D. L'ÉTAT DE LA RÉGLEMENTATION EN MATIÈRE DE PRODUITS PHYTOSANITAIRES

1. La réglementation européenne en matière de mise sur le marché et d'utilisation des produits phytosanitaires

Le règlement européen n°1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 encadre la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytosanitaires via un double mécanisme d'autorisation :

- au niveau européen : une autorisation, valable pour dix ans, délivrée par la Commission européenne après évaluation scientifique de l'agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour les substances actives entrant dans la composition des produits phytosanitaires ;

- au niveau national : une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par chaque État membre sur la base d'une évaluation des risques valable pour une zone géographique donnée, définie par le règlement européen et valable pour certaines conditions d'utilisation des produits comprenant ces substances actives.

En France, les AMM sont délivrées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) pour une durée limitée. Elles peuvent être réévaluées au regard de données scientifiques ou techniques nouvelles.

Le règlement européen prévoit la possibilité pour un État membre de demander une réévaluation des substances actives à la Commission européenne ainsi que des mesures d'urgence pouvant être mises en oeuvre en cas de risque grave pour la santé humaine, animale ou l'environnement si la Commission ne réagit pas.

2. L'interdiction des produits néonicotinoïdes en France

L'article 125 de la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages interdit, au 1 er septembre 2018, l'utilisation des produits néonicotinoïdes, avec la possibilité pour le Gouvernement d'accorder des dérogations jusqu'au 1 er juillet 2020, sur la base d'un bilan établi par l'ANSES sur la disponibilité et l'efficacité de produits de substitution.

ARTICLE 125 DE LA LOI DU 8 AOÛT 2016 POUR LA RECONQUÊTE DE LA BIODIVERSITÉ, DE LA NATURE ET DES PAYSAGES

I.- L'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I.-» ;

2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II.- L'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et de semences traitées avec ces produits est interdite à compter du 1er septembre 2018.

« Des dérogations à l'interdiction mentionnée au premier alinéa du présent II peuvent être accordées jusqu'au 1er juillet 2020 par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé.

« L'arrêté mentionné au deuxième alinéa du présent II est pris sur la base d'un bilan établi par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail qui compare les bénéfices et les risques liés aux usages des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes autorisés en France avec ceux liés aux usages de produits de substitution ou aux méthodes alternatives disponibles.

« Ce bilan porte sur les impacts sur l'environnement, notamment sur les pollinisateurs, sur la santé publique et sur l'activité agricole. Il est rendu public dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 1313-3 du code de la santé publique. »

II.- Le dernier alinéa du II de l'article L. 254-7 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, est ainsi modifié :

1° Les mots : « et des » sont remplacés par le mot : «, des » ;

2° Après les mots : « 91/414/ CE du Conseil », sont insérés les mots : « et des produits dont l'usage est autorisé dans le cadre de l'agriculture biologique ».

Cet article avait initialement été introduit en première lecture par l'Assemblée nationale, à l'initiative des députés Gérard Bapt et Delphine Batho, sous la forme d'une interdiction pure et simple de ces produits en 2016. Il a suscité, tout au long de la navette parlementaire, des débats nourris mais intéressants et a finalement fait l'objet d'une solution de compromis plus pragmatique .

Les débats parlementaires ont notamment mis l'accent sur un certain nombre de difficultés liées à une interdiction pure et simple, et notamment :

- la portée juridique d'une telle interdiction dans la mesure où elle contrevient au règlement européen de 2009 ;

- l'échéance trop proche de 2016, qui n'aurait pas pu permettre aux agriculteurs de se tourner vers des produits alternatifs.

Néanmoins, votre rapporteur pour avis partageait la position du rapporteur du projet de loi, Jérôme Bignon, qui a mis en avant la nette corrélation entre le développement de ces substances et la hausse de mortalité des abeilles , établie par un grand nombre de scientifiques, et notamment par l'INRA 7 ( * ) . Il soulignait en outre le caractère aggravant des modalités d'utilisation de ces molécules, dans la mesure où dans la plupart des cas, elles ne sont pas seulement pulvérisées sur les sols, mais diffusées sous forme de graines enrobées, qui exposent les abeilles de manière continue.

3. Une nouvelle mission pour l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES)
a) Le budget de l'ANSES

L'ANSES, dont votre rapporteur pour avis a rencontré deux directrices générales adjointes dans le cadre de la préparation de son rapport, est l'opérateur chargé de mettre en oeuvre le règlement européen REACH et la directive dite « biocides ». Ses actions permettent de réaliser les orientations des différents plans nationaux santé-environnement , notamment pour le volet « qualité de l'air intérieur » et pour l'expertise liée aux risques émergents.

Si le principal programme abondant l'ANSES est le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation », sept millions d'euros (AE=CP) de subvention pour charges de service public lui sont néanmoins affectés par le PLF 2017 dans le cadre du programme 181 , afin de lui permettre d'assurer cette mission d'expertise pour le compte des pouvoirs publics, mais aussi sa mission d'évaluation des autorisations de mise sur le marché des produits biocides.

L'ANSES dispose de 138 millions d'euros de recettes dont 90 millions d'euros au total de subventions pour charge de service public et environ 30 millions d'euros de fiscalité affectée. Elle peut également compter sur diverses recettes liées par exemple à des conventions.

Le mouvement de fond du budget de l'agence consiste en une diminution du montant des subventions pour charges de service public au profit d'une augmentation de la fiscalité affectée , qui contribue notamment à financer les actions relatives aux produits réglementés.

Votre rapporteur pour avis a souhaité interroger l'ANSES sur l'ensemble de ses missions et l'adéquation des moyens dont elle dispose avec ces dernières, d'une part, et sur cette nouvelle mission confiée par la loi biodiversité, d'autre part.

