B. RENFORCER L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES PRODUITS DE SANTÉ

La pérennité et la transparence de l'action de l'Afssaps sont essentielles pour le maintien d'un haut niveau de sécurité des médicaments, des dispositifs médicaux et des cosmétiques. Les compétences de l'agence ne cessent de croître, tant du fait du droit national que du droit communautaire, et elle y fait face, depuis sa création en 1998, avec une efficacité toujours accrue. Votre rapporteur n'a aucun doute sur la qualité des décisions prises par l'Afssaps.

Ceci étant, l'épisode dramatique du Mediator rend nécessaire de clarifier le rôle de l'agence dans le cadre de l'interdiction récente de ce médicament, qui a suscité l'attention particulière et légitime de l'opinion publique. Cet événement amène à se pencher de manière plus globale sur les éléments susceptibles de nuire à l'image de l'agence, et plus particulièrement sur son mode de financement.

1. Le cas du Mediator
a) Les éléments ayant fondé la décision de retrait du produit

Dans l'attente du rapport demandé à l'Igas par le ministre en charge de la santé, Xavier Bertrand, votre commission considère n'avoir pas les compétences pour apprécier si le Mediator aurait dû être retiré de la vente plus tôt qu'il ne l'a été. A ce stade, votre rapporteur souhaite simplement présenter les éléments de fait qui lui ont été fournis par Jean Marimbert, directeur général de l'Afssaps.

Le Mediator était le nom commercial d'une molécule, le benfluorex, médicament autorisé en 1974 et commercialisé depuis 1976 pour deux indications : adjuvant du régime adapté dans les hyper-triglycéridémies et traitement des patients diabétiques en surcharge pondérale, en complément d'un régime adapté.

L'Afssaps a suspendu, à compter du 30 novembre 2009, l'AMM de ce médicament, en considérant que la balance bénéfice/risque était désormais négative en raison d'un risque de valvulopathies établi en 2009 par la convergence de données nouvelles venant des signalements de pharmacovigilance, des résultats d'une étude d'efficacité et de sécurité que l'Afssaps avait demandée au laboratoire producteur Servier, ainsi que des résultats d'une étude réalisée dans la région brestoise. Ce faisceau d'éléments qui fonde la position de l'agence était conforté par les résultats d'une étude réalisée par la Cnam à la fin de l'été 2009 et communiquée à l'Afssaps, et qui faisait apparaître, chez les patients diabétiques exposés au benfluorex en 2006, un risque nettement plus élevé d'hospitalisations et d'interventions chirurgicales pour valvulopathies.

Après confirmation de la position de l'Afssaps sur le rapport bénéfice/risque dans le cadre d'une procédure européenne d'harmonisation déclenchée par l'agence, la suspension a été transformée le 20 juillet 2010 en un retrait définitif.

Grâce aux études demandées par l'agence, il est désormais scientifiquement établi que le benfluorex peut susciter ou favoriser l'émergence de ces atteintes valvulaires. Mais l'Afssaps a voulu aller plus loin et essayer de cerner, au moins approximativement, cet impact en demandant à la Cnam une étude à partir des bases de données de remboursements et d'hospitalisations qu'elle gère. Les possibilités d'utilisation de ces bases étaient fortement limitées jusqu'à récemment par des contraintes juridiques et surtout techniques. Leur utilisation pour une étude conjointe entre la Cnam et l'Afssaps ouvre des perspectives importantes pour une articulation renforcée entre la pharmacovigilance fondée sur la notification spontanée des effets indésirables et la pharmaco-épidémiologie.

b) L'analyse scientifique

Contrairement à ce qu'affirment certains commentateurs, il n'était nullement évident avant 2009 qu'il existait un risque de valvulopathie, ni a fortiori de déterminer l'étendue de ce risque. Or l'Afssaps ne peut et ne doit se fonder pour prendre ses décisions que sur des preuves scientifiques solides.

Tout d'abord, votre rapporteur estime, comme l'Afssaps, que la problématique du benfluorex n'était pas identique à celle des médicaments anorexigènes fenfluraminiques de type Isoméride et Ponderal qui ont été retirés du marché par l'agence en 1996 et 1997. Ces produits n'appartiennent pas à la même classe thérapeutique et ils ont des propriétés pharmacologiques et des modes d'action principaux distincts, même s'il existe, entre ces médicaments et le benfluorex, une parenté et des points de recoupement qui devaient retenir et qui ont effectivement retenu l'attention de l'agence, et justifié un suivi attentif du profil de sécurité de ce produit.

