C. UNE OFFRE DE LECTURE PROGRESSIVEMENT ADAPTÉE À LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

1. Le choix de la neutralité fiscale

Au-delà du soutien, essentiel, aux librairies, les politiques publiques en faveur du livre et de la lecture ont progressivement intégré les conséquences de la révolution numérique sur le secteur. Dans cette perspective, les pouvoirs publics ont estimé, à juste titre, que le livre numérique devait être considéré comme un bien culturel de même importance que le livre papier . À cet effet, la loi de finances pour 2012 a instauré, au 1 er janvier 2012, un parallélisme fiscal avec le livre physique en matière de TVA .

La Commission européenne a alors lancé une procédure en manquement contre la France et le Luxembourg, qui applique une législation similaire, le 3 juillet 2012.

La France a, pendant près de trois ans, tenté de défendre sa position en faisant valoir que l'harmonisation du taux de TVA sur l'ensemble des livres est favorable à la diffusion de la culture et aux consommateurs et respecte le principe de neutralité fiscale , jugeant que le livre est avant tout une oeuvre de l'esprit, quel que soit son support.

L'espoir semblait permis, puisque la Commission européenne avait lancé une consultation sur les taux réduits de TVA et envisageait une modification de la directive concernée. D'ailleurs, à la suite de la Journée de Berlin du 9 septembre 2013 « Avenir du Livre, avenir de l'Europe » , l'Allemagne, qui était l'un des principaux opposants à l'application du taux réduit sur le livre numérique, s'était ralliée à la France. Une majorité d'États membres était alors favorable à cette réforme, qui comme toute réforme fiscale, nécessite l'unanimité.

Las, le 5 mars 2015, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt par lequel elle a jugé qu' en appliquant un taux réduit de TVA à 5,5 % au livre numérique, la France n'avait pas respecté la directive européenne du 5 mai 2009 et qu'elle devait désormais s'y conformer. La Cour a notamment considéré que la directive excluait toute possibilité d'appliquer un taux réduit de TVA aux « services fournis par voie électronique » et que la fourniture de livres numériques constituait un tel service.

Le Gouvernement a dénoncé le fait que cette décision est en opposition avec le principe d'égalité de traitement et le principe de neutralité fiscale , qui en est l'expression en matière de TVA, lesquels conduisent à inclure le livre numérique comme pouvant bénéficier d'un taux réduit de TVA, position partagée par votre rapporteur pour avis.

Le Syndicat national de l'édition (SNE) a lancé, en mars 2015, une campagne virale, #CeciNEstPasUnLivre, destinée à sensibiliser et mobiliser les internautes contre la discrimination dont fait l'objet le livre numérique.

Dans l'hypothèse d'un retour à une TVA à taux plein, votre rapporteur pour avis souhaite rappeler que le risque ne pourrait être écarté que les éditeurs répercutent cette augmentation , en tout ou partie, en majorant les prix des livres numériques. Dès lors, cette décision se traduirait, du fait de la forte élasticité-prix du livre numérique, par une baisse des volumes qui concourrait à diminuer l'assiette de rémunération de la filière . Pire, même en l'absence de répercussion de la hausse de la TVA, la rémunération de la filière pâtirait de la diminution de ses marges. Reste toutefois qu'un relèvement du taux de TVA ne devrait pas s'avérer trop coûteux à mettre en place pour les revendeurs. Si une modification du taux sur les livres papier implique un ré-étiquetage de la part des libraires, a contrario , pour les livres numériques, seuls des coûts modérés de mise à jour des logiciels comptables sont à prendre en compte.

Vivement préoccupés par la situation générée à l'issue de la décision de la CJUE, les ministres chargés de la culture de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de la Pologne ont signé une déclaration conjointe dans laquelle ils demandent « l'inclusion d'une modification du droit européen permettant l'application du taux réduit de TVA aux livres numériques dans la stratégie numérique pour l'Europe ».

