EXAMEN EN COMMISSION

Réunie sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen des crédits de la mission « Défense », programme 178 - Préparation et emploi des forces, le 26 novembre 2013.

M. André Dulait, rapporteur pour avis . - En tant que rapporteur du titre 2, c'est moi qui ouvre traditionnellement le feu pour l'examen des crédits du programme 178. Avec 22 milliards d'euros, en baisse de 1%, c'est le plus gros programme de la mission Défense, regroupant 90% des dépenses de personnel et tous les crédits de fonctionnement et d'entraînement des trois armées.

Ce programme concentre toutes les problématiques de « la manoeuvre des ressources humaines ». C'est sur lui que s'exercent les tensions sur les coûts fonctionnement ; c'est à lui, enfin, qu'il revient de dégager des marges financières, par la maîtrise de la masse salariale et la diminution des coûts du soutien, deux « leviers » -je dirais presque deux « Graals »- sur lesquels parie la prochaine LPM -dans la lignée, d'ailleurs, de la précédente-.

Comme nous « fermons la -longue!- marche », des rapporteurs de la mission « Défense » cet après-midi, je me limiterai à 5 brefs constats.

1er constat, le pari de la maîtrise de la masse salariale n'est toujours pas gagné, malgré des déflations d'effectifs considérables

Paradoxe incroyable : le ministère de la défense, qui aura perdu 54 000 emplois en 7 ans, qui est salué par tous, Cour des comptes et Direction du Budget inclus, comme le champion de la réforme de l'État, n'arrive pas à diminuer son 1 er poste de coût, la masse salariale, restée stable depuis 2009, autour de 11,7 milliards d'euros...

La précédente LPM prévoyait que la moitié des économies résultant des réductions d'emploi permettrait d'améliorer la condition militaire, et que l'autre moitié viendrait nourrir les dépenses d'équipement. Finalement, la masse salariale a tout absorbé, avec, en plus, un « retour catégoriel » limité à 40%.

Année après année, il a même fallu voter des rallonges, sous forme d'augmentation en construction budgétaire (« resoclage »), ou de redéploiement par collectifs budgétaires : 213 millions d'euros en 2010, 158 millions en 2011, 474 millions en 2012, 232 millions -nous l'avons appris ces derniers jours- dans le prochain collectif 2013. Ces crédits sont en général pris sur les crédits d'équipement. L'inverse du but recherché !

Au-delà des modes de calculs et des montants, qui diffèrent suivant les « manifestants » ou la « police » (comprenez : la défense ou la Cour des comptes), les causes du dérapage sont bien diagnostiquées, mais pas encore endiguées : mesures indiciaires (c'était un rattrapage, qui était voulu) ; demandes nouvelles en personnel qualifié (renseignement, OTAN) ; réforme des retraites ; coût des mesures d'accompagnement de la déflation (pécules etc...), coût du chômage et des dépenses de « guichet » comme l'amiante, et le fameux « repyramidage » c'est-à-dire l'augmentation des taux d'encadrement, de 15,5 à 16,5%, responsable d'un surcoût de 20 à 40 millions d'euros par an.

En 2014, des mesures sont prises : direction des ressources humaines renforcée, crédits du titre 2 rassemblés dans un seul programme, « dépyramidage » avec une suppression plus que proportionnelle des postes d'officiers, 5 800 sur la durée de la prochaine programmation. On ne nomme plus que 20 Généraux par an aujourd'hui, contre le double en 2006. Certains parlent de « double dépyramidage » car des civils seront affectés sur des postes de soutien, où les militaires effectuaient souvent une deuxième partie de carrière. C'est, d'ailleurs, un point sensible : attention à ne pas opposer les militaires aux civils...

Deuxième constat : le risque de tarir les recrutements va continuer à peser sur la prochaine déflation d'effectifs

En 2014, le ministère de la défense devra supprimer 7 881 emplois, reste de la précédente LPM, ce qui en fera l'une des années les plus « dures ». L'équilibre entre la régulation par les flux, les mobilités vers les autres fonctions publiques et les départs vers le privé ne sont pas ceux que nous aurions souhaités : l'équilibre « idéal » 60-20-20 n'est pas respecté et on sait bien que fermer le robinet des recrutements pour tenir les objectifs de la déflation risque de vieillir la population -et d'en renchérir le coût-. Compte tenu du contexte économique, ce risque va persister pour la prochaine déflation (de 23 500 postes), malgré des mesures d'incitation au départ maintenues et confortées.

