TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mardi 17 février 2009 , sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l' examen de son rapport pour avis sur le projet de loi pénitentiaire n° 495 (2007-2008), dans le texte n° 202 (2008-2009) adopté par la commission des lois le 4 février 2009.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis , a fait état de la situation médiocre de la santé en prison : le taux de suicide, qui avait plutôt tendance à diminuer ces dernières années, remonte depuis 2008 et a atteint un pic dans les premiers jours du mois de janvier 2009 ; les détenus souffrent, dans une proportion importante mais encore mal déterminée, de troubles psychologiques et mentaux, ainsi que de maladies contagieuses comme la tuberculose, quasiment disparue dans le reste de la population.

Cet échec de la prise en charge a incité la commission des affaires sociales à se saisir pour avis du projet de loi pénitentiaire qui ne consacre que trois articles à la santé. De nombreuses visites sur le terrain permettent d'affirmer que le problème ne tient ni aux personnels médicaux, ni aux personnels pénitentiaires, mais résulte de la prison elle-même.

Ceci étant, la loi du 18 janvier 1994 a incontestablement marqué un tournant dans la prise en compte de la santé en prison. Désormais, le détenu est considéré comme un patient à part entière titulaire de droits, dont celui d'accéder à un niveau de soins égal au reste de la population. Aujourd'hui, il faut donc garantir que ces principes correspondent à la réalité.

Depuis 1994, chaque établissement pénitentiaire est doté d'une unité carcérale de soins ambulatoires (Ucsa) qui dispense les soins courants ainsi que, le plus souvent, les soins dentaires et les visites de certains spécialistes. Un psychiatre est également affecté à l'Ucsa, à moins qu'il n'y ait dans l'établissement une unité spécialisée, le service médico-psychologique régional (SMPR).

L'installation d'une Ucsa ou d'un SMPR fait l'objet d'une convention entre l'établissement carcéral et un hôpital de rattachement qui met à disposition les moyens matériels et humains. Les psychiatres et les SMPR relèvent souvent d'un hôpital différent de celui des personnels chargés des soins somatiques, ce qui cause de nombreuses difficultés, notamment pour établir entre eux un système informatique unique.

Le financement des unités de soins en prison relève pour partie de la tarification à l'activité mais surtout d'une dotation au titre de la mission d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac). Malgré les contrôles effectués par les agences régionales de l'hospitalisation (ARH), on constate que certains hôpitaux négligent ces unités de soins ou utilisent leur dotation pour le fonctionnement général de l'hôpital : des cas d'affectation fictive de personnels médicaux en prison ont été signalés.

Les personnels des Ucsa et SMPR sont d'abord motivés par la mission de service public qu'ils exercent, les primes et aménagements horaires dont ils bénéficient s'avérant peu de chose au regard des contraintes qu'ils subissent. Il existe peu de postes de médecins à plein temps en milieu carcéral, ce qui limite les perspectives de progression de carrière ; ceci étant, il est nécessaire qu'ils puissent continuer à pratiquer à temps partiel une médecine hospitalière plus classique car les actes répétitifs et déqualifiants sont le quotidien de la médecine carcérale. Il n'en demeure pas moins que, malgré la priorité de reclassement dont ils bénéficient en principe, les personnels médicaux exerçant la totalité de leur service en prison ont, quand ils souhaitent en partir, des difficultés à trouver un poste dans le service de leur choix.

Aux difficultés des personnels s'ajoute la faiblesse de la prise en charge par les hôpitaux. Les lits des SMPR sont parfois occupés pendant plusieurs années par un même détenu, que son état de santé mentale rend incapable de subir une incarcération ordinaire. C'est là la preuve qu'une erreur a été faite en le mettant en prison où il monopolise les faibles moyens consacrés aux soins psychiatriques des prisonniers. Les consultations à l'hôpital sont également difficiles en pratique, en raison de la rareté des chambres sécurisées. Les hôpitaux sont parfois tentés de se débarrasser le plus rapidement possible des détenus ou de confiner en cellule d'isolement les malades psychiatriques.

Des unités de soins intermédiaires sont actuellement en cours d'installation. Elles s'avèrent particulièrement coûteuses et doivent encore faire leurs preuves en matière de soins. L'essentiel est de garantir le bon fonctionnement des unités carcérales existantes, notamment en réaffirmant que les personnels soignants sont là pour soigner des malades et non pour effectuer des missions de sécurité comme les fouilles corporelles. Les droits du détenu malade doivent également être respectés. Or, ils font aujourd'hui l'objet de nombreuses entorses, notamment en ce qui concerne le respect du secret médical.