Le 6 mai 2015, la Commission européenne a présenté sa stratégie pour un marché unique numérique en Europe. Ce même jour, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a annoncé à l'occasion d'un discours « pour une presse libre et indépendante dans une Europe moderne » , prononcé devant l'association des éditeurs de presse allemande, qu'il souhaitait présenter en 2016 une réforme destinée à aligner les taux de TVA des livres électroniques et de la presse en ligne sur ceux des supports papier . « Le règlement de la TVA doit être technologiquement neutre » , a spécifié Jean-Claude Juncker, ralliant ainsi la position défendue de longue date par le Gouvernement français. Votre rapporteur pour avis salue la position du président de la Commission et appelle de ses voeux, dans l'intérêt du marché du livre, une mise en oeuvre rapide de la réforme annoncée.

2. L'enjeu de la numérisation des oeuvres : le rôle central de la BnF
a) La montée en puissance de Gallica, symbole du virage numérique de l'opérateur historique

Le développement du marché, marchand et non marchand, du livre numérique nécessite que les oeuvres du patrimoine littéraire français soient rendues accessibles. À cet effet, la numérisation du patrimoine écrit a été confiée à la Bibliothèque nationale de France (BnF) 3 ( * ) , qui dispose d' une bibliothèque numérique, Gallica . Inaugurée en 1997 comme une simple bibliothèque numérique à vocation encyclopédique, Gallica a profondément changé à compter de 2006, en contrepoint des projets de numérisation de Google . Le site, désormais généraliste, reçoit près de quinze millions de visiteurs chaque anné e (40 000 visites par jour pour quarante pages lues par personne en moyenne) et compte plus de 3,4 millions de documents. Une nouvelle version du site a récemment été développée pour les mobiles et les tablettes. Le site Gallica intra-muros , version disponible seulement dans les salles de lecture de recherche de la BnF, rassemble, pour sa part, près de 3,8 millions de documents, dont 400 000 documents sous droit.

La numérisation engagée porte sur des documents libres de droits en langue française ou langues régionales, imprimés sur le territoire français sur des supports variés :

- les imprimés de la BnF ainsi que ceux de bibliothèques partenaires (territoriales, universitaires ou de recherche) ;

- les livres indisponibles du XX e siècle dans le cadre du projet ReLIRE ;

- les documents figurés (estampes, photographies, manuscrits, cartes et plans, musique imprimée) ;

- les ouvrages précieux de la Réserve ;

- les reproductions de documents spécialisés sous forme transparente (microfilms de manuscrits et de presse) ;

- la presse du XIX e et du début du XX e siècle, documents sur support en général très fragile qui s'autodétruisent (oxydation et hydrolyse du papier issu de pâte à bois) et ne peuvent donc être communiqués au public que sur un support de substitution numérique ou argentique (microfilm).

La production totale est de 99,5 millions d'images numérisées depuis 2004 par les partenaires de la BnF, auxquelles s'ajoutent, depuis 2005, 10,6 millions d'images par les ateliers internes de la BnF, notamment celui de Tolbiac. En 2014, la production a été moindre en raison de la transition entre les deux marchés de numérisation des imprimés.

Éléments chiffrés de production des derniers marchés

Projet - Marché

Depuis le début
du marché

Production 2014

Documents validés

Pages validées

Documents validés

Pages validées

Réserve/Arsenal (Azentis 2012)

14 420

1 159 380

6 323

552 233

Imprimés (Jouve-Diadéis 2011)

368 961

25 244 067

24 653

2 383 766

Indisponibles (Jouve-Diadéis 2011)

15 532

3 810 537

15 532

3 810 537

Spécialisés (Azentis 2013)

5 802

316 459

5 802

316 459

Monnaies et médailles (Azentis 2013)

23 025

46 050

23 025

46 050

Presse (Jouve-Diadéis 2011)

135 665

621 722

46 210

247 238

Source : Réponse au questionnaire budgétaire - PLF 2016

S'agissant des imprimés, les campagnes de numérisation, jusqu'alors réservées aux ouvrages du XIX e et du début du XX e siècle, s'étendent désormais aux ouvrages des XVII e et XVIII e siècles , ainsi qu'aux ouvrages précieux reliés plein cuir ou aux ouvrages dits « hors d'usage » en raison de la fragilité de leur papier ou de leur brochage, ouvrages antérieurement non éligibles à la prise de vue. Parallèlement à l'examen systématique de fonds rassemblant depuis la fin du XVII e siècle, les ouvrages d'une même discipline, la constitution de deux ensembles documentaires se poursuit : la numérisation des grands textes (sélection d'un ensemble de près de 10 000 éditions des oeuvres emblématiques classées par thème et par siècle) et celle des documents les plus consultés, représentant un ensemble de 5 000 documents par département thématique.