Troisième constat : Louvois n'a pas fini d'affecter la lisibilité financière de la réforme, non plus que le quotidien des soldats.

La décision d'abandonner LOUVOIS , désastre de grande ampleur, devrait être annoncée mardi prochain. Le montant des « trop versés » est estimé entre 70 et 133 millions d'euros en 2012, et entre 65 et 70 millions d'euros en 2013. Les mécanismes d'avances mis en place pour les personnels qui ne recevaient pas leur solde perturbent eux aussi le système. Un plan d'action en 12 points a été mis en place, un recouvrement des trop perçus a été lancé en août, des renforts ont été apportés dans les centres de paie : 63 à Nancy, 39 à Toulon, plus des vacataires et des prestataires externes. Attendons les annonces du ministre mardi prochain mais il faudra entre 18 mois et 3 ans pour configurer un nouveau progiciel de paie....

Avec 174 indemnités, pour 3,2 milliards d'euros, le tiers de la rémunération des militaires, le système des primes a sa part de responsabilité dans le désastre. Sa remise à plat est devant nous ; elle sera difficile sans dépenser un euro de plus : il est rare d'arriver à simplifier un système en l'alignant par le bas...

Quatrième constat : Des signaux convergents font craindre une détérioration du moral des militaires. Sans sombrer dans le catastrophisme -ce n'est pas ma nature !- il est de notre responsabilité de le dire. A la fatigue de la réforme, à la dégradation du cadre de vie quotidien en base de défense, au contingentement de l'entraînement, s'ajoutent Louvois , qui détruit la confiance. Le Haut conseil de la condition militaire pointe qu'avec les restructurations, en 2012, 45 000 personnes ont été mutées, soit le quart des officiers par exemple ; une mutation hors métropole sur trois se fait avec un préavis de moins de 3 mois ! Du fait des difficultés d'accès du conjoint à l'emploi, les ménages avec un militaire ont un revenu inférieur de 18% aux fonctionnaires civils de l'État ; le célibat géographique touche désormais 17% des officiers et 14% des sous-officiers.... Les déflations à venir seront douloureuses... Heureusement, nous savons pouvoir compter sur le dévouement et l'engagement de nos personnels de la défense.

Cinquième et dernier constat, le surcoût OPEX se confirme comme une enveloppe trop « justement » calculée. En 2013, les OPEX coûteront le double de l'enveloppe prévue, soit 1,26 milliard contre 630 millions budgétés, principalement à cause de SERVAL. Le dépassement sera bien financé en interministériel. Il n'y aura pas « d'entorse au contrat » : 580 millions d'euros d'ouvertures de crédits complémentaires sont prévus en collectif. Je crois que dans la situation actuelle, on ne peut que le souligner, pour s'en féliciter -même s'il y a, par ailleurs des annulations pour tous les ministères, et à hauteur de 486 M€ pour la défense-. Pour 2014, la provision OPEX est de 450 millions, pour un surcoût constaté moyen de 500 millions ces 10 dernières années et de 900 millions depuis 2009. Je rappelle que nous renforçons d'un millier d'hommes notre dispositif en RCA et que nous avons toujours 3 000 hommes au Mali. Je ne reviens pas sur cette question, sauf pour dire que nous avons bien fait de sécuriser dans la LPM la prise en charge interministérielle du dépassement.

M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis . - J'irai à l'essentiel pour ce qui concerne les crédits de fonctionnement et d'entraînement, avec 4 remarques.

1 ère remarque : l'effort budgétaire pour redresser la disponibilité des matériels ne se fera pas sentir en 2014. Le ministre a fait, à juste titre, du redressement de la disponibilité des matériels sa priorité. Elle est globalement dégradée avec des points noirs bien identifiés comme les V.A.B., le transport stratégique et tactique de l'armée de l'air ou la patrouille maritime, où moins d'un avion sur deux est en état de voler.

Malgré un effort budgétaire, +4,3% pour les crédits, 3,4 milliards d'euros, on ne pourra pas redresser pas la situation en 2014. Pourquoi ?

. d'abord il faut du temps pour reconstituer les stocks de pièces de rechange dans lesquels on a puisé ces dernières années,

. ensuite, on se heurte à la fameuse « courbe en baignoire » : les parcs trop vieux ou au contraire tout récents qui sont les nôtres coûtent plus cher à entretenir,

. enfin, les besoins de régénération sont accrus après une période d'engagements multiples.

