de-Loire 8 ( * )

Le CGAAER fait le même constat de rationnement des enseignements optionnels proposés. La réforme du baccalauréat prévoyait, pour l'enseignement agricole la possibilité pour l'élève de choisir deux enseignements optionnels selon les modalités suivantes :

- un premier enseignement optionnel parmi une troisième langue vivante, EPS, hippologie-équitation, agronomie-économie-territoires, pratiques sociales et culturelles, les trois dernières options étant spécifiques à l'enseignement agricole ;

- un deuxième enseignement optionnel parmi mathématiques complémentaires (pour les élèves n'ayant pas en terminale la spécialité mathématiques), ou mathématiques expertes (pour les élèves suivant en terminale la spécialité mathématiques).

Or, souvent un seul enseignement optionnel est proposé.

Ce choix limité sur les enseignements proposés, à rebours de l'esprit de la réforme du bac, a des effets immédiats sur les effectifs de l'enseignement agricole, comme a pu le constater le CGAAER : « plusieurs proviseurs de LEGTA ont constaté une baisse sensible de leurs effectifs de seconde GT lors des deux dernières rentrées et ils s'inquiètent pour la rentrée 2020. [...] Les chefs d'établissement attribuent principalement cette diminution à l'offre trop réduite d'enseignements de spécialité. En effet, les familles ont la préoccupation de permettre à leur enfant d'accéder au maximum de choix en fin de seconde GT. Elles ont donc tendance à choisir, pour l'admission de leur enfant en seconde GT, le lycée de secteur qui proposera un panel nettement plus large que celui du LEGTA » .

La rapporteure pour avis dénonce cette situation : à partir du moment où le Gouvernement a fait le choix de réformer profondément le lycée et le baccalauréat, il lui appartient d'en tirer les conséquences et de permettre la mise en place de cette réforme dans de bonnes conditions dans les lycées d'enseignement agricole.

3. Un risque important de fermeture de classes à partir de la rentrée 2021

Le respect du schéma d'emplois négatif maintenu pour 2021 - et le cas échéant en 2022 - devient de plus en plus difficile à réaliser, le système atteignant les limites de la rationalisation.

Or, le vivier d'élèves existe - l'augmentation des effectifs à la rentrée 2019, après dix ans consécutifs de baisse, le prouve. Mais la suppression de 110 ETP prévue en 2022 exclut toute possibilité de création de classes nouvelles . Pire encore, des suppressions de classes sont à envisager à compter de la rentrée 2021. Ce schéma d'emplois plonge l'enseignement agricole dans un cercle vicieux : l'absence de formations innovantes, la fermeture de classes entraîne un transfert des élèves potentiellement intéressés vers les formations proposées par l'éducation nationale, renforçant une chute des effectifs.

La rapporteure pour avis souhaite rappeler l'urgence de former dès aujourd'hui des jeunes dans les métiers du vivant : 215 000 exploitants, soit 45 % de la population agricole, vont faire valoir leurs droits à la retraite d'ici 2026.


* 3 Audition de Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le 12 novembre 2019 devant la commission de la culture du Sénat.

* 4 Deux types d'enseignement toutefois ne sont pas concernés par ce relèvement des seuils : les enseignements pour lesquels les dédoublements répondent à des considérations de sécurité, et les enseignements de langue vivante, dont les effectifs ont été baissés.

* 5 À la différence des lycées relevant de l'éducation nationale où les spécialités suivantes existent : arts ; histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques ; humanités, littérature et philosophie ; langues, littératures et cultures étrangères et régionales ; littérature, langues et cultures de l'Antiquité ; mathématiques ; numérique et sciences informatiques ; physique-chimie, sciences de la vie et de la terre, sciences de l'ingénieur, sciences économiques et sociales.

* 6 Présidé par le ministre en charge de l'agriculture, le conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) assure des missions de conseil, d'expertise, d'évaluation, d'audit et d'inspection.

* 7 Rapport commun du CGAAER n° 19097/inspection de l'enseignement agricole n° R2020-005 sur le suivi de la réforme des seuils de dédoublement dans l'enseignement technique agricole, juin 2020.

* 8 http://draaf.centre-val-de-loire.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/DECISION_V2_signee_07_02_2019_
Bac_general_specialite_-_option_cle4e1afd.pdf

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