Les collections d'imprimés les plus numérisées (monographies et revues confondues) demeurent les collections du département « histoire, philosophie, sciences de l'homme », suivies par celles du département « littérature et art » ; les collections des départements « droit, économie, politique » et « sciences et techniques » suivent ensuite.

Par ailleurs, l'année 2014 a vu démarrer deux nouveaux marchés de numérisation des collections spécialisées, le premier pour la reproduction de manuscrits, collections iconographiques (dont estampes et photographies) et documents musicaux , le second spécifiquement destiné à la numérisation de monnaies . Ainsi, plus de 173 000 monnaies, principalement grecques et romaines, ont été mises en ligne, sur les 700 000 monnaies conservées dans le département « monnaies, médailles et antiques ». Les programmes de numérisation des collections spécialisées s'organisent autour de trois axes principaux de sélection : intérêt patrimonial, intérêt documentaire, critères liés à la conservation et à la communication.

Un accent particulier est mis sur la reproduction des « trésors et chefs d'oeuvre » , avec notamment la numérisation progressive des réserves des départements spécialisés . Parmi les programmes menés en 2014, on peut mentionner la numérisation d'estampes de Pierre Roche, de Berthe Morisot ou encore de Vincent Van Gogh, la reproduction de documents du fonds Marcel Proust au département des manuscrits, le programme Rameau au département de la musique ou encore la poursuite de la numérisation des manuscrits enluminés médiévaux de réserve à la Bibliothèque de l'Arsenal.

D'autres fonds sont numérisés pour des raisons de conservation et de communication : reproduction de documents très fragiles (support sur plaque de verre par exemple) ou présentant des difficultés de manipulation (documents de très grand format, objets comme le fonds de marionnettes du département « arts du spectacle »). À titre d'exemple, au département « audiovisuel », depuis 2000, un plan de sauvegarde pour la numérisation des supports son et vidéo, principalement issus du dépôt légal, a été mis en place.

Des chantiers spécifiques sont enfin lancés en fonction des partenariats et accords passés par la BnF : la numérisation en 3D de globes du département « cartes et plans » dans le cadre d'un mécénat ou la reproduction d'imprimés chinois anciens conformément à l'accord de partenariat signé avec l'université de Shandong.

Outre ses fonds propres et le soutien du CNL, les sources de financement des opérations de numérisation menées par la BnF sont diverses :

- européennes dans le cadre de sa participation à des projets comme celui de la base de données Europeana , bibliothèque numérique européenne, qui peuvent apporter des financements pour la numérisation. La BnF est actuellement partie prenante d'un programme sur la Première Guerre ( Europeana Collections 14-18 ) pour la numérisation de journaux de tranchées ;

- sous forme de subsides de l'Agence nationale de la recherche (ARS) ou LABEX et EQUIPEX , programmes de l'enseignement supérieur et de la recherche, pour le financement de projets spécifiques comme Biblissima consacré au livre ancien ;

- privées enfin, dans le cadre des quatre partenariats incluant un volet numérisation signés par la filiale de la BnF, BnFPartenariats, depuis sa création en 2012. Le premier, concerne le livre ancien avec l'éditeur américain ProQuest ; le second porte sur les collections sonores avec les sociétés Memnon Archiving Services et Believe Digital ; le troisième concerne des collections d'imprimés du XIX e siècle ; le dernier comprend la numérisation de microfilms de presse.

