EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LA DIVERSIFICATION DES CONDUITES ADDICTIVES SOULIGNE LES LACUNES DE LA RÉPONSE PUBLIQUE À CES COMPORTEMENTS

A. L'ÉVOLUTION INQUIÉTANTE DES COMPORTEMENTS DE CONSOMMATION DE DROGUES EN FRANCE

La consommation de substances psychoactives en France, qu'elles soient licites ou illicites, est marquée ces dernières années par un basculement vers des conduites à risques et une démocratisation de certains produits. Si la progression de la consommation de cannabis a atteint un point d'arrêt, la cocaïne se répand tandis que les niveaux de consommation de tabac et d'alcool restent toujours préoccupants.

Tableau n° 1 : La consommation de substances psychoactives en France

Produits illicites

Produits licites

Cannabis

Cocaïne

Ecstasy

Héroïne

Alcool

Tabac

Expérimentateurs

13,4 M

1,5 M

1,1 M

500 000

44,4 M

35,5 M

dont usagers dans l'année

3,8 M

400 000

150 000

//

41,3 M

15,8 M

dont usagers réguliers 1

1,2 M

//

//

//

8,8 M

13,4 M

dont usagers quotidiens

550 000

//

//

//

5,0 M

13,4 M

1 Dix fois par mois ou plus

Source : OFDT

Le cannabis reste bien sûr le produit illicite le plus consommé en France, avec 13,5 millions d'expérimentateurs, 3,8 millions d'usagers dans l'année, 1,2 million d'usagers réguliers et environ 550 000 usagers quotidiens. Si les Français restent parmi les principaux consommateurs européens, on observe une stabilisation des niveaux de consommation et un vieillissement de l'âge d'entrée dans la consommation. En 2011, 41,5 % des jeunes de 17 ans déclaraient avoir fumé du cannabis au cours de leur vie, contre 49,3 % en 2005 et 50,2 % en 2002.

Il faut contredire le mythe sur l'innocuité de la consommation de cannabis . Une étude australienne récente 1 ( * ) portant sur la recherche menée durant les vingt dernières années confirme les effets physiologiques, psychologiques et physiques d'une consommation prolongée et habituelle. Ainsi, la dépendance au cannabis touche un usager régulier sur dix, et même un sur six chez ceux dont la consommation a débuté à l'adolescence. Qui plus est, conduire sous l'emprise du cannabis double le risque d'avoir un accident.

De plus, le produit lui-même est en pleine mutation . Issu de nouveaux bassins de production, comme les Pays-Bas et l'Albanie, ou cultivé localement, sa teneur en THC est désormais bien plus forte qu'il y a quelques années : elle a doublé en dix ans pour la résine de cannabis et est souvent supérieure à 20 % dans de nouvelles variétés d'herbe saisies récemment par les douanes.

On assiste depuis quinze ans à une augmentation régulière de la consommation de cocaïne . Si en valeur absolue ce phénomène peut sembler limité, avec 1,5 million d'expérimentateurs et 400 000 usagers dans l'année, l'expérimentation a plus que doublé entre 2000 et 2011, passant de 1,8 % à 3,8 % de la population adulte. Inquiétant, l'usage au cours de l'année à quant à lui triplé , de 0,3 % à 0,9 % de la population et de 0,9 % à 3 % des jeunes de 17 ans. L'Europe est devenue le premier marché de ce produit, dépassant les Etats-Unis et suscitant l'intérêt des trafiquants d'Amérique du Sud qui utilisent maintenant l'Afrique de l'Ouest comme plateforme de transit.

Le développement, au-delà de la traditionnelle voie de l'inhalation de la poudre de cocaïne, de la cocaïne basée 2 ( * ) , crack 3 ( * ) ou « free base » 4 ( * ) , qui est fumée, pose d'importants problèmes sanitaires supplémentaires - infections bactériennes ou virales - en raison du partage du matériel de consommation. Si ce phénomène est encore très circonscrit à la région parisienne et aux départements d'outre-mer proches de l'Amérique, il touche des polyconsommateurs qui vivent dans une précarité extrême , souvent en marge de la société, et qui ont besoin d'un accompagnement médico-social renforcé.

Comme le souligne l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), la cocaïne a connu une diversification sociologique et géographique de ses usagers . Elle n'est plus réservée aux milieux les plus favorisés ni au monde de la nuit. Son prix ayant baissé, elle s'est diffusée sur l'ensemble du territoire et a été adoptée par les usagers de drogues traditionnels. Elle est pourtant à l'origine d'importants troubles cardiaques (le risque d'infarctus étant multiplié par 24) et neurologiques (AVC, épilepsie), l'inhalation causant quant à elle des lésions de la cloison nasale. Sa consommation peut être suivie d'hallucinations et de paranoïa, accompagnée d'une recherche compulsive du produit. Une dépendance psychique apparaît chez 5 % des usagers la première année et chez 20 % d'entre eux à long terme.

Les opiacés , et en premier lieu l'héroïne , sont à l'origine de dommages sanitaires et sociaux graves liés notamment à leurs modalités de consommation. Le partage de matériel d'injection est un facteur de contamination par les virus des hépatites B et C et du VIH . La dépendance physique et psychique est très forte et les risques de surdose sont élevés.