2 ème remarque, l'entraînement restera en dessous des normes OTAN en 2014 (et sans doute en 2015). La préparation opérationnelle est depuis plusieurs années 15 à 20% en dessous des normes ; elle le restera en 2014 et sans doute en 2015. Nous serons à 83 jours d'entraînement contre un objectif de 90 pour l'armée de terre, à 156 heures de vol contre 180 pour les pilotes de l'ALAT, à 86 jours de mer contre 100 pour les bâtiments de la marine nationale, à 150 heures de vol contre 180 pour l'aéronavale et la chasse de l'armée de l'air. Le général MERCIER nous a ainsi indiqué que le maintien d'un tel niveau dans le temps dégraderait forcément le niveau opérationnel. « Le maintien de certaines compétences est dès à présent fragilisé » (je cite).

L'effet « aguerrissement en OPEX » n'a joué qu'un temps, au prix d'un fossé entre les unités projetées et les autres. Face au rationnement de l'entrainement, la différenciation de la préparation sera désormais la règle. Les modalités sont à définir : l'armée de terre l'appliquait déjà, mais pour les pilotes de l'armée de l'air, par exemple, il pourrait y avoir deux cercles, un premier cercle entraîné pour tout type d'opérations, et un deuxième cercle de pilotes, qui, après un passage en premier cercle, n'auraient plus que 40 h de vol par an sur avion de chasse, pour maintenir leurs compétences a minima , quitte à être « réentraînés » à la demande en cas d'opérations .

3 ème remarque : Le pari des économies sur le soutien est très ambitieux. De 2014 à 2019, les coûts de fonctionnement doivent être contenus à 3,5 milliards d'euros par an. En 2014, il faut 100 millions d'euros d'économies de plus dans le soutien. Or, nous le savons bien, les dépenses sont rigides ou en hausse. Toutes les économies « faciles » ont déjà été faites.

Le ministre et les chefs d'état-majors se sont livrés devant nous à un concours d'euphémismes : économies « très volontaristes », « défi majeur et immédiat »..., bref, vous l'aurez compris : c'est une vraie inconnue, presque un pari. La méthode employée ? Renégocier les contrats d'énergie, rogner sur tout, y compris les repas, supprimer encore des véhicules, des emplois, laisser tomber l'entretien du propriétaire, et mettre en place une « énième » réforme des soutiens spécialisés, basée cette fois sur une organisation verticale, de « bout en bout ». Quand on sait que supprimer une unité ne « rapporte » que 2 millions d'euros d'économies de fonctionnement, on comprend mieux le défi.

4 ème remarque : Nos constats précédents restent valables pour les bases de défense, malgré la mise en oeuvre de la plupart de nos recommandations. Depuis 2 ans, l'environnement des bases de défense a été simplifié et consolidé, dans le droit fil des recommandations de notre rapport de 2012. Mais des difficultés demeurent, notamment budgétaires, au sein d'une enveloppe contrainte à 720 millions d'euros en 2014.

Prenons l'exemple de la base de Mont-de-Marsan que nous avons pu visiter récemment grâce à notre Président Jean-Louis Carrère :

- malgré des demandes de crédits en baisse du fait d'économies très volontaristes, à 7 millions d'euros la base n'a obtenu que 5,4 millions d'euros en 2013 ;

- la part des dépenses incompressibles (elle-même en baisse : bel effort !) était 4,8 millions d'euros (soit 88% des crédits !) ;

- il y avait un report de charge de 900 000 euros non payés en 2012 ;

- conclusion : comme dans les 60 bases de défense, les dépenses réalisées à compter du 1 er novembre 2013 seront payées sur les crédits 2014... Je rappelle que le personnel de cette base, qui héberge le prestigieux Normandie-Niémen , fleuron de notre aviation de chasse, effectue désormais lui-même le nettoyage des locaux ; certains hangars n'ont pas eu de travaux depuis la 2 ème guerre mondiale. Je salue l'engagement, la loyauté et l'abnégation des personnels.

Le ministre est très conscient de cette situation : il a récemment mis en oeuvre un plan d'urgence pour les bases, et débloqué 30 millions d'euros, qui vont permettre de réaliser 1200 projets pour améliorer concrètement la vie des personnels. Ce plan est très bienvenu, ne serait-ce que sur le plan des symboles, pour les personnels du soutien. Nous avons besoin d'eux pour porter la réforme et réussir la LPM.

En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 178 dans le projet de loi de finances pour 2014, qui sont une déclinaison fidèle du projet de loi de programmation militaire.

La commission donne ensuite un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « défense » au sein du projet de loi de finances pour 2014, les groupes CRC et UMP s'abstenant.

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