Il faut également faire bénéficier les unités de soins en prison de moyens matériels aussi modernes que ceux dont sont dotés les hôpitaux et favoriser le développement de la télémédecine qui permettrait de réduire certains coûts et d'éviter le transfert de détenus.

Des moyens technologiques modernes, comme les scanners utilisés dans certains aéroports américains, pourraient également remplacer les fouilles à corps par palpation ou intrusion, ce qui permettrait de concilier sécurité et respect de la dignité des détenus.

Enfin, il faut veiller à améliorer les conditions de détention car la surpopulation carcérale, notamment dans les maisons d'arrêt, entraîne une promiscuité impropre à l'hygiène. Il est également nécessaire de garantir la continuité des soins entre la prison et l'extérieur et d'éviter qu'un traitement commencé à l'occasion d'une incarcération prenne fin brusquement à la libération du détenu.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a conclu en précisant que les amendements proposés ont pour but de compléter le projet de loi afin d'améliorer l'organisation des soins, de clarifier les missions des personnels soignants, de promouvoir l'emploi des technologies les plus modernes, de renforcer les conditions d'hygiène et, enfin, de favoriser la réinsertion du détenu grâce au maintien des liens familiaux, à l'accès à la formation et à la poursuite des traitements médicaux.

Mme Bernadette Dupont a souligné le problème de l'évaluation psychiatrique des détenus : celle-ci devrait avoir lieu à leur arrivée, pour identifier ceux qu'il est nécessaire de diriger vers des unités spécialisées, mais aussi lorsqu'une sortie anticipée est envisagée, car celle-ci devrait être précédée d'une concertation entre le médecin expert et le médecin traitant.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a confirmé que l'on enferme en prison des personnes dont l'état mental demanderait plutôt qu'elles soient hospitalisées. La prison a également pour effet d'aggraver les dérèglements légers, voire de susciter la survenance de troubles psychologiques et mentaux. La tendance à l'incarcération de personnes atteintes de troubles psychiatriques résulte partiellement d'une conception plus large de la responsabilité en droit pénal et de la prise en compte légitime des victimes. Pour autant, il faudrait prévoir la mise en oeuvre de peines alternatives par le juge au moment de la condamnation, lorsque le cas le justifie.

Mme Marie-Thérèse Hermange a cité l'exemple de la prison pour femmes de Rennes qui est un établissement modèle et qui illustre l'idée que les prisons pour femmes paraissent mieux fonctionner que les prisons pour hommes. Elle a dénoncé le fait que des psychiatres nommés à plein temps en prison ne semblent pas y exercer l'intégralité de leur service et le manque de coordination entre l'hôpital et la prison. Il lui paraît nécessaire de faire en sorte qu'il n'y ait pas de sortie sans accompagnement : plusieurs associations travaillant pour la réinsertion des détenus se trouvent entravées dans leur action par la rupture qui existe entre leur travail et celui du service pénitentiaire d'insertion et de probation qui s'exerce à l'intérieur de la prison. La baisse du nombre d'appartements-relais au cours des dernières années pose également de nombreuses difficultés.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a noté que c'est une violence différente qui semble s'exercer dans les prisons pour femmes et dans les prisons pour hommes. On constate par ailleurs qu'elles se portent plus facilement volontaires pour l'exercice des tâches et activités, ce qui leur permet parfois d'obtenir un complément de revenus et réduit leur sentiment d'isolement. Ceci peut expliquer que les prisons pour femmes paraissent plus faciles à gérer.

En ce qui concerne la présence effective des médecins affectés au sein des unités carcérales, il s'agit là d'un réel problème qui appelle un renforcement des contrôles.

L'absence de coordination efficace et formalisée entre les personnels hospitaliers et pénitentiaires est partiellement compensée par des contacts verbaux réguliers entre les médecins et le directeur de l'établissement, dans l'intérêt des détenus.

Sur la question de l'interruption des soins après la libération du détenu, un amendement prévoyant une visite médicale obligatoire de sortie sera soumis à la commission.

Mme Raymonde Le Texier a indiqué partager les préoccupations exprimées par le rapporteur sur la santé en prison et sur les conditions souvent indignes dans lesquelles sont actuellement pratiquées les fouilles à corps. La difficulté d'accès aux douches résulte, à son sens, moins de la surpopulation carcérale que des risques d'agression, ce qui impose qu'une surveillance soit mise en place. Par ailleurs, la commission devrait également se pencher sur les conditions d'accouchement des femmes en prison ainsi que sur la préparation de la séparation et le maintien du contact avec l'enfant après qu'il a atteint l'âge de dix-huit mois. Ceci passe, entre autres, par la mise en place de pièces spécialement aménagées. Enfin, elle s'est étonnée que l'on n'ait pas fait état des difficultés d'emplois, d'activité et de formation des détenus.