Si ici encore le nombre de personnes ayant pris de l'héroïne au moins une fois dans leur vie, 500 000 , peut sembler faible au regard de l'ensemble de la population française, ce sont la centaine de milliers d'usagers dépendants qui doivent faire l'objet d'un suivi particulier et bénéficier d'une politique de réduction des risques ambitieuse. 60 % des usagers d'héroïne par voie intraveineuse seraient porteurs du VHC , n'ayant souvent pas conscience de leur statut virologique.

Plus facilement disponible et ayant vu son prix diminuer (de 60 euros le gramme au début des années 2000 à 40 euros en 2011), l'héroïne a désormais conquis un public bien intégré socialement qui en fait un usage récréatif , par inhalation. Ayant perdu l'image stigmatisante qui était la sienne dans les années 1980, son association avec le VIH et les surdoses semble s'être estompée ; elle n'en est pourtant pas moins dangereuse. L'apparition des traitements de substitution aux opiacés (TSO) a certes permis de diminuer les risques sanitaires chez les usagers traditionnels, mais donne lieu à d'importantes dérives.

Il faut également mentionner la montée en puissance et la dangerosité des nouveaux produits de synthèse (NPS), qui se situent en marge de la légalité. Dès que leur interdiction est annoncée, des chimistes modifient leur composition pour les remettre en vente. Disponibles sans difficultés sur Internet, ni leurs effets ni leur qualité ne sont connus à l'avance par le consommateur. 81 nouveaux produits sont apparus en 2013 : l'Etat est toujours pris de court par le rythme de l'innovation dans ce domaine.

Ces drogues illégales ne doivent toutefois pas masquer le fait que ce sont des produits licites qui sont la principale source des addictions et de leurs conséquences sanitaires.

En ce qui concerne l'alcool , il est indéniable que la proportion de consommateurs quotidiens, tout comme les quantités consommées, sont à la baisse. En revanche, les comportements à risques se développent chez les jeunes avec le « binge drinking », ou alcoolisation ponctuelle importante (API) 5 ( * ) . 53 % des jeunes de 17 ans connaissent au moins une API dans le mois, tandis que plus de 75 % d'entre eux déclarent au moins une consommation d'alcool dans cette même période. Les jeunes femmes rattrapent le retard qu'elles ont pu avoir sur les hommes en la matière. En population générale, 11,7 % des 18-75 ans déclarent une consommation quotidienne d'alcool. En matière de santé, les dommages sont nombreux : maladies du foie, cancer, lésions neurologiques. Chez la femme enceinte, il peut avoir des conséquences graves sur le foetus et affecter le développement du système nerveux central de l'enfant. Chaque année, 49 000 décès peuvent être imputés à l'alcool .

Quant au tabac , si les buralistes déplorent une diminution des ventes (- 6 % en 2013), celle-ci ne s'est pas encore fait ressentir dans les comportements de consommation. En 2010, selon les dernières données disponibles, la France comptait plus de 13 millions de fumeurs quotidiens , dont 9 millions fumant plus de dix cigarettes par jour. Ici encore, ces dernières années ont vu l'usage s'accroitre significativement chez les femmes, même si des signes encourageants sont perçus chez les plus jeunes.

Ainsi, malgré une légère remontée à la fin des années 2000, la part de fumeurs quotidiens chez les jeunes de 17 ans reste bien inférieure en 2011 à son niveau de 2000 ( 31,5 % contre 41 % ). De même, l'âge d'initiation au tabac a légèrement reculé ( 14,1 ans contre 13,7 ans ). La lutte contre le tabagisme doit être une priorité : il est, avec 73 000 décès chaque année , la première cause de mortalité évitable en France. A cet effet, la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a annoncé le 25 septembre dernier le lancement d'un programme national de réduction du tabagisme (PNRT) dont le Parlement aura à débattre dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la santé.

Les orientations du programme national de réduction du tabagisme

Axe 1 - Protéger les jeunes et éviter l'entrée dans le tabagisme

- 1. Adopter les paquets de cigarettes neutres pour les rendre moins attractifs ;

- 2. Interdire de fumer en voiture en présence d'enfants de moins
de 12 ans ;

- 3. Rendre non-fumeurs les espaces publics de jeux pour enfants ;

- 4. Encadrer la publicité pour les cigarettes électroniques et interdire
le vapotage dans certains lieux publics.

Axe 2 - Aider les fumeurs à arrêter

- 1. Diffuser massivement une campagne d'information choc ;

- 2. Impliquer davantage les médecins traitants dans la lutte contre
le tabagisme ;

- 3. Améliorer le remboursement du sevrage tabagique.

Axe 3 - Agir sur l'économie du tabac

- 1. Créer un fonds dédié aux actions de lutte contre le tabagisme ;

- 2. Renforcer la transparence sur les activités de lobbying de l'industrie du tabac ;

- 3. Renforcer la lutte contre le commerce illicite de tabac.


* 1 Hall W. What has research over the past two decades revealed about the adverse health effects of recreational cannabis use ? Addiction, 109, octobre 2014.

* 2 Poudre de cocaïne destinée à être fumée après transformation en galette par sa dissolution dans l'eau et l'adjonction d'un agent alcalin, bicarbonate de soude ou ammoniac.

* 3 Cocaïne basée vendue au consommateur sous forme de caillou ou de galette.

* 4 Transformation par le consommateur de la poudre de cocaïne en caillou de cocaïne basée pour son usage propre.

* 5 Soit boire au moins cinq verres d'alcool en une même occasion.

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