A la fin des années 90, ces anorexigènes ont en effet été associés à des effets indésirables graves, principalement des cas d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), et beaucoup plus rarement des cas d'atteintes valvulaires. Les mécanismes de développement de ces effets indésirables n'ont été élucidés qu'après le retrait des anorexigènes, par des études publiées successivement dans les années 2000. Celles-ci ont permis d'expliquer comment ces types d'effets indésirables pouvaient être déclenchés, mais elles ont aussi montré que ces mécanismes n'étaient vraisemblablement pas les mêmes dans les deux cas, HTAP et atteintes valvulaires.

La parenté partielle du benfluorex avec les anorexigènes fenfluraminiques a conduit l'agence à prendre des mesures de minimisation et de suivi du risque. D'une part, dès 1996, les préparations magistrales à base de benfluorex ont été interdites, en vue de limiter le mésusage de ce médicament comme produit amaigrissant. D'autre part, l'agence s'est attachée dès 1998 à suivre attentivement le risque potentiel d'HTAP, et elle a renforcé ce suivi à partir du signalement, en mars 2005, d'un cas en pharmacovigilance.

c) Le suivi du Mediator par l'agence

Pour partie en raison de la parenté entre les deux types de molécules, l'agence a donc, dès sa création, demandé plusieurs études qui ont conduit à limiter l'usage du Médiator.

C'est ainsi qu'elle a refusé en 2000 une demande du laboratoire Servier d'étendre les indications à un traitement de première ligne pour le diabète de type II lorsque le régime n'était pas suffisant pour rétablir à lui seul l'équilibre glycémique, en considérant que la démonstration d'efficacité était insuffisante pour une telle indication. A la suite de cette évaluation, l'agence a commandé au laboratoire la réalisation d'une nouvelle étude évaluant l'efficacité du benfluorex utilisé seul ou en association avec d'autres médicaments pour traiter le diabète.

En 2007, sur la base notamment de cette étude, l'agence a retiré l'indication concernant les hyper-triglycéridémies pour insuffisance de preuve de l'efficacité du médicament. Seule l'indication du benfluorex comme « adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale » a été maintenue. Néanmoins, l'agence a demandé au laboratoire une nouvelle étude, selon les standards contemporains de démonstration, pour réévaluer l'efficacité du benfluorex dans la seule indication qui subsistait. Elle consistait à tester sa non-infériorité par rapport à un autre traitement du diabète, la pioglitazone, chez des patients diabétiques par ailleurs insuffisamment équilibrés pour leur diabète par un sulfamide hypoglycémiant (autre médicament antidiabétique). Cette nouvelle étude comportait aussi un volet de sécurité d'emploi (ou de tolérance) dont les résultats connus, en 2009, ont contribué à établir ce risque de valvulopathies.

Mais pour qu'un effet indésirable entraîne la réévaluation d'un médicament, les principes de la pharmacovigilance imposent que le lien entre celui-ci et l'événement signalé soit suffisamment établi. L'autorité judiciaire exerce donc sur les décisions de retrait prononcées par l'agence un contrôle strict qui repose partiellement sur le niveau de preuve dont elle dispose pour étayer sa décision. Tout retrait fondé sur des données épidémiologiques qui ne seraient pas « robustes », au sens scientifique du terme, serait vraisemblablement annulé, et le laboratoire pourrait dès lors prétendre à une indemnisation de la part de l'Etat.

Or, en ce qui concerne les valvulopathies provoquées par le benfluorex, si l'on met à part le cas espagnol publié en 2003, il y a eu en France, avant 2008, un seul cas bien documenté et confirmé par examen anatomopathologique, signalé à Toulouse en 2006 et qui a donné lieu à une publication. Les autres cas signalés en pharmacovigilance n'ont pas été jugés probants par l'Afssaps car lorsqu'ils mentionnaient la présence d'atteinte valvulaire, les cas les plus documentés comportaient d'autres causes possibles que l'effet du benfluorex, par exemple un traitement antérieur par Isoméride.