Les financements des projets BnF

Financements

CNL

BnF

Programmes européens

ANR /Biblissima

Total

4 461 957 €

363 777 €

238 087 €

14 224 €

Pourcentage

88 %

7 %

4,6 %

0,3 %

Source : Réponse au questionnaire budgétaire - PLF 2016

b) La numérisation des livres indisponibles : une opération enfin lancée

Les projets de numérisation des oeuvres ont principalement porté sur le domaine public et les collections les plus contemporaines. Les livres anciens mais toujours sous droits n'ont pas, jusqu'à présent, fait l'objet de programmes spécifiques en raison de la faible opportunité économique de leur numérisation. De fait, alors que la rentabilité économique individuelle des titres est faible, le coût de leur numérisation est excessivement élevé puisqu'il est nécessaire de contacter individuellement les auteurs ou leurs ayants droit, dont la trace a souvent été perdue, afin de négocier des contrats pour les nouvelles utilisations numériques des oeuvres.

Avec la loi n° 2012-287 du 1 er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XX e siècle, adoptée à l'unanimité par les deux chambres, les pouvoirs publics ont souhaité remédier à la quasi-absence de ce patrimoine sur les supports numériques , mais également répondre au risque de constitution d'un monopole de la diffusion numérique des oeuvres de l'écrit . En effet, dès 2004, Google a entrepris de numériser et de donner accès de façon exhaustive à un très grand nombre d'ouvrages en s'affranchissant largement des principes du droit d'auteur.

La loi du 1 er mars 2012 précitée a instauré un mécanisme de gestion collective pour les droits numériques attachés aux livres indisponibles du XX e siècle publiés en France et ne faisant plus l'objet d'une diffusion commerciale par un éditeur, soit environ 200 000 titres. Seuls sont concernés les ouvrages édités dans un contexte où les perspectives de diffusion numérique n'étaient pas envisagées : pour les livres plus récents, c'est en pleine connaissance de cause que l'exploitation numérique est prévue ou omise dans les contrats d'édition. Le dispositif s'éteindra donc naturellement avec l'entrée de ces oeuvres dans le domaine public.

Le dispositif prévu consiste en un transfert de l'exercice des droits numériques des livres indisponibles à une société de perception et de répartition des droits , gérée de façon paritaire par des représentants des auteurs et des éditeurs et agréée par le ministère de la culture et de la communication. Ce transfert ne peut intervenir qu'au terme d'un délai de six mois après l'inscription des livres dans une base de données publique réalisée par la BnF , et sauf opposition des titulaires de droits. Pendant ce délai, les auteurs et leurs ayants droit sont informés de la réforme afin de leur permettre d'exercer en toute connaissance de cause leur droit de sortie initial. Après l'entrée en gestion collective, les titulaires de droits conservent cependant la possibilité de se retirer, sans contrepartie, du dispositif dès lors que les droits d'exploitation numérique de l'oeuvre n'ont pas été cédés à un éditeur.

Le mécanisme est particulièrement incitatif pour les éditeurs. Il encourage, en effet, l'éditeur originel du livre, s'il est encore en activité, à assumer l'exploitation numérique des livres concernés . D'une part, comme l'auteur, l'éditeur du livre peut s'opposer pendant le délai de six mois à l'entrée du livre en gestion collective. En revanche, contrairement à l'auteur, il doit assumer les conséquences de cette opposition et se trouve contraint de rendre de nouveau le livre disponible sous forme imprimée ou numérique. D'autre part, lorsque les droits numériques sont exercés par une société de gestion collective, cette dernière doit prioritairement proposer une licence exclusive à l'éditeur historique. Si celui-ci l'accepte et si l'auteur ne s'y oppose pas, il est là encore tenu d'exploiter le livre indisponible concerné.

La BnF a publié, le 21 mars 2013, une première liste de près de 63 000 livres, essentiellement des ouvrages de littérature et de sciences humaines publiés après 1981, sur son Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLIRE), dont les droits d'exploitation numérique sont entrés en gestion collective le 21 septembre 2013 à défaut d'opposition de leurs éditeurs, de leurs auteurs ou des ayants droit de ces derniers. A la même date, par arrêté de la ministre de la culture et de la communication, la Société française des intérêts des auteurs de l'écrit (SOFIA) a été agréée en qualité de société de perception et de répartition pour la gestion collective du droit d'autoriser l'exploitation numérique des livres indisponibles.