Mme Anne-Marie Payet a fait état de la situation particulièrement précaire des prisons outre-mer. L'ancienne prison de Saint-Denis-de-la-Réunion, aujourd'hui heureusement fermée et remplacée, s'est longtemps trouvée dans une situation dramatique. Il en est encore ainsi à Mayotte. Par ailleurs, l'académie nationale de médecine a dénoncé le manque de psychiatres en prison et l'insuffisance de la formation des personnels soignants en milieu carcéral.

M. Marc Laménie a insisté sur l'importance des conditions de détention et sur le problème de la surpopulation carcérale. Le problème est toujours de trouver un juste équilibre entre les coûts liés à la construction de prisons à taille humaine et le bien-être des détenus. Il a souhaité savoir pourquoi des personnes souffrant de troubles mentaux graves se retrouvent en prison. Peut-il s'agir d'une erreur de l'expertise médicale au moment du jugement ?

M. Jacky Le Menn a témoigné avoir vécu du côté du monde hospitalier la mise en oeuvre de la loi du 18 janvier 1994. La situation antérieure était véritablement dramatique. La pratique consistant à donner aux malades leurs médicaments dissous dans une bouteille d'eau était source d'un trafic et donc de consommations abusives pouvant amener au coma et à la mort. Quinze ans après, les difficultés à harmoniser culture hospitalière et culture pénitentiaire persistent. Il est encore très difficile de faire sortir les détenus malades pour les conduire à l'hôpital. Les personnels en charge de la surveillance ne sont pas clairement déterminés lors du séjour dans un service et on compte trop peu de chambres sécurisées, d'autant que celles qui existent sont souvent utilisées pour les urgences.

La détection des maladies en prison doit encore être améliorée, notamment en ce qui concerne les maladies mentales. On sait par ailleurs que l'enfermement aggrave la maladie. Les unités d'hospitalisation spécialement aménagées (UHSA), qui sont présentées comme un moyen de faciliter les soins hospitaliers, n'accueilleront en fait que les malades les plus dangereux et identifiés comme tels. On assiste aussi à des demandes accrues en matière de sécurité de la part du ministère de l'intérieur au détriment de l'approche en termes de soins.

Les enveloppes budgétaires accordées au financement des unités de soins en milieu carcéral doivent être garanties contre les tentatives de captation pour le financement des autres activités hospitalières.

Enfin, une des pistes d'amélioration des soins dispensés en prison est, à son sens, l'élaboration de profils médicaux précis pour chacun des détenus.

M. Jean-Marc Juilhard s'est enquis du statut des personnels soignants exerçant en prison, de l'impact des problèmes de démographie médicale et des conditions d'organisation de la réinsertion des détenus.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a confirmé à Mme Raymonde Le Texier que, dans certaines prisons, on lui a rapporté que les détenus sollicitaient la protection de l'aumônier pour se rendre aux douches afin de se prémunir contre les actes de violences.

Mme Raymonde Le Texier a déclaré qu'il faudrait dès lors rendre obligatoire la surveillance des douches.

Abordant la question de l'activité en prison, M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a précisé que la commission des lois, saisie au fond, a adopté de nombreuses mesures tendant à améliorer les possibilités de formation et d'emploi pour les détenus. L'obligation d'activité est un premier pas pour la réinsertion en ce qu'elle évite que les prisonniers restent enfermés dans leur cellule, mais il proposera des amendements pour renforcer ce volet du texte. En ce qui concerne la situation des femmes enceintes ou avec de jeunes enfants, la commission des affaires sociales pourra se saisir spécifiquement de ce sujet dans le cadre d'un rapport d'information. Les cas d'accouchements de femmes menottées résultent de l'obligation faite aux gardiens de s'assurer qu'il n'y aura pas de tentative d'évasion. Ils illustrent surtout le fait que le manque de chambres sécurisées est criant.

Il a indiqué à Mme Anne-Marie Payet être sensible à la situation des prisons dans les collectivités ultra-marines, notamment en Guyane où la maison d'arrêt affiche un taux d'occupation de 171 %.

Le développement des peines alternatives est une nécessité si l'on veut régler la question de la surpopulation carcérale et les problèmes qui en découlent. Il est vraisemblable que le recours à la détention provisoire est trop utilisé.

Pour atténuer le plus possible le choc des cultures décrit par M. Jacky Le Menn, une clarification des rôles est nécessaire, qui passe notamment par l'interdiction de demander aux médecins et aux personnels médicaux des actes sans lien avec la médecine.