C'est en 2008 et 2009 que sont apparues plusieurs données nouvelles. Tout d'abord, à la suite du signalement d'un deuxième cas bien documenté observé à Brest, l'Afssaps a déclenché une nouvelle réévaluation du risque, qui a donné lieu à trois passages en commission nationale de pharmacovigilance en quelques mois à partir du printemps 2009. Des cas d'atteintes valvulaires parfois antérieures ont alors été déclarés, notamment en provenance d'Amiens et de Brest, à partir d'une exploitation des données sur les hospitalisations et d'un registre d'échographies. Au total, pas moins de quarante-deux cas ont été signalés entre janvier et novembre 2009, et depuis l'arrêt de commercialisation de novembre 2009, dix-huit cas s'y sont ajoutés, le plus souvent rétrospectifs.

Dans le même temps, les résultats de la deuxième étude demandée par l'agence au laboratoire ont fait notamment ressortir un nombre préoccupant d'anomalies valvulaires après cinquante-deux semaines de traitement. Les résultats de l'étude conduite à Brest, disponibles durant l'été 2009, allaient d'ailleurs dans le même sens. Enfin, et à un moment où la procédure de réévaluation et de suspension était déjà bien avancée, les résultats de la première étude de la Cnam sont venus apporter une confirmation nette du signal émis par toutes les données nouvelles de 2009.

d) Les effets du Mediator sur la santé du malade

Après cette première étude de la Cnam, une seconde a évalué les effets du benfluorex sur la santé des malades auxquels il a été prescrit pendant toute la durée de sa commercialisation. On peut tenir pour certain que des décès ont pu être provoqués ou favorisés par l'utilisation de benfluorex sur la période d'un peu plus de trente ans pendant laquelle le produit a été disponible (1976-2009). L'ordre de grandeur, de l'ordre d'au moins cinq cents décès, dépend des méthodes et hypothèses de calcul retenues.

Face à cette situation dramatique où un médicament a causé la mort de plusieurs centaines de personnes, il importe de souligner, avec Jean Marimbert, qu'« il est des situations dans lesquelles un système de pharmacovigilance, même organisé de façon structurée comme il l'est chez nous, peut ne produire qu'un signal faible voire très faible pour un risque qui s'avère ensuite plus net. C'est le cas en particulier lorsque l'effet indésirable est relativement répandu dans la population générale, et que les patients concernés ont d'autres pathologies proches ou similaires qui peuvent conduire le professionnel de santé à ne pas penser faire le lien entre l'effet indésirable et la prise du médicament » .

Le cas de benfluorex illustre bien la répercussion de ces «effets confondants», puisque l'examen des données de la Cnam montre que la plupart des patients sous benfluorex hospitalisés et le cas échéant opérés pour des atteintes valvulaires étaient en affection de longue durée (ALD), au titre d'autres affections cardiovasculaires ou bien d'un diabète chronique susceptible d'engendrer des troubles cardiovasculaires. Dans un tel contexte, la possibilité de recourir rapidement et facilement à des études utilisant de grandes bases de données pour confirmer ou non le signal faible est absolument cruciale. C'est pourquoi l'Afssaps s'est dotée depuis trois ans d'une structure interne tournée vers la pharmaco-épidémiologie, apte non seulement à identifier des besoins d'études dans le cadre des plans de gestion des risques mais aussi à dialoguer avec des équipes extérieures et notamment avec la Cnam pour faire réaliser des études confirmatives. L'agence a également constitué, en 2008, un groupe de travail spécialisé associant des scientifiques de ses propres équipes et des experts pharmacovigilants et pharmaco-épidémiologistes issus d'horizons et d'organismes divers. Les freins juridiques et techniques qui entravaient l'utilisation des bases de données de l'assurance maladie étant progressivement levés, la coopération opérationnelle entre l'Afssaps et la Cnam, engagée récemment sur des sujets comme benfluorex ou Gardasil, va pouvoir se développer plus largement, dans le cadre d'une convention que nous sommes en train de mettre au point et qui sera signée dans les prochaines semaines. » 6 ( * )


* 6 Intervention de Jean Marimbert devant la presse le 16 novembre 2011.

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