En revanche, la situation a longtemps été critique s'agissant du financement de la phase de numérisation , qui, faute d'accord sur la participation des éditeurs et du commissariat général à l'investissement (CGI) au capital de la société de projet, n'a pu débuter dans les délais impartis.

Un blocage supplémentaire est intervenu avec le recours pour excès de pouvoir contre le décret n° 2013-182 du 27 février 2013 pris pour l'application de la loi précitée du 1 er mars 2012 . Pourtant, la rédaction de ce texte avait fait l'objet d'une large concertation entre les organisations représentatives des auteurs et le SNE, dans le cadre d'un groupe de travail associant la BnF en sa qualité de personne morale responsable de la mise en oeuvre de la base de données publique répertoriant les livres indisponibles.

Ses dispositions précisent les modalités de constitution et d'accès à la base de données des livres indisponibles , ainsi que la nature des données collectées et les mesures de publicité destinées à informer les auteurs et les éditeurs de l'inscription de leurs livres dans la base de données. Le décret confie à un comité scientifique, placé auprès du président de la BnF et composé en majorité et à parité de représentants des auteurs et des éditeurs, le soin d'arrêter la liste des livres indisponibles enregistrés dans la base de données. Il fixe également les procédures permettant aux titulaires de droits de s'opposer à l'inscription de leurs livres indisponibles dans la base de données et au passage en gestion collective de leurs droits d'exploitation numérique. Il définit enfin les conditions de délivrance et de retrait de l'agrément des sociétés de perception et de répartition des droits prenant en charge la gestion collective des droits d'exploitation numérique des livres indisponibles.

À l'occasion de ce recours, une question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée à l'encontre de la loi du 1 er mars 2012. Par une décision du 28 février 2014, le Conseil constitutionnel a estimé que la loi, poursuivant un but d'intérêt général, était conforme à la Constitution. En particulier aux yeux du Conseil, elle ne violait notamment pas les dispositions relatives au droit de propriété garanties par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

L'opération de numérisation des livres indisponibles du XX e siècle a alors enfin pu prendre son essor : une nouvelle liste de 35 000 titres a été publiée en 2014 , essentiellement composée d'oeuvres publiées avant 1970 en littérature, sciences sociales et humaines, histoire locale et histoire du monde. La SOFIA a également délivré, en 2014, les licences d'exploitation relatives aux livres inscrits dans la première liste, publiée en 2013.

La campagne de numérisation proprement dite a débuté à l'été 2014 et la commercialisation des 15 000 premiers fichiers est prévue pour la fin de l'année 2015. Les prévisions de numérisation s'établissent à 40 000 ouvrages par an au cours des années 2015 à 2017.

Le processus technique s'organise en deux temps : la BnF assure la première partie du processus en produisant des fichiers en mode image des ouvrages à partir des collections du dépôt légal, puis ces fichiers sont transmis à la société FeniXX, constituée à cet effet par le Cercle de la Librairie, syndicat interprofessionnel de l'édition et de la librairie, qui finalise leur conversion en livres numériques et en gère l'exploitation. En contrepartie, la BnF est autorisée à proposer la consultation des ouvrages dans leur intégralité dans l'enceinte de l'établissement et leur feuilletage partiel à distance, dans l'attente de leur entrée dans le domaine public. À l'expiration des droits de propriété intellectuelle, elle pourra les rendre accessibles sur son site Gallica .

La BnF bénéficie d'une subvention du CNL d'un montant de 9 millions d'euros sur cinq ans pour assurer la numérisation en mode image de 200 000 ouvrages. FeniXX est par ailleurs éligible aux aides accordées par le CNL pour la numérisation rétrospective d'ouvrages sous droits pour un montant compris entre 430 000 euros et 800 000 euros.