Pour rappel, cette disposition a fait l'objet de longs débats, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, qui aboutirent à la solution constructive d'une interdiction assortie de dérogations.

Interrogée par votre rapporteur pour avis, l'agence a ainsi indiqué de manière générale que les recettes liées aux taxes (principalement des taxes au dossier), avaient augmenté de 50% entre 2012 et 2016 , confirmant le mouvement de fond décrit plus haut.

En ce qui concerne les produits phytopharmaceutiques, un arrêté du 2 mai 2012 a refondu les dispositions réglementaires fixant le barème de la taxe frappant la mise sur le marché de ces produits afin d'une part de l'adapter à la réglementation européenne, d'autre part de faire évoluer leur montant.

Malgré cette refonte, l'ANSES a informé votre rapporteur pour avis de la nécessité, notamment au vu de l'augmentation du nombre de dossiers, de faire évoluer à nouveau ce barème , ce qui est actuellement en cours en liaison avec le ministère de l'agriculture.

Votre rapporteur pour avis préconise ainsi un réajustement rapide de cette taxe au dossier, afin de combler le décalage qui existe entre celle-ci et ce que coûte un dossier pour un produit phytosanitaire à l'ANSES.

b) Des moyens humains insuffisants

Mais surtout, au-delà de la question des moyens purement financiers, votre rapporteur pour avis a été alerté sur la question des moyens humains, capitale face à l'explosion des missions et du nombre de dossiers devant être traités par l'agence.

Les interlocuteurs de l'ANSES rencontrés par votre rapporteur pour avis ont pointé plusieurs inquiétudes :

- la première est liée à l'incertitude qui pèse sur les autorisations de mise sur le marché (AMM) pour les médicaments vétérinaires en Europe dans le cadre du récent Brexit : en effet, 60% de ces AMM sont aujourd'hui traitées par l'agence britannique, qui, elle, n'est pas contrainte par un plafond d'emplois ; que va-t-il advenir de ce flux supplémentaire à traiter sans pouvoir disposer de personnel humain ? L'augmentation de la taxe affectée ne pourra à elle seule régler cette difficulté ;

- la deuxième est liée à la nouvelle mission confiée à l'agence en application de la directive européenne de 2014 sur le tabac et les produits du vapotage : de nouvelles taxes ont été associées à cette nouvelle mission mais la difficulté demeure l'impossibilité d'embaucher de nouvelles personnes dédiées (les produits du vapotage sont estimés à environ 12 000).

Entre 2016 et 2017, on prévoit une diminution de 7 ETP, ce qui nécessitera un redéploiement des effectifs, d'autant que la nouvelle compétence en matière de vapotage et de tabac aurait un impact d'environ 7 à 10 ETP supplémentaires.

Cette question récurrente du personnel ne fait donc qu'empirer au fil des années et des missions supplémentaires attribuées à l'agence. Sur les néonicotinoïdes par exemple, on estime que 3 600 lignes sont à comparer par produit et par usage.

Ce manque de moyens humains a un impact direct sur les délais de traitement des dossiers. Votre rapporteur pour avis a ainsi pu constater que la Commission européenne pointait les retards et la surréglementation dont souffrait l'agence.

Votre rapporteur pour avis considère que le nombre d'emplois doit être augmenté , notamment pour que l'agence soit en mesure d'analyser les innovations que les entreprises vont mettre au jour.

c) Le bilan des produits alternatifs aux néonicotinoïdes : des premiers résultats à la fin de l'année mais une analyse complète fin 2017

Sur la question précise de la nouvelle mission sur les néonicotinoïdes créée par la loi relative à la biodiversité et du bilan que cette dernière doit mener sur les produits alternatifs existants, les deux directrices générales adjointes que votre rapporteur pour avis a entendues lui ont indiqué que des premiers résultats seraient rendus au 31 décembre 2016 par l'agence, permettant de donner un premier aperçu des impacts des pratiques alternatives et une description des pratiques agroécologiques, comme le traitement des semences ou encore le traitement en folières. Mais il s'agira d'un premier aperçu uniquement par le coût : en effet, l'analyse des impacts socio-économiques de ces alternatives nécessitera encore au moins un an de travaux, avec la difficulté principale du choix des externalités à observer.

À ce jour, il apparaît qu'un important travail sur les alternatives doit être mené et que peu d'innovations sont poussées en matière de biocontrôle. D'après les informations transmises à votre rapporteur en effet, deux types de dossiers sont principalement transmis concernant ces produits alternatifs à ce jour :

- des produits de certaines grandes entreprises ne présentant pas toutes les qualités requises pour être considérés comme de « biocontrôle », mais dont les dossiers sont complets et solides ;

- des produits innovants de plus petites entreprises mais dont les dossiers sont souvent incomplets.

Votre rapporteur pour avis estime que ces entreprises innovantes devraient être davantage accompagnées et aidées, par la mise en place d'une plateforme dédiée aux start-up sur ces produits par exemple.

Il relève aussi que le sujet des produits réglementés et de leurs substituts et un sujet complexe qui souffre de solutions caricaturales ou extrêmes. Il existe certaines maladies végétales qui ne pourront pas être traitées sans produits phytosanitaires. Il convient donc de mettre en oeuvre une stratégie d'usage ciblé et raisonné , ou en spots par exemple plutôt qu'en épandage, plutôt que des solutions « tout sans » ou « tout avec ».


* 7 Mickaël Henry, Nicolas Cerrutti, Pierrick Aupinel, Axel Decourtye, Mélanie Gayrard, Jean-François Odoux, Aurélien Pissard, Charlotte Rüger, Vincent Bretagnolle. Reconciling laboratory and field assessments of neonicotinoid toxicity to honeybees. Proceedings of the Royal Society B, 18 novembre 2015.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page