Enfin, il a précisé à M. Jean-Marc Juilhard que les personnels des unités de soins en milieu carcéral relèvent pour la majeure partie de la fonction publique hospitalière, mais qu'on compte aussi quelques vacataires. Le véritable problème est celui d'obtenir un médecin quand il y a urgence. Les difficultés d'accès font que les médecins extérieurs hésitent ou renoncent à répondre aux appels qui viennent de prison. Par ailleurs, la question de la réinsertion des détenus fait l'objet de plusieurs amendements soumis à la commission.

A l'issue de ce débat, la commission a examiné les amendements présentés par le rapporteur pour avis.

Après l'article 3 , elle a adopté un article additionnel tendant à prévoir que les procureurs de la République et les juges d'instruction effectuent au moins une visite annuelle dans les prisons qui relèvent de leur ressort.

Après l'article 11 bis , elle a adopté un article additionnel tendant à ce que les prisonniers puissent acheter et recevoir des produits alimentaires de leur choix sous la seule réserve de la préservation de la sécurité et de la santé.

A l' article 11 ter (consultation des détenus sur leurs activités), elle a adopté un amendement prévoyant l'apprentissage des enseignements fondamentaux pour les détenus qui ne les maîtrisent pas.

Avant l'article 13 , elle a adopté un article additionnel tendant à encadrer le mode de calcul de la rémunération minimale du travail des personnes détenues.

A l' article 14 (insertion par l'activité économique), à la suite d'un débat au cours duquel sont intervenues Mmes Marie-Thérèse Hermange, Raymonde Le Texier et Bernadette Dupont , elle a adopté un amendement de réécriture prévoyant la signature d'un contrat de travail de droit public entre le détenu et l'administration pénitentiaire.

A l' article 15 (droit des détenus au maintien des relations avec leur famille), elle a adopté un amendement fixant un nombre minimal de visites autorisées aux détenus.

Avant l'article 20 , elle a adopté un article additionnel garantissant le droit des détenus au secret médical et au secret de la consultation.

A l' article 20 (prise en charge des soins par le service hospitalier - restriction des informations susceptibles d'être communiquées aux proches), elle a adopté deux amendements, le premier tendant à supprimer la restriction prévue aux informations susceptibles d'être communiquées aux proches et le second prévoyant l'organisation de la permanence des soins en milieu carcéral.

A l' article 22 (rémunération des aidants par l'administration pénitentiaire), elle a adopté un amendement prévoyant que le détenu faisant fonction d'aidant d'un détenu handicapé peut être rémunéré par l'administration pénitentiaire.

Après l'article 22 , elle a adopté sept articles additionnels qui visent respectivement à :

- interdire la réalisation d'actes dénués de lien avec les soins par les personnels soignants intervenant en milieu carcéral ;

- prévoir une visite médicale de sortie ;

- offrir la possibilité aux personnes détenues de faire appel, sous conditions, à un praticien extérieur aux unités de soins et hôpitaux de rattachement ;

- mettre en place un dossier médical électronique unique pour chaque détenu ;

- imposer la passation d'un contrat d'entretien spécifique pour les matériels des unités de soins en milieu carcéral ;

- demander au Gouvernement de présenter un plan d'équipement des unités de soins en milieu carcéral en moyens de télémédecine ;

- placer dans un établissement spécialisé les détenus ayant effectué un séjour continu de plus de douze mois dans un service médico-psychologique régional.

Avant l'article 24 , elle a adopté un article additionnel tendant à ce que le Gouvernement présente au Parlement un plan d'équipement des prisons en moyens de détection électronique permettant d'éviter les fouilles à corps.

A l' article 24 (fouilles), elle a adopté deux amendements, l'un précisant que les fouilles avec intrusion ne peuvent être effectuées que si les moyens de détection électronique sont insuffisants, l'autre qu'un médecin participant aux soins en milieu carcéral ne peut être requis pour effectuer ces fouilles.

Après l'article 32 , le rapporteur pour avis a présenté un amendement portant article additionnel tendant à interdire l'incarcération d'un détenu dans un établissement affichant un taux d'occupation supérieur de 20 % à ses capacités.

M. Claude Jeannerot a souhaité savoir pourquoi fixer ce seuil à une suroccupation de 20 % et non dès que la capacité d'accueil est atteinte.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a précisé que l'importance du taux de rotation des détenus dans les maisons d'arrêt fait qu'on ne peut interdire les dépassements ponctuels.

M. Claude Jeannerot a souligné le problème des détenus prétendument en transit dans une maison d'arrêt mais dont le séjour s'éternise.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption des articles de la proposition de loi dont elle s'est saisie pour avis, sous réserve des amendements qu'elle présente.

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