S'il convient de se réjouir qu'après moult rebondissements le projet ait enfin démarré, il est essentiel de demeurer attentif à ce que de nouveaux blocages ne le pénalisent à nouveau . En effet, dans un arrêt du 6 mai 2015, le Conseil d'État a décidé de surseoir à statuer sur le recours pour excès de pouvoir afin de soumettre à la CJUE une question préjudicielle sur la compatibilité de la réglementation relative aux livres indisponibles avec la directive 2001/29/CE du 29 mai 2001 . Les dispositions de l'article 5 de la directive instituent un nombre limitatif d'exceptions ou de limitations au droit de reproduction exclusif accordé à un auteur sur son oeuvre. Il s'agit donc de déterminer si le dispositif de gestion collective des livres indisponibles constitue une exception ou une limitation, qui ne figure pas au nombre de celles énumérées par cet article.

3. Un contrat d'auteur heureusement modernisé

L'arrivée, même modeste, du numérique dans l'édition a également posé la question de la rémunération des auteurs sur la vente de supports moins coûteux à produire et vendus à des prix inférieurs que ceux appliqués aux livres imprimés. Est alors apparue nécessaire l' adaptation du contrat d'édition à l'exploitation numérique de l'oeuvre , afin d'en sécuriser les clauses tant pour les auteurs que pour les éditeurs. En effet, les dispositions en vigueur depuis 1957 étaient en partie devenues obsolètes - l'objet du contrat était défini comme « la fabrication en nombre des exemplaires de l'oeuvre » , ce qui ne permettait pas de prendre en compte la diffusion numérique - et, par manque de précision, favorisaient la perpétuation de mauvaises pratiques dans les relations entre les parties.

Déjà, au mois de juin 2012, les travaux de la commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) sur le contrat d'édition à l'heure du numérique avaient fait progresser les négociations entre le Syndicat national de l'édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE) sur les conditions de cession et d'exploitation des droits numériques. Certains principes avaient pu être dégagés mais un accord d'ensemble sur les termes exacts d'une modification du code de la propriété intellectuelle n'avait pu être trouvé. En septembre 2012, la ministre de la culture et de la communication a souhaité relancer la réflexion et, à cet effet, a confié au professeur Pierre Sirinelli le soin de poursuivre son travail de médiation.

À l'issue de plusieurs mois de négociation, auteurs et éditeurs ont conclu, le 21 mars 2013, un accord-cadre relatif au contrat d'édition , afin de l'adapter aux contraintes numériques avec l'installation de règles communes à tout contrat et de règles variant en fonction de la nature de l'exploitation :

- pour l'ensemble des contrats d'édition, le champ est modifié pour couvrir à la fois l'édition en nombre des exemplaires d'une oeuvre mais également le livre numérique . Les professionnels ont souhaité concilier le respect de l'unicité de l'oeuvre et la spécificité des modes d'exploitation, en proposant que le contrat d'édition détermine dans deux parties distinctes les conditions relatives à la cession des droits liés à l'exploitation imprimée de l'oeuvre d'une part, et les celles liées à l'exploitation numérique de l'oeuvre d'autre part ;

- les parties se sont également entendues pour préciser deux éléments fondamentaux du contrat d'édition : l'obligation de reddition des comptes qui pèse sur l'éditeur est renforcée et adaptée aux spécificités de l'édition numérique ; l'auteur ou l'éditeur est autorisé à mettre fin à l'ensemble du contrat sur la base du constat d'un défaut d'activité économique ;

- pour l'exploitation imprimée, la négociation a permis de définir avec précision l'étendue de l'obligation pesant sur l'éditeur en matière d'exploitation permanente et de diffusion commerciale des oeuvres . Pour l'auteur, cette précision simplifie la procédure de résiliation du contrat, aujourd'hui ressentie comme coûteuse et incertaine ;

- enfin, pour l'exploitation numérique, les obligations de l'éditeur ont également été précisées. Ont, par ailleurs, été fixées de nouvelles règles de rémunération. Enfin, les parties sont convenues d'un réexamen régulier des modalités de cession des droits d'exploitation numérique de manière à pouvoir les adapter à l'évolution des modèles économiques de diffusion numérique.

Adopté à l'initiative de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, l'article 2 de la loi précitée du 8 juillet 2014 a habilité le Gouvernement à tirer les conséquences de cet accord-cadre par voie d'ordonnance. L'ordonnance modifiant les dispositions du code de la propriété intellectuelle a été publiée le 12 novembre 2014 pour une entrée en vigueur le 1 er décembre de la même année.

Toutefois, compte tenu de la complexité des dispositions en cause, mais également du caractère encore incertain des évolutions induites par les technologies numériques dans le secteur de l'édition, il était souhaitable que l'élaboration normative puisse répondre à un souci de souplesse et d'évolutivité. Pour cette raison, les modalités d'application de l'accord-cadre ont été précisées par la voie d'un accord interprofessionnel entre les organisations représentatives des auteurs et des éditeurs du secteur du livre en date du 1 er décembre 2014, étendu à l'ensemble des auteurs et des éditeurs par un arrêté de la ministre de la culture et de la communication du 10 décembre 2014.

Un projet de loi ratifiant l'ordonnance précitée du 12 novembre 2014 modifiant les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 29 avril 2015. Nonobstant, à l'occasion de l'examen en séance publique à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, un article additionnel 37 bis A nouveau de ratification de l'ordonnance a été adopté.

4. Des bibliothèques en profonde mutation

De nombreuses grandes villes, notamment les métropoles régionales, et quelques départements ont rejoint le programme des bibliothèques numériques de référence (BNR), créé en 2010, qui vise à mettre en place de grands équipements capables de proposer au public des services, des ressources et des collections de premier plan. Une vingtaine d'établissements ont d'ores et déjà été labellisées BNR, tandis que plus de vingt-cinq projets sont en cours. On estime à environ quatre cents le nombre de bibliothèques territoriales détenant des fonds patrimoniaux (plus de 30 millions de documents anciens et précieux), dont cinquante-quatre bibliothèques municipales classées.

Au sein de ces projets, les investissements en faveur de la numérisation des ressources ne sont pas négligeables mais demeurent généralement inférieurs aux crédits prévus pour les infrastructures informatiques et l'acquisition de ressources numériques. En 2014, le programme des BNR a mobilisé 1,9 million d'euros, puis 1,3 million d'euros en 2015. Le programme devrait se poursuivre en 2016 sur des bases comparables.

Parallèlement, des actions de coopération sont développées avec la BnF , dont le financement est intégré au sein de subvention pour charges de service public attribuée à l'établissement. En 2014, la BnF a ainsi engagé 2,1 millions d'euros pour des partenariats avec un certain nombre de bibliothèques territoriales ou universitaires parmi les plus importantes, sous forme d'une aide à la numérisation ou d'une aide à la gestion du dépôt légal imprimeur. En termes de valorisation, le produit des opérations de numérisation en région est intégré et diffusé à travers la bibliothèque numérique Gallica : sur les 3,5 millions de documents en ligne à l'été 2015, 317 000 émanent des 268 établissements partenaires.

Par ailleurs, depuis 2004, à travers le Plan d'action pour le patrimoine écrit (PAPE), sont encouragées les actions concertées entre les collectivités territoriales, dépositaires ou propriétaires d'un très vaste patrimoine écrit, et les grandes bibliothèques de l'État, y compris universitaires et de recherche, afin de mieux valoriser et faire connaître le patrimoine des bibliothèques territoriales . Le huitième appel à projets a été lancé en mars 2015 avec une dotation de 200 000 euros au bénéfice de onze projets sélectionnés.

À l'ère numérique, les bibliothèques sont également confrontées à la difficulté de garantir , de façon pratique comme en matière de respect de la propriété intellectuelle, les conditions d'un usage collectif des livres numériques . De fait, comme le souligne la mission « Acte II de l'exception culturelle » confiée à Pierre Lescure dans son rapport de mai 2013, « la numérisation des contenus et la transformation des pratiques culturelles induite par la révolution numérique interrogent le rôle des bibliothèques et leur mission d'intermédiation culturelle ».

Afin de développer l'offre numérique en bibliothèque, la mission Lescure proposait :

- d' adopter un dispositif de sécurisation du prêt numérique, notamment par la mise en place de systèmes de fichiers chronodégradables ;

- de développer l'offre de titres en nouant des partenariats avec les librairies , plus performantes en matière de respect de l'exception culturelle que les plateformes américaines auxquelles les établissements font aujourd'hui largement appel ;

- d'inciter les éditeurs français à mettre en place une gestion collective du prêt numérique , permettant la conclusion d'accords sur la rémunération des auteurs et éditeurs ;

- enfin, d' adapter les aides publiques aux bibliothèques en prenant en compte le développement de l'offre numérique, mais également de conditionner les aides à la numérisation versées par le Centre national du livre (CNL) à la mise à disposition des titres en bibliothèque.

Certes, la loi n° 2003-517 du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs a prévu la mise en place d' une licence légale pour le prêt de livres en bibliothèque . Selon ce principe, l'auteur se voit privé de son droit d'autoriser ou d'interdire le prêt des exemplaires de son oeuvre, moyennant une rémunération compensatoire versée par l'État et les collectivités territoriales, via la société de gestion collective SOFIA, qu'il partage à parts égales avec son éditeur. Mais ce dispositif n'a pas vocation à s'appliquer au prêt de livres numériques .

En outre, les principes d'exclusivité du prêt et d'épuisement des droits n'ont pas cours dans l'univers numérique. Le prêt de livres numériques relève donc du droit exclusif de l'auteur et de la négociation contractuelle entre les organismes prêteurs et les titulaires de droits.

À l'absence de cadre juridique adapté, s'ajoute la diversité des modèles techniques et des stratégies commerciales des éditeurs, intégrateurs et distributeurs numériques , compliquant d'autant la recherche d'une solution équilibrée pour les auteurs, éditeurs et bibliothèques. Schématiquement, deux modèles d'accès aux titres , modulables en termes de modèle commercial (licence ou achat), de volume (illimité ou non) et de choix de titres (catalogue entier, partiel ou au titre), coexistent : un accès en téléchargement permettant une lecture hors ligne et fonctionnant par paiement à l'acte ou un accès en streaming pour un nombre d'utilisateurs simultanés illimité impliquant un abonnement souscrit par la bibliothèque.

La multiplicité des modèles d'acquisition de titres et des dispositifs de lecture est préjudiciable aux bibliothèques , contraintes de contracter avec de nombreux intermédiaires et de former leurs personnels à la diversité des outils proposés, comme aux usagers , qui ne se voient pas offrir d'offre intelligible. In fine , peu d'établissements proposent de prêter des livres numériques, comparativement à des pays comme l'Allemagne, la Suède ou les États-Unis, où la pratique du prêt numérique est largement démocratisée.

Conscients de cette lacune française et afin d' améliorer la diffusion du livre numérique en bibliothèque au double bénéfice des lecteurs et des créateurs , les représentants des bibliothèques, des auteurs, des librairies et du SNE, réunis pendant près d'un an sous l'égide du ministère de la culture et de la communication, ont défini conjointement un cadre de recommandations pour développer le prêt numérique. Le document, signé le 8 décembre 2014 par huit associations professionnelles et la ministre de la culture et de la communication, indique dans son préambule : « Il est de la responsabilité collective de tous les acteurs du livre et de l'État de veiller à garantir à la fois l'accès facilité des usagers à une offre numérique de qualité en bibliothèque et les équilibres économiques permettant aux auteurs, aux éditeurs et aux libraires de mener leurs activités. Ces équilibres visent, en effet, à préserver la vitalité et la juste rémunération des acteurs de la création, de l'édition et de la diffusion marchande du livre imprimé et numérique, la diversité des offres et des points d'accès au livre, auxquelles contribue l'ensemble de la chaîne du livre et dont bénéficient tous les lecteurs ».

Parmi ces recommandations, votre rapporteur pour avis retient trois propositions particulièrement intéressantes et équilibrées :

- donner accès aux bibliothèques publiques à l'intégralité de la production éditoriale numérique ;

- réguler les accès au prêt numérique , afin de préserver les achats en librairie ;

- laisser aux collectivités territoriales le soin de choisir, en fonction de leurs besoins et de leurs financements, entre plusieurs offres techniques et commerciales.


* 3 La Bibliothèque publique d'information (BPI) ne conduit pas de politique de numérisation d'ampleur nationale.

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